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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Sociologie des transidentités

de Arnaud Alessandrin

récension rédigée parThomas ApchainDocteur en anthropologie (Université Paris-Descartes)

Synopsis

Société

Cet ouvrage est à double titre la somme des études sur la question trans. Arnaud Alessandrin y expose d'une part l'histoire du fait transidentitaire, histoire qui évolue dans et par de multiples domaines : médecine, droit, politique, militantisme, médias, universités, etc. Et il y présente d'autre part une analyse mûrie par dix années de son propre travail sociologique auprès de personnes trans en France.

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1. Introduction

Cette Sociologie des transidentités tente de remédier à un manque d'études sur les parcours des personnes trans, pourtant de plus en plus visibles. L'essai est, en cela, d'une importance majeure. D'autant que si des études restent à mener dans le monde entier, la France accuse un retard conséquent sur la question. Loin d'être un inventaire neutre des trans studies, l'ouvrage est construit autour de quelques partis-pris décisifs.

D'abord, il y est question de « transidentité » ou de « transgenres » et non de « transsexualisme », précision de vocabulaire importante dans la mesure où Arnaud Alessandrin arrache par-là la question trans des griffes de la médecine afin d'en démontrer les dimensions sociologiques.

Ensuite, l'essai est marqué par l'absence de la question du « pourquoi » des parcours trans et se focalise bien davantage sur la question du « comment » qui fait des aspects sociaux, politiques et médiatiques autant de domaines où se jouent réellement les devenirs trans.

2. Questions de vocabulaire

Somme des savoirs sur la question trans, Sociologie des transidentités apporte de nombreuses précisions de vocabulaire. Compte tenu des difficultés qui pèsent sur le choix et l'usage de mots justes (connotations péjoratives, sur-médicalisation, englobement de réalités diverses), ces éclaircissements sont d'une importance capitale. Arnaud Alessandrin met à distance le terme de « transsexualisme », mentionné entre guillemets tout au long de l'ouvrage et qui porte, selon le sociologue, une connotation pathologisante qui découle de la définition du « transsexualisme » comme maladie dès le début des années 1950. Fortement lié à la médicalisation des personnes trans et globalement rejeté par ces dernières, le « transsexualisme » est finalement écarté au profit des termes « transgenres » ou « transidentités ». Par ces termes, l'on désigne des personnes dont « le genre et/ou le sexe ne correspond pas, partiellement ou complètement, au sexe assigné à la naissance » (p. 122). Consécutivement, ils induisent la question du genre et ouvrent la possibilité de la prise en compte d'une plus grande pluralité des parcours désignés.

La question du genre est essentielle dans cet ouvrage. Contrairement à l'idée de sexe, qui porte une dimension biologique et implique une assignation sur la base des organes visibles à la naissance, le genre démontre les dimensions sociales et culturelles de la construction des catégories « homme » et « femme ». De ce point de vue, le terme « transgenre » insiste sur l'inadéquation d'une multitude d'individus vis-à-vis du sexe qui leur est assigné à la naissance.

Dans cette perspective, et afin de ne pas réserver l'idée du genre aux personnes qui témoignent d'un décalage sexe/genre, le terme « cisgenre » (ou « cisidentité ») désigne ceux dont l'identité de genre correspond exactement au sexe de naissance. Les personnes « cisgenres » sont dites « non-trans » et continuent d'être considérés comme étant « du côté du normal et du normatif » (p. 117). Selon la perspective des études de genre, leur rôle n'en est pas moins le résultat de leur sociabilisation, l'identité cisgenre est une identité acquise et non innée. Enfin, toujours dans la perspective du genre, il convient de mentionner le terme « queer ». D'abord insulte à l'encontre de la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bis et trans), il est récupéré et inversé par celle-ci.

Face à la question des parcours trans, le terme « queer » permet de désigner les personnes qui ne se reconnaissent pas dans les catégories normalisées et affirment un « nomadisme de l'identité ».

3. Histoire du transsexualisme

Le concept de « transsexualisme » est d'invention récente. Il naît dans l'univers de la médecine et, plus particulièrement, de la psychiatrie. Les approches psychanalytiques et psychiatriques dominent les premiers temps de la prise en charge médicale des non-congruences de sexe, elles s'intéressent alors principalement aux causes du « transsexualisme » parmi lesquelles l'homosexualité tient un rôle interprétatif central. Le « transsexualisme » est défini comme une maladie mentale dès 1953.

Certains chercheurs – comme Harry Benjamin qui sera à l'origine de la définition du transsexualisme comme n'étant ni une perversion, ni une homosexualité mais comme le sentiment d'appartenir au sexe opposé – font pourtant entendre un point de vue différent et critiquent l'approche psychanalytique qu'ils jugent inadaptée au traitement des personnes à la recherche d'un accompagnement médical pour une transformation physique. Cependant, le contexte français reste longtemps marqué (en quelques aspects jusque dans les années 2000) par les réticences psychanalytiques qui délégitiment les aspirations des personnes trans et aucune opération n'est officiellement pratiquée en France avant 1979. Le protocole médical défini en 1979 prévoit un traitement collégial regroupant un psychiatre, un endocrinologue et un chirurgien. Là encore, la psychiatrie tient un rôle prédominant puisque l'avis psychiatrique constitue la première étape du parcours médical de transition alors même que, selon Arnaud Alessandrin, « l'histoire des transidentités est avant tout une demande de médicalisation, et non une demande de psychiatrisation » (p. 31). Dans cette perspective, le rôle de la psychiatrie consiste notamment à détecter des « faux transsexuels », ainsi exclus de la prise en charge médicale. Les associations trans expriment, et continuent d'exprimer, leurs désaccords face au protocole français jugés humiliant, excluant et particulièrement lent (le parcours de transition médical pouvant dépasser cinq ans).

Si les autorités médicales françaises ont, tardivement, forgé un protocole pour la prise en charge des personnes trans, celui-ci est donc loin d'obtenir l'adhésion générale et montre encore une inadéquation avec les demandes. Pour Arnaud Alessandrin, « aucun cadre théorique et clinique psychiatrique ne parvient à accompagner l'expression de plus en plus multiple des transidentités » (p. 35). Aussi, c'est sur d'autres terrains que pourra se construire un cadre plus souple et plus à même d'embrasser l'immense diversité des demandes d'accompagnement médical exprimées par les personnes trans.

4. Déconstruire le « transsexualisme »

Critiqué et évité par les personnes concernées, le protocole médical du « transsexualisme » va faire l'objet d'une déconstruction progressive produite par des controverses médicales et sociologiques, mais aussi par un ensemble d'innovations juridiques. L'évolution de la prise en charge des personnes trans est d'abord conceptuelle et consiste au remplacement progressif de la catégorie « transsexuelle », jugée restrictive, par l'idée de « dysphorie de genre ».

Petit à petit, et sur l'exemple des gender clinics étasuniennes, le genre prend une place de plus en plus importante, ce qui s'accompagne de la prise en compte d'un pluralisme plus grand, notamment dans la sélection des patients. Sans toutefois se débarrasser complètement d'une perception binaire du genre, les controverses psychiatriques témoignent de l'activité des associations trans (qui fleurissent surtout dans les années 2000) qui participent à la déconstruction du « transsexualisme » au profit de l'idée, plus ouverte, de non-congruences de genre. Ce n'est que récemment que le recul psychiatrique se concrétise par la loi : depuis 2010, le remboursement des parcours médicaux des personnes trans ne se fait plus sur la base d'une « maladie psychiatrique » mais d'une « maladie hors-liste ». Dans cette lignée, le développement d'une reconnaissance de la pluralité des parcours trans a également lieu sur le terrain juridique. Davantage même que sur le plan médical, où s'est pourtant forgé le « transsexualisme », les associations trans semblent être les plus actives dans un combat juridique qui vise à la pleine reconnaissance de l'existence et des droits des personnes transidentitaires. Dans la voie de cette reconnaissance, la France accuse un retard qui lui vaut deux condamnations par la Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH).

D'abord, en 1992, la CEDH est saisie par une personne trans et condamne la France sur le motif qu'exiger une révélation constante du sexe officiel est incompatible avec le respect de la vie privée. En 2017, c'est l'obligation de subir une stérilisation pour l'obtention du changement de sexe à l’État Civil qui est visée par la CEDH. Là encore, l'opération est dénoncée comme une atteinte à la vie privée. La déconstruction du « transsexualisme » se développe dans les domaines médicaux et juridiques, mais doit surtout à la création de nombreuses associations de défense des droits des personnes trans. Celles-ci, dans un mouvement qui rappelle d'ailleurs l'histoire juridique de la question trans, sont d'abord apparues au niveau européen. Elles sont aujourd'hui nombreuses, notamment en France et leur rôle dans la prise en compte sociale des personnes trans est essentiel.

5. Représentations et discriminations

En 2012, la reconnaissance officielle de la transphobie est une étape importante qui ouvre la possibilité d'un nouveau front juridique pour les personnes et les associations trans. Elle ouvre aussi la voie à des études sociologiques sur la question de la transphobie, question qui demeure peu investie dans le contexte français. Arnaud Alessandrin, co-auteur avec Karine Espineira d'une large enquête quantitative sur la transphobie, expose ici quelques pistes de compréhension d'une transphobie « massive et répétitive » (p. 76). Le sociologue présente une transphobie a plusieurs visages qui peut en premier lieu se diviser en deux formes, directe et indirecte. La transphobie « directe » exprime un rejet de la transidentité, mais il convient également de pointer également toutes les formes « indirectes » de transphobie qui, selon Arnaud Alessandrin, se constituent des « allants de soi cisgenre en défaveur des trans » (p. 74). Transphobies directes et indirectes peuvent être de nature « relationnelle » (l'ensemble des interactions discriminantes vécues en société) mais aussi « institutionnelle » dans les limitations au changement d'état civil et au remboursement des soins.

Quelle que soit la nature de la discrimination, 85% des personnes trans déclarent en avoir été victimes au cours de leur vie, entraînant de graves troubles : dépression (pour 56,34% des victimes) et même tentative de suicide (18,31%). La reconnaissance par le droit français d'une transphobie pourtant généralisée ne s'accompagne pourtant pas d'une mise en justice massive des actes et paroles transphobes. En effet, 96% des personnes ayant subi ce type de discrimination ne porent pas plainte, ce qui montre à quel point, dans ce cas, « les instances de protection (police et justice) ne sont pas appréhendées comme telles » (p. 77).

Par ailleurs, les maux de la transphobie chez les personnes trans sont multiples et s'enracinent dans une confrontation à la société normalisée qui commence dès les premiers temps de la scolarisation. Selon Arnaud Alessandrin « les conséquences de la transphobie à l'école sont nombreuses et marquent profondément la vie des individus concernés » (p. 82). Sur ce terrain aussi, la déconstruction du transsexualisme parvient, lentement, à combattre les thérapies « normalisantes», qui tentent de prévenir ou corriger le transsexualisme, et les remplacer par une thérapie acceptante. Les représentations médiatiques et artistiques des transidentités ont longtemps fait écho aux difficultés de leur acceptations dans la société. Néanmoins, Arnaud Alessandrin remarque une augmentation récente (principalement à partir des années 2000, de la représentation des personnes trans au cinéma et à la télévision. Cette nouvelle visibilité n'est toutefois pas suffisante, autorisant le sociologue à évoquer une « maltraitance médiatique », tant le cinéma, par exemple, continue de renvoyer au registre du dégoût. À défaut de ce registre, la représentation de personnes trans reste trop fréquemment cantonnée aux récits de leurs transitions, souvent sur le ton de la comédie pour les transitions homme/femme alors que la transition femme/homme donne le plus souvent lieu à un récit plus grave et sérieux.

Aussi, selon Arnaud Alessandrin et en dépit d'une progression souhaitable mais toujours insuffisante, les médias continuent de démontrer leur incapacité à traiter « ce qui ne relève pas des standards du genre » (p. 106).

6. Conclusion

Cet ouvrage constitue un apport majeur à l'étude des transidentités, champ en cours de construction. Il fait la somme des travaux sur la question, permettant ainsi de penser les transidentités contemporaines tout en y posant un regard fort d'une dimension historique minutieusement documentée.

La transidentité est abordée comme une question politique et sociale et c'est surtout l'ensemble des conceptualisations, médicalisations et reconnaissances juridiques à partir de la seconde moitié du XXe siècle qui intéresse Arnaud Alessandrin. Bien sûr, les non-congruences entre sexe assigné et genre ressenti ne se limitent pas à l'époque contemporaine. Mais, l'histoire que propose Arnaud Alessandrin est celle d'une « construction sociale » (p. 20).

Il y montre comment la question des transidentités fut d'abord marquée par la prédominance de la psychiatrie à l'intérieur des parcours médicaux ainsi que par une reconnaissance tardive des droits des personnes trans. L'ouvrage expose l'importance des études de genre dans la prise en compte des parcours trans : le genre permet de mettre l'accent sur les dimensions sociales et historiques des identités assignées sur la base du sexe.

Enfin, Arnaud Alessandrin expose ici le long combat des personnes et des associations trans qui, s'il semble avoir connu quelques victoires au cours des deux dernières décennies, demeure d'une grande actualité.

7. Zone critique

En de nombreux aspects, Sociologie des transidentités peut apparaître comme une tentative de situer le champ des trans studies dans le paysage des sciences humaines et sociales.

Arnaud Alessandrin multiplie les pistes en ce sens. En premier lieu, l'intégralité du livre montre comment la question trans communique avec les gender studies (études de genre) soit que le genre apparaisse comme une clef essentielle pour penser les transidentités (aussi bien dans une perspective militante qu'universitaire) soit que l’étude de celles-ci se constitue en sous-catégorie, les trans studies, permettant de mener l'analyse des dimensions sociales du genre sur de nouveaux terrains.

D'un autre côté, Arnaud Alessandrin propose d'autres rapprochements plus originaux, notamment avec la sociologie de l'école ou avec les études de santé. Si ces propositions restent à étoffer, elles témoignent de la nécessité des études sur les transidentités à s'instituer solidement parmi les différents champs des sciences humaines et sociales.

8. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Sociologie des transidentités, Paris, Le Cavalier Bleu, 2018.

Du même auteur– La Transidentité : du changement individuel au débat de société, L'Harmattan, 2011. – Avec Karine Espineira, Sociologie de la transphobie, MSHA, 2015.

Autres pistes– Karine Espineira, La Transidentité : de l'espace médiatique à l'espace public, L'Harmattan, 2008.

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