Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Aude Mirkovic
Dans cet ouvrage, Aude Mirkovic expose une série d’arguments à l’encontre d’un élargissement de la PMA (Procréation médicalement assistée) à toutes les femmes, cet élargissement figurant dans le projet de loi de bioéthique proposé par le gouvernement français et débattu en 2019 et 2020 au Parlement. L’ouverture de la PMA à toutes les femmes supprimerait la condition thérapeutique actuelle, rendant possible une généralisation de la PMA. Sur le plan juridique, une telle évolution viendrait à l’encontre des droits de l’enfant, tels qu’ils sont énoncés dans la convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France. Au-delà, la PMA pour toutes ne viendrait pas assouvir les besoins d’égalité et de respect de la vie privée des femmes, mais provoquer des dérives importantes qui pourraient aller jusqu’à une forme poussée d’eugénisme.
La PMA un enjeu de société est un ouvrage au cœur de l’actualité, en pleine période de débats autour de l’élargissement de la PMA (Procréation médicalement assistée) à toutes les femmes, qu’elles soient célibataires ou en couples de femmes. Actuellement, seuls les couples hétérosexuels médicalement diagnostiqués comme infertiles peuvent bénéficier des techniques de PMA en France.
Quelles seront les conséquences d’une ouverture de la PMA à des femmes qui n’ont aucun problème de stérilité ? Quels sont les enjeux pour les enfants nés d’un don de gamètes et privés de toute branche paternelle dès leur conception ?
Les aspects juridiques et éthiques sont largement évoqués, mais aussi les aspects financiers et l’impact d’une telle évolution sur la société en elle-même. L’objectif de l’ouvrage est de donner au lecteur des clés de réflexion, face au débat actuel sur la PMA pour toutes.
La PMA correspond à « l’ensemble des techniques visant à la conception d’un enfant en dehors du processus naturel, c’est-à-dire en dehors de l’union sexuelle de l’homme et la femme ». (p. 7). En France, les activités de PMA sont encadrées par l’Agence de la Biomédecine (ABM) et les dons de gamètes sont gérés par les CECOS (Centre d’Étude et de Conservation des œufs et du sperme humain). Apparue dans les années 1970, la PMA est depuis en constante progression dans le monde.
En France, actuellement, elle n’est autorisée que dans un contexte thérapeutique, lorsqu’une infertilité a été médicalement diagnostiquée chez un couple hétérosexuel ou pour éviter la transmission d’une maladie génétique grave à l’enfant. La loi française ne permet pas aujourd’hui de proposer la PMA à des couples de même sexe ou à des personnes seules, qui ne présentent aucune indication pathologique de recours à la PMA.
Le 15 juin 2017, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a donné un avis favorable à l’élargissement de la PMA à toutes les femmes, les femmes célibataires et les couples de femmes. Les personnes qui revendiquent ce droit avancent trois arguments principaux : le respect de la vie privée des femmes, et en particulier leurs orientations sexuelles, l’égalité avec les couples hétérosexuels et un alignement avec les cadres réglementaires de nombreux pays européens, dans lesquels la PMA est accessible à toutes les femmes. Selon l’auteure, ces trois arguments peuvent être réfutés.
Sur le plan du respect de la vie privée, il paraît évident que le législateur n’a pas à s’immiscer dans la vie personnelle et les choix des femmes, à condition que les femmes ne demandent pas à disposer de ressources biotechnologiques collectives pour assouvir certains de leurs souhaits personnels. Au niveau de l’égalité, les couples hétérosexuels bénéficiant de la PMA n’y ont accès que sur des critères thérapeutiques. Tous les couples hétérosexuels n’y ont pas droit, de même qu’au-delà d’un certain âge, l’accès à la PMA est refusé. La discrimination envers les couples homosexuels ne peut en aucun cas constituer un argument suffisant pour justifier d’un élargissement de la PMA à toutes les femmes.
De plus, invoquer l’égalité pourrait mener à légaliser la GPA (Gestation pour autrui). « La PMA pour les femmes véhicule une idée biaisée de l’égalité qui conduit tout droit à la GPA » (p. 129). Enfin, l’éventuelle menace d’une contrainte européenne en la matière paraît très incertaine, car les états membres conservent largement leur pouvoir de décision, en matière de PMA et de droits de la famille.
Légaliser la PMA pour toutes les femmes, c’est-à-dire pour les femmes qui ne sont pas confrontées à un problème pathologique, nécessite un recours généralisé au don de gamètes, et plus particulièrement au don de sperme. Les enfants nés dans ce contexte seront totalement privés de branche paternelle, avec un effacement du père biologique et la privation d’une présence paternelle. Or cette situation s’oppose aux droits fondamentaux de l’enfant, tels qu’ils sont énoncés dans la convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France. L’article 7-1 de cette convention pose le droit pour tout enfant dans la mesure du possible de connaître ses parents et d’être élevés par eux.
L’auteure déplore que le débat sur la PMA pour toutes les femmes se limite exclusivement au désir d’enfant des femmes, sans s’intéresser aux droits de l’enfant. « La société se trouve finalement aujourd’hui face à une alternative simple : respecter les droits de l’enfant, c’est-à-dire renoncer à des pratiques qui les méconnaissent, ou renoncer à professer les droits de l’enfant, ce qui ne serait pas bon signe » (p. 28).
Remplacer la branche paternelle effacée par une seconde branche maternelle ou par l’existence d’un référent masculin dans l’entourage familial ne saurait suffire à compenser le préjudice subi par l’enfant. De nombreuses études scientifiques et de multiples témoignages d’enfants nés d’un don de gamètes soulignent l’importance du lien biologique et d’une filiation cohérente. « Si l’absence de père est déjà difficile à expliquer quand elle est naturelle, comment l’accepter quand elle est le résultat de l’égoïsme des adultes ? » (p. 51). De plus, être élevé par deux femmes modifie en profondeur la notion de parentalité. Un enfant se représente toujours comme le fruit de l’union entre ses deux parents, ce qui est inconcevable dans ce contexte. La parenté biologique évoluerait alors vers une parentalité sociale et intentionnelle.
Pour les femmes seules ou en couples de femmes, le recours au don de sperme serait une démarche volontaire, par laquelle elles priveraient leur enfant de père. Des couples homosexuels, masculins et féminins, ont manifesté leur opposition à une telle situation, considérant que tout enfant a le droit d’avoir un père et une mère. La première génération d’enfants issus d’un don de sperme montre d’ailleurs qu’une proportion importante de ces enfants souffre de l’absence de père biologique, alors même que ces enfants ont une filiation maternelle et une filiation paternelle. La PMA pour toutes abolirait totalement la filiation paternelle. Dans les années à venir, ces enfants volontairement privés de père pourraient demander des comptes au législateur pour non-respect de leurs droits fondamentaux.
Même si ce sujet est souvent oublié, la PMA recouvre des aspects financiers. Actuellement, le recours aux techniques de PMA devient un marché de plus en plus lucratif, pour les médecins, pour les établissements de santé et pour les industriels du secteur médical. Alors que les actes de PMA sont intégralement pris en charge par la Sécurité sociale, certains spécialistes dénoncent une surenchère dans la prescription des examens et des actes. De nombreux couples se plient à une lourde batterie d’examens, qui dans tous les cas se terminent par la prescription d’une FIV (Fécondation in vitro).
Selon le professeur Jacques Testart, le « père » du premier bébé éprouvette français en 1982, « un tiers des FIV réalisées en France n’ont pas d’indication médicale » (p. 14). D’autres spécialistes avouent volontiers pratiquer des FIV de compassion, généralement vouées à l’échec avant même d'avoir été réalisées. Cette marchandisation de la PMA ne pourrait que s’accroître, si le législateur lève le verrou thérapeutique actuel de la PMA. De plus en plus de couples hétérosexuels pourraient y avoir recours, pour divers motifs. Le marché de la PMA pourrait alors s’étendre dans un contexte hautement lucratif.
Au-delà des conséquences sur les patients, cette généralisation et cette marchandisation de la PMA représentent un coût important pour la collectivité. Dans le secteur public, un cycle de PMA est estimé entre 2 545 et 3 019 €. Compte tenu des statistiques de réussite, chaque naissance représente un montant de 15 831 à 18 779 €. Actuellement, l’accès à la PMA est soumis à une indication thérapeutique et les couples peuvent en bénéficier jusqu’au 43e anniversaire de la femme, dans la limite de six inséminations artificielles et de quatre FIV. Si demain, toutes les femmes ont accès à la PMA, quel sera le coût à supporter pour l’Assurance Maladie, déjà dans un contexte de déficit chronique ?
Au nom de l’égalité des droits, les personnes qui revendiquent la PMA pour toutes demandent les mêmes conditions de remboursement que les couples hétérosexuels ayant un problème médical de fertilité. Dans son avis de 2017, le CCNE considère que la société n’a pas à porter le poids financier d’un choix délibéré des femmes. Non remboursée, la PMA pour toutes les femmes reviendrait à favoriser les femmes aisées, à l’image de toutes les prestations non thérapeutiques, comme la chirurgie esthétique.
La PMA pour toutes les femmes est souvent présentée comme l’étape ultime d’évolution de ce champ médical en France, pour rassurer sans doute tous ceux qui craignent la légalisation ultérieure de la GPA.
Pourtant, supprimer l’indication thérapeutique aujourd’hui nécessaire peut entraîner une généralisation sans limites de la PMA, et en particulier de la PMA de convenance. Si par souci d’égalité, le législateur offre aux femmes la possibilité d’accéder à la PMA, alors les veuves, les femmes ayant dépassé l’âge de 43 ans, les couples hétérosexuels voulant sélectionner des embryons … tout le monde voudra recourir à la PMA. Ce phénomène s’est par exemple produit dans tous les pays qui ont légalisé la PMA pour les femmes seules ou en couples de femmes. Or le danger de cette PMA généralisée est qu’elle devienne incontournable et systématique au point d’instaurer un eugénisme de grande ampleur. Selon Jacques Testart : « La PMA a donné à l’eugénisme une nouvelle dimension, tant avec le don de gamètes qui exige la sélection des donneurs que la FIV qui permet le tri des embryons » (p. 96).
Sans verrou thérapeutique, la PMA n’est plus dictée par une nécessité médicale, mais par une décision de clients, qui veulent s’offrir un enfant selon leurs souhaits. Aux USA, les parents peuvent ainsi choisir leurs embryons en fonction de certaines caractéristiques génétiques ou de leur sexe. Plusieurs pratiques actuelles de PMA peuvent être assimilées à de l’eugénisme, le don de gamètes impliquant une sélection des donneurs, la sélection des embryons par le Diagnostic préimplantatoire (DPI), la possibilité de recourir à des tests génétiques de plus en plus nombreux.
La PMA de convenance généralisée à tous et à toutes pourrait voir le jour et modifier en profondeur l’espèce humaine. En 2016, des chercheurs ont réussi chez la souris à produire des ovules, à partir de cellules banales de la peau. Actuellement, les recherches avancent chez l’homme. Une telle prouesse scientifique signerait la fin des FIV telles que les femmes les subissent aujourd’hui, avec leurs contraintes et leurs risques.
Demain, sans aucun traitement, il sera sans doute possible de produire des centaines d’ovules, sur lesquels on pourra appliquer tous les critères de sélection possibles. Cette dérive eugénique pourra rendre universel le recours à la PMA et réduire considérablement la variabilité génétique de l’espèce humaine. Une situation qui pourrait être désastreuse, par exemple face à un virus émergent. « La PMA doit-elle rester une mesure d’exception, destinée à compenser un problème médical, ou devenir un mode habituel de procréation proposant la sélection des enfants ? » (p. 110). En levant la nécessité d’une indication médicale pour tout recours à la PMA, le risque de dérive devient maximal.
Sur le plan national, l’ouverture de la PMA à toutes les femmes pourrait profondément bouleverser les caractéristiques éthiques inhérentes à chaque don effectué en France. Il est de notoriété publique que les dons de sperme ne suffisent actuellement pas à satisfaire les besoins des couples hétérosexuels dans le cadre de la PMA sur indication thérapeutique. Élargir la PMA à toutes les femmes ne ferait évidemment qu’aggraver cette pénurie, et pourrait avoir des conséquences irréversibles sur l’anonymat et la gratuité des dons en France.
Dans son avis de 2017, le CCNE reconnaît un risque majeur de déstabilisation du système bioéthique français, l’un des plus préservés au monde. En France, chaque don, qu’il soit de gamètes, de tissus ou d’organes, est anonyme (le donneur ne sait pas à qui profitera son don), libre (le donneur consent librement au don après une information éclairée) et gratuit (le donneur ne peut toucher aucune rétribution en contrepartie de son don). La PMA pour toutes augmentera la demande en dons de sperme sur le territoire français, aggravant la pénurie actuelle. Face à une telle possibilité, l’une des solutions envisagées pourrait être la levée de la gratuité, venant remettre en question l’un des grands principes éthiques français.
La possible rémunération des donneurs de sperme pourrait augmenter considérablement le risque de consanguinité des enfants, les donneurs pouvant faire commerce de leur sperme un peu partout en France. De plus, la levée de la gratuité vient à l’encontre du consentement, le donneur étant incité à donner pour gagner de l’argent. Bien sûr, rien n’oblige le législateur à lever la gratuité. Mais tous les pays qui ont ouvert la PMA au champ non thérapeutique ont été contraints de s’y résoudre ou d’importer du sperme de l’étranger.
Ainsi la Belgique achète 90 % du sperme qu’elle utilise au Danemark, pays qui rétribue les donneurs de sperme. Si la PMA pour toutes entraîne la levée de la gratuité des dons de gamètes, le risque est grand d’observer le même phénomène pour les dons d’organes, qui souffrent également d’une pénurie récurrente. La PMA pour toutes serait ainsi la porte d’entrée à une marchandisation du corps humain, source de profit pour les uns, matériau utile pour les autres.
Les arguments évoqués dans l’ouvrage orientent progressivement le lecteur vers un refus de l’élargissement de la PMA à toutes les femmes, en premier lieu pour respecter le droit de l’enfant.
La PMA pour toutes les femmes annonce selon l’auteure une généralisation du recours à une procréation artificielle, dont le principal risque de dérive est un eugénisme moderne aux conséquences désastreuses. Mais le principal argument avancé dans ce livre est sans aucun doute le respect des droits de l’enfant, privé dès sa conception de branche paternelle, puis de la présence d’un père.
L’ouverture de la PMA à toutes les femmes modifie en profondeur le contexte thérapeutique actuel de l’assistance à la procréation, ouvrant la voie à une PMA généralisée. Et elle revient surtout à poser une question-clé à la société : existe-t-il un droit à l’enfant, et, si ce droit existe, peut-il dépasser les droits de l’enfant à connaître sa filiation maternelle et paternelle ?
En 2017, le CCNE donne un avis favorable à l’extension de la PMA à toutes les femmes, les femmes célibataires comme celles en couples de femmes.
Dans ce document, il émet néanmoins de multiples réserves sur le plan de l’éthique, et notamment au regard des droits de l’enfant à naître. Des réserves que reprend et détaille l’auteure dans son ouvrage. Deux clans s’opposent sur la question, ceux qui restent attachés à la nécessité thérapeutique de la PMA pour les couples hétérosexuels diagnostiqués infertiles ou risquant de transmettre une maladie génétique grave, et ceux qui estiment que le temps est venu de généraliser la PMA à l’ensemble des femmes, comme cela se pratique dans d’autres pays européens.
Des spécialistes de la PMA, des couples homosexuels et des enfants issus d’un don de gamètes témoignent de leur opposition à la PMA pour toutes, considérée à l’inverse comme une avancée sociétale majeure par les mouvements féministes et une partie des femmes.
Ouvrage recensé– La PMA un enjeu de société, Perpignan, Éditions Artège, 2018.
De la même auteure– PMA, GPA : quel respect pour les droits de l'enfant ?, Paris, Téqui, 2016.
Autres pistes– CCNE, Avis n°126 du 15 juin 2017 sur les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP). – Alexis Escudéro, La reproduction artificielle de l’humain, Grenoble, Éditions Le Monde à l’Envers, 2014.– Martine Gross, Idées reçues sur l'homoparentalité, Paris, éditions Le Cavalier Bleu, 2018.– Jean-Raphaël Hureau, GPA pour tous ? 25 tribunes contre les idées reçues sur la gestation pour autrui et les mères porteuses, des ailes sur un tracteur Éditions, 2018.– Céline Lafontaine, Le Corps-marché. La marchandisation de la vie humaine à l'ère de la bioéconomie, Paris, Seuil, 2014.– Caroline Mécary, La GPA: Données et plaidoyers.– Jacques Testart, “Demain on fabriquera les enfants comme des objets”, entretien avec Gérard Biard, Charlie Hebdo, 20 septembre 2017.