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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Le Parfum

de Annick Le Guérer

récension rédigée parKatia SznicerDocteure en Histoire culturelle (Universités Paris 13 et Laval, Québec). Rédactrice indépendante.

Synopsis

Histoire

De l’Égypte pharaonique au monde occidental contemporain, Annick Le Guérer nous emmène dans un fascinant voyage olfactif. Elle nous révèle les arcanes de l’histoire du parfum et des parfumeurs, dans toutes ses dimensions (symboliques, anthropologiques, politiques, économiques). Des rituels originels sacrés à la transformation du parfum en objet de consommation courant, en passant par les fastes odoriférants de la Rome antique et les laboratoires des maîtres gantiers parfumeurs de la Renaissance, c’est non sans fascination que l’on découvre, page après page, le lien étroit qui unit les Hommes aux fragrances.

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1. Introduction

Au fil du XXe siècle, la parfumerie française, activité originellement artisanale, s’est hissée au rang industriel. En 2005, quand paraît le livre d’Annick Le Guérer, l’industrie des parfums et de la cosmétique se porte bien : son chiffre d’affaires est en croissance pour la 36e année consécutive (14?117 milliards d’euros en 2004) ; elle arrive en 4e position des exportations après l’aéronautique, l’alimentaire et l’automobile. Les Français sont en outre friands de parfums : 166?000 flacons sont vendus quotidiennement dans l’Hexagone.

Cependant, ce tableau a priori positif ne réjouit pas tous les acteurs du secteur. Les professionnels du parfum et les créateurs s’inquiètent : sous la pression de la logique financière des grands groupes devenus propriétaires majoritaires de cette industrie, le parfum serait en passe de perdre son âme et sa luxueuse aura serait menacée de disparition.

Comment ce produit originellement sacré qui reliait les Hommes aux dieux a-t-il fini par se retrouver sur les rayons des grandes surfaces ? Comment le lien originel du parfum et de la nature a-t-il pu se rompre ?

Il faut, pour le comprendre, retourner aux sources de la parfumerie, dans les temples de l’Égypte pharaonique.

2. Les parfums des pharaons

L’Égypte antique est le berceau du parfum. C’est pourquoi les pratiques des dynasties pharaoniques ont laissé une empreinte inestimable et durable sur la parfumerie et la cosmétique orientales et occidentales.

Pour les anciens Égyptiens, l’usage abondant de substances odoriférantes et cosmétiques signifie bien plus que le simple plaisir des sens, car ces dernières ont le pouvoir de communiquer à la chair toutes leurs vertus. Dans la pratique savante de la momification, elles assurent ainsi aux embaumés un voyage heureux vers l’autre monde. Le corps des défunts est parfumé avec l’ânti, parfum primordial considéré comme la « sueur des dieux ».

Le parfum sert aussi à honorer les divinités lors de rituels de purification effectués quotidiennement par le pharaon et les prêtres dans les nombreux temples du pays. Le plus célèbre des parfums égyptiens, le kyphi ou « parfum deux fois bon » est par exemple utilisé en fumigation.

La culture égyptienne du parfum déborde largement du cadre sacré et s’étend à la vie quotidienne. Les Égyptiens utilisent des plantes locales (fleurs de lotus bleu, souchet odorant, jonc, lys, narcisse, iris…) ou acclimatées (rose), mais c’est l’importation massive de végétaux, par voies terrestres ou maritimes, qui va étoffer la palette de leurs parfumeurs et asseoir la suprématie de ces derniers dans le bassin méditerranéen : styrax, nard, safran, les résines (de conifères, térébenthine, cyprès et genévriers), mastic, galbanum, opoponax, oliban, etc.

Comme la rapporte Homère, l’Égypte antique est aussi « une terre féconde qui produit en abondance des drogues […] où les médecins l’emportent en habileté sur tous les autres hommes ». Le grand Hippocrate aurait lui-même longtemps séjourné à Memphis. La réputation des médecins égyptiens et de leur pharmacopée est telle qu’ils sont appelés à exercer dans de nombreuses cours étrangères, notamment en Perse.

À cette époque, il n’y a alors pas de frontière absolue entre la médecine et le magico-religieux. Les compositions sacrées ont aussi des applications thérapeutiques. La propreté symbolisant la pureté morale, l’hygiène occupe une large place : ablutions, nettoyages de la peau, des dents, des cheveux avec des produits cosmétiques raffinés et odoriférants, hydratation, maquillage, etc., font partie du quotidien. Les yeux sont particulièrement protégés par des fards disposés dans des palettes (objet cosmétique le plus ancien répertorié à ce jour).

3. Parfums subversifs, parfums sacrés

À la suite des conquêtes de l’Égypte par Alexandre le Grand (332 av.-J.C) puis Auguste (30 av.-J.C), ce savoir ancien continue de rayonner dans le bassin méditerranéen et l’art de la parfumerie progresse.

Séduits par la religion et le raffinement esthétique de la terre de Cléopâtre, Grecs et Romains en épousent en partie la culture. Et si Rome ne possèdera jamais la « terre des parfums », elle parviendra à réorganiser les circuits commerciaux afin de satisfaire sa soif excessive de produits aromatiques. Grâce au développement des échanges avec l’Afrique, l’Inde et l’Arabie, de nouvelles denrées exotiques (poivre noir, cannelle, encens, acacia…) sont chaque jour livrées sur les côtes méditerranéennes. La Rome impériale du Ier siècle, toute revêtue de marbre blanc, est somptueuse. Les Romains s’adonnent aux plaisirs des bains thermaux, des fêtes, des banquets et des jeux. La musique et le parfum sont devenus des ingrédients indispensables aux loisirs du peuple et de la noblesse.

De nombreux philosophes, comme Pline l’ancien, Plaute, Caton l’Ancien ou Cicéron s’en offusquent et voient là une forme de corruption indigne à l’esprit austère et rigoureux hérité de la République.

Un quartier entier, le vicus thurarius, est occupé par les boutiques des parfumeurs grecs qui ont hérité de la culture créto-mycénienne. Dans leurs laboratoires, ils élaborent parfums et onguents dont raffole leur clientèle. À cette époque, le parfum est visqueux et épais : les Romains prisent les odeurs persistantes et aiment s’en enduire le corps après le bain. Certaines patriciennes ont même des esclaves à demeure, les cosmetae, spécialisées dans la préparation des cosmétiques. La frénésie de parfums de la Rome impériale atteint son apogée sous les règnes de Caligula (37-41) et de Néron (54-68). Les dépenses en produits de luxe venus d’Orient sont telles qu’elles risquent de ruiner l’Empire.

Les Romains attribuent également aux parfums une fonction sacrée : l’encens brûle sur les autels des temples, les animaux sacrifiés sont farcis d’aromates et les statues des dieux enduites d’huiles odorantes et honorées par des offrandes aromatiques. L’utilisation rituelle des parfums s’est affinée avec l’introduction de cultes étrangers comme celui de Cybèle, d’Isis ou de Mitra au sein desquels le sexe, le sang, l’alcool tiennent aussi un rôle essentiel.

En parallèle, la fonction thérapeutique des parfums continue d’être assurée avec une grande stabilité. Dioscoride, médecin grec de l’époque de Néron, accorde ainsi une large place aux plantes aromatiques dans son Histoire naturelle. Si les ingrédients végétaux dominent, on adjoint volontiers aux formules des éléments minéraux et animaux, notamment du sang animal.

4. Une odeur de sainteté

Les premiers chrétiens rejettent les pratiques religieuses ostentatoires et parfois violentes des Romains et ils s’écartent de la luxure, de l’intempérance et de l’idolâtrie. Parallèlement, le remplacement de l’Empire romain d’Occident par une mosaïque de royaumes dits « barbares » engendre une régression importante de l’art du parfum.

Il faudra attendre le Ve siècle pour que les odeurs réapparaissent dans les rituels religieux, avec le saint chrême, composé d’huile d’olive et de baumier de Galaad pour l’onction sacrée. Au moyen-âge, le parfum s’impose dans la symbolique et la liturgie chrétiennes. L’odeur pure et incorruptible de l’encens s’élève vers Dieu comme une prière. Le Christ même a sa propre odeur. Et l’odeur de sainteté, l’odeur des saints, fraîche et pure, témoigne d’un rapport privilégié avec le divin.

En Orient, la Mecque devient un centre commercial majeur du trafic des aromates. En terre musulmane, l’usage des cosmétiques et des senteurs est un moyen, pour les croyants, de se distinguer des juifs et des chrétiens. Le parfum, aperçu du paradis, accompagne la vie terrestre et, dans le palais califal de Bagdad, circulent des effluves d’eau de rose et de fleur d’oranger, de camphre, d’ambre, de confiseries, de thé chaud…

À leur retour de Jérusalem, les croisés rapportent l’ambre, le musc et l’eau de rose. Mais l’influence de l’Orient sur la parfumerie européenne s’exerce surtout par l’occupation d’une grande partie de l’Espagne par les Maures, dès le VIIIe siècle et par le développement des cités-États italiennes, Gênes et Venise, qui se disputent la suprématie des échanges avec l’Empire byzantin et les pays du Levant. Dans le Devisement du monde, Marco Polo ne manque pas de raconter les odeurs de l’Asie.

Sous ces influences, l’Europe renoue dès le XIe siècle avec une parfumerie raffinée qui s’introduit dans l’art de vivre des classes aisées. La mode est aux « pommes d’ambre », ces boules ouvragées en métal remplies de substances aromatiques, que l’on peut emporter partout. Dans les couvents, moines et nonnes cultivent les plantes aromatiques pour leurs recettes pharmaceutiques : les parfums servent aussi à se protéger des épidémies.

À la même époque sont fondées les premières écoles de médecine et les universités de Paris et de Montpellier où se perfectionne la technique de la distillation. En 1370 est élaborée la première formule alcoolique à base de romarin, la fameuse Eau de la reine de Hongrie.

5. La gloire des parfumeurs français

L’arrivée de Catherine de Médicis à la cour de France, en 1533, change le destin de la parfumerie française. La promise du futur Henri II apporte d’Italie les produits les plus raffinés et lance la mode des vêtements et des accessoires en cuir parfumés. Son parfumeur, René le Florentin, ouvre une boutique à Paris où il vend l’eau de toilette préférée de Catherine, fabriquée à Santa Maria Novella.

Parallèlement, sous la pression des religieux et des médecins qui voient dans l’eau un vecteur de corruption des âmes et des corps, François Ier ordonne, en 1538, la fermeture des étuves publiques. Il signe ce faisant la disparition durable des bains, pratique d’hygiène essentielle héritée de l’Empire romain. Et ce sont les parfums qui viennent combler le vide.

Le pouvoir centralisé intervient de plus en plus dans le domaine économique et l’organisation de professions si bien qu’en 1614, le métier de « maître gantier parfumeur » est reconnu et doté d’une réglementation.

La parfumerie se développe à Paris, centre du pouvoir, à Montpellier, célèbre pour son école de médecine et un savoir botanique local, et autour de Grasse, région au climat béni pour la culture des fleurs. En 1664, Colbert crée la compagnie française des Indes orientales qui importe des ingrédients pour les parfumeurs.

Versailles raffole des parfums qui masquent la puanteur du domaine royal, jonché d’immondices. La noblesse française développe une obsession pour les parfums. Ceux-ci sont appliqués, sous forme de liquide, de crème ou de poudre, sur la peau, les vêtements, les perruques et même les meubles. L’odeur et le halo parfumé constituent une marque de distinction sociale, mais aussi une protection contre les épidémies.

Le XVIIIe siècle connaît des progrès considérables en sciences naturelles et en chimie, dont bénéficie la parfumerie. Les travaux de Buffon, Lamarck, Lavoisier ou Bertholet suscitent l’intérêt des élites. En Europe et en France en particulier fleurissent les jardins botaniques qui témoignent de ce regain d’intérêt pour les sciences et la nature.

En matière de goût, le XVIIIe siècle prise la légèreté et la volupté. Lassées des lourdes notes animales caractéristiques de l’époque du Roi-Soleil, les élites recherchent les fragrances fraîches et revigorantes telles que l’Aqua admirabilis coloniae qui connaît un succès sans égal.

Ces nouvelles tendances se reflètent dans la philosophie d’un Condillac ou d’un Rousseau, qui réhabilitent l’olfaction comme mode d’appréhension privilégié de la réalité sensible et sensuelle. Le 20 brumaire de l’an II (10 novembre 1793), le culte de la Raison est célébré à Notre-Dame de Paris : la sensibilité est élevée au rang de système philosophique par les révolutionnaires, seuls les sens peuvent désormais éclairer la raison dans la recherche de la vérité.

6. De l’alchimie à la chimie, de l’artisanat local à l’industrie de masse

La période révolutionnaire et le début du XIXe siècle sont marqués par plusieurs événements qui rompent les liens de la parfumerie avec les structures d’Ancien Régime. En 1791 un décret dissout la corporation des maîtres gantiers parfumeurs. Le nouveau credo économique est la liberté d’entreprendre. Après la Terreur, les affaires reprennent. Napoléon, grand consommateur de l’eau de Cologne de Farina, décrète la séparation de la parfumerie et de la pharmacie.

C’est surtout la place croissante de la chimie qui opère un bouleversement et dissout la relation consubstantielle de la parfumerie avec la nature. Après avoir étudié en Angleterre la chimie des molécules odorantes, Pierre François Pascal Guerlain ouvre sa première boutique à Paris en 1828. En 1889, son fils aîné crée le parfum Jicky dont la molécule de base imite l’odeur de la vanille. C’est une révolution. Fève tonka, herbe, foin coupé, amande amère, etc., les odeurs de la nature sont désormais reproduites par la pétrochimie dans des laboratoires allemands, anglais, suisses et français.

Cela permet une production à moindre coût et en quantité industrielle. À la Belle Époque naissent les maisons qui feront la gloire de la parfumerie française : Coty, Caron, Chanel, Lanvin ou encore Patou.

L’irruption des molécules de synthèse dans la parfumerie est alors vue comme un progrès : puisant dans une palette infinie d’odeurs au grès de son inspiration, le parfumeur, tels le poète, le peintre ou le musicien, est désormais libre de créer sans fin ses œuvres d’art. Dans les années 1970 cependant, l’arrivée du marketing et d’une nouvelle culture managériale importée des États-Unis vient ternir les illusions des nez en quête d’idéal : l’originalité et la créativité ne sont plus rentables. Il faut désormais se soumettre au goût du marché global et à la logique du profit maximum.

Les maisons traditionnelles sont rachetées par de grands groupes, souvent liés à l’industrie pharmaceutique. La production des nouveaux jus est déléguée à des « sociétés de composition » (Givaudan, IFF, Firmenich…) qui suivent à la lettre les briefings des équipes commerciales. Le produit à vendre n’est désormais plus le parfum en lui-même, mais un style de vie, une image, un désir. L’essentiel du budget est consacré à la publicité. Le succès mondial de CK One (1994) illustre parfaitement ce processus ainsi que la fin de l’hégémonie française sur la parfumerie mondiale.

7. Conclusion

Outre les pressions du marché, la parfumerie doit aussi se soumettre à des règles sanitaires et écologiques de plus en plus exigeantes (tests d’innocuité, interdiction de certaines substances animales comme le musc, prix élevé des matières premières naturelles de qualité…).

Ce constat global amène l’historienne à dégager deux tendances pour la parfumerie à l’orée du XXIe siècle : d’un côté la présence dominante d’une parfumerie banalisée, désincarnée et mondialisée ; de l’autre l’entrée en lice d’une parfumerie dite « de niche » ayant repris vaillamment le flambeau de l’excellence des anciennes maisons tout en se plaçant à l’avant-garde des innovations technologiques, dans le but parvenir à capturer peut-être un jour, la véritable odeur des fleurs fraîches, mais aussi celle des montagnes enneigées, de l’espace, des forêts primordiales ou de plantes encore inconnues.

8. Zone critique

Cet ouvrage volumineux est une véritable mine d’informations. Aux historiens amateurs ou professionnels, il apporte un regard très original qui saisit les cultures à travers leur relation aux parfums et à l’olfaction. Cette approche n’est pas sans rappeler les travaux d’Alain Corbin ou de Jean-Pierre Gutton sur la dimension sonore de l’histoire, ceux d’Alain Corbin encore sur les odeurs du passé ou de Michel Pastoureau sur les couleurs.

Pour les amoureux du parfum, il constitue une source inestimable de connaissances sur les parfums et les parfumeurs qui ont marqué l’histoire, mais aussi sur l’évolution des tendances olfactives de l’antiquité au début du XXIe siècle.

Enfin, pour les férus d’histoire des sciences et des techniques, il retrace la lente évolution des techniques de fabrication des précieux liquides, de la macération antique à l’extraction contemporaine la plus fine en passant par l’enfleurage médiéval et la distillation. Il restitue en outre quantités de recettes et formules anciennes qui continuent de nous fasciner par leur mystérieuse complexité.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Annick Le Guérer, Le parfum. Des origines à nos jours, Paris, Odile Jacob, 2005.

Du même auteur– Si le parfum m’était conté, Paris, Le Garde-Temps, 2010.– Les Pouvoirs de l’odeur, Paris, Odile Jacob, 2002.– Sur les routes de l’encens, Paris, 2001, Le Garde-Temps.

Autres pistes– Alain Corbin, Le Miasme et la jonquille, Paris, Flammarion, 2016.– Jeanne Doré et alii, Les cent onze parfums qu’il faut sentir avant de mourir, Paris, Le Contrepoint, 2019.– Élisabeth de Feydeau, La Grande histoire du parfum, Paris, Larousse, 2019.– Patrick Süskind, Le Parfum, Paris, LGF, 1988.

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