Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Alexandre Jollien
Vivre sans pourquoi, quitter la dictature de l'après, oser un amour plus vrai : tel est l’art de vivre auquel nous convie le philosophe Alexandre Jollien dans ce livre. Il y retrace l'itinéraire spirituel qui l'a conduit à quitter la Suisse pour s'installer avec femme et enfants en Corée du Sud. Dans ce journal spirituel, Alexandre Jollien confie, avec humour et optimisme, les doutes, les désillusions et les moments de bonheur qui l’ont accompagné au quotidien dans sa quête au « Pays du matin calme ».
Lassé du stress de la vie occidentale et désireux de remonter aux sources du zen pour mieux s’y plonger, Alexandre Jollien suit son maître spirituel, un moine bouddhiste, à Séoul, en Corée du Sud, à 9 000 km de son pays natal, la Suisse. Il embarque sa femme et ses trois enfants dans ce voyage spirituel, dont ceux-ci seront des acteurs à part entière.
Ce livre est le récit de ses tribulations pour parvenir à vivre l’ascèse du corps et de l’âme à laquelle il aspire, ainsi qu’un rapport aux autres vrai et dominé par l’amour… Et ce, par-delà ses multiples contradictions, liées à son naturel d’homme, qui revient au galop sitôt qu’il relâche le contrôle... Il veut apprendre à méditer, mais ne sait pas couper son portable. Il aspire à se détacher du regard des autres, mais est aliéné par son compte Facebook…
Avec une proximité et une franchise parfois surprenante, le « philosophe handicapé » y décrit son cheminement pour tenter d’accéder à un esprit plus libre, en tissant son récit d’épisodes de sa vie quotidienne et en nourrissant ses réflexions des principes bouddhistes et de sa foi chrétienne.
Infirme moteur cérébral, Alexandre Jollien évolue en permanence dans un univers de souffrance, physique et souvent morale. Un état de fait dont il tire à la fois son principal talon d’Achille et sa plus grande force. ». Sa solution : ne pas « psychologiser » à outrance, mais revenir au réel, à la simplicité, contempler.
Pour ce faire, celui que son maître zen appelle « Hyecheon » (nom dharmique signifiant « source de sagesse ») cherche à limiter les manifestations de son mental et de son ego et à écouter sa « boussole intérieure ». Le zen consiste à tout faire de manière naturelle, sans que l’ego s’en mêle.
Pour pacifier le mental, il s’agit d’arrêter de se poser trop de questions face aux difficultés, pour mieux épouser le réel. De désobéir à l’ego, de tourner le dos à cette volonté de trouver des réponses à tout et à notre soif de consolation. De se débarrasser des projets, des objectifs, des attentes, sortir de « la prison de ses automatismes ». Et de s’abreuver à ce qui, dans notre vie, nous repose, nous restaure en profondeur. Il s’agit, aussi, de laisser glisser. Les émotions et les tempêtes du quotidien, d’abord, en touchant du doigt, via la méditation, le caractère transitoire de tout phénomène, y compris le deuil, le handicap, la séparation ou la douleur. La calomnie et les commérages, ensuite. Le spirituel, c’est « mille fois par jour, revenir à la maison du présent ».
Alexandre Jollien a un grand ennemi : ses ruminations, qu’il surnomme avec humour « Mental FM » : une tempête sous un crâne qu’il conseille d’observer tout au long de la journée, en la remettant gentiment à sa place. Afin de tordre le coup à l’hyper agitation, il conseille de faire régulièrement des mini retraites au fond de soi-même. Pour lui, simplement regarder le mental s’agiter, c’est déjà méditer. Pour le libérer, pas question de passer par la force ou la volonté, mais d’agir, millimètre par millimètre.
Vivre ici et maintenant, c’est aussi prendre conscience de l’impermanence des émotions et des sentiments. Sur cette Terre, nous sommes tous en sursis, alors profitons au maximum de la vie et de nos proches, sans nous attacher aux mouvements de notre âme.
Ce qui inclut le soupçon, ou la crainte de dérapages incontrôlés de notre existence. Pour Alexandre Jollien, cette lutte passe par une discipline très cadrée : une heure de méditation par jour, une tempérance alimentaire, un coup de pouce à quelqu’un dans le besoin, se rendre disponible à ce qui arrive.Une fois le mental canalisé, il s’agit de cultiver son vrai « moi ».
Objectif : retrouver l’innocence de l’enfant, à travers l’amour, la non-fixation, le détachement. La conscience est comme un miroir, qui renvoie, de la même façon, les émotions les plus belles ou les plus viles, sans se dénaturer d’un iota en profondeur. Un exercice qui passe par la pratique de l’écoute, à l’inverse du « blabla » incessant que nous produisons, pour meubler le silence et qui fait écho à une volonté de puissance, à un désir d’avoir raison à tout prix.
Il faut des années pour apprendre à parler, et plus encore pour arriver à se taire. Une vigilance qui nous décentre, nous sort de nous-mêmes et nous rend un peu plus attentifs à notre prochain. « Le silence est à la fois vide et plénitude, comme le fond de l’âme »(p.221), estime-t-il. Il préconise donc de commencer par de mini cures quotidiennes. Et si l’on n’a rien d’utile à dire (à savoir d’altruiste et de gratifiant), la seule attitude qui s’impose est l’observance d’un « noble silence ».
Dans l’idéal, il faudrait faire table rase, autant que faire se peut, des biens matériels. Accéder au « luxe de la gratuité », tout lâcher pour mieux se donner aux autres, suivant le mot de Gandhi : « Il faut vivre simplement pour d’autres puissent simplement vivre » (p. 130). Une belle résolution plus facile à dire qu’à appliquer. Certes, il s’est délesté de la plus grande partie de sa bibliothèque philosophique avant de partir, mais sa valise est encore pleine d’ouvrages, dont il a bien du mal à faire le tri.
Cette méfiance viscérale envers le trop-plein de biens matériels est exprimée, en coréen, par deux mots qui se ressemblent pour dire argent (dong) et excrément (ttong). Il se rend compte que tout ne s’achète pas. Par exemple, les amis sont un don qui arrive ou pas, sans calcul possible. Et sans forcément parler d’argent, on peut croire posséder : une idée, la vie, la santé, sa famille, son épouse, un ami… Mais finalement, tout ne nous est que prêté. Il trouve un exutoire à cette ambivalence en déambulant, avec son fils, dans les supermarchés, dont il se remplit les yeux de la profusion en biens de toutes sortes. Mais le jeu, c’est de sortir les mains vides de cette « antichambre du Paradis » :« La joie, c’est de se libérer, se dépouiller, se désencombrer » (p. 171).
Ce dépouillement va de pair avec le fait de « mourir à soi ». Jésus vient nous dire de renoncer à ce qui nous est le plus cher, à savoir nous-mêmes. Une conversion profonde qui touche à la pratique du mû (le rien, le néant, en japonais). Alléger nos frigos, nos armoires, mais aussi notre agenda, pour se rendre disponible à l’imprévu, à l’autre… Vivre sans pourquoi requiert donc, paradoxalement « de la rigueur, voire une méthode, en tous cas un art » (p.161), sourit-il. Mais c’est pour notre plus grand bien.
Le corps humain est sacré et ses pulsions, bien que nécessitant d’être canalisées, font partie intégrante de ce sacré. Pour Alexandre Jollien « La vie spirituelle, c’est aussi faire bon usage de son corps : de ses oreilles, de sa bouche, de son ventre, de son sexe, de ses mains, de ses pieds » (p. 218). Il cite Saint-François de Sales : « Il faut prendre soin du corps pour que l’âme s’y plaise » (p. 49). Mais à condition de ne pas se laisser aller à tous ses penchants charnels et en ne gardant des plaisirs du corps que ce qui nous nourrit.
Pour libérer son âme, il faut se mettre à nu, au sens propre comme figuré. La vie spirituelle intègre une bonne hygiène du corps, ainsi qu’une ascèse intérieure. Alexandre Jollien raconte la leçon prise dans les vestiaires de son centre de fitness à Séoul : faire ses ablutions permet de se purifier l’âme et le corps, sans pudeur inutile. Et quand son fils le tartine de savon de la tête aux pieds et le lave, c’est pour lui une véritable « leçon de zen ». Il compare les bains publics au Paradis terrestre. « Avec la crasse, ce sont aussi les névroses, la haine de soi, le mépris du corps, le poids du regard de l’autre qui s’évaporent » (p. 208), écrit-t-il. Il évoque ainsi le mot coréen haetal, qui veut dire à la fois « se déshabiller » et « faire son salut ». C’est l’ « effeuillage spirituel » dont parlait Saint François d’Assise : aller nu à la rencontre du Seigneur.
Cette acceptation du corps n’empêche pas de s’essayer à l’ascèse, si difficile soit-il. Sur le plan sexuel, d’abord. Là où agissent les instincts, sexe ou ventre, il faut une bonne dose d’efforts et de détachement pour résister aux tentations.
Sur le plan alimentaire, ensuite. Ne pas se « goinfrer » sans réfléchir, mais donner une dimension sacrée au moindre de ses repas, par exemple en imaginant l’origine de ses aliments et du travail de l’homme nécessaire pour les faire arriver dans son assiette. En somme, « réapprendre un art du repas pour célébrer avec reconnaissance la fécondité de la vie ».
Vivre sans pourquoi, c’est commencer par se libérer du regard d’autrui. Par garder les pieds sur terre et surtout, d’arrêter de se prendre au sérieux. C’est aussi se libérer du besoin de l’autre, de goûter la solitude. Il cite l’injonction de son maître zen face à son insistance à vouloir se faire des amis : « Tout ce que tu cherches à l’extérieur, découvre-le à l’intérieur ! Contemple tes doutes, tes fantômes, regarde-le paisiblement et jamais tu ne t’ennuieras ! » (p. 82).
Vivre l’autre, c’est, surtout, se frotter à l’amour inconditionnel. En cas de lassitude face à ses problèmes personnels, être un bon « ami dans le bien » pour son prochain, aider autrui, est la meilleure des thérapies. Sans vouloir sauver le monde, repérer, au quotidien, une action concrète et donner un coup de main gratuitement, sans contrepartie, aux plus démunis, au « premier venu », sans rien exiger en retour. Là réside le vrai amour inconditionnel : aimer les autres d’autant plus qu’on n’a pas besoin d’eux.
Alexandre Jollien évoque son ami coréen, Junho, avec qui les échanges verbaux sont très limités, faute de vocabulaire commun, et dont, pourtant, il se sent très proche. Junho lui a aussi appris à oser la gratitude, comme antidote à l’autosatisfaction et prise de conscience que j’existe aussi grâce à l’autre. Encore une fois, son expérience coréenne en est la meilleure école : « Tout à l’heure Juhno va m’aider à me raser, puis mon bon professeur de coréen m’appellera sur Skype en réclamant, pour unique salaire, des progrès » (p.150). Mais la route est encore longue : « Si de mon cœur sortent des « merci », plus encore de ma bouche s’échappent des ‘bon sang’, des ‘merde’, des ‘j’en ai ras le bol’ » (p.151), sourit-il.
Cette indulgence envers l’autre passe aussi par la rencontre avec les « cabossés de la vie », les marginaux. Il constate que l’âme reste digne, au-delà du sordide de l’existence. Il écrit et médite au fond d’un hôtel de passe. En effet, il subsiste une part au fond de notre être qu’aucun traumatisme ne touchera jamais. Sortir de ses préjugés, accueillir l’autre, quel qu’il soit et où qu’il soit, contribue à cette conversion de chaque seconde.
Alexandre Jollien tente en permanence de faire la synthèse entre ses deux influences, chrétienne et bouddhiste. Il se dit convaincu qu’un chrétien et qu’un disciple de Bouddha peuvent « avancer main dans la main, marcher allègrement sur les mêmes sentiers » (p.65). Il évoque un Dieu amour et indulgence, proche de nous au quotidien. Suivre le Christ, c’est essayer de dire oui. Croire qu’au fond de la faiblesse, des miracles peuvent se produire. Les miracles, ce n’est pas marcher sur l’eau, mais assumer au quotidien les hauts et les bas, sortir de soi, aimer l’autre pour de vrai. Être croyant, c’est, encore, se plier à la volonté de Dieu, quelle qu’elle soit, rappelle-t-il. Dans la vraie prière, il ne faut pas demander à Dieu ce que l’on souhaiterait, mais ce que LUI souhaite pour nous.
Se poser, prendre le temps, vivre sans feuille de route pour mieux savourer la vie : un autre volet de ce programme. Le zen, c’est l’école de la patience, la voie pour sortir de la dictature du « tout, tout de suite »… Vivre sans pourquoi, c’est aussi lâcher prise face aux aléas et aux angoisses de la vie, s’abandonner à ce qui doit être. Avec à la clé, une diminution immédiate du stress. Corollaire à ce lâcher-prise : éviter de se torturer avec des remords sur telle ou telle action de la journée passée ou à la perspective du lendemain.
Pour « vivre sans pourquoi », il nous faut nous dépouiller de tout ce qui nous encombre dans notre chemin vers la libération de l’âme : ego, projets, pulsions, biens matériels, précipitation…
Peu à peu, à force de silence, de méditations et d'expériences métaphysiques parfois insolites, Alexandre Jollien nous raconte comment il apprend à ne plus être l'esclave de ses projets, à ne plus s'enchaîner à des objectifs, à se dégager des soucis… sans pour autant sauter à pieds joints dans l'insouciance. Sa vie, ses choix, ses partis pris et ses tentatives pour accéder à la sagesse – pas toujours couronnées de succès – sont présentés avant tout comme un récit initiatique, mais non comme un programme pour entrer en méditation ou pour vivre Zen.
Au fil du récit et de l’avancée de son expérience coréenne, il nuance ses propos, relativise ses essais et erreurs, et montre, au jour le jour, la richesse de sa double spiritualité.
Construite sous la forme d'une multitude de chapitres courts, l’odyssée coréenne d’Alexandre Jollien tient du récit de voyage, du blog informel et du traité philosophique tout à la fois. Pleine d’humour, de poésie et d’optimisme, elle rassurera tous ceux dont la pratique spirituelle ne coule pas forcément de source. Bourré d’anecdotes, parfois hilarantes, ce livre est toutefois parfois ardu, tant de par le pêle-mêle de pensées de philosophes, moines et autres maitres spirituels qui entrecoupe le récit, que par la présence de certaines notions pas forcément faciles à appréhender, comme « mourir chaque jour à nous-même ».
C’est pourquoi il s’adresse avant tout à un public déjà éclairé, et motivé par une quête intérieure. Vivre sans pourquoi se situe, enfin, dans la lignée des ouvrages des philosophes Frédéric Lenoir et Christophe André, ainsi que du bouddhiste Mathieu Ricard. Deux derniers auteurs avec lesquels Alexandre Jollien a justement signé un ouvrage collectif.
Ouvrage recensé
– Vivre sans pourquoi : itinéraire spirituel d’un philosophe en Corée, Paris, Points, coll. Documents, 2017.
Ouvrages d'Alexandre Jollien
– Petit traité de l'abandon. Pensées pour accueillir la vie telle qu’elle se propose, Points, coll. Essais, 2015.– Le Métier d'homme, Paris, Seuil, 2002.– La Construction de soi : un usage de la philosophie, Paris, Points, coll. Essais, 2012.– Le Philosophe nu, Paris, Points, coll. Essais, 2014.– Vivre sans pourquoi : Itinéraire spirituel d’un philosophe en Corée, Paris, Seuil, coll. Sciences humaines, 2015.– La sagesse espiègle, Paris, Gallimard, 2018.– André, Christophe ; Ricard, Mathieu ; Jollien, Alexandre, Trois amis en quête de sagesse, Paris, L’Iconoclaste, Coll. IC Hors Collect, 2016.