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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Un Été avec Montaigne

de Antoine Compagnon

récension rédigée parCendrine VaretDocteure en Lettres Modernes (Université de Cergy-Pontoise).

Synopsis

Arts et littérature

En quarante chapitres clairs, concis et efficaces, Antoine Compagnon revisite l’auteur des Essais, rendant ainsi Montaigne accessible au plus grand nombre. Son analyse limpide, parsemée de nombreux extraits, met en évidence la portée actuelle de l’œuvre, soulignant son caractère intemporel et universel. Après avoir sélectionné quarante passages « sans ordre ni préméditation » et les avoir enrichis de ses commentaires et réflexions, il est parvenu à vulgariser dans le plus grand respect de son auteur, un ouvrage que tout lecteur aura plaisir à découvrir ou redécouvrir.

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1. Introduction

Paru en 2013, le livre d’Antoine Compagnon, Un Été avec Montaigne, fait suite à ses chroniques du même titre diffusées l’été précédent sur France Inter. Dans cet ouvrage, l’auteur revisite Montaigne à travers son œuvre majeure, les Essais. « […] il s’agit bien d’Essais, c’est-à-dire d’exercices ou d’expériences de pensée, de jeux d’idées, nullement d’un traité de philosophie ou de théologie » (p. 154).

Il reprend alors bon nombre de sujets traités par Montaigne, sans véritable ordre apparent. Il nous en propose ici une lecture, la sienne qui, grâce à ses commentaires ponctués de courts passages et extraits, rend accessible au plus grand nombre une œuvre qui ne l’est pas forcément. Il répond ainsi aux nombreuses questions que tout lecteur se pose face à ce monument littéraire : comment lire et comprendre les Essais ? Quel homme était Montaigne ? Quels messages voulait-il délivrer ? Passant en revue une multitude de thèmes chers à Montaigne, Antoine Compagnon offre un panorama quasi complet d’une pensée et de tout un art de vivre : le voyage, la médecine, la lecture, la culture, la nature, l’oisiveté, l’autre et soi, l’amitié, l’amour, la mort.

Grâce à l’auteur d’Un Été avec Montaigne, nous allons pouvoir revisiter et traverser les Essais en considérant l’aspect universel du livre puis en découvrant le portrait que Montaigne dresse de lui-même. L’analyse d’Antoine Compagnon permet de s’attarder sur les rapports que cet homme de la Renaissance entretenait avec le corps et l’esprit, puis sur l’une de ses pensées récurrentes, à savoir le doute concernant les bienfaits de la culture sur la nature. Car ne l’oublions pas, Montaigne était avant tout un éternel sceptique.

2. Les Essais, un livre universel

L’analyse conduite par Antoine Compagnon tout au long de son ouvrage rappelle au lecteur que les Essais de Montaigne, cinq siècles après avoir vu le jour, demeurent un livre universel dans lequel chaque individu peut s’identifier et se reconnaître au sein de valeurs et réflexions intemporelles. En effet, qui ne s’interroge pas sur la complexité des relations entre nature et culture ? Quel individu ne se questionne pas sur les « choses de la religion » ? Qui ne dialogue pas avec soi et avec les autres ? Qui ne s’épanche pas sur ses amitiés et ses amours ?

Antoine Compagnon en rappelle ainsi le caractère mouvant et pluriel, conduit par une pensée désordonnée prise dans les ajouts, annotations et autres « allongeails » d’une rédaction menée vingt ans durant, jusqu’à la mort de l’auteur en 1592. L’homme a évolué dans le même temps qu’il a fait son œuvre, il est donc normal que celle-ci évolue au même titre que celui qui l’a créée : « Je n’ai pas plus fait mon livre, que mon livre m’a fait » (p. 161) Les Essais deviennent alors un objet de réflexion sur les livres, l’écriture et la lecture dont il fait souvent l’éloge. C’est dans sa bibliothèque – la tour de Montaigne – qu’il se retire pour se réfugier, se mettre à l’abri des agitations extérieures, pour lire, méditer, écrire. Il se confie alors sur sa manière d’écrire, dont Antoine Compagnon nous dit qu’elle était « papillonnante » et « sans méthode », parfois aléatoire, se laissant guider par la rêverie.

C’est avec la même liberté qu’il aborde l’écriture dont il rejette les contraintes fixées par l’enseignement. Et c’est dans l’acte même d’écrire que l’on peut trouver l’origine des Essais. Car c’est bien pour remédier à ses angoisses et apprivoiser ses démons qu’il s’est mis à écrire cette œuvre. Œuvre qui lui fera aborder la question du temps perdu, le temps du doute quant à l’utilité et la nécessité d’une telle entreprise.

Enfin, s’il est un thème universel, c’est bien celui de la mort, et le livre de Montaigne est aussi une réflexion sur la mort, une manière de s’y préparer, car, comme pour Socrate, pour lui, « philosopher c’est apprendre à mourir » (p. 37).

3. Autoportrait d’un homme ordinaire

Même s’il se plaisait à dresser la liste de ses défauts, Montaigne tenait avant tout à transmettre une image positive de l’homme qu’il était. Une image d’honnête homme, sincère, simple et accessible, humble, sage et modeste. « Je veux qu’on m’y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans étude et artifice : car c’est moi que je peins » (p. 51).

Pour cela en effet, rien de tel que de se dépeindre et se raconter à travers des événements personnels et des moments de vie privée. Et c’est d’ailleurs en se décrivant qu’il parviendra à savoir qui il est réellement et à identifier les philosophies dont il se sent le plus proche. Ainsi, l’ouvrage d’Antoine Compagnon met-il en évidence la dimension autobiographique contenue tout au long des Essais.

Au fil de leur rédaction, apparaît discrètement et progressivement le portrait que Montaigne dresse de lui-même, de son époque et du monde qui l’entoure. Le lecteur apprend qui il est, ce qu’il fait, ce qu’il aime, ce qu’il condamne, des anecdotes les plus futiles aux éléments les plus essentiels de sa vie. C’est ainsi qu’il apprendra que Montaigne avait mauvaise mémoire et qu’il savait en tirer parti, qu’une chute de cheval le fit s’approcher au plus près de la mort, que c’est en voyageant qu’il parvint à un certain équilibre, et qu’il découvrira ses habitudes de lecture.

Montaigne aime étudier la vie des autres, il semble dès lors naturel, comme le souligne Antoine Compagnon, qu’il se penche sur la sienne : « Amateur de vies, Montaigne s’est donc mis à écrire la sienne » (p. 148).

Cet autoportrait est également l’occasion d’un réel examen de conscience de la part de l’auteur des Essais. Véritable introspection, il lui permet de s’interroger sur la vie, sur ses nombreuses contradictions, de rendre compte de son rapport au monde, de sonder ses valeurs morales telles que la justice, l’égalité et la liberté.

4. Le corps et l’esprit

Montaigne entretient des rapports compliqués avec le corps et l’esprit, et témoigne de l’influence de l’un sur l’autre. Il développe la théorie de l’identité avant Descartes et Freud et, comme le souligne Antoine Compagnon, il s’interroge : « Où est notre moi ? ».

Il conçoit en fait la vie comme une dialectique entre moi et autrui et se représente l’identité sous la forme métaphorique d’une scène de théâtre psychique où seraient réunis et combattraient l’esprit, la volonté et l’imagination. Et c’est bien souvent la force de l’imagination qui complexifie les rapports entre l’esprit et le corps. Pour illustrer l’influence du premier sur le second, Antoine Compagnon cite le cas de l’hermaphrodite, né fille que Montaigne rencontra lors de l’un de ses voyages et qui, par la puissance de son désir est devenu homme.

La vieillesse et les défaillances qui affectent le corps semblent également préoccuper l’homme de lettres, notamment celles liées à son ardeur virile. Il s’exprime d’ailleurs très librement sur sa sexualité, brisant ainsi le tabou et la honte qui nous empêchent habituellement de parler de sexe. Au bénéfice de l’art qui, par le biais de poèmes et de peintures, parvient à l’évoquer beaucoup plus ouvertement. Le corps, cela renvoie aussi à la reproduction et aux mystères dont elle s’entoure. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, la médecine n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui, que ses connaissances étaient plus incertaines. Et qu’il ne faisait absolument pas confiance aux médecins qu’il considère comme des charlatans et des incapables, eux qui « rendent la santé malade », comme il se plaisait à l’écrire. Les maladies font partie de la nature, il ne faut pas la contrarier, il faut la laisser agir. Plus l’homme demeure près d’elle, mieux il se porte.

Enfin, les dimensions spirituelle et corporelle se retrouvent associées lorsque Montaigne compare la lecture – celle de l’instruction et des savoirs – à la digestion. En effet, selon lui, la lecture doit être assimilée au même titre qu’une nourriture doit se ruminer si l’on veut que sa substance nourrisse à la fois l’esprit et le corps.

5. Nature et culture

Dès le début de son livre, dans le chapitre 4 intitulé « Les Indiens de Rouen », Antoine Compagnon met l’accent sur une des constatations pessimistes de Montaigne qui en fait une des grandes pensées des Essais, à savoir l’opposition entre la nature et la culture.

Ainsi, le contact du Vieux Monde avec le Nouveau ne peut que dégrader le premier, et la culture que corrompre à la nature. Montaigne n’hésite pas à parler alors de véritable « contagion ». « Les Indiens sont sauvages au sens non de la cruauté, mais de la nature – et nous sommes les barbares » (p. 28), commente Antoine Compagnon. Car la nature est synonyme d’innocence alors que la culture ne peut qu’affaiblir les individus et les sociétés. Selon Montaigne, la découverte de l’Amérique et les premières expéditions coloniales ne peuvent qu’être sources d’inquiétude et de décadence. Il cite alors l’exemple de Rome qui ne doit sa ruine qu’au développement des arts et des sciences qu’il oppose à la nature ignorante. Il tient ici la preuve qu’un État trop savant court irrémédiablement à sa perte.

En opposant ainsi la nature à l’artifice de la culture, il dénonce l’influence néfaste que la culture exerce sur un « monde enfant ». Force est de constater que Montaigne demeure très méfiant à l’égard de la nouveauté, du changement et du progrès en qui il voit des ennemis à l’origine de l’injustice et de la tyrannie. Son scepticisme en fait un véritable conservateur, défenseur invétéré des coutumes et des traditions.

La bonne nature doit être son alliée contre le mauvais artifice. Antoine Compagnon revient alors sur la fin des Essais qui revendique l’acceptation de la vie telle qu’elle est offerte à tous et présente Montaigne comme « l’homme nu, soumis à la nature, approuvant son sort, notre frère . »

6. Montaigne, le sceptique

L’ouvrage d’Antoine Compagnon dresse l’inventaire des qualités et des défauts de Montaigne, ses habitudes, ses théories, ses croyances et ses valeurs, sa personnalité et son caractère. S’il fait l’éloge de l’oisiveté, de la méditation et de la lecture, s’il prône la tolérance, l’indulgence et la loyauté, s’il revendique des qualités humaines telles que la foi et la fidélité, s’il se définit comme un homme droit, honnête et sincère, en revanche Montaigne n’hésite pas à faire part de ses nombreux doutes sur maints sujets. Et Antoine Compagnon identifie clairement le scepticisme de Montaigne comme une de ses doctrines fondamentales.

Nous avons ainsi découvert précédemment qu’il demeure très sceptique à l’égard de la nouveauté et de tout changement. Il en va de même dans le domaine des lettres et il revendique sa méfiance à l’égard des mots et de la rhétorique. Contrairement à Érasme (1467-1536), il ne croit pas à la supériorité de la plume sur l’épée. Il en viendra même à douter de sa propre création, faisant part de ses incertitudes sur le sens et la qualité des différentes phases de rédaction et d’expansion de ses Essais. Il remet également en question les tortures lors des procès de sorcellerie, « Et suis l’avis de saint Augustin, qu’il vaut mieux pencher vers le doute, que vers l’assurance, ès choses de difficile preuve, et dangereuse créance » (p. 22). Concernant la religion, là encore Montaigne semble douter et il reste difficile de le situer en tant que catholique, athée ou libertin avant les Lumières. Selon lui, les religions se transmettent à travers la coutume et les superstitions d’usage au pays. Mais « Le “scepticisme chrétien”, comme on dit, c’est – avant le pari de Pascal – le doute qui mène à la foi » (p. 168).

Avec le stoïcisme et l’épicurisme, le scepticisme est la troisième philosophie à laquelle Montaigne est souvent associé. Cette incertitude du jugement et cette inconstance des actions en font un être contradictoire et paradoxal. Mais c’est bien ce doute qui le rend si humain, si proche d’autrui et de nous.

7. Conclusion

Le tour de force de l’ouvrage d’Antoine Compagnon consiste à faire des Essais un livre tout à fait accessible. Désormais tout le monde peut comprendre Montaigne, prendre plaisir à lire et analyser ses méditations.

En reprenant de manière très explicite ses grands préceptes et en commentant Montaigne au présent, il l’immortalise et pérennise sa pensée au point de faire oublier au lecteur qu’il n’est pas un de nos contemporains.

En quarante chapitres construits autour de passages et d’extraits hétéroclites, il revisite et parvient à dresser un portrait très clairvoyant de l’homme de lettres et de son univers. L’écriture rythmée et fluide, concise et stimulante d’Antoine Compagnon donne irrémédiablement envie de lire ou relire les Essais, de passer bien d’autres saisons encore en sa compagnie.

8. Zone critique

Antoine Compagnon est le seul écrivain à accomplir la prouesse consistant à vulgariser un tel monument comme Montaigne. Il permet ainsi au lecteur de s’interroger sur les pensées de l’écrivain et de les prolonger au point de se les approprier.

Son ouvrage met en évidence la dimension autobiographique de l’œuvre et n’est pas sans rappeler que les Essais marqueront Blaise Pascal (1623-1662) et Jean-Jacques Rousseau (1712-1778). Dans Les Confessions – Livre 1, ce dernier semble même oublier que deux siècles plus tôt Montaigne aurait pu prendre à son compte ce qu’il énonce clairement : « Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple, et dont l’exécution n’aura point d’imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi . »

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé

– Un Été avec Montaigne, Paris, Éditions des Équateurs/France Inter, coll. « Parallèles », 2013.

Du même auteur

– Nous, Michel de Montaigne, Paris, Éditions du Seuil, 1980.– Proust entre deux siècles, Paris, Éditions du Seuil, 1989. (Rééd. 2013)– La Littérature, pour quoi faire ?, Paris, Collège de France/Fayard, « Leçons inaugurales du Collège de France », 2007.– Un Été avec Baudelaire, Paris, Éditions des Équateurs/France Inter, coll. « Parallèles », 2015.

Autres pistes

– Michel de Montaigne, Essais, Paris, Pocket, 2009.– Michel de Montaigne et André Laly (dir.), Les Essais (en français moderne), Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2009.

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