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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Éloge de l’insécurité

de Allan W. Watts

récension rédigée parCatherine Piraud-RouetJournaliste et auteure spécialisée en puériculture et éducation.

Synopsis

Développement personnel

Dans nos sociétés modernes, l’effondrement des croyances traditionnelles nous a laissés en proie au doute, à l’angoisse et à la frustration. Nous cherchons à compenser ce sentiment d’insécurité en recréant de nouveaux mythes, axés sur l’excitation des sens et la surconsommation, qui ne mènent qu’à des impasses. Il est pourtant possible de retrouver l’harmonie originelle et de reprendre pied dans la « vraie vie en nous recentrant sur nous-mêmes et sur l’instant présent. Un livre revigorant, par l'un des « pères » de la contre-culture aux États-Unis.

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1. Introduction

L’homme moderne est caractérisé par la contradiction et le conflit. Contradiction, car tétanisé par le caractère changeant du monde, il est englué entre le poids du passé et la crainte de l’avenir, incapable de saisir la saveur et la nécessité de vivre dans l’instant présent. Conflit, car il est artificiellement divisé entre un « Je », intellectuel et se voulant porteur de raison, et un « moi » charnel incontrôlable.

Ce livre analyse les impasses auxquelles mène ce mode de fonctionnement, au premier rang desquelles un profond sentiment d’insécurité. Puis il expose le chemin spirituel nécessaire pour retrouver une harmonie avec soi-même et l’univers. Ce qui passe par l’acceptation de cette insécurité, bénéfique, car rimant avec cours naturel de l’existence, et par l’ancrage dans le présent.

2. Retrouver la foi dans un monde d’inquiétude, de nihilisme et de nouveaux mythes aliénants

Avec le déclin des croyances traditionnelles, notamment religieuses, le bouleversement des traditions, de la vie sociale et économique, nous avons le sentiment de vivre une époque singulière teintée d’insécurité. Notre vie semble dépourvue de sens, avec de moins en moins de choses tangibles et authentiques auxquelles nous raccrocher. Ce relativisme est profondément inquiétant et déprimant. Car « l’homme semble incapable de vivre sans mythe, sans la croyance que la routine et le travail pénible, la douleur et la peur de cette existence ont quelque but et signification dans l’avenir », écrit Allan Watts (p. 19).

Ce vide spirituel a deux conséquences. D’une part, l’arrivée de nouveaux mythes, politiques ou économiques, faisant des promesses pour des futurs meilleurs. La « dignité calme » et la paix du croyant de naguère, qui s’en remettait à la volonté divine, contrastent avec la situation de l’homme « moderne », névrosé, éduqué et inquiet. D’autre part, les hommes se réfugient dans des plaisirs à la fois précaires et fugitifs. C’est pourquoi notre époque est celle de l’inquiétude, de la frustration et de la dépendance au « narcotique ». À savoir un niveau de vie élevé et une stimulation complexe et violente des sens, concentrée sur le temps le plus court possible.

Deux solutions se présentent à ce mal-être. Soit découvrir un nouveau mythe, ou en ressusciter un ancien : si la science ne peut démontrer que Dieu n’existe pas, il semble nécessaire de vivre sur le pari de son existence. Mais cela impliquerait de faire reposer cette vie sur des faux-semblants. Soit tenter sérieusement d’affronter l’absurdité de la vie, et en la considérant avec distance et détachement. C’est la voie préconisée par Watts. Il distingue entre la croyance, qui, selon lui, reflète une vérité telle que l’on voudrait qu’elle soit, et la foi, qui est une ouverture sans réserve de l’esprit à la vérité, qu’elle soit comme on l’a souhaitée ou non.

Dans ce sens du mot, la foi est la vertu essentielle de la science. Pour découvrir la réalité ultime de la vie, il nous faut cesser de tenter d’échapper au monde fini et relatif pour basculer vers la plus complète acceptation des limites de celui-ci. Une véritable révolution de notre façon de penser.

3. Accepter le fait que la vie, c’est l’insécurité

La notion de sécurité est fondée sur le sentiment qu’il y a quelque chose en nous de permanent, qui survit à toutes les époques et à travers tous les changements de la vie. Le caractère mouvant et imprédictible de l’avenir tétanise l’homme et oriente l’ensemble de ses actions.

Nous luttons pour nous assurer de cette permanence et en nous enfermant de toutes sortes de manières. « Nous cherchons à appartenir à l’église la plus sûre, à la meilleure nation, à la plus haute classe, à la bonne coterie et aux gens “comme il faut”, remarque l’auteur (p. 87). Ces luttes nous divisent et mènent à une insécurité accrue, nécessitant toujours plus de défenses. La plus grande part de l’activité humaine est consacrée à rendre permanentes des joies et des expériences qui ne sont attractives que parce que changeantes.

La religion elle-même a tenté de donner à ce monde fugitif une signification en le rattachant à un Dieu immuable. La querelle entre science et religion n’a pas montré que la seconde est fausse et la première vraie, mais simplement que tous les systèmes de définition se rapportent à des desseins variables, dont aucun ne saisit positivement la réalité. Et dans ce processus de symbolisation de l’univers, nous semblons avoir perdu la vraie joie et la signification réelle de la vie. En effet, toutes les définitions variables de l’univers s’intéressent davantage à l’avenir qu’au présent (l’au-delà, pour la religion, par exemple). Le présent, vital et mouvant, se soustrait, lui, à toutes définitions et descriptions.

Mais plus on lutte pour se libérer de la douleur, plus l’on avive l’angoisse. Surtout, le caractère périssable et changeant du monde est partie intégrante de sa vitalité et de sa beauté. La vie et la mort ne sont pas deux forces opposées, mais juste deux manières de regarder la même force.

En effet, le changement est aussi bâtisseur que destructeur. Pour Watts « résister au changement, essayer de s’accrocher à la vie, revient à retenir sa respiration : si vous persistez, vous vous tuez » (p. 46). La seule manière de déchiffrer le sens du changement est de plonger en lui.

4. La nature humaine, entre contradiction et conflit permanent

La complexité du cerveau de l’être humain enrichit nos existences. Mais la forte sensibilité qu’il procure nous rend aussi plus vulnérables. De fait, la contrepartie au fait que nous soyons destinés à des plaisirs intenses est que nous sommes aussi sujets à d’intenses douleurs. Dans ces conditions, notre existence s’articule entre la contradiction et le conflit. Selon Watts, nous sommes comme « des mouches engluées dans du miel » (p. 43). La maladie particulière de l’homme civilisé pourrait être décrite comme un blocage ou une cassure entre son cerveau (précisément le cortex) et le reste du corps. D’un côté, la conscience, « je », qui se voit en personne raisonnable ; de l’autre le « moi », la chair indocile avec ses limites et ses frustrations.

En réalité, « je » est en fait de même nature que « moi », comme la tête est une partie du corps. Cette cassure artificielle relève de deux sources. C’est, d’abord, une illusion de la mémoire. C’est pourquoi la vie humaine est si exaspérante et frustrante : nous nous contorsionnons pour essayer d’extraire le « je » de l’expérience vécue. Nous tentons de nous protéger de la vie en nous fendant en deux. Aucune sécurité n’est possible si nous ne réalisons pas que « je » n’existe pas, qu’il ne peut pas être protégé.

Ensuite, cette distinction entre « je » et « moi » s’appuie sur le pouvoir excessif que l’homme a donné aux mots. Il a cru se donner une identité en se nommant et en se définissant lui-même, se plaçant en être rationnel et spirituel, à la conscience transcendant passé, présent et avenir, d’un côté, et la nature (charnelle et ancrée dans l’instant présent), de l’autre. Or, les mots et les pensées ne reflètent pas la vitalité de l’existence. Vouloir que la vie soit intelligible de cette façon revient à « préférer une projection de film à un réel homme qui court »(p. 53)

Pour surmonter ces contradictions, il nous faut d’abord redécouvrir la sagesse de notre corps, face à un cerveau surinvesti. C’est à ce corps que nous devons l’essentiel de l’intelligence dont nous faisons preuve dans la vie quotidienne (pour respirer, avaler, combattre les maladies…). Pourtant, nous avons appris à le dédaigner et à placer toute notre foi en notre cervelle. Utilisé à bon escient, le cerveau n’est en rien ennemi de l’homme. Mais il doit être remis à sa place. Sa fonction doit être de servir le présent et le réel, et non d’envoyer l’homme poursuivre frénétiquement l’avenir.

5. Une civilisation moderne de plus en plus insatiable et frustrée

Nous serions avisés de caler notre comportement sur celui de l’animal, tout à l’instant présent et indifférent à la signification ou à l’avenir de l’existence. Néanmoins, le pouvoir des souvenirs et de la prévision est tel chez l’homme que pour la plupart d’entre nous, passé et avenir apparaissent plus « réels » que le présent. Lequel ne peut être heureux que si passé et futur sont absolument riants. Mais plus nous sommes sensibles au plaisir, plus nous le sommes à la douleur. « Il y a un prix à payer pour chaque progrès dans la conscience », pointe Watts (p. 39). D’où le conflit que nous ressentons avec notre propre corps et le monde qui nous entoure.

Le désir humain conçoit le bonheur sous la forme de plaisirs indéfiniment prolongés. C’est pourquoi notre société de consommation est un cercle vicieux, qui doit soit fabriquer sans cesse plus de plaisirs, soit s’effondrer. Le flot de stimulations (médias, publicité, voitures rapides…) auquel nous sommes soumis est destiné à engendrer des appétits toujours plus insatiables. Un mode de vie qui condamne à une frustration perpétuelle. En effet, courir après est d’autant plus vain qu’il ne peut pas devenir une partie de l’expérience réelle avant d’être le présent. Cette fuite en avant nous rend de plus en plus insensibles aux joies les plus intenses et subtiles de l’existence, qui sont aussi les plus banales et les plus simples.

Faire de l’argent son but dans l’existence, en particulier, est le plus banal exemple de confusion dans la manière d’appréhender la réalité. Mais de tous les plaisirs, c’est le sexe que l’homme » civilisé » poursuit avec le plus d’anxiété. Il est aussi totalement esclave des calendriers et des échéances, qui l’empêchent de vivre pleinement dans le présent. Watts ne cache pas son pessimisme quant aux chances de rémission de nos sociétés ainsi dévoyées. « Il y a peu de raison de penser qu’il puisse y avoir dans un futur proche un quelconque recouvrement de bon sens social » (p. 78).

6. Être conscient, ici et maintenant, source de bonheur et de sérénité

En étant confrontés à l’instant présent, nous nous habituons à appréhender le réel d’une manière différente. De cette manière, nous pouvons comprendre le présent en fonction de la mémoire, l’inconnu par le connu, le vivant par la mort. Mais plus nous fonctionnons ainsi, plus un conflit nous ronge de l’intérieur, car la mémoire n’est qu’illusion : selon Watts, telle une simple retransmission filmée d’un événement, elle ne saisit jamais l’intensité présente et la réalité concrète d’une expérience.

Être réellement conscient, c’est être conscient de l’expérience vécue, sans lui associer aucune idée ni jugement. Cette « ouverture des yeux » provoque une extraordinaire transformation de la manière de voir et de vivre, et annihile instantanément nombre de nos problèmes les plus déconcertants. Si nous abordons sans difficulté cette évidence dans les moments de bonheur et de plaisir, c’est plus difficile avec l’arrivée de la douleur. Mais aussitôt qu’il devient clair que « je » ne peut s’échapper de la réalité du présent (puisque « je » n’est rien d’autre que ce que je connais maintenant), ce trouble intérieur cesse. La seule solution est de s’abandonner complètement à la peur, l’ennui ou la douleur.

Les génies sont capables d’aller au-delà de la pensée. Ils savent que leurs meilleures idées leur viennent en dehors de celle-ci. De même, il est absurde de chercher Dieu en fonction de l’idée que l’on s’en fait, car cela revient à trouver ce que nous savons déjà. Si nous sommes ouverts seulement aux découvertes qui s’accordent avec ce que nous connaissons déjà, autant rester fermés. La pleine conscience est une métamorphose qui consiste à savoir et à ressentir que le monde est une unité organique, dont je fais intrinsèquement partie.

7. De la morale créative à l’amour universel

Notre société moderne est devenue sa propre moraliste, distribuant les bons et les mauvais points et blâmant ceux qui sortent du droit chemin. Mais il ne peut y avoir de morale créative si l’homme n’est pas libre. Et rien n’est aussi inhumain que les relations humaines fondées sur des morales.

Par contre, l’esprit non divisé (unifié entre le « je » et le « moi ») transpose dans la sphère morale une façon de vivre qui a toutes les marques de l’action libre et créative. Cela suggère un état couramment appelé amour. Lequel est beaucoup plus qu’une émotion, mais le principe unificateur et organisateur du monde. Car l’esprit doit s’absorber dans quelque chose, comme un miroir est obligé de refléter l’environnement extérieur. Et quand il ne s’occupe pas de lui-même, il se focalise sur d’autres choses ou gens. Pour le philosophe, c’est de la conscience déliée de « soi » que l’amour envers autrui peut naître.

Dans cette optique, les principales idées de la religion et de la métaphysique traditionnelle peuvent à nouveau s’avérer intelligibles et sensées, non en tant que croyances, mais en tant que symboles valables de l’expérience présente. On peut en effet voir la religion comme se rapportant au présent et à l’éternel.

D’ailleurs, les textes mystiques expriment bien que la personne qui vit dans la lumière de Dieu baigne dans un présent infini. « La vie éternelle est comprise lorsque la dernière trace de différence entre « je » et « maintenant » a disparu », conclut l’auteur (p. 160).

Voir que la vie est complète, non divisée, en chaque instant, c’est comprendre le sens de la doctrine selon laquelle Dieu est « tout en tout », selon l’expression biblique, dans la vie éternelle et constitue la finalité suprême. Là se trouve la signification du principe religieux universel selon lequel l’homme doit s’abandonner lui-même pour connaître Dieu.

8. Conclusion

Aussi longtemps que l’esprit croit en la possibilité d’échapper à ce qu’il est ici et maintenant, que « devenir » est l’aspiration suprême de l’homme, il ne peut y avoir de liberté pour celui-ci. Ni de réelle séparation entre la vertu et le vice, entre le bien et le mal.

Plus les êtres humains poursuivent le « je », plus ils deviennent uniformes, inintéressants et impersonnels. La véritable liberté et la philosophie de vie la plus éclairée appartiennent à ceux qui ont su se libérer du poids du passé et de la crainte de l’avenir, et ainsi accepter la complétude de leur être, sans distinction artificielle entre « moi » et « je ».

Leur esprit, redevenu complet, fermement ancré dans l’instant présent, est passé de paranoïa (esprit à côté de lui-même) à métanoïa (esprit avec lui-même et donc libéré de lui-même). La clé pour vivre enfin en harmonie avec soi-même et avec le monde, et pour pouvoir vraiment saisir l’essence du divin.

9. Zone critique

L’un des livres de chevet de la « beat generation » des années 1960 et 1970. Un essai de philosophie spiritualiste souvent abstrait et parfois ardu, mais qui traite avec brio de notions universelles : la mort, la vie, la non-séparation d'avec le monde, le fait d'être présent ou non… Les notions de développement personnel abordées (rejet de la surconsommation, ancrage dans l’instant présent, pleine conscience…) sonnent de manière étonnamment moderne, près de soixante ans après sa première parution.

On y retrouve une orientation similaire à ce que développent aujourd’hui, avec un succès planétaire, des auteurs comme Christophe André, Alexandre Jollien ou Mathieu Ricard. Ce qui n’est pas étonnant lorsqu’on considère l’ancrage de la pensée de Watts, comme de tous ces auteurs, dans la philosophie bouddhiste. Un ouvrage à recommander à tous ceux qui souhaitent ouvrir leur esprit, notamment par la voie de la méditation.

10. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Éloge de l’insécurité, Payot, 2003 [1951].

Du même auteur– Le Bouddhisme zen, Payot, 2019.– Au-delà de l'esprit rationnel: Afin de revenir à la logique des choses, Paris, Macro éditions, 2018.

Autres pistes– Miguel Ruiz, Les quatre accords toltèques : La voie de la liberté personnelle, Paris, Jouvence, 2018 [1997].– Jack Kerouac, Sur la route, Paris, Gallimard, 1976.– John Krakauer, Into the wild, Paris, éditions 10/18, 2018 [1996].

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