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Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Arlette Jouanna
Ce livre apporte un éclairage sur la noblesse française pour la période allant des guerres de Religion à la Fronde. Arlette Jouanna y scrute non seulement son action, mais aussi ses réactions intellectuelles et psychologiques, ainsi que sa diversité. C’est à partir de ces révoltes que l’idéal de la noblesse se construit : se dégagea lentement une théorie politique plus ouverte sur la recherche de moyens institutionnels susceptibles d’incarner les aspirations de ce groupe. Au carrefour de l’histoire politique, de l’histoire sociale et de l’histoire des idées, la démarche de l’historienne apporte une contribution décisive à l’étude des relations entre pouvoir et société dans la France d’Ancien Régime.
L’ouvrage proposé s’intéresse au siècle qui sépare les règnes de Henri II ( 1547- 1559) et de Louis XIV (16436- 1715). Il s’agit d’un temps où se proclamer « malcontent » était, pour les nobles, se prévaloir d’un statut quasi officiel d’opposant à la politique royale. En l’absence d’institutions vraiment efficaces permettant de s’exprimer légalement, le recours à la violence apparaissait comme un moyen normal de faire entendre sa voix : les malcontents qui avaient à se plaindre du roi ou de ses conseillers prenaient les armes pour faire pression sur lui et alerter l’opinion.
Ces révoltes ont rassemblé des hommes issus de catégories sociales variées, mais leurs chefs étaient des gentilhommes, parmi lesquels on comptait les plus grands noms de la noblesse. Ils poursuivaient un but commun, par-delà la diversité de leurs convictions religieuses : il s’agissait pour eux de promouvoir une plus grande participation des sujets au gouvernement.
Alors que le pouvoir royal se renforce, prétendant être la seule source de la noblesse et l’unique instance de décision, la noblesse se cherche une utilité politique. Les prises d’armes ont été un effort désordonné et souvent désespéré devant l’évolution absolutiste de la monarchie, pour faire triompher une autre conception du pouvoir et des hiérarchies sociales : pour ces nobles, se révolter était un devoir.
Dans un premier temps, Arlette Jouanna rappelle les caractères principaux de la condition nobiliaire au début de ce que les historiens appellent « l’époque moderne », autrement dit la période qui s’étale du XVIe au XVIIIe siècle.
Pour ce faire, elle pose une question simple : comment distinguer un noble d’un roturier ?
Si, pour quelques grandes familles à l’instar des Montmorency ou des Rochechouart, l’hésitation n’est pas de mise, lorsque l’on descend au niveau des simples gentilhommes, la zone de démarcation est bien plus floue et indistincte. En effet, il est démontré que les privilèges fiscaux ou juridiques dont jouissait la noblesse étaient à la fois différents d’une région à l’autre du royaume et usurpables. Il est donc très difficile de les utiliser pour caractériser cet ordre. En outre, la noblesse n’était pas juridiquement définie ni quantifiable, il est seulement possible d’avancer un ordre de grandeur situé autour de 1% de la population du royaume.
Le style de vie pratiqué était un élément constitutif de ce groupe. Pour être réputé noble, il fallait à la fois être issu d’une lignée et se conformer à un idéal social. Il ne fallait pas pratiquer de travaux aliénants comme ceux de l’artisan ou du marchand, considérés comme des métiers qui blessaient la dignité humaine. Le travail paysan était moins méprisé et il était communément admis que le noble puisse travailler son domaine, à son propre compte, aidé par ses domestiques. La noblesse tirait, en effet, sa stabilité et sa puissance de la terre. Mais la gestion d’un domaine ne suffisait pas toujours, pour un noble, à satisfaire le désir d’illustrer son nom, le besoin impérieux d’être plus grand, d’accroître son prestige, son pouvoir et sa richesse. Ces ambitions jetaient bien des gentilhommes hors du manoir familial pour conquérir des charges et des dignités, qu’ils considéraient comme des récompenses de leur vertu.
Enfin, la noblesse n’était pas un ordre fermé : tous savaient bien que les guerres et la stérilité diminuaient son nombre. Empêcher un sang neuf de venir la reconstituer aurait signé l’extinction de la noblesse à long terme.
L’anoblissement était ainsi accepté, mais il devait être rare, et lent, pour avoir l’allure d’un processus naturel. Il pouvait être concrétisé par une lettre d’anoblissement, qui imposait l’idée que toute noblesse émanait du roi, ou par l’acquisition d’un office anoblissant, comme celui de trésorier de France.
Arlette Jouanna s’intéresse ensuite aux sources historiques du mécontentement des nobles. Elle se penche sur les Mémoires, les pamphlets et les écrits des gentilshommes où ces derniers expriment avec intensité leurs frustrations. La réalité du malaise des nobles, aux XVIe et XVIIe siècle, ne fait aucun doute.
L’historienne déconstruit toutefois des stéréotypes qui circulent sur la noblesse du temps, en particulier la question de son appauvrissement et de la perte de son pouvoir politique. Elle démontre que la tendance générale est plutôt à l’enrichissement et nuance fortement le recul politique. De façon générale, l’idée d’un déclin de la noblesse est à revoir.
Plusieurs cas de mécontentement nobiliaire sont présentés. Il pouvait s’agir de fils qui s’estimaient lésé par la lourdeur de l’autorité paternelle ou par un partage inégal des biens. Il existait également des individus qui considéraient avoir mal été récompensés par leur maître. Les ruptures des liens provoquaient souvent des explosions d’émotions violentes. Mais il arrivait également que ces manifestations de mécontentement fussent des conduites calculées et soigneusement mises en scènes à des fins de publicité.
En effet, se déclarer « malcontent », c’était proclamer que l’on était libre et que ses services étaient de nouveau disponibles pour un nouveau maître. Les choses n’étaient guère différentes lorsque le maître ingrat était le roi ; seulement, dans ce cas, les mécontentements pouvaient prendre l’allure d’une affaire d’État. Les souverains étaient assaillis de demandes pour obtenir telle ou telle charge ; la tentation était grande, pour eux, de s’en tirer avec des promesses, qui fatalement ne seraient pas tenues. C’est ainsi que Catherine de Médicis agissait souvent, et c’est ainsi qu’elle se fit une fâcheuse réputation auprès de la noblesse.
Ces éléments furent aggravés, au cours du siècle qui sépare 1559 de 1661, par des facteurs conjoncturels. D’abord, la faiblesse de l’autorité monarchique, liée à l’âge ou à la personnalité des souverains. Il y eut aussi le monopole des bienfaits accordés par le roi à un petit groupe de favoris. Ce fut notamment le cas des Guise sous François II, ou des « mignons » sous Henri III. Enfin, il existait la question religieuse : la conversion au protestantisme d’un certain nombre de nobles contribua à poser de façon aiguë la question de la distribution des charges, alors qu’ils n’avaient nullement l’intention de renoncer à leurs ambitions. D’une manière générale, les gentilshommes étaient prompts à conclure, d’un manquement du roi à l’égard de telle ou telle personne, à l’existence d’une politique royale délibérément agressive envers la noblesse toute entière.
Dans la seconde partie de son ouvrage, Arlette Jouanna étudie les principales révoltes de la période 1559-1661, autrement dit des bornes chronologiques qui englobent à la fois les guerres de Religion et la Fronde. L’historienne fait débuter son récit par la mort de Henri II, le 30 juin 1559 : lors d’un tournoi donné en l’honneur des mariages qui scellaient la paix entre la France et l’Espagne, le roi fut blessé à mort. La lance de son partenaire, le comte de Montgomery, a pénétré dans son œil gauche, y laissant un éclat que les chirurgiens ne purent enlever.
Dix jours plus tard, il mourut. Cela alourdit considérablement une conjoncture préoccupante. Le royaume était divisé religieusement, le déficit du royaume était énorme, et la crise politique ouverte par la mort du roi fit entrer la France dans une ère de troubles marqués par les révoltes nobiliaires.
Parmi celles-ci, il y eut notamment la Conjuration d’Amboise de mars 1560 : des gentilshommes protestants ont alors tenté d’enlever le roi François II pour le soustraire à l’influence grandissante des Guise, catholiques zélés, jugés trop proches de lui. De même, l’historienne étudie les premières décennies du XVIIe siècle durant lesquelles les révoltes se multiplièrent, et pour plusieurs raisons.
Sous Louis XIII et Louis XIV, ce fut principalement à cause des faiblesses liées aux enfances des deux rois, mais aussi en raison de incertitudes provoquées par l’absence d’héritier royal de 1616 à 1638, ou à la brutalité des politiques menées par Richelieu et Mazarin. C’est de cette manière que les régences de Marie de Médicis et d’Anne d’Autriche furent des périodes troublées, durant lesquelles les grands souhaitaient faire entendre leur voix. Le sentiment de sécurité que la noblesse espérait d’un roi fort s’estompait, favorisant les conspirations contre le pouvoir en place.
L’apport majeur d’Arlette Jouanna dans l’étude de ces révoltes réside dans le lien qu’elle propose pour tous ces événements. En effet, ces prises d’arme manifestent toutes la même logique : contre les violations tyranniques, qu’elles soient le fait du roi ou surtout de ses favoris ou des Grands qui assurent le pouvoir, la noblesse considérait avoir le devoir de protéger l’État menacé, ce qui était tout à la fois un réflexe de défense de ses privilèges spécifiques et de défense d’une forme de fonctionnement collectif.
Dans la troisième partie de son ouvrage, Arlette Jouanna analyse les programmes des protestataires. Elle scrute, entre autres documents, l’énorme corpus de libelles, pamphlets, traités, chansons et gravures nés durant la Fronde et désignés sous le nom de « mazarinades », du nom de leur principale cible : Mazarin.
L’historienne explique que ces écrits étaient actifs, offensifs et devaient faire naître l’indignation du lecteur. Ils étaient manipulateurs dans la mesure où ils cherchaient à susciter l’émotion autant que la conviction et à provoquer une prise active de parti. Ils constituaient, de ce fait, d’efficaces instruments de propagande politique.
À travers une étude du vocabulaire utilisé par les auteurs des textes de la période 1559-1661, Arlette Jouanna montre que les révoltes étaient tournées vers une quête de redéfinition de certaines notions, comme les « lois fondamentales du royaume ». Avec l’évolution monarchique vers le pouvoir absolu, le roi s’était en effet peu à peu affranchi de nombreuses lois restrictives de son autorité. Dès la fin du XVIe siècle, il ne resta finalement plus que, outre les lois naturelles et divines, la loi salique et la loi d’inaliénabilité du royaume, auxquelles s’ajouta le principe de catholicité du roi à l’avènement de Henri IV . L’historienne explique que dès François Ier, le combat des monarques et de leurs légistes portait en premier lieu sur leur droit à casser et modifier les lois, toutes les lois.
Aussi, les révoltes nobiliaires qui se sont produites de la mort de Henri II à l’avènement du règne personnel de Louis XIV ont toute arboré la bannière du « Bien public ». Les écrits montrent que les nobles partageaient l’idée selon laquelle la personne individuelle du roi ne devait pas être la seule détentrice de l’autorité. Les nobles aspiraient à une monarchie dans laquelle ils joueraient un rôle, et les États du royaume devaient également être associés à l’élaboration des décisions politiques. De cette manière, la monarchie pourrait être mixte, c’est-à-dire qu’elle comporterait certains éléments d’aristocratie (pouvoir de la noblesse) et de démocratie (pouvoir du peuple, les États-Généraux ).
Toutes ces aspirations auxquelles le pouvoir ne répondait pas rendaient légitime la prise d’arme de la noblesse, afin de contrer la dérive considérée comme tyrannique du pouvoir. Le devoir de révolte était, pour ces individus, la seule issue possible.
Les révoltes offraient des occasions de rencontres et faisaient naître une émulation, parce qu’elles étaient avant tout le fruit d’unions entre les nobles. En ce sens, Arlette Jouanna signale qu’il existait de nombreuses formes d’associations, notamment des « conjurations », faites de « conjurés », c’est-à-dire d’individus liés par un même serment. De même, la Fronde fut un temps particulièrement favorable pour les assemblées nobiliaires, dont les membres s’unirent pour défendre les privilèges et porter secours à ceux qui, parmi eux, seraient menacés dans leur personne ou leurs biens.
Lorsqu’ils se révoltaient, les gentilshommes accomplissaient des actes et faisaient des gestes par lesquels ils s’exprimaient tout autant que dans leurs manifestes. L’analyse de leurs comportements permet de déceler des constantes, des habitudes et des règles qui donnent à leurs mouvements une allure ritualisée. L’historienne décrit en ce sens la présence habituelle de trois étapes dans la révolte. Dans un premier temps, il y avait la réunion d’une armée aussi nombreuse que possible. Ainsi, les amis et clients de ces nobles étaient d’abord contactés, afin qu’ils mobilisent à leur tour leurs propres réseaux. Puis il y avait l’appel à une aide étrangère, qui ne signifiait pas un manque de sens national de la part de ces individus, mais bien représentait une arme dissuasive destinée à rendre plus efficace leur demande. Enfin, il y avait la saisie de places stratégiquement situées, la possession de certaines villes constituant un élément nécessaire pour négocier en position de force.
L’étude du financement de ces révoltes fait également apparaître d’autres constantes. Ces événements s’alimentaient habituellement à quatre sources : il y avait généralement une aide de l’étranger, l’argent personnel des révoltés, la saisie des impôts royaux dans les provinces contrôlées par les rebelles, ainsi que les bénéfices de guerre proprement dits (rançons, amendes, butins). Mais le gain financier n’était pas, dans l’esprit de ces hommes, un motif de révolte : les bénéfices ont sans doute été rares. Comptaient davantage, pour les grands, les gains d’influence ou les charges obtenues.
Pendant le siècle qui sépare la mort accidentelle de Henri II de l’avènement personnel de Louis XIV, s’est produite une mutation majeure des structures de l’État. Une grande partie des Français ne fut plus consultée dans la gestion du pouvoir. De même, les nobles ont durement ressenti la volonté de la monarchie de les contrôler ; ils n’acceptaient pas l’idée que leur légitimité dépendît de la seule volonté du roi, qui pouvait faire et défaire des nobles à sa guise. Par ses révoltes, la noblesse traduisait le refus de la dépossession des sujets du royaume, et d’abord la sienne. Ils protestaient contre le silence dans lequel les gouvernés étaient peu à peu enfoncés, les privant d’assemblées représentatives. Ils s’élevaient ainsi contre le gouvernement d’un seul, unique juge. Il fallut attendre Louis XIV pour que le temps des révoltes se calmât, dans un changement spectaculaire : désormais, le roi fournissait à la noblesse la sécurité à laquelle elle aspirait, en exerçant avec fermeté son pouvoir d’arbitrage, et sans laisser à quelques favoris seulement ses bienfaits.
Ainsi, Arlette Jouanna conclut son ouvrage sur le règne du roi Soleil, le qualifiant de chef-d’œuvre d’habileté.
Traitant abondamment le thème politique, cet ouvrage reste pourtant et avant tout une étude d’histoire sociale. Il permet de mieux connaître la noblesse d’Ancien Régime dans ses structures internes, dans ses relations avec les autres groupes, dans ses relations avec le pouvoir. De même, les comportements et les attitudes analysés ouvrent de nombreuses pistes d’histoire des mentalités.
D’une manière générale, Arlette Jouanna fournit avec des explications toujours limpides, détaillées et nuancées, un éclairage sur les théories et les mythes qui entourent la noblesse. Les exemples concrets utilisés par l’historienne viennent enrichir ses propos et conditionnent le plaisir du lecteur. Ce livre demeure incontestablement indispensable pour connaître, et comprendre, l’époque moderne.
Ouvrage recensé
– Le Devoir de révolte. La Noblesse française et la gestation de l'État moderne: 1559-1661, Paris, Fayard, 1989.
De la même auteure
– La France du XVIe siècle : 1483-1598, Paris, PUF, 1996.– La France de la Renaissance, Perrin, coll. « Tempus », 2001– La Saint-Barthélemy. Les Mystères d'un crime d'État. 24 août 1572, Paris, Gallimard, 2007.– Le Pouvoir absolu : Naissance de l'imaginaire politique de la royauté, Paris, Gallimard, 2013.
Autres pistes
– Laurent Bourquin, La noblesse dans la France moderne (XVIe-XVIIIe siècles), Paris, Belin, coll. « Histoire », 2002.
– Jean-Marie Constant, La vie quotidienne de la noblesse française aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, Hachette, 1985.
– Hélène Germa-Romann, Du « bel mourir » au « bien mourir ». Le sentiment de la mort chez les gentilhommes français (1515-1643), Genève, Droz, 2001.
– Nicolas Le Roux, Le Roi, la cour, l’Etat. De la Renaissance à l’Absolutisme, Seyssel, Champ Vallon, 2014.