dygest_logo

Téléchargez l'application pour avoir accès à des centaines de résumés de livres.

google_play_download_badgeapple_store_download_badge

Bienvenue sur Dygest

Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.

La fabrique du consommateur

de Anthony Galluzzo

récension rédigée parCatherine Lomenech

Synopsis

Économie et entrepreneuriat

L’humanité, traditionnellement rurale, communautaire et autarcique, est devenue citadine et consommatrice en à peine deux cents ans. Anthony Galluzzo nous dresse une fresque illustrant les épisodes de cette mutation. Cette étude sociale et historique, étayée d’anecdotes pittoresques et parfois très savoureuses, aborde la révolution industrielle par l’angle de l’accélération de la circulation des hommes et des biens. Ensuite la publicité, le marketing et des techniques de communication toujours plus efficaces ont transformé notre psychologie et nos comportements. Avec cet ouvrage, suivons les étapes de notre entrée fracassante dans le monde de la consommation.

google_play_download_badge

1. Introduction

Personne n’imagine chasser ou cultiver sa nourriture, confectionner ses vêtements ou ses outils. Il est tellement naturel pour chacun d’acheter ce dont il a besoin, que cette idée évoque un passé très lointain. Pourtant, il n’y a guère plus de deux siècles que nous consommons. En 1800, nos aïeux construisaient leur maison, étaient éleveurs et cultivateurs, cuisaient leur pain et avaient un métier à tisser dans leur pièce de vie.

Comment a pu s’opérer une mutation aussi rapide en si peu de temps ? La Révolution industrielle, l’emballement des progrès techniques et l’accélération de nos déplacements ont transformé nos marchés locaux en marchés mondiaux. La division du travail, telle que définie par Adam Smith, a fait que l’individu n’a cessé de s’éloigner de la production des objets. Leur valeur marchande a totalement fait oublier la valeur du travail qu’ils contenaient. Les populations ont quitté les campagnes pour aller travailler dans les manufactures, en même temps que les villes s’agrandissaient. On s’est mis à acheter sa nourriture et ses biens.

Puis on a commencé à regarder les objets différemment et à en rêver. Les manufacturiers ont compris qu’il fallait théâtraliser ces marchandises, les échoppes sont devenues grands magasins ; un métier était né, la relation publique, ainsi qu’une nouvelle discipline, la psychologie des foules. La presse a découvert les bénéfices publicitaires. En fin de compte, comme dans l’histoire de la poule et de l’œuf, qui est à l’origine de cette mutation ? La société qui s’est émancipée au gré des progrès techniques ou le génie commercial qui a su influencer la psychologie humaine ? Ce qui est sûr c’est que les classes sociales, la cellule familiale (la vie des femmes, l’organisation domestique) le mode de vie, la mentalité et le comportement de la société ont complètement changé. Reprenons les épisodes de la révolution de notre société.

2. Et soudain tout s’accélère

Automne 1800 : un fermier et ses voisins attendent un homme venu avec ses outils. Ensemble ils vont tuer le cochon, bien gras d’avoir vécu en liberté pendant un an. L’animal va être soigneusement transformé et ses précieux morceaux découpés, travaillés, puis partagés entre famille et voisins.

Des gestes transmis de génération en génération et auxquels tous auront participé. Plus tard, chacun saura précisément quel morceau de l’animal il savoure et à quel travail correspondent la conservation et la préparation de cette viande.Automne 2000 : Une famille fait ses courses au supermarché, elle décide de manger une viande. Elle va saisir une barquette dont le contenu sera consommé sans que personne ne sache vraiment où a été élevé l’animal. Cette question ne se posera sans doute pas. À ce stade, de multiples inconnus auront participé aux étapes qui ont fait « apparaître » la barquette dans le rayon du supermarché. Quant à la viande elle-même, elle est devenue une sorte d’abstraction et n’est plus rattachée à l’idée d’un animal.

Par cet exemple Anthony Galluzzo illustre à quel point, en deux siècles seulement, notre rapport à la marchandise a changé. Notre subsistance est aujourd’hui assurée par d’innombrables réseaux, nos marchés sont mondiaux et nous pouvons manger des mets dont nous ignorons totalement s’ils poussent dans la terre ou sont cueillis sur des arbres. Cette accélération exponentielle a pu se faire grâce au développement des transports et à l’amélioration permanente des infrastructures. La production marchande s’est mondialisée avec le développement du transport maritime. L’homme a colonisé toute la planète.

Et quand il a eu fini de s’approprier l’environnement, il a inventé la logistique (informatique, containers, stockage) permettant d’optimiser encore la circulation des marchandises.

L’homme est en contact permanent et banalisé avec des marchandises venues du monde entier au point de ne plus pouvoir faire de différence entre elles. De sorte que, n’ayant plus aucune conscience de la valeur, de la rareté ou du travail relatifs à l’objet, l’être humain n’en perçoit l’existence que sous une forme devenue abstraite, irréelle. C’est comme si, par génération spontanée, elle apparaissait sur un écran ou sur un linéaire. L’objet n’est plus incarné par lui-même (sa matière, son façonnage, son origine, son utilité…) mais par sa marque, sa valeur de signe (sa symbolique)… toute une imagerie qui éloigne le consommateur de la réalité.

3. De l’origine des marques

Avant le développement des transports, la vie et les marchés des hommes se cantonnaient autour du périmètre couvert dans une journée par un homme éventuellement aidé d’un animal. Les échanges restaient locaux et la vie essentiellement rurale. Les villes comptaient un nombre limité d’habitants.

La révolution industrielle a poussé les populations vers les cités où il a fallu acheter matériel et nourriture. Les techniques de conservation et de conditionnement, incertaines à l’époque, n’inspiraient pas confiance à des populations venues de la tradition fermière. Comment rassurer un acheteur qui ne connaît pas l’origine d’un produit ni ceux qui ont contribué à sa fabrication ?

En le « marquant » (la marque dans le sens du signe distinctif appliqué au bétail) afin d’identifier son producteur, en garantir la qualité et lui apporter une légitimité. Même si cette identité est artificielle la marque personnalise la marchandise. Elle permet de la réincarner, de ramener le consommateur au temps où il connaissait tous ses fournisseurs. La marque raconte une histoire humaine. Au point que les grandes entreprises ont compris qu’elle impacte l’imaginaire du consommateur. Elle lui permet même de se reconnaître dans un statut ou un groupe social.

En étant passée du rôle de garantie d’origine à l’évocation d’une valeur symbolique ou culturelle, la marque s’est mise à suggérer une différence qualitative là où elle n’y en n’a pas toujours.

Dès la fin du XIXe siècle, les marques sont devenues l’intermédiaire de référence entre le consommateur et son produit substituant à sa valeur d’usage une nouvelle valeur-signe (ce que le produit donne comme image de soi. Une nouvelle science de cette valeur perçue s’est créée : le marketing.

Aujourd’hui certains grands groupes proposent des produits identiques sous des marques différentes, à des prix différents ce qui leur permet de couvrir plusieurs marchés avec un même produit.

4. L’apparition des grands magasins

Les premiers lieux de vente étaient des échoppes dans lesquelles on ne pouvait trouver que des artisans et leur production. Rentrer dans une échoppe signifiait que l’on voulait quelque chose de précis, tout était rangé hors de la vue du client et le marchand choisissait lui-même un produit qu’il fallait, en plus, négocier.

Avec l’apparition des grands magasins au milieu du XIXe, les marchandises apparaissent à la vue de tous, induisant l’autorisation de déambuler sans acheter. « Vous pouvez contempler jusqu’à 1 million de dollars de marchandises, et personne ne viendra interrompre votre méditation » (p.34) écrit un journaliste. C’est ainsi qu’est apparu un nouveau profil de citadin, le flâneur. Qu’il soit journaliste, écrivain ou peintre, plus ou moins artiste ou bien bourgeois, le flâneur marque le sacre de la nouvelle ville-spectacle. Prendre le temps de regarder devient un plaisir. Les commerçants découvrent le potentiel des vitrines, l’intérêt de faire tourner les stocks, de diversifier l’offre et d’agir sur les prix.

Cela a radicalement changé le rapport de l’acheteur à l’article : il n’est plus obligé de négocier, ni même d’acheter. L’artisan, parfois dur à la négociation, qui veillait sur ses produits est remplacé par des vendeurs disponibles et courtois. Les clients sont invités à admirer à toucher et ils peuvent reposer les articles… Petit à petit, les magasins deviennent des sortes de palais dans lesquels on vient rêver, flâner, se distraire, etc. Les articles y sont savamment mis en valeur, le marchandisage est né, le grand magasin le lieu à la mode.

Ce phénomène a eu de multiples effets, dont celui de faire sortir les femmes, elles qui ne quittaient jamais leur foyer. Même les bourgeoises ne se promenaient pas en ville. Les grands magasins ont vu émerger les flâneuses et n’ont pas tardé à mettre en place des garderies, des salles de repos (une femme fatigue vite dans l’esprit du XIXe siècle). Des cours de cuisine ou de décoration leur ont été proposés. D’une certaine manière cela a contribué à leur éducation et à leur ouverture d’esprit.

Elles ont découvert comment imiter le décor d’une maison bourgeoise, ce qui n’alla pas sans bousculer l’ordre établi des classes sociales au grand dam des « vrais » bourgeois (les marchands, les financiers, les rentiers…). Les grands magasins ont inventé la « science de l’étourdissement » (p.47) et ainsi favorisé les grands changements sociaux tout en distillant le goût de la consommation.

5. Les bouleversements sociaux

• « Le ruissellement des marchandises »En bousculant les classes sociales, les grands magasins ont « diffusé » les objets représentatifs du haut vers le bas de la société. Ce phénomène que les observateurs de la fin du XIXe ont appelé le ruissellement des marchandises, établit le fait que les classes populaires ont pu découvrir, et parfois copier, les apparences des bourgeois, jusque-là seuls « consommateurs ». L’argent du ménage intègre dorénavant l’éventualité d’acheter des objets superflus. Les bourgeois se mettent, à leur tour, à convoiter les biens de la noblesse accessibles depuis la Révolution. Les « snobs » font leur apparition, simulant une position sociale qu’ils n’ont pas. Jean Baudrillard avait déjà souligné le lien entre l’objet et son rôle représentatif de classe, les nouveaux consommateurs du XIXe siècle affirment ou simulent leur position sociale à travers leurs achats.

Le snob, le dandy et l’artiste bohème sont les premiers consommateurs types. Cette nouvelle envie d’acheter a démocratisé le goût pour la collection d’objets au point de la faire apparaître comme vulgaire aux yeux de la grande bourgeoisie obligée d’aller chercher de plus en plus loin, dans l’exotisme, la marque de sa différence sociale. • Les changements dans la familleDans l’ancien monde rural, le couple était une équipe, sans hiérarchie, dans laquelle chacun travaillait pour le bien commun, l’homme en extérieur (chasse, champs, travaux) et la femme dans la maison (enfants, foyer, repas). La révolution industrielle a transformé les hommes en salariés, la femme devenant la responsable du foyer et dépensant en achats ce que l’homme gagne. Cette tradition de la femme au foyer perdurera longtemps même lorsqu’elle devint salariée à son tour. Le logement s’est agrandi, la famille se retrouve le soir dans nouvelle pièce d’agrément, le salon; les enfants ont leurs chambres. Finies les tâches collectives en extérieur pendant lesquelles les femmes surveillaient et éduquaient ensemble tous les enfants indifféremment. Maintenant la femme est l’unique responsable de l’éducation de ses enfants. Ces derniers ne tarderont pas à « servir » d’indicateur social et à être utilisés comme des cibles marchandes. La fin du XXe siècle a atteint des sommets dans la marchandisation des enfants.

6. De nouveaux phénomènes génèrent de nouveaux métiers

• La psychologie des foulesCes changements de comportements sociaux préoccupent la bourgeoisie qui craint de perdre son hégémonie face à une société qui évolue et se libère. Ces consommateurs libres et turbulents vont inspirer une science nouvelle, la psychologie des foules. Venue des craintes des classes nanties, et nourrie des avancées de la psychologie, cette science donne lieu à des théories parmi lesquelles celle de Gustave Le Bon dont le livre La psychologie des foules, rencontre un grand succès. Il y défend l’idée qu’une foule répond à une action inconsciente collective qui prend le pas sur l’action consciente individuelle, de sorte qu’elle se met à obéir aveuglément à qui, par son charisme, est capable d’en prendre le contrôle.

• Les relations publiquesLes grandes entreprises vont rapidement devenir impopulaires. On leur reproche de prendre le pouvoir, de faire travailler les salariés dans de mauvaises conditions, le travail des enfants, la collusion avec le pouvoir politique, etc. Alors dès 1900, pour répondre à cette hostilité, un personnel dédié est embauché à la propagande. Il s’agit de légitimer l’entreprise, de flatter ses clients, de désamorcer les attaques. On invente le storytelling, on martèle une histoire, on s’exprime par voie de presse en décrivant une entreprise bienfaitrice et généreuse. Le métier de relation publique est né et ne cessera de prendre de l’importance au XXe siècle.

• La publicitéJusqu’à la fin du XIXe, la publicité était le descriptif d’un produit véhiculé par des images ou des magazines. Puis elle s’est mise à faire rêver. La presse a commencé à vendre de l’espace aux annonceurs. Le cinéma utilise les acteurs comme « supports ». La multiplication des images et le progrès de leur graphisme augmentent l’impact de cet imaginaire qui contribue à l’essor de la société de consommation. L’être humain est devenu individualiste et il rêve. Internet viendra installer pour de bon le règne de l’apparence et de l’image. Dès la fin du XIXe, on découvre l’insatisfaction et on souffre de voir ce que l’on ne possède pas !

7. La société de consommation engendre (et récupère) l’individualisme et l’anticonformisme

Les générations à partir des années 1880 ne connaissent que cette nouvelle société dans laquelle on se divertit et on recherche le plaisir. Elles fréquentent les cafés et payent pour s’amuser.

Avant elles, les loisirs étaient communautaires et gratuits, veillées, repas ou fêtes villageoises. Ils étaient corrélés aux récoltes, aux vendanges... Telle la danse qui illustre parfaitement ce changement de la société : jusqu’au XIXe siècle, les danses traditionnelles rythmaient le travail ; en Bretagne elles servaient à tasser la terre, on martelait le sol avec les sabots de bois très efficaces pour la terre battue d’une maison. Les danses étaient collectives, on dansait tous ensemble en se tenant les mains. Au XIXe apparaît la valse, qui fait scandale, car considérée comme érotique. Et, dès le XXe siècle, les danses se font de plus en plus individuelles.

Les jeunes deviennent une communauté à part entière qui crée son propre marché en dehors de celui des adultes. Ils ont leurs magazines et leur culture. L’adolescent (et tout le marché qui va avec) est « apparu » dans les années 1950 à la suite du baby-boom. Dans les années 1960, on fragmente encore en créant les rockers, puis dans les années 1970 les segments se multiplient. Ironie de l’histoire : plus les jeunes sont anticonformistes, plus ils favorisent la création de nouveaux marchés, exactement comme les dandys ou les garçonnes des années 1920. Plus ils rejettent la société et veulent devenir « cool », plus ils favorisent la consommation. Les publicitaires les suivent se faisant eux aussi provocateurs au point que l’anticonformisme devienne une mode.

8. Conclusion

Le consommateur se pense libre tout en subissant les diktats de la société de l’image. Elle l’incite à s’obséder de son apparence et le pousse dans une trame de réseaux sociaux qui confinent parfois à la vacuité. Esclave de son pouvoir d’achat et de sa recherche frénétique du bonheur, le consommateur découvre la frustration permanente. Il ne maîtrise plus les objets (qui peut encore bricoler sa voiture ?) il les fantasme. Le web le noie sous une accumulation d’offres.

Et cela s’accentue au rythme des progrès technologiques tout en faisant apparaître une nouvelle fragilité venue de nos interdépendances mondiales. Difficile pourtant d’imaginer inverser un système dans lequel tout autre choix que cette fuite en avant semble précaire. Nous avons bâti un monde où tout repose sur la puissance d’une société marchande qui porte la quasi-totalité de l’économie.

9. Zone critique

Un livre bien écrit qui se dévore comme un roman historique ! L’auteur a fait un choix original en se focalisant sur l’accélération des transports comme principale illustration de la Révolution industrielle. Cela lui permet de forcer le trait sur la notion de dissémination des phénomènes marchands au fil de la circulation des marchandises. Et il est vrai qu’il nous fait ressentir ainsi la sensation d’envahissement. Cela fait écho à une autre révolution plus proche de nous, celle d’Internet qui, elle aussi, s’est répandue sur le monde.

Cet angle permet de mieux appréhender l’effet de vague, comme un tsunami venu changer l’humanité de manière durable… et inéluctable ?

10. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Anthony Galluzzo, La fabrique du consommateur, Paris, Éditions La Découverte, Coll. « Zones », 2020.

Du même auteur– Anthony Galluzzo, Mythologie comparée des stars, comment les fans inventent leurs idoles, Paris, L’Harmattan, Coll. « Logiques sociales », 2015.

Autres pistes– Jean Baudrillard, La société de consommation, Paris, Gallimard, Coll. « Folio », 1996– Jean Baudrillard, Le système des objets, Paris, Gallimard, Coll. « Tel », 1978– Fernand Braudel, La dynamique du capitalisme, (1976), Paris, Flammarion, Coll. « Champs », 1988

© 2021, Dygest