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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Libres enfants de Summerhill

de Alexander S. Neill

récension rédigée parCatherine Piraud-RouetJournaliste et auteure spécialisée en puériculture et éducation.

Synopsis

Développement personnel

Classique de la pédagogie libertaire, Libres enfants de Summerhill est le best-seller mythique d’Alexander Sutherland Neill, reflet d’une époque au credo inédit : il est « interdit d’interdire ». Cet essai, initialement paru en 1962 en Grande-Bretagne, est le récit d’une expérience pédagogique longtemps restée unique. Le principe choisi par A.S. Neill dans son école autogérée : laisser les enfants libres de choisir quand, comment et quelles choses étudier, en fonction de leurs goûts et de leurs envies du moment. Le plaisir étant, selon lui, le meilleur vecteur d’apprentissage. Un récit « de l’intérieur », toujours aussi palpitant, plusieurs décennies après.

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1. Introduction

Dans cet ouvrage, mi-témoignage, mi-essai sur l’éducation, A. S. Neill raconte l'expérience de l'école qu'il a créée à Summerhill, et qui repose sur la liberté de l'enfant. Rien n'est imposé à celui-ci : il a la liberté d'explorer et de satisfaire toutes ses curiosités, à la seule condition de ne pas empiéter sur la liberté et la propriété d'autrui.

L’auteur dresse d’abord un portrait général de l'établissement et à l'organisation de la vie des élèves : une sorte d’ovni pédagogique, où chaque enfant fait ce qu’il veut et quand il le veut. Avant d’analyser les techniques pédagogiques innovantes développées dans l’établissement (libre choix des cours et des pauses, autogestion via une Assemblée générale hebdomadaire, absence de notes et de punitions…

A.S. Neill prend aussi résolument à rebrousse-poil des thématiques « sensibles », comme la religion chrétienne (dont il s’écarte) ou la sexualité des enfants (déclarée naturelle et saine).

2. Summerhill, une école dirigée par le principe de liberté

Summerhill est une communauté composée de 75 enfants de 5 à 16 ans, répartis en trois groupes d’âge, et d'une douzaine d'adultes, plus le personnel de service. La plupart des élèves sont internes. A.S. Neill dévoile le rapport écrit par des inspecteurs venus à Summerhill en 1949. Parmi leurs observations : « Une atmosphère de camp de vacances permanent qui est une des caractéristiques les plus frappantes de l’école. » (p. 85) Le fondateur de l’école le déclare tout de go : « Summerhill est probablement l’école la plus heureuse du monde. » (p. 25). Pilier de ce bonheur revendiqué : la liberté quasi absolue qui y règne pour les élèves.

Liberté de gestion, d’abord. L’autogestion, via une assemblée générale hebdomadaire, est l'épine dorsale de Summerhill. Durant cette réunion, présidée par un élève élu, les enfants débattent de leurs problèmes et élaborent leurs lois. L’égalité statutaire est la règle : dans cette assemblée, ni la voix de Neill ni celle des autres adultes, n'a plus de poids que celle d'un élève.

Liberté d’action, ensuite. Tous les cours sont facultatifs. L'après-midi est, d’emblée, laissé au libre choix de leurs activités par les élèves. Mais l’assiduité aux cours du matin n'est pas non plus obligatoire. S'ils le souhaitent, les élèves peuvent jouer toute la journée ou se livrer à des activités manuelles. Ceux qui ne veulent pas étudier ont pour seule contrainte de ne pas gêner les autres. Selon A.S. Neill, le « temps de convalescence », comme il l’appelle, est directement proportionnel au ressenti que l'enfant a de son ancienne école. Une fois cette convalescence terminée, ce dernier, assure-t-il, se remet en général à jour très rapidement dans ses études. Une priorité absolue est donnée au jeu libre, pilier des apprentissages. Les soirées sont réservées à la danse, au théâtre et aux fêtes.

L'enseignement est caractérisé par un refus de l'autorité professorale et des examens. Credo d’A.S. Neill : les connaissances livresques sont secondaires. Il déclare : « La majeure partie du travail de classe effectué par les adolescents n’est qu’une perte de temps, d’énergie et de patience. » (p. 39) Il va même jusqu’à affirmer que « le type de visiteur vraiment indésirable à Summerhill, c’est l’instituteur, surtout l’instituteur sérieux qui demande à voir les dessins et le travail écrit. » (p. 27) La seule démarche pédagogique particulière se rapporte à ce qu’A.S. Neill appelle les leçons particulières (LP), présentées comme « de petites causeries au coin du feu. »

3. Revers et dérives de la liberté

Cette liberté tous azimuts n’est pourtant pas si simple à gérer, car porteuse de plusieurs revers ou dérives. À commencer par les comportements parfois jugés « déviants » de certains enfants. A.S. Neill en donne plusieurs anecdotes assez pittoresques : « Il y a quelques années, nous avons eu à Summerhill un garçon de onze ans – vivant, intelligent, attachant. Il lisait calmement assis, puis tout à coup sautait sur ses pieds, quittait la pièce et essayait de mettre le feu à la maison. Une impulsion le saisissait qu’il ne pouvait contrôler. » (p. 222).

Il raconte aussi les vols, sans parler des gros mots, souvent à dominante scatophile, d’un usage courant. Et l’absence totale de crainte des élèves envers les encadrants, qui peut parfois menacer l’ordre tout entier de la maisonnée. Ce qui l’amène à écrire, avec philosophie : « Chaque jour quelque chose arrive et pas un jour nous ne nous ennuyons. » (p. 34).

Du côté de l’autogestion, tout n’est pas rose non plus. Les réunions, censées être collégiales et démocratiques, sont parfois le lieu des règlements de comptes. De quoi faire s’interroger l’éducateur sur le bien-fondé exact de ce mode de gestion : « À dire vrai, les jeunes enfants ne sont que très relativement intéressés par le gouvernement. Livrés à eux-mêmes, je me demande s’ils en formeraient même un. Leurs valeurs ne sont pas les nôtres, leurs manières non plus », observe-t-il (p. 61).

Dernier écueil : les adultes ne sont pas forcément d’accord sur les façons de réagir face aux écarts des élèves : « Si un enfant emprunte un livre et le laisse dehors sous la pluie, ma femme se fâche parce qu’elle aime les livres. Dans un tel cas, personnellement, je reste indifférent, car les livres ont peu de valeur à mes yeux », relève A.S. Neill (p. 33).

4. Un positionnement parfois difficile vis-à-vis de l’extérieur

Ce mode de fonctionnement totalement révolutionnaire entraîne de fréquentes incompréhensions de la part des interlocuteurs extérieurs. Summerhill souffre, d’abord, d’un problème d’image. Les journaux surnomment Summerhill « l’École-à-la-Va-Comme-J’te-Pousse » : selon eux, l’établissement serait fréquenté par une horde de sauvages sans lois ni manières.

A.S. Neill relate, par ailleurs, avoir été régulièrement confronté à des relations heurtées avec les parents d’élèves, qui, une fois mis face aux réalités concrètes de l’école, ne comprennent pas toujours sa démarche et paniquent au sujet des progrès académiques de leurs enfants. « Une mère m’écrit : « Mon fils devra un jour s’adapter à la société. Vous devez le forcer à apprendre à lire. » Je réponds généralement : « Votre fils vit dans un monde imaginaire. (…) Lui demander de lire à présent serait un crime », rapporte-t-il (p. 129). Or, selon A.S. Neill, l’idée qu’un enfant perd son temps s’il n’apprend pas quelque chose est une « véritable malédiction ». Ce qui le fait sortir de ses gonds. Il analyse cette peur de l’avenir chez les parents par le désir de ceux-ci de voir leurs enfants apprendre plus qu’ils n’ont appris eux-mêmes. Pour toutes ces raisons, Summerhill n’encourage pas les visites de la famille.

Ces atermoiements ont également des conséquences sur les aspects budgétaires : Summerhill a toujours eu quelques difficultés à survivre financièrement. « Peu de parents ont la patience et la foi nécessaires pour envoyer leurs enfants dans une école où les élèves ont le choix entre jouer et étudier », reconnaît-il (p. 31).

5. L’enfant « naturellement bon »… mais à recadrer tout de même

Rousseauiste convaincu, A.S. Neill pose comme postulat que l’enfant est naturellement bon : « Ce dont nous avions besoin, nous l’avions : une croyance absolue dans le fait que l’enfant n’est pas mauvais, mais bon. » (p. 22). C’est pourquoi sa pleine liberté ne peut mener qu’à son épanouissement. D’où, sur le plan éducatif, un credo très libéral : « Abolissez l’autorité. Permettez à l’enfant d’être lui-même. » (p 260)

Cette liberté, si large qu’elle soit, n’est toutefois pas synonyme de l’anarchie. A.S. Neill en donne un exemple concret : il s’est trouvé confronté à la protestation d’un parent qui lui reprochait de gronder sévèrement un garçon de sept ans qui donnait des coups de pied dans la porte de son bureau. » Il pensait que j’aurais dû sourire et tolérer l’enfant jusqu’à ce que celui-ci ait épuisé son désir de taper dans la porte. (…) C’est cette distinction entre la liberté et l’anarchie que beaucoup de parents ne saisissent pas », déplore-t-il (p. 106). La liberté n’est pas non plus le fait de tout accorder à l’enfant, au risque de le gâter. Pour A.S. Neill, les enfants d’aujourd’hui reçoivent en général plus qu’ils n’ont besoin, au point de ne plus apprécier ce qu’on leur donne. « L’enfant gâté apprécie rarement quoi que ce soit », prévient-il (p. 268).

Alors, comment canaliser les enfants qui dépassent les limites ? À Summerhill, les punitions existent, mais ce sont presque toutes des amendes : privation de son argent de poche de la semaine, privation de cinéma… La punition ultime étant le renvoi de l’école. Quant aux récompenses, A.S. Neill se positionne résolument contre. Il les considère comme « superflues et négatives ». Son principe d’éducation, dont il donne plusieurs exemples, repose sur une stratégie : la surenchère. Si un enfant fait une bêtise, Neill lui dit qu’il est mécontent parce que sa transgression… n’est pas assez grosse. Ainsi, s’il s’est sali, il faut qu’il se souille davantage ; s’il a cassé un objet, qu’il le réduise en miettes, etc. Pour A.S. Neill, cette façon de faire est très efficace parce que, dit-il, l’enfant comprend de lui-même qu’il ne faut pas recommencer.

Autre credo de l’éducateur, qui façonne son rapport à l’enfant : ce sont les interdits, notamment sexuels, qui provoquent les névroses et rendent les enfants difficiles. De même que les non-dits, les mensonges, la morale… Selon lui, on ne devrait jamais décourager la nudité. Il assume s’être lui-même promené nu et avoir encouragé l'une de ses collègues professeure, à le faire, afin de satisfaire la curiosité d'un petit enfant qui avait honte de son corps.

6. Critique du système éducatif traditionnel

Sans surprise, A.S. Neill est hostile aux écoles traditionnelles. Du point de vue des élèves, d’abord. « Il est évident qu’une école où l’on force des enfants actifs à s’asseoir devant des pupitres pour étudier des matières inutiles est une mauvaise école » (p. 21-22). Pour lui, les enseignants ont un métier qui ne touche qu’à l’intellect de l’enfant. L’école traditionnelle est nocive du point de vue même des professeurs : « Dans la majorité des écoles où j’ai enseigné, les membres du corps enseignant formaient un petit noyau d’intrigues, de haines et de jalousies », se souvient-il (p. 35).

Selon lui, la discipline scolaire, quand elle est bonne, peut ressembler à celle de l’orchestre. Mais trop souvent, elle ressemble à celle de l’armée. Il estime que les parents qui veulent des écoles strictes sont des parents autoritaires. Il dénonce le fait que l’école stricte reprend une tradition familiale consistant à garder l’enfant timoré, sage, respectueux et dénué de pulsions sexuelles. De ce fait, elle restreint sa vie émotive et ses tendances créatrices. Elle le dresse à « obéir à tous les dictateurs et patrons qu’il rencontrera dans la vie » (p. 285).

Plus surprenant, A.S. Neill s’en prend aussi aux autres pédagogies alternatives, à commencer par Montessori, l’approche mise en place par le docteur Maria Montessori au début du XXe siècle, basée sur des apprentissages autonomes et sensoriels. Selon lui, celle-ci « n’est qu’un moyen artificiel de faire apprendre à l’enfant par l’activité. Je ne vois rien là d’imaginatif », attaque-t-il (p. 39). Son principe : ne donner aucune instruction éducative, car il estime que les méthodes d’enseignement ne sont pas importantes en elles-mêmes. « L’enfant qui veut apprendre à faire une division l’apprendra, quelle que soit la façon dont elle lui sera enseignée », souligne-t-il. (p. 22-23).

Il livre aussi ses conclusions et perspectives personnelles sur Summerhill. L’école a-t-elle été efficace sur le plan éducatif ? Selon lui, oui : « Mon critère de la réussite, c’est la capacité qui permet de travailler joyeusement et de vivre positivement. De par cette définition, la plupart des élèves de Summerhill réussissent dans la vie »(p. 43). Si Summerhill n’a, à ce jour, pas produit de génies, ses sortants se distinguent souvent dans le domaine de l’artisanat et des arts. Mais aussi, parfois, des mathématiques. Il reste toutefois lucide sur la pérennité de son œuvre : « Je ne pense pas que le monde utilisera la méthode éducative de Summerhill pendant très longtemps – s’il l’utilise jamais », conclut-il (p. 93).

7. Conclusion

Synthèse idéaliste des thèses de Rousseau, de Freud et de Wilhem Reich (deux ténors de la psychanalyse), basée sur la vision d’un seul homme, Summerhill a connu de très belles réussites. La plus grande étant peut-être sa longévité, l’école fonctionnant toujours. Elle a donc réussi à surmonter les obstacles idéologiques, pratiques et financiers qui ont longtemps grevé sa survie. Renoncer à toute discipline, à toute direction, à toute morale préconçue, à toute influence religieuse : le pari était de taille dans l’Angleterre des années 1920.

Le livre, lui, à sa parution, s’intégrait parfaitement dans la période contestataire, avec Mai 68 en France, Woodstock et les hippies aux USA. Si l’ambition de Summerhill apparaît aujourd’hui un peu moins subversive, l’expérience de cette petite école autogérée, perdue dans la campagne britannique, demeure toujours le phare de la plupart des penseurs d’une éducation alternative.

8. Zone critique

Libres enfants de Summerhill a connu un succès qui a dépassé largement les frontières du monde éducatif. Le livre est même inscrit au programme de nombreuses universités américaines et a servi, jusqu'à nos jours, de modèle à de nombreuses entreprises d'autogestion. L’expérience a, par ailleurs, inspiré les écoles démocratiques qui se développent aujourd’hui dans le monde entier, basées sur le « unschooling », ou absence de cours, voire de programme. Un courant qui reste toutefois minoritaire, même dans l’univers des pédagogies alternatives (Montessori, Steiner, Freinet...).

Mais Summerhill va aussi à rebrousse-poil des préconisations des pédagogues actuels, en quête d’un regain de repères, de valeurs et de garde-fous, pour venir à bout de la « crise de l’autorité ». Que l’on partage ou non l’approche – ouvertement utopiste - d’A.S. Neill, le livre reste une référence pour tous les éducateurs, de par la réflexion poussée qu’il porte sur l’éducation, les mécanismes d’apprentissage et la nature de l’enfant.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Libres enfants de Summerhill, Paris, Maspero, 1978.

Autres pistes– John Holt, Les apprentissages autonomes : comment les enfants s’instruisent sans enseignement, L’Instant Présent, 2014.– Ivan Illich, Une société sans école, Poche, 2015.– Peter Gray, Libre pour apprendre, Coédition Actes Sud, 2016.– Daniel Greenberg, L’école de la liberté, Mamaéditions, 2017.– Catherine Piraud-Rouet, Les Pédagogies alternatives pour les Nuls, First, 2017.

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