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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

La Justice du roi

de Arlette Lebigre

récension rédigée parBruno Morgant TolaïniEnseignant à l'université de Nîmes et docteur de l’EHESS en histoire moderne.

Synopsis

Histoire

L’objet de La Justice du roi est de révéler à quel point l’institution judiciaire tenait, dans la vie des hommes et des femmes de la France d’Ancien Régime, une place dont nous mesurons mal l’importance. On y apprend ainsi qu’il était de bon ton pour un seigneur ou une dame de la campagne de se rendre à la ville pour y suivre les procès. On y apprend également que les juridictions du temps n’étaient pas aussi rigoureuses qu’on a bien voulu le dire. L’« intime conviction » du juge, dont on fait désormais un des principes fondamentaux du droit, était alors interdite aux magistrats qui devaient s’appuyer sur des preuves pour statuer sur le sort d’un accusé. De même, la misère qui poussait au vol d’aliments bénéficiait en général de larges circonstances atténuantes. Le nombre de condamnations par contumace démontre aussi qu’en l’absence de moyens rapides de communication et de renseignements administratifs indispensables à l’identification des suspects, la fuite était un bon moyen de se soustraire à la justice.

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1. Introduction

S’appuyant sur des textes de loi et sur la jurisprudence puisée dans les archives, Arlette Lebigre corrige un grand nombre d’idées reçues à l’égard de la justice d’Ancien Régime. Elle démontre ainsi que la répression de la prostitution, que l’on dit parfois avoir été trop sévère au point d’être odieuse, n’a pas été aussi rude qu’on le pense généralement : si les ordonnances de police du XVIIIe siècle menaçaient les filles de joie d’avoir le nez coupé, on ne trouve aucune trace d’une telle sanction dans les jugements.

Par ailleurs, interprétant mal un terme juridique, on voit souvent soutenir que la justice d’Ancien Régime était « arbitraire », alors que l’arbitraire judiciaire reconnu aux magistrats est d’un tout autre ordre : il leur permettait (comme c’est d’ailleurs le cas aujourd’hui), de mesurer la peine et d’adapter la sanction aux circonstances du crime et à la personnalité du criminel. D’une manière plus générale, l’historienne indique que les juridictions du temps n’étaient souvent pas aussi rigoureuses que l’image qu’elles nous ont laissée : bien des accusés étaient souvent relâchés sans autre forme de procès, et près d’une instruction sur deux était abandonnée.

L’historienne n’occulte toutefois pas le côté sombre de cette justice, qui commettait des erreurs, était parfois excessive, voire barbare. Ainsi Arlette Lebigre n’hésite pas à relever l’intolérable attitude des souverains à l’égard de ceux qui leur portèrent ombrage, à l’instar de l’arrestation de Nicolas Fouquet par Louis XIV, en 1661. Ce travail ne constitue ainsi pas une œuvre de réhabilitation : il dresse un panorama aussi large que possible de la vie judiciaire d’Ancien Régime, rétablit la vérité historique, mais corrige aussi quelques clichés.

2. Les justices médiévales

Au même titre qu’il faisait cohabiter une grande variété de poids et mesures, de monnaies, de taxes et d’impôts, le Moyen Âge ne connaissait pas une justice, mais des justices. En effet, le pouvoir était alors morcelé entre de multiples détenteurs et la souveraineté d’un individu sur une terre résidait dans son pouvoir de justice, comme en témoignait l’expression courante « J’ai toute justice sur cette terre ». Terre-pouvoir-justice étaient donc inséparables. Tout seigneur, maitre de la terre, avait le droit de juger les hommes sur son territoire qui lui payaient des impôts, l’aidaient à assurer la défense commune, utilisaient sa monnaie et étaient justiciables devant ses tribunaux.

Partant de ce constat, la justice seigneuriale était-elle un droit ou un devoir ? Les deux. Sans elle, qui aurait jugé une querelle entre deux paysans ? Qui aurait poursuivi l’assassin, le voleur ou l’incendiaire ? Elle était particulièrement importante pour le maintien de l’ordre, car la vengeance n’était jamais loin : mieux valait une justice privée qu’une vendetta généralisée. Elle n’était pourtant pas synonyme de justice arbitraire : le seigneur, ou plus fréquemment son représentant (selon les régions un prévôt, un viguier, un bailli ou un sénéchal), ne jugeait pas selon son bon plaisir ni d’après des lois dont il était lui-même l’auteur. Le droit médiéval était essentiellement coutumier, plus ou moins teinté de droit romain en fonction du lieu. Or la coutume s’imposait à tous, seigneurs et manants, aussi longtemps que tous, d’un commun accord, ne la modifiaient pas ; c’était là le frein le plus efficace à d’éventuelles dérives seigneuriales.

La justice de l’Église constituait aussi un obstacle à une justice unifiée. Née dans les derniers temps de l’Empire romain, elle avait su préserver ses compétences sur ceux qui faisaient partie de l’institution ecclésiale (les clercs), qui étaient soustraits à la justice seigneuriale par un privilège, ainsi que sur les laïcs chaque fois qu’un procès touchait de près ou de loin au domaine réservé de l’Église (crimes contre la foi ou le dogme, infractions considérées comme des péchés, causes relatives aux mariages, à la filiation ou aux contrats passés sous serment). Enfin, l’Église proposait, dans un esprit purement caritatif, le secours de sa justice aux plus humbles qui craignaient la partialité des tribunaux laïcs en faveur d’un adversaire plus fortuné ou mieux né.

3. La justice comme marchandise

Le 12 décembre 1604, une déclaration royale de Henri IV déclarait la patrimonialité des offices de justice : contre le versement d’une taxe annuelle (la paulette, du nom du financier Paulet, père de ce système), des charges pouvaient être données, vendues, héritées, comme un bien propre. Pour le bien du Trésor, le roi créait des offices et les cédait, épargnant quelque peu ses sujets du poids écrasant de l’impôt. C’est à cette date que l’historienne date l’instauration d’une fonction publique, alors vendue par l’institution monarchique. Désormais, les plus ignorants eux-mêmes pouvaient recevoir en héritage ce que jusque-là seules des études de droit permettaient d’acquérir.

Le nombre d’officiers de justice augmenta donc considérablement, en dépit de coûts très élevés de ces offices par rapport aux revenus qu’ils procuraient. Car il ne s’agissait pas seulement d’un placement financier, plus ou moins rentable : l’office était surtout un moyen de promotion sociale qui a contribué à la montée d’un tiers état urbain autre que celui des métiers ou du commerce. Ce phénomène était si présent que le commerce des charges était souvent considéré comme une « savonnette à vilains », pour reprendre l’expression du temps.

Se constituèrent ainsi de grandes familles de magistrats, dont certains se plaisaient à rappeler le néant des origines ou le titre de noblesse acquis de date fraîche. Ainsi, Christophe de Thou (1508-1582), nommé premier président du Parlement de Paris en 1567, était fils, frère, père et grand-père de conseillers et présidents de la même cour. Les alliances étaient fréquentes entre ces lignages et les filles, comme dans les familles de la noblesse, constituaient des pions sur l’échiquier des stratégies matrimoniales.

Toujours plus nombreuse et plus présente dans la société d’Ancien Régime, la magistrature fut l’objet de nombreux reproches de la part des contemporains, qui ne voyaient pas toujours cette prolifération d’un très bon œil. Le niveau de connaissances était rarement mis en cause, car il incombait à la juridiction qui recevait un nouvel officier d’enquêter sur lui et de contrôler ses aptitudes à exercer, ce qui pouvait rassurer les sceptiques. Mais l’absentéisme était souvent pointé du doigt ainsi que des abus plus graves comme la violation du secret des délibérations, au point que la chancellerie dût intervenir en 1713 à propos d’indiscrétions commises à Lons-le-Saunier.

4. Une justice indépendante ?

Arlette Lebigre revient également sur les liens qui unissaient le lys et l’hermine : comment assurer une indépendance à la justice et aux magistrats en plein développement de l’absolutisme monarchique ? Jusqu’au règne personnel de Louis XIV, les cours de justice demeuraient globalement libres et les monarques ne se risquaient pas à intervenir dans les procès ou les procédures. Puis le pouvoir ne se retint plus : l’historienne nous apprend ainsi que Colbert s’intéressa fortement à l’institution. Croyant en l’efficacité des galères, sinon comme peine, du moins pour protéger les navires de commerce contre les ennemis du roi en temps de guerre, il souhaitait que les cours condamnent le plus grand nombre possible de criminels à « servir le roi en ramant » plutôt que les envoyer se balancer au bout d’une corde sans aucun profit pour l’État.

Le pouvoir pouvait également intervenir en imposant la création d’une cour extraordinaire de justice pour des cas bien précis. Si étonnant que cela puisse paraître, le régicide, manqué ou réussi, n’a jamais été soumis à de telles juridictions et Ravaillac fut jugé devant le Parlement de Paris. Mais lorsque le roi souhaitait obtenir coûte que coûte une condamnation exemplaire, il pouvait faire instaurer un tel tribunal. Le procès du surintendant Fouquet demeure l’archétype de ces causes célèbres, à vrai dire peu nombreuses, mais qui ont marqué l’histoire judiciaire tant par la personnalité des accusés que par l’acharnement mis à les éliminer.

L’historienne précise que les faits reprochés n’étaient pas tous imaginaires, mais que le ministre de Louis XIV, dont la devise était Quo non ascendet [jusqu’où ne montera-t-il pas ?], était devenu l’homme à abattre, et il fut abattu. On lui composa une cour sur mesure, toute dévouée à son pire ennemi Colbert. L’instruction fut menée uniquement à charge, des pressions constantes furent exercées sur les magistrats et il y eut également un coup de théâtre final : au lieu du bannissement prononcé, Fouquet fut condamné à un emprisonnement à vie à la forteresse de Pignerol sur décision du roi lui-même, unique exemple dans toute l’histoire d’une condamnation aggravée par décision royale.

5. La violence et la peur

L’ouvrage s’intéresse aussi à la notion de violence qui entourait la justice et à laquelle elle était profondément liée. Elle était d’abord le fait des actes commis : sur les différents crimes dont s’occupait la justice d’Ancien Régime, Arlette Lebigre se penche plus spécialement sur le cas du meurtre, qui occupait une place importante au point de représenter 17% du total des peines prononcées en Auvergne pour les années 1665-1666.

Ce taux était, de surcroît, inférieur à la réalité puisqu’un certain nombre de condamnations sanctionnaient deux, voire trois meurtres ou assassinats commis par le même individu. Qui étaient ces tueurs ? Tout le monde, de toutes les qualités et de toutes les conditions. Pour un oui ou pour un non, une remarque désobligeante, une plaisanterie mal prise, une rivalité, l’agressivité latente se libère. D’où la fréquence des duels qui, dépouillés de leur auréole romanesque, n’étaient rien d’autre que des meurtres concertés, et par lesquels la classe nobiliaire se décimait. Dans les milieux populaires, l’ivrognerie venait renforcer la pulsion de violence, donnant lieu à d’innombrables meurtres, non prémédités, parfois même non voulus, que le droit qualifiait d’homicides « préterintentionnels ».

La violence était également liée à l’exécution des sentences. Avant les premières manifestations de l’esprit des Lumières, on ne s’intéressait ni à la légitimité des peines prononcées ni à la réinsertion d’un condamné dans la société, une fois sa dette acquittée. Seule comptait la finalité de la sanction, exprimée dans une formule lapidaire : punitur quia peccatum est, « on est puni parce qu’on a péché ». Dans son corps, dans ses biens, dans son honneur, le coupable devait payer une dette.

À la différence de l’Église, qui avait principalement en vue le rachat du pécheur dans la perspective de son salut, le droit laïque, dont les objectifs étaient ceux du monde, assignait à la peine une seconde fonction : limiter les crimes en dissuadant par l’exemple. La publicité qui était donnée à l’exécution des peines faisait partie intégrante du système répressif du temps : la mise en scène de la peine de mort avait davantage la volonté d’effrayer que de punir, souvent sur les lieux où le crime avait été commis. Arlette Lebigre explique à ce propos que là où le sang de l’innocent avait coulé, le sang du coupable devait être répandu. Dans les cas de condamnations par contumace, une effigie du coupable pouvait subir le châtiment.

6. Le juge face à l’accusé

Dès le XVIe siècle, l’entière responsabilité de l’information judiciaire reposait sur la science et la conscience d’un seul homme : le juge. L’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 leur imposait de procéder en personne aux interrogatoires, aux confrontations et à tous les actes d’instruction, car l’habitude avait été prise de se décharger de ces tâches sur des auxiliaires de justice (greffiers, notaires, etc.). L’enquête de police n’existait pas dans l’Ancien Régime : dès qu’un crime venait à la connaissance d’un juge à la suite d’une plainte, d’une dénonciation ou d’un bruit rapporté par la rumeur publique, il lui appartenait de se rendre sur les lieux, d’y faire les constatations matérielles et d’en dresser le rapport, point de départ de la procédure.

Le juge ne pouvait refuser d’entendre les témoins cités par le ministère public et la partie plaignante, mais demeurait libre d’écarter les témoignages invoqués par l’accusé. Il en était de même pour l’alibi ainsi que pour tous les autres moyens de défense que le droit désignait sous le nom de « faits justificatifs » : l’accusé n’était admis à en apporter la preuve que si le juge l’y autorisait. Arlette Lebigre précise que dans la plupart des cas, le magistrat instructeur n’abusait pas des moyens dont il disposait au détriment de l’accusé. Mais il suffisait d’un seul pour que le système bascule dans l’erreur judiciaire.

Le droit du temps ne reconnaissait pas l’intime conviction des magistrats, la preuve était donc essentielle. Or, dans la plupart des affaires criminelles, la preuve écrite n’existait pas et les témoins rechignaient souvent à déposer, dans une France où la sécurité publique était mal assurée et la vengeance privée fortement crainte. Il fallait donc se fier aux indices matériels, rares, faute de procédés techniques pour les repérer et les interpréter. Jusqu’en 1215, année durant laquelle elles furent interdites, la preuve pouvait également se faire par ordalies, autrement dit par des épreuves physiques dont la réussite devait signaler une approbation divine. Le duel judiciaire, dont il existe des traces jusqu’au XVIe siècle malgré les nombreuses interdictions, devait lui aussi révéler un jugement de Dieu.

Mais la meilleure des preuves demeurait l’aveu, souvent obtenu sous la torture qui réapparut dans la procédure pénale à la fin du XIIIe siècle (elle existait dans le droit romain), mais fut de moins en moins utilisée à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle avant de disparaitre des procédures sous Louis XVI.

7. Conclusion

L’ouvrage d’Arlette Lebigre embrasse un vaste champ chronologique : il plonge ses racines jusqu’au chêne de Vincennes sous lequel, selon l’image communément répandue, Saint-Louis rendait la justice, jusqu’à la Révolution française. Il offre ainsi une large vision de la justice d’Ancien Régime et de son fonctionnement, des procédures à la charge de magistrat, en passant par sa violence ou les liens qui l’unissaient au pouvoir, chaque jour plus grand avec la mise en place de l’absolutisme monarchique.

À partir de tous ces éléments, l’historienne présente le décalage croissant entre des textes législatifs terrifiants et une pratique judiciaire souvent molle, la faiblesse de l’appareil, ou la recherche de preuves claires qui empêche de se fier à l’intime conviction des magistrats. Avec de nombreux exemples concrets puisés dans les archives judiciaires, elle illustre ses propos et déconstruit un grand nombre d’idées reçues sur la vie judiciaire de l’ancienne France, soulignant le paradoxe d’une justice très présente dans la vie des Français, mais également d’une efficacité relative.

8. Zone critique

Avec clarté et humour, cet ouvrage décrit le système judiciaire de la France d’Ancien Régime, s’appuyant sur des sources archivistiques. La particularité de cette étude réside avant tout dans ses bornes chronologiques, celles du temps long, qui illustrent les évolutions vers la justice que nous connaissons aujourd’hui. De même, l’historienne ne se contente pas de décrire une procédure judiciaire en constant mouvement, mais étudie également avec minutie les mécanismes qui la liaient à l’ensemble de la société.

Destinée à un large public, cette contribution d’Arlette Lebigre est sans conteste devenue une référence en matière d’histoire du droit. Elle réhabilite une institution souvent mal connue, ou en tout cas souvent mal comprise et qui, dans l’esprit du plus grand nombre, relevait au domaine de l’arbitraire. On sait désormais que c’est faux.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– La Justice du roi. La vie judiciaire dans l’ancienne France, Paris, Albin Michel, 1988.

Du même auteur– Jean-Marc Berlière, Naissance de la police moderne, Paris, Perrin, 2011.– Benoît Garnot, Histoire de la justice, XVIe-XXIe siècle, Paris, Gallimard, 2009.– Claude Quétel, La Bastille. Histoire vraie d’une prison légendaire, Paris, Robert Laffont, 1989.– Hervé Leuwers, La justice dans la France moderne, XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Ellipses, 2010.– Georges Vigarello, Histoire du viol, XVIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1998.– André Zysberg, Marseille au temps du Roi-Soleil : la ville, les galères, l’Arsenal, Marseille, Jeanne Laffitte, 2007.

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