Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Anne Dufourmantelle
Publié en 2009, cet ouvrage explore les différentes déclinaisons de l’amour, l’événement de la rencontre, mais aussi les blessures de la vie. Si l’amour – aimer et être aimé – est un axe autour duquel tourne la vie, il se décline sous différentes formes et différents événements : de l’imagination d’un amour rêvé à l’envie de vengeance d’avoir été quitté.
L’amour, voilà un thème qui fait couler l’encre et cela depuis toujours. Dans son ouvrage, Anne Dufourmantelle s’intéresse aux déclinaisons de l’amour : reconnaissance, désir de possession, jalousie, peur de l’abandon, fusion… Il s’agit ici de se pencher sur tout ce que l’amour engendre comme émotions mais également comme événements de vie.
À travers les confidences de ses patients, la psychanalyste tente d’explorer les scénarios de cet amour aux mille et une couleurs.
L’autrice rappelle qu’il n’y a pas de place en nous pour inscrire un événement traumatique. C’est ainsi que pour rester vivant face à l’horreur, le désir constitue souvent une tentative pour ne pas s’écrouler.
Mais le trauma ne s’oublie pas, il est enfoui et ressort tôt ou tard : « Les enfants abandonnés vieillissent douloureusement car il arrive un jour où cesse la capacité d’improvisation, quelle que soit l’adresse avec laquelle on négocie les tours de magie. Le temps fait remonter le trauma, il drague la rivière où est tombée dans l’oubli la douleur en même temps qu’il l’enfouit sous le sédiment des années » (p.123).
De plus, il est important de comprendre qu’un enfant qui a vu ses enfants se disputer, se déchirer, même s’il semble heureux et charmant, garde en tête cette enfance comme un champ de bataille. Dans ce cas, « la répétition est une légitimation. Vous répétez ce que vous avez surtout voulu fuir, ce qui vous a fait souffrir, mais pourquoi ? Pour en quelque sorte pardonner » (p.65). La psychanalyse pense la répétition comme une compulsion, comme une volonté de l’être de revivre la même situation et les mêmes émotions même si elles sont douloureuses : « C’est la litanie répétitive du symptôme qui pèse sur la vie du sujet en l’empêchant de s’en sortir, comme une nasse dont le maillage trop serré ne laisse plus de respiration possible » (p.27).
En cela, tous les symptômes et conséquences en découlent : des insomnies aux phobies, de la répétition de l’abandon à la violence conjugale… Et c’est ainsi aussi que les chagrins d’amour se répètent. « Il nous est difficile de croire que nous sommes partie prenante, dans notre corps, notre désir, notre prénom, dans les boucles de notre histoire, dépositaire d’une mémoire des générations antérieures qui ne cesse, d’une certaine manière, de vouloir “se dire”, remonter au grand jour, trouver en nous une possible traduction (p.149). » Fouiller, analyser ce passé permet de démêler les fils, de comprendre ses propres schémas, et par conséquent de couper tout cela.
« La rencontre est un événement philosophique. Un éblouissement » (p.86), mais pourtant elle a ce petit quelque chose qu’il n’est pas possible d’expliquer. Vouloir l’expliquer la dénature, car d’un coup elle devient partageable. La rencontre peut faire peur, nous nous demandons ce qu’il va nous arriver.
Elle est universelle, et pourtant unique à chaque fois, inédite. L’auteur évoque l’espérance et l’inespéré. Une rencontre est donc source d’espérance, mais « entrer dans cette histoire, dire oui à la rencontre, c’est accepter d’être dépossédé » même si pourtant l’autre ne nous appartient jamais et que tout peut disparaître. La rencontre est souvent synonyme de joie, cette joie qui « nous fait ressentir ce moment où la vie entière, comme le dit Nietzsche, est approuvée . » (p.79) L’autrice explique que nous voulons vivre une vie intense.
Mais notre vie est déjà présidée par deux événements majeurs : la naissance et la mort. Entre, des événements viennent la ponctuer, et bien entendu, l’amour en fait partie. Il est « cet événement qui nous rend capable de nous transporter dans l’autre, de nous déserter pour choisir l’adversaire contre soi. Il est dans le ravissement et le dégoût, une désappropriation de soi, un désaveu » (p.193). Aimer et être aimé sont les deux axes autour desquels la vie tourne, accompagnés d’une palette de sentiments et d’émotions.
Les hommes sont fragiles à la trahison ! Une promesse qui n’a pas été tenue provoque du chagrin ; le fait de voir l’autre aimer une autre personne n’est que douleur. Ces peurs remontent à l’enfance, à l’univers familial qui oblige souvent à se comparer. Finalement, « nous faisons tous cette erreur de croire que nous sommes à peu près transparents à nous-mêmes alors qu’une immense énergie se déploie à nous rendre opaques à notre désir, à inventer des stratégies pour éviter de nous confronter à ce qui profondément nous anime » (p.93).
Faire la lumière sur tout cela peut certes engendrer une certaine douleur et des émotions incontrôlées, mais derrière c’est pourtant la possibilité de vivre un amour véritable et authentique. La peur d’être trahi trouve ses racines dans ce que l’autrice nomme le gouffre de l’enfance, et cette angoisse pousse à finalement rester attaché à cette famille, même si celle-ci occasionne des blessures, pousse au doute et nous ouvre les portes de la jalousie.
Souvent cette jalousie n’est qu’une chose qui se passe à l’intérieur de la personne, entre elle et elle-même. La jalousie trouve sa source dans le fait d’avoir peur de perdre l’objet d’amour, mais il est illusoire de croire que l’autre nous appartient. Il ne nous a jamais appartenu. Et pourtant le monde vacille, se fragilise lorsque la sensation de perdre l’autre ou la perte elle-même est là. Derrière ceci, se cache aussi l’angoisse d’abandon, et lorsque l’autre est parti, celui qui reste à tendance à oublier ce qui n’allait plus entre eux, la nostalgie modifie le souvenir. Mais attention, personne n’est de structure jalouse, il est possible de devenir jaloux alors que ça n’avait jamais été le cas avant.
L’autrice évoque le fait que finalement le jaloux, qui cherche à tout prix des preuves, ne veut peut-être pas savoir. Il s’agit plutôt de rechercher une intensité de souffrance (et l’intensité tout court). La première rupture a lieu à la naissance, et si la mère n’a pas su réconforter et apaiser, alors naît le fait que la perte de l’autre est intolérable. « Nous étions deux : une mère un enfant, imbriqués au point de ne faire qu’une femme enceinte jusqu’à ce que l’enfant paraisse. Croyons-nous être délivré de ce rêve, de cette incroyable réalité, nous étions deux et nous sommes seuls ? » (p.103). Pour pallier cet arrachement, nous nous attachons tout le temps à des gens, des situations plus ou moins belles, mais il est impossible de retrouver cette « combinaison magique » mère-enfant.
L’autrice évoque l’état d’un patient submergé par le désespoir après le départ de sa femme, alors que lui-même pensait la quitter, alors que lui-même n’était plus attiré. Cet exemple témoigne de la violence de l’abandon. Qu’est-ce qui fait souvent pleurer lors d’une rupture, qu’est-ce qui détruit au point de ne plus manger, de vouloir mourir alors même que l’on pensait ne plus aimer celui/celle qui vient de partir ? C’est l’abandon !
L’autrice parle d’un lieu de désertion, un no man’s land. Il ne faut pas oublier, encore une fois, que « l’abandon est le lieu premier de notre venue au monde. Là où nous avons affronté ce que signifie vivre quand l’autre n’est plus là, et pour un nourrisson de quelques jours, l’épreuve n’a sans doute aucun équivalent dans l’âge adulte » (p.53).
Boris Cyrulnik a évoqué cette idée que l’humain naît de cet arrachement. Tous les abandons amoureux ramènent à cet abandon originel. Sans oublier que certains enfants vivent un véritable abandon qui se rejoue lors des échecs amoureux. Une chose est certaine : avoir rencontré la solitude permet de planter ses racines, et par conséquent de ne pas attendre la fusion du ventre maternelle qui ne reviendra jamais.
Le portable a facilité les contacts, a apporté la simultanéité des informations. « Ces petites maisons portatives glissées dans la poche sont autant de microfragmentations du “moi”. L’objet se doit d’être toujours “en veille” et la communication, indéfiniment possible » (p.115). Il y a, avec cet outil technologique, cette injonction du « réponds-moi tout de suite ».
Et surtout c’est un objet qui facilite l’adultère, mais aussi qui facilite la mise en lumière de cette trahison. Le téléphone est oublié, les informations s’en échappent. La névrose ne peut pas cohabiter avec l’ennui et encore moins avec l’humour. « Quand on s’ennuie, on se laisse exister dans une zone “grise” encore indéfinie, où tout peut arriver finalement – indétermination dont la névrose a horreur et à laquelle elle opposera un emploi du temps sans ennui ni grisaille, un monde en blanc et en noir » (p.138).
Pour l’autrice, l’insomnie appartient à l’amour et est faite de notre solitude. Pendant ce moment de nuit où le sommeil ne vient pas, « la vision que vous avez des événements, des êtres, des paroles de la veille se déforme et c’est l’inaccompli qui vous saute à la gorge, c’est la stupeur d’un état sans oubli, l’insistance de souvenirs inutiles » (p.150). Mais l’insomnie est aussi potentiellement un moment de rêves, d’idées et d’inventions. L’autrice met en garde sur le fait qu’il n’est pas bien vu de nos jours de céder aux désordres émotionnels, d’être différent, rêveur, mystique. Pas d’écart possible : « par temps d’économie dominante, l’écart met en déroute la consommation tranquille d’objets prévus à cet effet : attirer le désir vers un objet de consommation quel qu’il soit » (p.172).
La ville est un territoire amoureux, car l’amour prend vie dans les lieux où le couple est allé, a vécu. Lors d’une rupture, le chagrin qui s’en suit proscrit tous ces lieux qui ravivent les souvenirs. Alors, le dépaysement semble inévitable. Il faut partir, se perdre pour trouver son vrai soi. L’amour offre aussi une possibilité de dépaysement. Quelquefois, les personnes ont envie de revenir vers une personne quittée, en pensant aux bons moments aux enfants, mais l’autrice invite à ne pas se retourner et à plutôt construire l’avenir.
Pour soigner ces chagrins-là, ou plus encore ces blessures de l’enfance, le pacte analytique intervient : faire confiance au thérapeute pour creuser et aller plus loin que les évidences de sa vie. Il est aussi important de regarder du côté de la mère, car contrairement à ce que l’on croit, les femmes ont tendance à épouser leur mère, car chaque être veut retrouver cette première relation de la vie.
De plus, il y a aussi cet instinct maternel qui a tendance à s’infiltrer dans les relations amoureuses, la tendresse prend alors la place de l’érotisme.
Au fil des pages, mais sans suivre un fil conducteur, Anne Dufourmantelle analyse des cas d’amour, des cas de trahison, des cas de haine, des cas de douleurs, disons des cas de vies.
À travers les récits de ses patients que la psychanalyste (double de l’autrice ?) narre, se dessine une tentative de dresser les différentes figures de la passion et des blessures de l’enfance à l’âge adulte. Mais pas simplement d’un point de vie psychanalytique, car la philosophie a la part belle ici.
Les chapitres sont plus ou moins longs et ne suivent pas d’ordre précis. Les références aux grands auteurs, philosophes et psychanalystes sont nombreux et appréciables. Sans oublier ces cas concrets que l’auteur raconte telles les pages d’un roman.
Le lecteur découvre ainsi des morceaux de vies çà et là et les analyses et questionnements de la psychanalyste. Tous ces cas d’amour la font philosopher, et font philosopher le lecteur en même temps. C’est une lecture agréable et enrichissante ! Mais quelque fois, on a le sentiment de s’égarer du sujet.
Ouvrage recensé– Anne Dufourmantelle, En cas d’amour, psychopathologie de la vie amoureuse, Paris, Rivages, 2009.
De la même autrice– Défense du secret, Paris, Payot, 2015.– Éloge du risque, Paris, Éditions Rivages, 2014.– La Puissance de la douceur, Paris, Payot, 2013.