Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Alain Croix et Jean Quéniart
Ce livre apporte un éclairage sur plus de deux siècles de pratiques culturelles. Ce sont les changements qui y sont principalement traités, explorant l’Ancien Régime du règne de François Ier à celui de Louis XIV. Ce fut le moment historique durant lequel l’écrit, à la faveur du développement de l’imprimerie, prit son essor et atteignit toutes les strates de la société, s’émancipant du monopole des catégories supérieures propre aux temps médiévaux. Au-delà de cette révolution majeure, l’ouvrage veille à évoquer la diversité culturelle du royaume non seulement du point de vue géographique, mais également du point de vue social.
L’ouvrage proposé est le second opus de la collection Histoire culturelle de la France. Le premier abordait le Moyen Âge et les deux suivants l’époque contemporaine. Dès l’introduction, les auteurs expliquent qu’ils n’entendent pas limiter la culture de la France du temps au niveau de celle des élites. Ils souhaitent aborder cette question dans toute sa diversité, au risque d’en devenir partiels.
C’est ainsi que de nombreux thèmes sont abordés, aussi différents soient-ils que les mythes, la fête, la mesure du temps et de l’espace, ou encore la conception de la maladie. Une histoire culturelle ne peut être que totale pour être comprise, les éléments culturels interagissant les uns avec les autres.
Du point de vue historiographique, cette étude gomme encore davantage les travaux du XIXe et de la première moitié du XXe siècle qui voyaient dans le Moyen Âge un temps immobile auquel s’opposait la Renaissance. Bien au contraire, Alain Croix et Jean Quéniart replacent l’histoire culturelle dans une continuité faite de nombreux héritages.
Les changements et les évolutions sont ensuite soigneusement analysés, proposant un découpage chronologique en plusieurs temps. Il s’agit notamment des règnes des Valois (de François Ier à Henri III), du XVIIe siècle jusqu’aux années 1660, ou du règne personnel de Louis XIV à la Régence, communément appelé « âge classique ».
Dans un premier temps, l’ouvrage évoque toute la culture qui était héritée du Moyen Âge et qui perdurait à la Renaissance. L’entrée dans la vie, par exemple, demeurait un mystère : la conception était incomprise, tout comme la gestation qui faisait vivre les femmes dans l’angoisse de l’accouchement. Un dicton populaire disait d’ailleurs « Femme grosse a un pied dans la fosse ». C’est ainsi que, dans l’espoir de répondre à ces craintes, est née la volonté de satisfaire les envies de la femme enceinte, tout comme le recours aux saints spécialisés, au premier rang desquels figurait la Vierge Marie.
De même, les auteurs expliquent que les hommes organisaient et régulaient la société en groupes d’âges, dans lesquels chacun entrait par des rites de passage dont la pratique rythmait la vie quotidienne, au moment de la naissance, du mariage, de la mort. Les liens qu’entretenaient les humains avec la nature sont également évoqués : les animaux, les plantes, ainsi que les signes annonciateurs du temps qu’il va faire. C’était fondamental dans des sociétés où les céréales demeuraient la base de l’alimentation et où les aléas climatiques pouvaient être désastreux.
L’insertion de l’individu dans la société se faisait d’abord par la famille, expliquant l’impossibilité culturelle du choix du célibat en dehors des contraintes ecclésiastiques. Les liens étaient ensuite ceux du voisinage et ceux de la paroisse, qui représentait un lieu de sociabilité fondamental. On y priait bien sûr, mais on y gérait aussi ses affaires car il s’agissait avant tout d’un lieu de vie où l’on pouvait éventuellement battre et abriter ses récoltes en cas de mauvais temps, mais aussi parler, se quereller, se promener, s’aimer. D’autres lieux étaient propices au renforcement des liens sociaux comme le lavoir, le moulin ou le cabaret.
Les auteurs expliquent enfin que dans les mentalités du XVIe siècle il existait de nombreuses forces qui dépassaient la simple sphère du religieux. Ainsi, l’astrologie connut son apogée à cette époque, à la fois dans son statut de science reconnue, et dans une pratique sociale généralisée.
Chacun le sait, la culture du XVIe siècle peut être ramenée à celle de l’humanisme, qui plaçait l’Homme au centre de la réflexion, et dont les idées se diffusèrent largement grâce à l’invention de l’imprimerie. Les presses se multiplièrent dans tout le royaume, consacrant progressivement le triomphe de l’écrit sur l’oral, qui dominait au Moyen Âge. Ainsi, l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, édictée sous le règne de François Ier, exigeait des preuves écrites en justice, de même que la tenue de registres d’état civil.
Cette époque fut également celle du développement de la Réforme, dont l’apogée du mouvement d’adhésion se situa vers 1560. Environ 10 % des sujets étaient alors protestants. Le changement était important : désormais pour eux, le salut ne dépendait plus des œuvres accomplies mais uniquement de la foi, signe d’une élection divine. En outre, il n’y avait plus, pour les réformés, d’intermédiaire entre l’Homme et Dieu, donc plus de clergé.
Les considérations communes sur le corps étaient très marquées par l’influence de l’Antiquité et de nombreux préceptes médicaux hérités de cette époque étaient encore appliqués. Les progrès furent ainsi peu nombreux, et l’immense majorité des Français continuait de ne pas avoir recours aux médecins et aux chirurgiens . On se soignait habituellement avec des plantes que l’on associait à diverses formules, le plus souvent religieuses. En matière d’hygiène publique, c’est la ville qui fut un foyer d’innovation majeur. Dans la seconde moitié du siècle se banalisèrent les grandes ordonnances municipales de police qui traitaient des immondices, organisaient l’ébouage et réglementaient les métiers polluants. On cherchait ainsi à se prémunir contre les sources de danger en tous genres et particulièrement contre les épidémies.
L’ouvrage évoque enfin la très forte diversité du maillage culturel du royaume : on y parlait cinq langues au XVIe siècle, trois de plus au XVIIe, ainsi qu’une vingtaine de dialectes . Ce furent autant de freins à l’unification du pays dans lequel les cultures locales dominaient souvent, gardant vivants leurs particularismes.
La rivalité religieuse de la fin du XVIe siècle ainsi que les troubles politiques du début du XVIIe justifièrent, aux yeux des élites, une action d’éducation. Désormais, la pratique religieuse, fût-ce celle des plus humbles, des plus incultes des fidèles, ne pouvait plus se limiter à des attitudes dont le sens n’était pas compris. Il fallait savoir.
Ainsi, lors des grandes cènes, les protestants interdisaient la participation au sacrement à ceux qui n’avaient pas obtenu le méreau, un jeton donné à ceux qui ont correctement répondu aux questions de catéchisme posées par les membres de l’assemblée. De leur côté, les catholiques insistèrent sur la responsabilité des parents dans l’éducation religieuse de leurs enfants, mais aussi sur celle de chaque prêtre, qui devait répondre devant Dieu de l’ignorance dans laquelle il avait laissé son troupeau. Ainsi se diffusa une conception renouvelée de la religion, valorisant le savoir.
Cette mise en avant de la connaissance s’est accompagnée d’une civilisation des mœurs, notion que les auteurs utilisent comme un hommage aux travaux de Norbert Elias. En effet, la différence culturelle et le mépris qui en résultait se manifestaient, dans la première moitié du XVIIe siècle, et s’appliquaient à tous les aspects de la vie. Il pouvait tout aussi bien s’agir de la blancheur de la peau (preuve que son rang permettait d’éviter les expositions au soleil) que des manières de la table.
La société entra alors dans une culture de la distinction. Il fallait surtout corriger les défauts des rustres, transformer leur culture pour la rendre supportable. Les changements intervinrent certes lentement, mais c’est ainsi que se généralisa, par exemple, l’utilisation de la fraise à la fin du XVIe siècle, obligeant à un port de tête très droit. En même temps, ce col blanc permettait de montrer sa propreté dont la visibilité était désormais attendue.
Le XVIIe siècle est également le temps des salons qui étaient de plus en plus souvent animés par des femmes où se rencontraient aristocrates et hommes de lettres dans un cadre raffiné. Dans ces lieux de sociabilité, la culture se diffusait et l’on y marquait volontiers son opposition au pouvoir. La culture y était également créée : les romans de Madame de La Fayette sont nés d’une fréquentation régulière des salons.
En 1661, la mort de Mazarin inaugura le long règne personnel de Louis XIV qui ne s’acheva qu’en 1715. Cette période, qui vit se mettre en place définitivement l’absolutisme monarchique, fut aussi l’âge du classicisme littéraire et artistique, que symbolisèrent le château de Versailles et un ensemble d’écrivains sans égal dans notre histoire littéraire.
Après les années 1680, le règne glorieux du jeune roi s’achemina vers une longue vieillesse, marquée par l’autoritarisme (dont les protestants furent les victimes les plus massives), les crises du royaume et les deuils familiaux.
L’âge classique constitua un temps où l’on aspirait à davantage d’intimité, ce qui fit par exemple passer de mode l’utilisation de la chambre à coucher comme pièce de réception. Les intérieurs changèrent et les tapisseries, qui permettaient de lutter contre le froid tout en décorant les salles, se développèrent et devinrent omniprésentes. Tout comme la peinture qui se répandait chez les bourgeois, les tapisseries permettaient d’affirmer un goût, un choix culturel. Les historiens notent chez un nombre croissant d’individus aisés la présence de livres et parfois d’instruments de musique. Louis XIV joua un grand rôle culturel à l’âge classique.
Mécène actif, il organisa nombre de spectacles et de manifestations éclatantes : tournois, feux d’artifice et festivités suivaient généralement les grands événements royaux, notamment les victoires, associant la liesse populaire à la joie du monarque. Le roi se préoccupait aussi de la musique de sa cour, comme en témoignèrent ses liens tissés avec Lully. De même, Louis XIV fut à l’origine de certains des plus grands succès théâtraux du temps et de notre patrimoine littéraire : bien des pièces de Molière ou de Racine ont d’abord été jouées à la cour.
Toutefois, à la mort de la reine Marie-Thérèse en 1683, le roi cessa peu à peu de s’intéresser au théâtre qui entra de ce fait dans une spirale de désaffection, pour n’en sortir que durant la Régence (1715-1723). Cette nouvelle période s’ouvrait comme un temps de renouveau culturel et intellectuel, ce qui amena le royaume de France à passer du classicisme aux Lumières.
Les deux siècles étudiés dans cet ouvrage laissent apparaître un grand nombre de changements culturels et intellectuels. La plus profonde modification demeure incontestablement le développement de la culture écrite. Dès le XVIe siècle, le moindre paysan y était confronté, ne serait-ce que par les registres paroissiaux. Notons que ces documents donnaient à tous un âge précis et une identité bien mieux vérifiable qu’auparavant.
Mais au-delà de ce changement notable, cette étude montre des transformations très inégales, sur le triple plan géographique, social et sexuel. Le développement des écoles, des bibliothèques ainsi que la civilisation des mœurs ont suscité des clivages nouveaux et profonds.
De même, les décalages entre les villes et les campagnes, puis avec Paris et le reste du royaume, ne cessèrent de grandir : c’est là que naissaient les nouvelles modes, et où la fréquentation de gens instruits était plus aisée. À l’âge classique, c’est Versailles qui devint l’un des symboles de la vitalité culturelle de la cour et de l’ensemble du pays. Le château assuma ce rôle jusqu’à la Révolution française.
Aborder un sujet aussi vaste et passionnant que l’histoire culturelle est forcément une entreprise compliquée, a fortiori lorsqu’il s’agit de prendre en compte l’ensemble du royaume, et pour deux siècles.
C’est d’autant plus vrai que les auteurs de cet ouvrage ont choisi de considérer la culture dans toute sa diversité, abordant tout à la fois l’éducation, l’écrit, l’art, ou les aspects ordinaires de la vie des catégories populaires. Leur faire le reproche de certains aspects qui ne sont pas abordés serait bien évidemment injuste compte tenu de l’ampleur de la tâche accomplie.
Cet ouvrage demeure une formidable étude qui retrace les habitudes, les croyances, les comportements des hommes et des femmes des XVIe et XVIIe siècles. Il a mis l’histoire culturelle à l’honneur et a ouvert de nombreuses perspectives de recherche, dans bien des domaines.
Ouvrage recensé
– Histoire culturelle de la France. De la Renaissance à l’aube des Lumières, t. 2, Paris, Seuil, 1997.
Autres pistes
– Gabriel Audisio, Les Français d’hier (XVe-XIXe siècle), Armand Colin, 2 volumes, 1993-1996.– Evelyne Berriot-Salvadore, Les femmes dans la société française de la Renaissance, Droz, 1990.– Arlette Jouanna, Ordre social, mythes et hiérarchies dans la France du XVIe siècle, Hachette, 1977.– François Lebrun, La vie conjugale sous l’Ancien Régime, Armand Colin, 1975.– Robert Muchembled, Cultures et mentalités dans la France moderne, Armand Colin, 1990.