Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Alexandre Mars
Un milliard d’humains vivent avec moins d’un dollar par jour. Alexandre Mars est conscient d’être de ceux qui ont eu accès à l’éducation, vivent en sécurité et gagnent correctement leur vie. L’injustice sociale le révolte. Après un parcours de serial entrepreneur, il crée Épic, une plateforme de mise en relation entre investisseurs et projets philanthropiques à fort potentiel. Sa mission consiste aussi à accompagner les acteurs dans l’installation de solution de collecte de don. Objectif affiché : faire en sorte que le don devienne la norme. Loin de freiner le développement économique des entreprises, le don les rend attirantes aux yeux des nouvelles générations, sensibles aux valeurs de partage et de justice sociale. Grâce à elles, la révolution est inéluctable.
Les anciennes pratiques philanthropiques ne suffiront pas à rétablir une justice sociale à échelle planétaire. Comment, dès lors, entreprendre une révolution dont la portée soit la plus vaste possible ? D’une part en orientant les dons vers les projets les plus prometteurs, d’autre part en faisant du don la norme.
Tel est le combat entrepris par d’Alexandre Mars et qui l’a conduit aux quatre coins du monde dans l’espoir de convaincre des investisseurs et de déceler les associations les plus prometteuses, les pépites, vers lesquelles il orientera les dons. Pour obtenir une avancée mesurable en matière de justice sociale, l’entrepreneur s’efforce de faire appliquer les méthodes de travail et les exigences de rentabilité propres aux startups. Un pari qui fait entrer la philanthropie dans l’ère 3.0.
Professionnaliser la philanthropie est un défi de taille. Epic initie un nouveau modèle de fondation. Pour encourager la générosité, l’auteur identifie les principaux obstacles au don. Principal obstacle, le manque de confiance dans les organismes collectant les fonds. Les esprits restent fortement marqués par le scandale de l’ARC (Fondation contre le cancer) dans les années 90. Autre motif d’inertie pour les donateurs potentiels, le manque de connaissance des projets à financer. Vient enfin le manque de temps pour résoudre les deux problèmes précédemment énoncés.
Le modèle de l’Epic est construit autour de cette réalité : les personnes n’ont pas confiance et ne savent pas comment choisir un projet à soutenir. Epic se définit comme « Une plateforme destinée à lutter contre les injustices sociales et les inégalités, donc à récolter les dons pour les orienter à 100% vers des entreprises sociales et des ONG sélectionnées selon des critères très rigoureux » (p. 32). Cette méthode de travail marque l’avènement de la philanthropie 3.0.
La démarche d’Epic est à mille lieues du philanthropisme sentimental jugé inefficace. « Celle-ci n’est pas seulement pétrie d’émotions et de bons sentiments, elle heurte certainement l’image d’Épinal du bon Samaritain qui bricole, la main sur le cœur, avec ses petits moyens » (p. 132).Pas question donc de financer des petites associations agissant à l'échelle locale. La fondation privilégie les structures bien implantées au rayonnement important.
Epic n’a pas vocation à remplacer une autre structure. C’est un organisme complémentaire des États et des religions dans leur rôle de répartition des richesses. « Pendant des millénaires, le don a été l’affaire des religions. » (p. 35) La redistribution des richesses lui revenait donc de fait. L’organisme Epic ne remplace ni l’État ni les religions dans leur rôle de répartition des richesses. Il est complémentaire. L’une des particularités d’Epic par rapport aux structures existences réside dans le public des donateurs qu’il vise. « Ce ne sont plus uniquement eux (ndlr : les États et l’Église) qui possèdent les richesses : celles-ci sont désormais majoritairement entre les mains des entreprises » (p. 40).
Un organisme comme Epic apporte des solutions pour mieux donner. Pour que l’acte soit intégré au quotidien et devienne un mode de vie indolore, chaque entreprise, chaque salarié, chaque dirigeant, doit trouver la meilleure manière de faire. Le don doit se faire différemment. Il doit être intégré.
À l’issue de sa démonstration sur la nécessité du don, l’auteur propose aux entreprises quatre procédés simples à mettre en place. Le premier est la promesse de partage des entreprises ou de particuliers. Ceux-ci s’engagent à reverser une part de leurs revenus ou bénéfices, de leurs actions ou de leurs plus-values financières. Second procédé, l’arrondi sur salaire. Il permet aux entreprises, après accord du salarié, d’arrondir leur salaire au centime ou à l’euro supérieur. « L’entreprise abonde à la hauteur minimum de ce que chaque salarié a choisi de donner » (p. 210).
Troisième procédé, l’arrondi en caisse permet au client qui le souhaite d’arrondir sa facture au centime ou à l’euro supérieur au moment de s'acquitter d’une facture. Enfin, les solutions sur-mesure permettent à chacun d’établir les méthodes de don qui lui conviennent.
Nous assistons à un retournement de la société initié par les nouvelles générations. Si leurs parents étaient esclaves des marques, les Millennials et a fortiori les générations Z et Alpha choisissent de consommer selon des critères plus éthiques. À l’origine de cette révolution, la prise de conscience des inégalités. Ces consommateurs ont grandi avec internet et les réseaux sociaux. “La majorité sait aujourd’hui ce qu’elle ignorait hier. Que la moitié des richesses du monde appartient à 1% de privilégiés. Que les 4/5e des habitants de la planète survivent avec moins de 5% des richesses. Qu’un pourcentage faible, honteusement faible, des biens est partagé. Et quand on le sait, on ne peut pas le supporter” (p. 27)
Face à l’exigence croissante du consommateur, les entreprises sont contraintes d’adopter un code éthique. Si ce n’est par conviction, elles doivent le faire par pragmatisme. Les générations des Millenials et des Z arrivent aux commandes. Aujourd’hui, quand une marque enfreint l’éthique, elle se retrouve rapidement boycottée. L’auteur cite le cas de Nike. Lorsqu’en 1997, le grand public découvre une photo montrant un enfant assis par terre cousant un ballon estampillé de la virgule, il est choqué. Face à la chute vertigineuse de son chiffre d’affaires, Nike est contraint de réagir en adoptant un code éthique.
Autre évolution attestant qu’une révolution est possible, l’éthique peut être efficiente. « Des études publiées par Wall Street montrent que les entreprises qui se soucient du développement durable et de bien-être social commencent à être mieux indexées que les autres. » (p. 101) Preuve de cette efficience, les start-up devenues les plus grandes Licornes ont un point commun « elles n’affichent pas un produit à vendre, mais une mission ». (p. 102) Google, Facebook, Apple, Amazon l’ont compris avant tout le monde.
Tandis que dans l’imaginaire collectif la philanthropie est affaire de générosité, l’auteur définit le don comme un acte de justice. Certains estiment que le paiement de l’impôt suffit à les acquitter de leur devoir de solidarité. Pour Alexandre Mars, payer ses impôts est un acte de citoyenneté, non de philanthropie. L’obligation de donner est liée à l’injustice dans la répartition des richesses et non à la sensibilité personnelle. « Il va au-delà de mon confort personnel et de celui de ma famille. Il est un acte de justice. Autrefois, les religions, les États s’en chargeaient. Aujourd’hui, c’est à nous d’assurer la relève. » (p. 65) Parce que nous avons la chance d’avoir, nous avons la responsabilité de donner à ceux qui n’ont rien.
Le don ne provoque pas une perte sèche chez la personne généreuse. Il est un investissement comme un autre. Une entreprise donatrice qui choisit de financer un ou plusieurs projets sélectionnés par Epic est informée de la manière dont est utilisé son don. La démarche philanthropique s’inscrit dans une logique entrepreneuriale avec un objectif de résultat et pas seulement de moyen.
Lorsqu’une entreprise ou un particulier franchit le pas de la solidarité vient une question pratique, mais complexe : combien donner ? De la réponse à cette question dépend la pérennité des dons. « Quand on a mal, à moins d’être masochiste, on s’en veut et on ne recommence pas. C’est un réflexe pavlovien. » (p.114) Chacun doit définir le montant avec lequel il se sent bien. Le don doit toujours être indolore et exclure l’idée de privation, de sacrifice. Il doit au contraire entraîner un sentiment de joie. Pour y parvenir, il convient de tenir compte d’un grand nombre de facteurs : revenus, charges, âge, perspectives… Certains par exemple adoptent le principe du pourcentage de revenus. Ils anticipent et choisissent de donner 1%, 2%... de leurs revenus.
L’objectif fixé par l’auteur est clair et ambitieux : faire du don la norme. « Changer le monde implique de modifier le système, les schémas de pensée, le modèle. Nous aurons réussi quand notre objet sera démultiplié. Quand le don sera la norme » (p. 60). Alexandre Mars rencontre régulièrement les dirigeants d’entreprise, les investisseurs, les salariés… et tente de les convaincre de sa philosophie. Peu à peu les mentalités changent, les bourses se délient.
Les choses peuvent changer ! Preuve que le rêve est possible, Bill Gates et ses acolytes milliardaires. Le fondateur de Microsoft jadis « capitaliste pur et dur » (p.117), a légué 95% de sa fortune à sa fondation qui œuvre pour favoriser l’accès à l’éducation partout dans le monde. Avec le soutien de Warren Buffet, qui de son côté lègue 50% de sa fortune personnelle à sa propre fondation, il initie une campagne de don pour les ultra-riches, le Giving Pledge. Les « petits donateurs » qui se contentent de consentir à lâcher quelques millions pour les pauvres sont ringardisés. En mettant la barre très haut, les généreux milliardaires ont créé une concurrence vertueuse.
Réussir n’est pas une affaire d’argent. L’auteur à qui la vie a plutôt souri fait part de son témoignage personnel. « À trente-neuf ans, j’avais réussi mon pari. Mais j’avais aussi compris que la réussite ne se mesure pas au nombre de zéros sur son compte en banque. » (p. 19) Preuve que l’argent ne fait pas le bonheur, l’auteur cible les riches avares qu’il nomme « les Picsous » et qui semblent être une espèce en voie de disparition. “Avides, ils cumulent pour accumuler, sans jamais partager. Ils ignorent ce qu’est l’empathie, et le bien social ne les intéresse absolument pas. Ils connaissent les règles anciennes du business et de l’économie, se soucient peu de ce qui ne les concerne pas directement. Je doute qu’ils soient heureux - le bonheur ne se lit pas dans leurs yeux et n’appartient d’ailleurs pas toujours à leur lexique. » (p. 25)
À l’image de l’auteur qui dans sa jeunesse rêvait de changer le monde, les générations qui arrivent feront de la question du sens une valeur. Plus question de travailler avec comme unique perspective la satisfaction de gagner sa vie. L’argent est un moyen nécessaire, mais ce qui remplit réellement l’existence, c’est la mission que l’on accomplit.
Si le bonheur n’est pas dans la possession des richesses, où est-il ? Il est, selon l’auteur, dans l’expérience du don. Parmi les nombreux exemples qu’il cite, retenons celui du fondateur de Le Tote, le Netflix de l’habillement. Cet homme a choisi de donner un pourcentage de ses actions au bien social. Il raconte son expérience. « Sur le coup c’était dur. (...) Avais-je besoin de plus d’argent ? Non. Je me souviens par contre de ce sentiment de légèreté, tellement gratifiant. J’ai songé à l’impact qu’aurait mon don. Sentiment étrange de plénitude que j’ai envie de partager… » (p. 155)
Donner n’est plus simplement une obligation, le don est devenu la norme. Parce que les entreprises sont aujourd’hui les principales détentrices de la richesse, il revient à leurs dirigeants de changer de mentalité. Ils doivent concevoir le don tel un investissement comme un autre, quoique son rendement ne se calcule pas en termes financiers. La plateforme Epic est conçue pour gagner la confiance des donateurs et les orienter vers des projets répondant à des critères drastiques.
À la clé, le bonheur personnel, mais pas seulement. Chacun peut y trouver la réponse à sa quête de sens. Nul doute que pour les générations futures, le sens est la nouvelle devise.
L’auteur part du principe que le don est nécessaire pour répartir la richesse mondiale. Les États ont toujours compté sur la subsidiarité d’institutions qui varient selon les époques et les cultures. En Occident, l’Église en est l’une des principales représentantes. Alexandre Mars va encore plus loin en affirmant que nous sommes faits pour le don. Si l’idée développée est intéressante, elle répond à une conception anthropologique de la personne inspirée des religions judéo-chrétiennes que l’auteur ne prend pas le temps d’expliquer.
Sa manière de concevoir le don tel un investissement comme un autre peut sembler utopique, puisque, dans la réalité, un donateur ne peut espérer aucun retour sur investissement mesurable financièrement. Le don est donc « comparable » à un investissement comme un autre, sans pour autant l’être totalement : un don ne me rapportera jamais 2% de rendement annuel comme le ferait un placement immobilier.
Ouvrage recensé
– La révolution du partage, Paris, Flammarion, 2018.
Autres pistes
– Alain Caille et Jean-Édouard Gresy, La révolution du don - Le management repensé à la lumière de l’anthropologie, Paris, Points, Coll. « Économie », 2017.– Marcel Mauss, Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, coll « grands textes », Paris, PUF, 2007. – Francis Charhon, L’engagement social pour les nuls, Paris, First, Coll « Poche pour les nuls », 2018.