Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Abigail Marsh
Grâce à ses études sur l’altruisme, et à ses entretiens auprès de nombreux enfants et adolescents à comportements psychotiques et/ou psychopatiques, la neurobiologiste et psychologue, Abigail Marsh tente de percer le mystère de ces comportements extrêmes que tout oppose. Pourquoi un altruiste va-t-il aider de façon totalement désintéressée une personne en détresse, parfois même au péril de sa propre vie ? Comment un psychopathe peut-il infliger de terribles souffrances, sans aucune émotion et sans aucun regret ? Que se passe-t-il dans le cerveau de ces personnes, comparativement à des individus considérés comme “normaux” ? Les explications scientifiques et rationnelles renvoient à une région très précise du cerveau, l'amygdale, une partie de notre cerveau reptilien, primitif, entre autres, le siège de la mémoire émotionnelle reliée à la peur.
La scientifique a souhaité comprendre le fonctionnement de notre cerveau à la suite d’un événement personnel. Alors qu’elle était étudiante, elle fut victime d’un accident de la route, et soudainement sauvée par un inconnu qui la mit en sécurité sur une autoroute… avant de disparaître.
Cet épisode marquant de geste purement altruiste l’a depuis guidée dans ses choix professionnels, comme neurobiologiste et psychologue. Elle s’attache ainsi à comprendre pourquoi des personnes sont capables de sauver une vie, pouvant mettre en péril la leur, alors même qu’ils ne recherchent rien en retour. Se jeter dans des flammes, plonger dans une eau glacée, donner un rein à un inconnu, autant d’actes altruistes difficiles à déchiffrer.
Ces « grands » altruistes ne se considèrent pas comme des héros et ne souhaitent aucune publicité ou une quelconque gratification puisqu’ils disparaissent comme ils sont apparus. Les recherches récentes sur le cerveau, et particulièrement depuis les progrès extraordinaires de l’IRM, ont permis de mieux appréhender ce qu’il se passe dans le cerveau des altruistes lorsqu’ils réalisent un tel geste. Abigail Marsh a eu l’idée de comparer l’activité cérébrale des altruistes avec une catégorie de personnes diamétralement opposées émotionnellement parlant, les psychopathes.
La clef du mystère se trouve dans la partie la plus ancienne de notre cerveau, le cerveau reptilien, apparu il y a 500 millions d’années chez les poissons, et qui gère les fonctions vitales de l’organisme… L’amygdale a la particularité de nous aider à percevoir l'expression de la peur chez autrui. Certaines personnes, chez qui l’amygdale dysfonctionne, deviennent des héros, et d’autres des psychopathes.
Elle fut publiée en 1963, mais reste incontestablement l’étude de psychologie la plus commentée, la plus référencée, et la plus importante encore aujourd’hui. L’expérience de Milgram a été inspirée par le procès d’Adolf Eichmann, officier nazi, responsable de la logistique de la « solution finale ».
Elle fut présentée comme une étude scientifique mesurant l'efficacité de la punition sur la mémoire, avec pour mission d’évaluer le degré d’obéissance d'un individu devant une autorité qu'il juge légitime, ainsi que d'analyser le processus de soumission, notamment lorsqu’il induit des actions qui posent des questions de conscience au sujet. L’expérimentateur, qui se pose en représentant de l'autorité, demande à un individu volontaire (rémunéré) de faire réciter des mots à un élève.
Si l’élève se trompe, le volontaire doit lui infliger des chocs électriques de plus en plus forts, entre 15 et 450V, au fur et à mesure des erreurs. L’expérimentateur et l’élève sont complices, il s’avère que l’élève est un acteur qui simule la douleur de faux chocs électriques. « Avant le début de l’étude, Milgram avait fait un sondage auprès d’un certain nombre d’experts psychiatres en leur demandant de prédire ce qui allait se passer. Une large majorité d’entre eux estima que seule une toute petite fraction de la population, peut-être un dixième, continuerait d’infliger des chocs à un inconnu qui se plaignait du cœur et criait pour que cela cesse. En fait, la plupart des experts se sont trompés. » (p. 44)
Plus de la moitié des volontaires, en effet, ont continué à envoyer des chocs, certains même jusqu’au stade maximal. Ils n’étaient pas tentés d’aller au bout pour la récompense financière ; ils étaient payés 4,5 dollars, quel que soit le résultat. L’expérimentateur n’influait que modérément. Il avait pour mission d’encourager les volontaires de façon incitative, plus que pressante.
Cette étude filmée a ainsi montré, à l’instar de ce qu’Eichmann a pu déclarer lors de son procès, que des gens ordinaires dans certaines circonstances sont capables des pires monstruosités si une autorité, prête à en assumer les conséquences, leur ordonne de le faire. Les motivations des participants, des plus « obéissants » à l’ordre aux plus « rebelles », sont une mine d’informations sur la capacité de compassion de la nature humaine. Ceux qui ont désobéi l’ont fait dans une démarche compassionnelle, refusant simplement de voir souffrir l’autre. Pour l’auteure, cette expérience, contrairement à ce qui est habituellement mis en avant, s’avère plutôt rassurante puisque 50% des volontaires ont refusé l’ordre…
Cette expérimentation fut à l’époque extrêmement controversée ce qui coûta à son auteur, Stanley Milgram, son emploi et son poste à Harvard. Il reste cependant encore aujourd’hui considéré comme l’un des psychologues les plus importants et influents du XXe siècle.
Le comportement agressif, c’est-à-dire l’acte de faire mal intentionnellement et en toute connaissance de cause, est d’origine multifactorielle. L’être humain ne naît pas agressif ou altruiste, sauf dans de rares cas pathologiques.
Une part de son comportement provient effectivement de ses gènes, transmis par ses parents. L’éducation et l’environnement familial dans lequel il a été baigné depuis son plus jeune âge influencent l’évolution de sa personnalité. Il est difficile de faire la part des choses entre inné et acquis. « La tendance violente d’une personne agressive vient peut-être du fait qu’elle a eu des parents durs et prompts à punir. Mais peut-être que non. Nous avons aussi des gènes communs avec nos parents. Une autre possibilité, parmi d’autres, est que le comportement sévère des parents tout comme l’agressivité des enfants résultent de facteurs génétiques communs. » (p. 61)
Les recherches génétiques, et particulièrement l’étude des vrais jumeaux, qui partagent 100% de leurs gènes, ont cependant permis de mettre en lumière quelques réponses sur cette question complexe et qui suscite toujours de nombreuses polémiques. Même s’ils ne sont pas élevés ensemble, les jumeaux restent, en effet, très semblables d’un point de vue physique et psychologique. Il a été montré que certaines propriétés se révèlent très majoritairement héréditaires, comme la couleur des yeux (98%) ou la taille (80%).
En moyenne, 50% des caractéristiques physiques sont transmises génétiquement. Les caractéristiques psychologiques sont également issues de l’hérédité à hauteur de 50%. Par exemple, l’agressivité se transmettrait aux enfants dans 50% des cas, et jusqu’à 85% pour certaines formes (agressivité proactive persistante), comme le montrent des études auxquelles l’auteure fait référence. Un environnement violent et/ou agressif, par ailleurs, influe sur le développement de l’enfant. La violence et la maltraitance envers les enfants peuvent expliquer une part de leur agressivité, appelée agressivité réactive, pour faire face aux menaces de violence et à la violence qui pèsent sur eux. Mais ce n’est pas une fatalité.
Si quasiment 100% des parents maltraitants ont été des enfants maltraités, tous les enfants maltraités ne deviendront pas des adultes maltraitants. De même, si les tueurs en série et psychopathes ont tous subi des formes sévères de violence lorsqu’ils étaient enfants, tous les enfants très gravement maltraités ne deviennent ni des tueurs en série ni des psychopathes. Les chiffres l’attestent évidemment.
L’auteure a passé au crible des dizaines d’enfants et d’adolescents, psychotiques et /ou à traits psychopatiques (des signes de possibilité de développer la pathologie). Les enfants ne montrent jamais de signes de psychopathie, car celle-ci, en tant que trouble du développement de l’enfant, ne s’exprime qu’à partir de l’adolescence ou de l’âge adulte.
Et la psychose (schizophrénie-trouble bipolaire) se distingue de la psychopathie par le fait que l’individu souffrant de psychose fait face à une incapacité à faire la part des choses entre l’imaginaire et la réalité. Le psychopathe, lui, est bien ancré dans la réalité. Il fait preuve d’agressivité proactive, dans un but précis et prémédité, avec sang-froid, en toute conscience de ce qu’il réalise.
Les profils psychopathiques ont la particularité d’être très majoritairement déterminés par la génétique, de l’ordre de 85% ; la part éducative, familiale et environnementale étant assez secondaire (15%). Leur agressivité ne provient pas du fait qu’ils aient été maltraités, mais s’explique avant tout par des données neurobiologiques. Plusieurs études scientifiques le prouvent. L’auteure cite, par exemple, les résultats des recherches de James Blair en 1995 qui a montré que les psychopathes souffrent d’une déficience du « mécanisme d’inhibition de la violence » (VIM), autrement désigné aujourd’hui comme « le modèle du système des émotions intégrées ». Ce VIM a une importance capitale, car il nous empêche de faire mal à autrui.
Statistiquement, 7% des enfants peuvent être atteints de cette déficience à un moment de leur développement ; la moitié d’entre eux seulement restant incapable d’émotions après avoir passé à un acte de violence. Ainsi, entre 2 et 3% des enfants, peu ou pas réactifs émotionnellement, sont susceptibles de devenir des adultes psychopathes. Les personnes considérées comme « hautement psychopathiques » représentent environ 1% de la population. Les études IRM ont montré en 1994 que c’est l’amygdale qui est en jeu. Cette amygdale est une petite zone du cerveau reptilien, d’un centimètre de diamètre, qui joue entre autres un rôle crucial dans la reconnaissance de la peur sur les visages. Ces êtres hyper agressifs souffrent d’un dysfonctionnement de l’amygdale.
Dénués du sentiment de la peur, ils sont incapables de l’identifier chez l’autre. De même, il ne leur est pas possible de comprendre pourquoi susciter de la peur est un problème. « Il s’agit de personnes répondant exactement à l’idée d’Aristote que les actions apparemment amicales ou utiles servent en premier lieu la personne elle-même. Elles ne ressentent foncièrement aucune émotion à la souffrance des autres ni aucun désir de la soulager ou de la prévenir. » (p. 144)
À l’autre extrême de la palette des émotions ressenties se trouve l’altruiste. L’altruisme est cette qualité, également en partie innée, qui fait se comporter un individu de façon volontairement bonne et bénéfique envers autrui. L’altruisme revêt plusieurs degrés. L’altruisme « du quotidien » passe par toutes les petites actions positives que chacun d’entre nous peut mener bénévolement auprès d’associations, de personnes âgées ou isolées, ou en donnant (son sang, de l’argent…).
L’altruisme extraordinaire est d’un tout autre ordre. Il remplit trois conditions supplémentaires sine qua non : que le bénéficiaire soit un inconnu pour l’altruiste (on ne donne pas son rein pour les mêmes raisons à un parent proche qu’à un anonyme), que l’action doit être coûteuse et/ou risquée, et qu’elle doit être totalement spontanée. Ce geste altruiste extraordinaire se situe à l’extrême opposé de celui du psychopathe. Mais il s’apparente, lui aussi, à un dysfonctionnement cérébral. Les images cérébrales des grands altruistes le prouvent. Ils reconnaissent particulièrement, mieux que la moyenne des individus et contrairement aux psychopathes, les expressions de peur. « Leur empathie était plus forte pour la peur des autres que la moyenne.
Dans le cas de la sensibilité empathique des altruistes à la peur, l’amygdale paraissait en être responsable. » (pp. 212-213) Les grands altruistes, et leur suractivité cérébrale, n’agissent pas par goût du risque ou des sensations fortes, aucun ne pratique de sports à risque. Ils ont simplement la certitude et l’objectif de devoir agir devant la peur de l’autre qu’ils décèlent. Ils savent reconnaître la détresse, être dans l’empathie de cette détresse, et dépasser leur propre peur en passant à l’acte. Car cet héroïsme désintéressé, qui leur fait prendre des risques réels, ne vient pas du fait qu’ils sont eux-mêmes dépourvus de peur, mais c’est cette conscience aiguë de la peur qui les motive à aider les autres. Ce qui les motive ? L’enthousiasme.
Psychopathie versus altruisme. Deux comportements extrêmes que tout oppose. Comprendre leur fonctionnement permet d’agir plus efficacement. Du côté des futurs psychopathes dénués de peur et d’émotions, incapables de les lire chez l’autre, cela peut permettre d’éviter qu’ils ne passent à l’acte un jour.
Du côté des grands altruistes, si sensibles et empathiques vis-à-vis de la peur de l’autre, c’est, au contraire, trouver les clefs pour promouvoir l’altruisme au cœur de nos sociétés de plus en plus individualisées et égoïstes. « Développer des ressources pour aider les autres est presque toujours plus gratifiant que de le faire pour soi. Et comme le bien-être favorise l’altruisme, même de petits gestes peuvent mettre en branle un cercle vertueux du don… » (p. 342)
Ainsi, pour la psychologue et neurobiologiste, il existe un bénéfice extraordinaire à développer l’altruisme, individuellement comme pour le bien-être commun. Les neurosciences ont montré qu’en se renforçant, cette qualité s’autoentretient et engendre un cercle vertueux de l’altruisme. Elle est même positivement « addictive ». Plus l’individu est altruiste, plus cela lui procure du plaisir d’en faire à autrui, plus il sera en recherche d’actions altruistes. Et pour l’auteure, il suffit de commencer par une petite action, un don du sang, de moelle osseuse, du bénévolat dans une association !
Depuis le développement des neurosciences, grâce aux extraordinaires progrès de l’imagerie médicale, nous en savons de jour en jour davantage sur les innombrables mécanismes du cerveau.
L’auteure a la particularité d’être à la fois, une scientifique pointue, en tant que neurobiologiste, et une psychologue de terrain. Elle a ainsi la possibilité d’affirmer/d’infirmer ses données en psychologie sociale, et ses nombreuses études en interviewant de multiples cas cliniques, en les confrontant aux multiples études scientifiques en imagerie cérébrale qu’elle a « disséquées ».
Mais loin d’être un ouvrage scientifique pour ses pairs, Altruistes et psychopathes est une mine d’information, accessible au plus grand nombre, qui permet de percer quelque peu les mystères de nos comportements, via le prisme de notre fonctionnement cérébral.
Ouvrage recensé– Abigail Marsh, Altruistes et psychopathes, Leur cerveau est-il différent du nôtre ? Paris, humenSciences, 2019.
Autres pistes– Benjamin Elissalde , Frédéric Tomas , et al., Le Mensonge. Psychologie, applications et outils de détection, Paris, Dunod, 2019.– Jacques Van Rillaer, La gestion de soi : Ce qu'il faut faire pour vivre mieux, Paris, Mardaga, 2019.