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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Le Génie lesbien

de Alice Coffin

récension rédigée parKarine ValletProfesseure certifiée de Lettres Modernes.

Synopsis

Société

Avec cet essai d’Alice Coffin, la guerre des sexes est déclarée ! Des instances politiques aux institutions culturelles, la militante féministe et lesbienne dresse un tableau peu reluisant de la société française, régie par l’hégémonie masculine. De la légalisation de l’avortement à la libération gay, en passant par #MeToo ou la PMA, son livre est l’occasion de revenir sur les grands combats portés par des lesbiennes, qui font vaciller le suprémacisme autoproclamé des hommes.

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1. Introduction

Être féministe et lesbienne, voilà qui a de quoi ébranler les fondations d’une société française patriarcale que les hommes ont façonnée depuis des siècles.

Et Alice Coffin ne mâche pas ses mots. Forte d’un militantisme auquel elle se voue depuis des années, elle dénonce avec véhémence la domination masculine qui s’exerce dans tous les milieux, tels que le journalisme ou le cinéma. De la stigmatisation des minorités ethniques et sexuelles à la relégation des femmes au second plan, l’auteure pointe du doigt les privilèges que s’octroient les hommes. Au-delà de la domination institutionnelle et sociale, elle s’insurge contre la domination physique par la violence, qui perdure encore de nos jours et alimente les colonnes des faits divers dans la presse.

Comment s’exprime le suprémacisme masculin dans toutes les sphères de la société ? Dans quelle mesure les médias sont-ils complices de cet ordre patriarcal ? En quoi l’activisme des communautés homosexuelles endosse-t-il un rôle tout particulier dans la lutte contre l’oppression féminine ? Dans un ton bien à elle, Alice Coffin livre un pamphlet féministe qui donne aussi à voir l’évolution de la condition lesbienne à travers le monde.

2. L’identité lesbienne

Être lesbienne ne relève pas d’un choix. C’est une identité qui s’impose à soi physiquement, souvent à travers les traits de la masculinité dans un corps de femme. Elle est d’autant plus difficile à assumer que, dès l’enfance, les jeunes filles lesbiennes sont privées de modèles identificatoires susceptibles de les aider à se situer socialement.

Évoluant dans un cercle familial composé d’un père et d’une mère hétérosexuels, elles se trouvent dans l’incapacité de se créer une identité verticale, héritée de leurs parents, à l’inverse des minorités ethniques qui trouvent au sein de leur famille différents modèles auxquels s’identifier. Le milieu scolaire ne remédie pas davantage à ce problème, en ne proposant ni une approche des genres ou de la sexualité autre que binaire ni une exploration de la culture homosexuelle. À défaut de trouver des exemples dans son entourage ou dans les livres, la jeune fille lesbienne tend à se réfugier dans des projections identitaires masculines.

L’identité lesbienne ne peut se construire que de façon horizontale, c’est-à-dire en cherchant des modèles hors du champ familial. C’est en ce sens que le coming out des personnalités joue un rôle crucial. En se déclarant ouvertement lesbiennes ou gays, elles deviennent pour de nombreux jeunes gens des références qui les aident à cerner qui ils sont et à se sentir bien dans leur peau. Ces célébrités, appelées role models, sont un rempart contre le repli sur soi à l’origine de certains suicides dans les communautés homosexuelles. Plus une minorité affiche sa différence sans complexe, plus elle se donne les moyens d’échapper à la stigmatisation et de se faire accepter par les autres.

Force est pourtant de constater que les étudiantes sont aujourd’hui de moins en moins enclines à se qualifier de lesbiennes. Elles préfèrent se désigner par le mot « queer », plus général et moins connoté péjorativement, mais que la journaliste, Anne-Christine d’Adesky, associe à une forme de misogynie puisqu’il ôte aux femmes homosexuelles leur dimension féminine.

3. L’homme, érigé en norme universelle

Comme le constatait Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe, les hommes incarnent le neutre et le groupe de référence, par opposition aux femmes représentant l’altérité. Les règles d’orthographe font du masculin le genre qui l’emporte toujours sur le féminin. En 2017, une circulaire a été publiée pour conserver cette règle orthographique dans les textes politiques officiels, malgré l’apparition de l’écriture inclusive.

C’est également à l’aune de la norme masculine que l’on décrète les compétences nécessaires dans tous les domaines. Les tests de sélection de la Nasa sont élaborés en fonction de données obtenues à partir de corps d’homme, excluant d’emblée les femmes. Quant au milieu artistique, Alice Coffin l’associe à un « ministère de la propagande phallocrate » (p.220). Les codes esthétiques ont été façonnés pour entretenir l’hégémonie de l’homme. La littérature à succès est principalement soumise à des schémas narratifs mettant en valeur un héros masculin. Une idéologie misogyne imprègne également l’image du monde transmise par le cinéma. Notre appréhension du rapport entre les sexes est conditionnée par ces créations et nous rend aveugles au processus insidieux de domination des hommes.

Les médias se conforment à cette norme masculine par leur éthique professionnelle. Le journaliste doit rester neutre : il ne doit ni manifester ses émotions ni prendre parti. Cet étau professionnel se traduit par une réticence à recruter des activistes, des personnes issues de minorités, ou à leur confier la couverture de sujets en lien avec leur appartenance ethnique ou leur engagement militant.

En concevant une information qu’ils considèrent universelle, les médias tronquent la réalité et en donnent l’image que s’en fait l’homme blanc hétérosexuel. Comme ils n’offrent pas de contre-vérité à cette vision, ils perpétuent les approches sexistes, racistes et discriminatoires à l’égard des femmes et des minorités. Or, la fonction de contre-pouvoir des médias est essentielle pour combattre ces comportements. Ils devraient au contraire recourir à des journalistes d’horizons variés, incarnant des convictions différentes et représentant des minorités

C’est le seul moyen pour pratiquer un journalisme de qualité, capable d’englober la diversité sociale et de remettre en question les opinions normées.

4. L’impérialisme masculin

Afin que le pouvoir reste entre leurs mains, les hommes se réservent les postes à hautes responsabilités et en écartent les femmes. Les entorses à la mixité sont justifiées par la notion de compétence, dont les hommes considèrent être les seuls détenteurs. En 2015, lors des attentats terroristes, François Hollande ne souhaite que la présence d’hommes pour l’accompagner sur le terrain.

En 2013, le masculiniste blanc, Éric Zemmour, déclare sur BFM TV que le pouvoir est une affaire d’hommes et qu’il ne saurait être détenu sans risque par une femme. La Ve République n’a vu que des représentants masculins accéder à la présidence du pays, du Sénat ou de l’Assemblée nationale. Cette exclusion des femmes trouve aussi son expression dans leur sous-représentation médiatique. Les plateaux de télévision sont monopolisés par des hommes, qui ne sont généralement que des pseudo-experts sans compétence significative.

Pour asseoir leur pouvoir et intimider les femmes, les hommes usent d’une violence qui est normalisée. Comme on peut le voir avec l’affaire de la Ligue du LOL, des étudiants journalistes ont harcelé leurs consœurs, comme cela se pratique communément selon eux, pour mettre leurs rivales hors compétition. La violence n’est pas seulement psychologique : elle est aussi physique. Elle est à l’œuvre dans les structures familiales par le biais du père ou du mari, mais aussi dans la sphère professionnelle. Le viol, le meurtre et l’exploitation des femmes causent de nombreuses victimes chaque année. En moyenne, 137 femmes sont tuées chaque jour par un proche. Selon une étude américaine, la majorité des auteurs de tuerie de masse ont des antécédents de violences conjugales ou des convictions misogynes. Pour l’auteure, l’homme est le plus grand serial killer de la planète et nous vivons dans une « civilisation féminicidaire » (p.216).

Le mouvement #MeToo est un révélateur de l’ampleur des agressions sexuelles dans tous les milieux. Mais les personnalités mises en cause bénéficient d’une impunité de notoriété, au prétexte qu’il ne faut pas mêler vie privée et vie publique. Reconnu coupable de viol et accusé de plusieurs autres agressions, Roman Polanski est choisi en 2017 pour présider la cérémonie des César du Festival de Cannes. En 2019, son film J’Accuse est plusieurs fois nominé, alors que de nouvelles affaires font surface. Dominique Strauss-Kahn est mis en cause en 2011 pour l’agression sexuelle d’une femme de chambre. Les hommes politiques le soutiennent, tandis que les journalistes relativisent et que TF1 l’invite pour le journal télévisé.

Quant à Bertrand Cantat, auteur du meurtre de Marie Trintignant, il fait la une des journaux pour ses chansons. La coalition contre les femmes est telle que les accusés tentent de retourner la situation en leur faveur, en intentant des procès en diffamation.

5. L’ostracisation des communautés lesbiennes

Au XIXe siècle, le mot « lesbienne » revêtait un caractère pathologique et immoral, ne désignant pas nécessairement une préférence sexuelle. Il pouvait ainsi désigner des prostituées ou des femmes criminelles. Force est de constater que cette dimension perverse ou honteuse est toujours véhiculée par les instances religieuses et l’opinion publique.

En 1992, l’évangéliste, Pat Robertson, assimile le lesbianisme, au même titre que la sorcellerie, le divorce et le crime infantile, à une conséquence délétère du féminisme. En 2018, c’est le pape qui préconise de faire suivre une psychothérapie aux enfants présentant des inclinations homosexuelles. Sur Internet ou les réseaux sociaux, le mot « lesbienne » a longtemps été associé à des contenus pornographiques.

Parce qu’il ne répond pas à la norme féminine en vigueur, le lesbianisme, tout comme l’homosexualité en général, fait l’objet d’un rejet social et d’une lesbophobie. Pour Michelangelo Signorile, l’exclusion des homosexuels s’opère au niveau politique, médiatique et culturel par un processus de censure. On occulte délibérément cette information, alors qu’elle est constitutive de l’identité des personnalités concernées, par exemple lors de l’élection de Lori Lightfoot, maire lesbienne de Chicago. Lorsque l’information est fournie, elle est désincarnée par l’anonymat des personnes citées, ou édulcorée au moyen de formules rhétoriques qui évitent de nommer la réalité directement. Le terme de lesbienne semble être un mot scandaleux et entaché de honte, que l’on peine à prononcer comme le fait remarquer Bernard Pivot, en 1986, face à l’écrivaine homosexuelle, Kate Millett. En 2008, il a même fait l’objet d’une procédure judiciaire par des habitants de Lesbos afin qu’il ne soit employé que pour désigner les femmes originaires de l’île.

Cette lesbophobie s’explique par le fait que les lesbiennes représentent une menace considérable pour le patriarcat. Affranchies de tout rapport amoureux avec les hommes, elles incarnent un fonctionnement social qui renverse la donne et laisse entrevoir la possibilité d’un monde où l’homme perd sa valeur, voire sa raison d’être.

C’est pourquoi le mariage pour tous et la PMA sont des sujets si sensibles. Dans les deux cas, la structure familiale traditionnelle explose, réduisant à néant l’emprise conjugale de l’homme sur la femme et, par là même, les politiques natalistes visant la préservation de l’espèce humaine. Le combat pour la PMA surtout, s’il conduit à la généralisation de ce type de procréation pour les femmes célibataires ou les couples lesbiens, signe la mort du père et de son essentialité dans l’éducation d’un enfant. D’où le fait que depuis 2012, aucune avancée dans ce sens n’a pu être obtenue.

6. S’engager dans une guerre ouverte contre les hommes

Preuve du « génie lesbien », slogan de la deuxième Conférence européenne lesbienne, les femmes homosexuelles ont toujours été en première ligne en matière de défense des valeurs démocratiques.

Au cours de l’histoire, elles se sont engagées en faveur des droits civiques, de l’avortement ou de la contraception, mais aussi contre le racisme, le nucléaire, les violences policières. Elles ont pris part au mouvement des suffragettes en Angleterre. Elles ont été les premières à porter les convictions d’Act Up ou Black Lives Matter. Ce n’est pas un hasard si les noms des associations lesbiennes ont souvent une connotation guerrière : Lavender Menace (la Menace lavande), les Gouines rouges, les Lesbiennes radicales et offensives, etc. Leurs tracts parlent de « mobilisation générale contre tous les hommes » dès 1974, tandis que la hache à double tranchant constitue leur symbole fétiche.

Il est donc tout à fait logique que les associations lesbiennes se battent aux côtés des mouvements féministes pour riposter à la guerre sournoise menée par les hommes. Tout comme Susan Faludi qui intitule l’un de ses livres, La Guerre froide contre les femmes, c’est en des termes belliqueux qu’Alice Coffin aborde les différents aspects que peut prendre la riposte féminine. Pour être plus fortes, les femmes doivent se constituer des armées de shield-maiden, nom désignant les guerrières vikings et signifiant « jeunes femmes aux boucliers ». Il s’agirait de références féminines à mobiliser lors de chaque action pour montrer que la riposte à l’hégémonie masculine n’est pas un phénomène isolé, mais un mouvement de grande ampleur. L’auteure propose également d’« organiser un blocus féministe »(p.229), en boycottant notamment les œuvres artistiques des hommes pour leur ôter la considération sur laquelle repose l’empire masculin.

Les médias sont un outil majeur pour que les femmes et les lesbiennes gagnent en visibilité. Alice Coffin évoque un « médiactivisme » qui doit se déployer selon deux axes. D’une part, il faut développer une presse LGBT et féministe forte, permettant de contrecarrer les clichés et les discours discriminatoires, mais également de donner à voir une autre réalité que celle livrée par la presse généraliste. D’autre part, la spectacularisation des actions a pour but de faire relayer les discours militants par les médias. Il s’agit de mêler message politique et show, par exemple en recourant à la participation de stars.

Cérémonie récompensant les coming out et les initiatives mettant en avant la communauté LGBT, les OUT d’or reposent sur ce principe. Le stand-up est aussi un excellent moyen de rendre visible un vécu personnel par le spectacle. C’est en ce sens que le médiactivisme devient « artivisme », un savant mélange entre création artistique et militantisme.

7. Conclusion

Le patriarcat de la société française engendre l’oppression des femmes. Le verrouillage des consécrations sociales bloque leur ascension dans tous les domaines. Du monopole des hautes fonctions à celui des prix littéraires et artistiques, les hommes s’arrogent des privilèges de genre arbitraires pour conserver le statut de dominant qu’ils se sont attribué depuis des millénaires.

Par leur identité sexuelle et de genre, les communautés lesbiennes pâtissent encore plus profondément de cette éviction sociale. Pour Alice Coffin, elles constituent la population la plus invisibilisée de notre société.

8. Zone critique

Le mouvement lesbien a toujours eu des points de convergence avec les mouvements féministes. Pourtant, à la fin des années 1960, un lesbianisme politique, plus radical, fait son apparition. Il prend ses distances avec le féminisme essentialiste ou différentialiste, notamment représenté par Antoinette Fouque, qui considère que les hommes et les femmes sont biologiquement différents, mais que ces différences peuvent permettre une vie harmonieuse.

Le lesbianisme politique, dont se rapproche Alice Coffin, part du postulat que l’hétérosexualité structure le patriarcat, en donnant des rôles sociaux liés au genre de chaque individu. La théoricienne, Adrienne Rich, souligne que la glorification de la maternité incite les femmes à devenir mères et à s’en tenir à une fonction domestique.

Selon ce point de vue, les femmes hétérosexuelles ne peuvent plus être les alliées des lesbiennes puisque, pour Monique Wittig, elles collaborent au système de domination masculine.

Ainsi que le préconise Alice Coffin dans son livre, ce lesbianisme militant opte pour le séparatisme, c’est-à-dire le refus de toute relation avec les hommes. Il appelle au boycott de la sexualité hétérosexuelle. Les partisanes sont lesbiennes, asexuelles ou célibataires. Pour la militante, Ti-Grace Atkinson, le lesbianisme politique est la mise en pratique concrète du féminisme.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Alice Coffin, Le Génie lesbien, Paris, Grasset, 2020.

Autres pistes– Élisabeth Badinter, L’un est l’autre – Des relations entre hommes et femmes, Paris, Odile Jacob, 2002.– Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe : les faits et les mythes, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1986.– Judith Butler, Trouble dans le genre – Le féminisme et la subversion de l’identité, Paris, La Découverte, 2006.– Susan Faludi, Backlash – La guerre froide contre les femmes, Paris, Des Femmes Antoinette Fouque, 1993.– Kate Millett, Sexual Politics – La politique du mâle, Paris, Des Femmes Antoinette Fouque, 2020.– Monique Wittig, Le Corps lesbien, Paris, Éditions de Minuit, 1973.

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