Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Adam Grant
Qui sont les génies créatifs ou les grands découvreurs ? Au départ, ce sont des gens ordinaires. Ce ne sont pas des têtes brûlées, des rebelles ni des excentriques. Ils ressemblent à tout un chacun. Il n’y a pas de profil type pour changer le monde. Ce sont les circonstances qui font sortir quelqu’un du rang. Cependant, pour quelqu’un qui détient une idée novatrice, il existe des méthodes pour faire adhérer les autres à un projet ou à une vision. À partir d’exemples remarquables et représentatifs, en s’appuyant sur de nombreuses études psychologiques, sociologiques ou scientifiques, Adam Grant propose quelques manières de s’y prendre pour oser se lancer.
Il est inutile de décider d’innover pour devenir célèbre, cela ne fonctionne pas. Ceux qui se lancent tête baissée sont souvent ceux qui échouent. Si « la peur n’exclut pas le danger », comme le dit le vieil adage, elle permet cependant de mettre en place un certain nombre de garde-fous et de protections avant de se lancer dans une aventure, quelle qu’elle soit. Non seulement les créatifs sont des êtres prudents, mais il apparaît, par ailleurs, que la plupart de ceux qui ont changé le monde l’ont fait sans l’avoir voulu ou prévu. Martin Luther King ne souhaitait pas devenir un leader charismatique. Michel-Ange a mis deux ans avant d’accepter de peindre le plafond de la chapelle Sixtine parce qu’il se voyait plutôt sculpteur que peintre.
Pourquoi certains sortent-ils du rang ? Qui sont les génies créatifs ? Adam Grant a étudié les parcours de plusieurs grands innovateurs. Il s’est appuyé sur des études scientifiques ou psychologiques concernant les comportements individuels ou sociaux. Il en a extrait des constantes à partir desquelles il apporte des conseils à ceux qui ont une idée neuve afin de les aider à trouver le courage et la bonne méthode pour la défendre.
L’auteur prend deux exemples.1/ Le Segway : une plateforme stabilisée par un système gyroscopique à deux roues sur lequel on se tient debout, et que l’on dirige au moyen d’un manche de conduite.2/ La série TV Seinfeld, une sitcom qui raconte la vie de quatre amis à New York dans les années 90. Sans thématique particulière, elle évoque la vie ordinaire de ses personnages au travers de savoureux dialogues. Aux États-Unis, elle est considérée comme la meilleure sitcom de tous les temps.
Les pronostics annonçaient un désastre pour Seinfeld, censé ne jamais rencontrer son public. Quant au Segway, des personnes aussi influentes que Steve Jobs ou Jeff Bezos le considéraient comme tellement révolutionnaire qu’ils lui prédisaient un énorme succès mondial.C’est le contraire qui s’est produit : le Segway n’étant pas une alternative à la voiture, il peut intéresser les marcheurs ou éventuellement remplacer le vélo, mais il faudra beaucoup de temps pour le démocratiser. Il est loin du succès envisagé par Steve Jobs ou Jeff Bezos.Pourquoi les prévisions se sont-elles avérées erronées ?
Concernant le Segway, la réponse est simple et réside dans le fait que Steve Jobs et Jeff Bezos ne sont pas des spécialistes des moyens de transport. Enthousiastes et peut-être un peu aveuglés par leur propre réussite dans leurs domaines respectifs, ils se sont laissé emporter par l’attrait de la nouveauté. Le Segway ne répondait à aucun besoin du marché, il s’agissait d’une invention purement basée sur la créativité de son concepteur. Leurs financements n’ont servi à rien.
Seinfeld aurait pu rester dans l’ombre, mais le responsable des programmes, expert dans le domaine des sketches et des dialogues humoristiques, a très vite détecté le caractère décalé de la série. Il s’est aussi rendu compte que ses auteurs étaient exigeants, capables de réécrire leurs dialogues aussi longtemps qu’ils ne seraient pas aboutis. Il s’est alors battu pour que sorte cette série dont le succès lui a donné raison.
Ces exemples démontrent que contrairement aux idées reçues, l’avenir n’appartient pas toujours aux audacieux et l’enthousiasme et la prise de risque ne garantissent pas l’aboutissement d’une idée nouvelle. Au contraire, le succès d’une invention repose le plus souvent sur de l’analyse (quel marché, quel budget, quel risque ?) et sur une étude précise du cadre dans lequel la faire évoluer.
Les idées naissent souvent de la remise en question de ce qui existe ou de l’envie d’améliorer un système. Innover suppose que l’on s’attaque aux idées reçues, principalement celles qui affirment que « cela fonctionne très bien comme ça, changer serait dangereux ». Pourtant, il ne s’agit pas de critiquer pour critiquer, mais de réfléchir à comment améliorer ce qui existe déjà. Ou alors d’inventer ce qui n’existe pas, mais dont on aurait besoin : les précurseurs sont des gens qui essaient de transformer leurs désirs en réalité.
• Gérer les risquesPourtant les grands créateurs ont souvent pris beaucoup de précautions avant de dévoiler leur idée. Copernic a gardé pour lui pendant 22 ans sa découverte que la Terre tournait autour du soleil. Il n’en a parlé qu’à ses amis proches, il craignait le ridicule, voire l’ostracisme. Le rêve (personnel) de Martin Luther King était de devenir pasteur et président d’une université. Il ne souhaitait pas prendre la tête du mouvement pour les droits civiques. La plupart des précurseurs ne souhaitent pas prendre de risque. Henry Ford avait déjà déposé un brevet et travaillé sur son projet automobile depuis deux ans, qu’il préférait encore rester salarié chez Thomas Edison pour ne pas prendre de risques. Même Bill Gates a attendu plus d’un an avant de quitter Harvard alors que Microsoft avait déjà acheté son nouveau programme de logiciel. Les statistiques semblent corroborer le fait que le doute et la méfiance face aux risques sont caractéristiques des projets aboutis.
• Savoir attendreIl semble intéressant de procrastiner un peu. Celui qui invente est obligé d’essuyer les plâtres, il prend tous les risques, il relève tous les défis. Pour celui qui arrive ensuite, quand l’idée a déjà un peu fait son chemin, il est plus facile d’être directement efficace. La découverte est lancée, il reste alors à travailler pour affiner et optimiser l’idée de départ. Financièrement, c’est d’autant plus intéressant que les premiers développements ont déjà eu lieu.
Adam Grant parle des pionniers pour désigner ceux qui inventent et des colons pour évoquer ceux qui viennent retravailler la découverte par la suite. Malgré la reconnaissance dont bénéficient les grands pionniers de la culture américaine, il s’avère que les statistiques montrent qu’ils ont pourtant six fois plus de risques d’échouer à terme que les colons qui exploitent une idée déjà conçue. Ceux-là arrivent après coup, mais ils ont eu le temps de réfléchir et d’adapter l’invention des pionniers au marché. Ils proposent quelque chose de neuf à partir d’une invention existante, car ils sont plus enclins à remettre en cause l’idée d’origine que les pionniers qui l’ont conçue et qui risquent de s’y accrocher de manière affective.
• Créer en quantitéContrairement aux idées reçues, la quantité est aussi pourvoyeuse de qualité. Quel que soit le domaine, les statistiques montrent que les travaux les plus originaux des grands novateurs ont été conçus pendant des périodes d’intense créativité. Thomas Edison a déposé plus d’une centaine de brevets entre 30 et 35 ans, période pendant laquelle il a aussi conçu l’ampoule électrique. Einstein a produit quelque 240 publications parmi lesquelles ne se distinguent vraiment que celles concernant la relativité. Picasso a créé plus de 10 000 dessins et conçu plus de 1 500 tableaux, en plus de sculptures et de céramiques. Pourtant sa célébrité repose avant tout sur une infime partie de cette énorme production.
• Se confronter à ses pairsC’est scientifique, les chiffres ne mentent pas : tous les êtres humains ont tendance à surestimer leurs performances personnelles. Quelques chiffres : 94% des professeurs d’université considèrent que leurs travaux sont supérieurs à la moyenne ; 70% des élèves de terminale pensent avoir un leadership supérieur à la moyenne. Développer un projet nous enferme dans notre bulle créative et nous éloigne du recul et de la distance des utilisateurs. Il est recommandé de se confronter à ses collègues du même niveau de compétence, leur critique s’appuiera sur une meilleure expertise.
• S’ouvrir à d’autres horizons.Il ne faut pas hésiter, en plus, à expérimenter d’autres domaines que celui dans lequel on exerce, essayer un nouveau métier, découvrir d’autres activités. Plus on ouvre son esprit à la découverte, plus on augmente sa capacité créative. Il apparaît que la pratique artistique élargit davantage la puissance créatrice grâce à l’inspiration que l’on y trouve.
Pour ouvrir l’esprit des enfants à l’originalité et à la créativité, il est préférable de respecter leurs aspirations tout en leur montrant des modèles qui les inspirent. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les enfants les plus créatifs ne sont pas forcément les plus rebelles.
• Développer leur altruisme. On peut proposer aux enfants, par exemple, de réfléchir à comment leurs héros préférés feraient pour améliorer leur vie quotidienne, leurs relations avec leurs camarades de classe, ou avec leur fratrie. Il semble que lorsque les enfants ont un modèle, ils élèvent automatiquement leur niveau d’altruisme. En établissant un lien entre les bons comportements et les qualités morales qui s’y rattachent, les parents ou les enseignants peuvent stimuler chez les enfants la notion de solidarité et d’attention aux autres. Les statistiques font ressortir que les créatifs ont vécu une enfance plus souvent ouverte sur le monde.
• Développer l’idée des valeurs plutôt que l’importance des règlesEntre l’âge de deux ans et l’âge de dix ans, un enfant reçoit environ 50 fois par jour une consigne ou une remarque liée à une règle de discipline.De même, en ce qui concerne les adolescents, les parents continuent d’imposer des règles même aux adolescents dont les comportements ne présentent aucun problème.Or les plus créatifs semblent issus de familles dans lesquelles l’éducation est plus axée sur le sens des valeurs que sur la discipline. Imposer des règles de façon autoritaire incite les adolescents à les contourner ou à les défier. Alors que, libérés des contraintes, mais formés aux valeurs humaines, ils adhèrent plus volontiers aux contraintes sociales, ce qui semble générer une pensée autonome plus favorable à la créativité.
• Apprendre à collaborerCertains enseignants proposent une méthode en forme de « puzzle » pour apprendre aux enfants à collaborer : il s’agit de donner un exercice à faire en confiant à chacun ou à chaque groupe une part du travail. Le résultat sera le fruit des différentes contributions. Cela pousse les enfants à considérer les savoir-faire et talents de chacun dans un bon état d’esprit. L’entraînement au partage et à la collaboration apporte une ouverture d’esprit propice au développement de la créativité.
Pour maintenir un bon niveau de créativité dans une équipe, la communication et la confiance sont des facteurs essentiels.
• Prendre garde à la pensée uniqueAdam Grant prend l’exemple de Polaroid : alors qu’elle avait pris beaucoup d’avance sur l’appareil photo numérique, la forte culture de l’entreprise a incité l’équipe dirigeante à camper sur l’idée que les utilisateurs souhaiteraient toujours avoir des tirages de leurs prises de vues. Résultat, l’entreprise est restée bloquée sur la photo argentique dont la qualité des tirages est la meilleure. C’était sans tenir compte du retour des utilisateurs qui, au final, ont fait le choix du numérique. Il apparaît que les managers gagnent à laisser s’exprimer les points de vue divergents. Il ne faut pas hésiter à inviter un « avocat du diable » dans tous les brainstormings.
• Sortir des zones de confort En acceptant d’étudier des projets originaux même s’ils sont apparemment fragiles, on peut arriver à créer une alliance entre les valeurs sûres et les projets qui bousculent. Pour cela, il faut constituer une équipe mêlant des personnes expérimentées aux créatifs « perturbateurs » pour nourrir le projet.C’est, par exemple, ce qui s’est produit chez Disney au début des années 90. Un groupe de scénaristes a proposé de sortir des contes traditionnels et d’inventer une histoire nouvelle, une sorte de Bambi qui se passerait en Afrique avec des lions. Bien que peu convaincu, le patron du studio a accepté de tester leur idée. Après quelques jours de travail, ils se sont retrouvés avec une histoire épique autour d’une succession royale.C’est quand ils ont eu l’idée de s’inspirer des grands drames shakespeariens, notamment de Hamlet, que le Roi Lion est né ! Partir d’une histoire éloignée des classiques, leur a permis de travailler différemment. Ensuite, leur expertise dans l’utilisation de références culturelles a fait le reste pour créer le succès que l’on sait.
• Ne pas hésiter à recruter des profils différentsLes recruteurs ont tendance à chercher des candidats qui adhèrent profondément à la culture de l’entreprise. Il vaut mieux, pourtant, embaucher des personnes qui ont des choses différentes à apporter. Ils seront plus compliqués à gérer, moins consensuels, mais ils risquent fort d’apporter des idées neuves.
• Être ouvert à la critiqueIl est très inconfortable pour un dirigeant de recevoir des remarques de la part des collaborateurs. Pourtant, celui qui critique de manière constructive peut être un précieux allié pour faire évoluer l’entreprise. « Le pouvoir, c’est l’exercice d’un contrôle ou d’une autorité sur les autres ; le prestige, c’est le respect et l’admiration qu’on reçoit. » (p.72) Or, « Le prestige ne s’exige pas, il se mérite. » (p. 73) En d’autres termes, un dirigeant ouvert aux critiques et à l’écoute des remarques de ses collaborateurs ne risque pas de voir sa position remise en cause, au contraire, son ouverture d’esprit sera considérée, et il est tout à fait possible que les critiques débouchent sur une idée profitable pour l’entreprise.
La manière de présenter une idée nouvelle peut parfois être aussi importante que l’idée elle-même. Beaucoup de grands novateurs ont inventé quelque chose sans imaginer la répercussion ni l’importance de leur idée. Parfois il faut proposer plusieurs fois son idée pour la laisser mûrir dans la tête des autres, c’est particulièrement utile quand elle est perturbante.
On peut aussi la faire rentrer dans un cadre conventionnel afin de la rendre plus acceptable quitte à revenir au projet initial quand l’idée générale aura été acceptée. En réalité, c’est très souvent après coup que l’idée s’avère être novatrice. Au moment de sa conception, son créateur ne sait pas qu’il tient là une idée nouvelle. Il répond juste à une problématique sur laquelle il travaillait.
De toute évidence, c’est le plus souvent à posteriori que le génie créatif se reconnaît, quand cela n’arrive pas à titre posthume ! Ce texte brillant relève plus d’une étude des profils des créateurs et des circonstances de l’innovation que du conseil ou du management.
Du reste, ce n’est qu’à la fin de l’ouvrage que l’auteur synthétise ses différentes démonstrations pour apporter des conseils concrets et utiles à ceux qui veulent favoriser la créativité autour d’eux ou à ceux qui ont une idée à défendre. Il semble plutôt rassurant de constater que le génie créatif n’est pas l’apanage de quelques êtres exceptionnels, mais le résultat d’un concours de circonstances pouvant concerner n’importe quel individu.
Ouvrage recensé– Osez sortir du rang, comment les esprits originaux changent le monde, Éditions De Boeck Supérieur, 2016.
Autres pistes– Élisabeth Gilbert, Comme par magie, Le Livre de Poche, 2017.– Adam Grant, Donnant, donnant, Pearson, 2013.– Laure Le Douarec, Guide pratique de l’intelligence collective, Souffle D’or Éditions, 2016.– Collectif, Les 101 mots de la créativité à l’usage de tous, Archibook, 2016.