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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Des Univers multiples

de Aurélien Barrau

récension rédigée parRomain AllaisÉditeur et correcteur indépendant. Titulaire d'un DEA en histoire des sciences (Université de Nantes).

Synopsis

Science et environnement

Sur un sujet qui semble issu d’un film de science-fiction, Aurélien Barrau fait un inventaire succinct, mais complet, du concept de « multivers ». Aujourd’hui, les univers multiples constituent des conséquences possibles, voire logiques, des théories les mieux établies (relativité, mécanique quantique) comme des plus spéculatives (théorie des cordes). Problème : les multiples univers – situés au-delà d’un horizon inatteignable s’ils existent – nous sont à jamais inaccessibles. Dès lors, les envisager relève-t-il encore de la science ?

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1. Introduction

Bien des notions que manient les astrophysiciens tels qu’Aurélien Barrau sont inaccessibles à monsieur Tout-le-monde, quand bien même ce dernier s’y intéresserait. Mais s’il en est une qui, a priori, ne doit pas trop l’incommoder, c’est l’Univers.

L’Univers, eh bien, c’est tout ce qui existe. Rien de plus simple à comprendre, en effet.Alors, quand un astrophysicien reconnu décide d’intituler son ouvrage Des univers multiples, n’essaie-t-il pas d’abuser monsieur Tout-le-monde ?

Du reste, Aurélien Barrau le reconnaît lui-même, « l’idée d’univers multiples peut à raison sonner comme une contradiction dans les termes » (p. 12). Pour lever la contradiction, il suffit simplement de préciser que l’Univers, c’est tout ce qui existe… dans notre champ de vision. C’est « ce qui se trouve dans une sphère dont le rayon correspond à la distance la plus lointaine à laquelle il serait possible de voir » (p. 13). Il n’est donc plus « question de l’Univers, mais de notre univers » (p. 13), qui appartient à un ensemble plus vaste : le multivers. À présent que les présentations sont faites, il est temps de s’asseoir à la table du cosmos.

2. Une histoire de la pluralité des mondes

Remplacer l’Univers, qui contient tout ce qui existe, par un multivers dans lequel notre univers n’est peut-être qu’une infirme partie d’un grand tout est un coup supplémentaire porté à l’ego humain. Longtemps l’homme s’est rêvé en créature suprême de Dieu, vivant en un lieu, notre planète, situé au centre du monde. Mais Copernic a décentré la Terre, Darwin a fait de l’homme un animal comme les autres et Freud lui a enseigné qu’il n’était pas même maître en son royaume intérieur. Il ne lui restait plus qu’à se satisfaire d’être le fruit d’un processus singulier, la vie, au sein d’un Univers unique. Ce qui n’est déjà pas si mal, au fond.

Las, Aurélien Barrau rappelle l’homme à davantage d’humilité. Si le multivers s’avère, notre univers n’est plus qu’un appartement quelconque dans un immense gratte-ciel, et il est probable que la vie ne soit plus un processus aussi singulier. Reconnaître l’existence d’univers multiples a donc quelque chose de révolutionnaire. Pourtant, ça n’a rien d’une idée neuve.

Dès l’Antiquité grecque, en effet, le philosophe présocratique Anaximandre (VIe siècle av. J.-C.) envisage « la pluralité des mondes en supposant qu’ils apparaissent et disparaissent, que certains émergent quand d’autres périssent » (p. 64). Cette conception s’évanouit au Moyen Âge pour laisser la place un Univers unique qui ne doit rien au hasard, puisqu’il est l’œuvre de Dieu. À l’aube de la Renaissance, Nicolas de Cuse (1401-1464) « ouvre une brèche vers la pluralité » de mondes dans lesquels « les habitants se distingueraient par leurs caractères propres » (p. 66). À l’âge classique, c’est Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) qui « peut naturellement être considéré comme le grand inventeur des mondes multiples » (p. 68). Il envisage en effet plusieurs mondes possibles et cohérents, qui cependant n’existent pas. Seul le nôtre, puisqu’il est le meilleur d’entre tous, a été créé par Dieu.

Autre apport essentiel à la notion d’univers multiples : celui de Bernard Le Bouyer de Fontenelle qui, dans ses Entretiens sur la pluralité des mondes, « donne un sens authentiquement révolutionnaire à l’irréductible diversité des mondes, bien au-delà de l’acceptation purement scientifique de cette diversité » (p. 70). Chez lui, la perception du sujet qui observe le monde est aussi prise en compte.

Le multivers que présente Aurélien Barrau n’est donc pas un concept récent, mais il retrouve une vraie légitimité grâce aux dernières avancées de la cosmologie.

3. De la relativité générale…

Un multivers donc, dans lequel s’insère notre Univers. Mais comment les scientifiques en sont-ils arrivés à considérer ces univers multiples comme de possibles conséquences de leurs théories ? C’est là l’intérêt principal du livre d’Aurélien Barrau, qui passe en revue tous les phénomènes susceptibles de conclure à l’existence du multivers.

Le premier multivers envisageable est issu de la théorie de la relativité d’Einstein. Dans cette fameuse théorie, l’espace à trois dimensions et le temps sont intimement associés et s’influencent mutuellement, formant ce qu’on appelle l’espace-temps. Einstein nous dit que l’espace-temps n’est pas figé, mais en expansion. En découlent trois géométries possibles pour notre Univers : sphérique, euclidienne et hyperbolique. Représenter ces trois géométries est une gageure. Cependant, en considérant deux rayons lumineux qui se déplacent parallèlement, on imagine intuitivement qu’ils continueront leur chemin indéfiniment (si personne ne vient les stopper évidemment).

En fait, ça n’est vrai que dans un seul univers : celui à géométrie euclidienne. Dans un univers sphérique, les deux rayons finiront par retourner à leur point de départ (un peu comme si on part en ligne droite en suivant l’équateur ; on finit par atteindre… notre point de départ). Dans un univers hyperbolique en revanche, non seulement les rayons lumineux continuent de se propager indéfiniment, mais en plus ils s’éloignent l’un de l’autre.

Aujourd’hui, rien encore ne permet de trancher entre ces trois possibilités. Cependant, si cette géométrie est euclidienne ou hyperbolique , l’espace-temps est infini. Dans ce cas, « cela signifie inévitablement qu’il existe une infinité d’univers » (p. 27). Pourquoi ? Parce que, dans un espace-temps infini en expansion, notre Univers n’est plus que « l’ensemble de ce qui est observable » (p. 27). Cet ensemble est appelé « volume de Hubble ». Or, le fait que l’être humain ne puisse rien observer au-delà de ce volume ne veut pas dire qu’il n’y a rien, mais juste que cet au-delà est à jamais inatteignable. Donc, en dehors de notre Univers, défini comme un volume de Hubble, existent d’autres univers pour lesquels le nôtre leur est également inaccessible. Une juxtaposition de volumes de Hubble parfaitement étanches entre eux, en quelque sorte.

Le deuxième multivers envisageable est une conséquence de l’existence des trous noirs. Ces objets sont si massifs qu’il est impossible de s’en extraire une fois qu’on a pénétré à l’intérieur de leur champ gravitationnel. Néanmoins, la physique théorique admet la possibilité d’une structure symétrique à ces trous noirs : le trou blanc, qui rejette la matière absorbée par un trou noir dans un univers parallèle et sans retour possible. Trou noir et trou blanc sont reliés par un trou de ver. Si le trou noir est en rotation, la théorie prédit même l’existence d’une infinité d’univers parallèles, « reliés par une infinité de trous de vers encore nommés ponts d’Einstein-Rosen » (p. 46).Ces deux premiers exemples sont des effets de la théorie de la relativité . Mais le multivers peut être aussi la conséquence de l’autre grande théorie du XXe siècle : la mécanique quantique.

4. … à la mécanique quantique

Dualité onde-particule, principe d’incertitude, intrication… Le monde quantique a des caractéristiques qui, à bien des égards, choquent l’esprit humain. Et il en est une qui intéresse tout particulièrement les physiciens, c’est la superposition d’états. En effet, en mécanique quantique, une particule élémentaire, comme un électron ou un photon, peut présenter simultanément différentes valeurs pour une caractéristique donnée, par exemple sa position.

Autrement dit, une même particule peut se trouver à plusieurs endroits en même temps, ce qui paraît complètement absurde en mécanique classique. Ces superpositions d’états sont décrites mathématiquement grâce à une fonction d’onde, en fait une amplitude de probabilité, qui considère chaque état comme réel. Quand on mesure une particule, tous ses états « s’effondrent », à l’exception d’un seul : celui qu’on observe. C’est donc la mesure qui détermine, en quelque sorte, l’état de la particule.

Parce que cette conception a chagriné Hugh Everett, un physicien américain, celui-ci a postulé que l’observateur qui fait la mesure est lui aussi partie prenante du système. Ainsi, au moment de l’interaction, notre Univers bifurque en autant d’univers qu’il existe d’états superposés de la particule, et dans chacun d’entre eux, parfaitement hermétiques aux autres, la particule se retrouve dans un seul état.

Osons une analogie : un homme veut faire sa demande en mariage à la femme qu’il aime. Tant qu’il ne l’a pas faite, les réponses oui et non coexistent potentiellement dans un même univers. Quand il fait sa demande, deux nouveaux univers apparaissent : l’un dans lequel la femme a dit oui, l’autre dans lequel elle a dit non. Comme à chaque instant il y a une infinité d’interactions, il existe une infinité d’univers parallèles. Telle est la vision d’Everett.

Les univers multiples pourraient également trouver leur origine dans ce qui est connu sous le nom d’« inflation ». La théorie du big bang fait de notre Univers une entité qui depuis son origine s’étend tout en se refroidissant. Ce modèle pose quelques problèmes car il n’explique pas, entre autres choses, l’homogénéité de l’Univers ou le nombre de particules en son sein. L’inflation, cette « augmentation vertigineuse de la taille de l’Univers dans ses premiers instants » (p. 79), résout ces difficultés de manière convaincante. Or, selon la mécanique quantique, l’inflation est censée produire de nouvelles « zones inflationnaires ».

Autrement dit, l’inflation à l’origine de notre Univers serait apparue à la faveur d’une inflation préalable dans un monde plus vaste. Le multivers aurait alors une structure arborescente dans laquelle chaque inflation, à l’origine d’un univers, engendrerait des inflations filles, à l’origine d’autres univers.

5. Inflation et Big Bounce

Ce multivers arborescent lié au modèle inflationnaire se diversifie d’une manière spectaculaire si on l’associe à la théorie des cordes. Cette dernière tente de réunir la théorie de la relativité, qui décrit l’infiniment grand, et la théorie quantique, qui explique l’infiniment petit, sous un concept unique.

Cette théorie postule que l’Univers n’est pas constituée de particules, mais de « cordes ». Chaque particule serait issue d’une corde vibrant à une fréquence qui lui est propre. Le multivers qui en résulterait serait riche d’univers extrêmement différents entre eux, non seulement par leur contenu, mais encore par les lois qui les régissent.

Par exemple, dans un univers donné, la gravité ne se manifesterait pas par une attraction, mais par la répulsion ; dans un autre, l’espace n’aurait pas trois dimensions, mais sept, etc. Problème majeur : aucune expérience, aucune observation n’est jamais venue confirmer l’existence de cette séduisante théorie des cordes, qui demeure à ce jour purement spéculative.

Jusqu’ici, la notion de multivers a été présentée dans sa dimension spatiale. C’est-à-dire que les univers multiples ont été envisagés dans un cadre plus vaste dans lequel ils coexisteraient, telles des bulles étanches contenues dans une boîte. Mais Aurélien Barrau évoque aussi la possible existence d’un multivers temporel dans lequel les univers ne se juxtaposeraient pas, mais se succéderaient.

La théorie qui permet cette éventualité est la cosmologie quantique à boucles et le Big Bounce , « le grand rebond ». Pour faire simple, dans ce cadre-là, si on parvenait à remonter le temps jusqu’au Big Bang , on s’apercevrait qu’auparavant existait déjà un univers. C’est le Big Bounce , le grand rebond. Un Big Bounce qui se répète une infinité de fois.

Ainsi, « les univers se succéderaient sans nécessairement se ressembler » (p. 123). Une sorte de reboot cyclique pendant lequel seule une infime partie de l’information contenue dans l’univers précédent passerait dans le suivant. Repérer cette infirme partie, c’est d’ailleurs l’une des tâches qu’Aurélien Barrau s’est donné à accomplir. Certains scientifiques pensent même que le Big Bang pourrait être « la résultante d’un effondrement en trou noir dans un univers parent » (p. 125). Autrement dit, « chaque trou noir serait un géniteur d’univers » (p. 126).

Un autre modèle cosmologique, proche de celui que nous venons d’évoquer, est celui des « ères de Penrose », proposé par Roger Penrose, éminent spécialiste de la relativité générale. Ici, le big bang à l’origine de notre Univers correspondrait à l’évolution ultime d’un univers antérieur. Dans cette conception, notre Univers s’achèverait avec l’émergence d’un nouveau Big Bang, point de départ d’un futur univers.

À ce titre, il convient davantage de parler d’un « multi-ères » que d’un multivers.

6. Y a-t-il une vie dans le multivers ?

En dressant la liste des causes qui aboutissent à la possibilité d’univers multiples, Aurélien Barrau se pose une question essentielle : la recherche de multivers est-elle une démarche scientifique ? Il rappelle en effet que, s’il existe plusieurs univers, ceux-ci restent parfaitement étanches entre eux. Conséquence ? Tout ce qui se trouve en dehors de notre Univers nous est à jamais inaccessible. À quoi bon, dans ce cas, perdre son temps à évaluer l’existence de tels mondes ?

Selon lui, étudier les univers multiples ne s’oppose pas à une démarche scientifique car l’existence de ces univers multiples ne constitue pas une théorie. Ils sont au contraire les conséquences logiques des théories actuelles les plus abouties. Le multivers renouvelle même l’approche quant à l’émergence de la vie dans notre Univers. En effet, le fait que la vie soit apparue sur Terre prouve que les lois de notre Univers sont favorables à cette apparition.

Mais pourquoi sont-elles favorables ?

Aurélien Barrau propose quatre explications : le hasard, qu’il estime peu convaincant ; l’intervention divine, qu’il juge non scientifique ; la capacité de la vie à trouver son chemin quelles que soient les conditions, mais les observations contredisent cette hypothèse pourtant séduisante (la vie n’apparaît pas partout) ; et enfin le multivers. S’il existe une multitude d’univers, alors il semble en effet plus que probable que des lois favorables à la vie apparaissent au moins dans l’un d’eux. Et c’est effectivement le cas, puisque la vie est apparue au moins dans notre Univers.

Est-elle apparue ailleurs ? Sans doute, mais il est difficile de l’affirmer car, n’ayant aucun accès à d’autres univers, nous ne pouvons pas éprouver cette hypothèse. Cependant, considérant que le seul univers auquel nous avons accès, à savoir le nôtre, abrite la vie, et qu’il n’y a aucune raison qu’il se distingue des autres univers, on peut en conclure que la vie est probablement un phénomène répandu dans le multivers.

7. Conclusion

Avec Des univers multiples, Aurélien Barrau propose un inventaire des multivers, ou plutôt passe en revue les modèles scientifiques compatibles avec l’existence d’un multivers.

L’occasion de constater que toutes les théories actuelles, des plus abouties aux plus spéculatives, admettent dans leurs conséquences des univers multiples. Si le concept de multivers peut paraître aujourd’hui assez révolutionnaire, Aurélien Barrau rappelle que ce n’est pas une idée neuve. Reste, si multivers il y a, une difficulté presque insurmontable : comment étudier des univers parfaitement isolés du nôtre, et donc à jamais inaccessibles ?

À ce titre, il est légitime de se demander si les recherches dans ce domaine relèvent vraiment de la science. Aurélien Barrau répond par l’affirmative. Mais la question reste ouverte.

8. Zone critique

Dans le prologue, Aurélien Barrau prévient de lecteur de ses intentions : « Dans un langage simple et ne nécessitant aucun prérequis scientifique, j’ai tenté de présenter ici – sans prétendre à l’exhaustivité – quelques-uns des enjeux du multivers » (p. 6). L’objectif est-il atteint ? Le multivers est un sujet complexe, et chaque chapitre de ce livre, assez court par ailleurs, aurait pu fournir sans problème la matière à un livre entier.

En résulte donc un ouvrage qui donne un aperçu assez complet du multivers, mais qui passe d’un concept à l’autre sans jamais s’attarder. Il n’est pas certain que lecteur lambda s’y retrouve car le langage utilisé par Aurélien Barrau n’est pas aussi simple que ce qu’il annonce, ce qui rend des prérequis scientifiques presque nécessaires à sa compréhension.

Mais le plus étonnant dans cet ouvrage, ce sont ses considérations personnelles totalement hors sujet qui ponctuent certaines fins de chapitre : réchauffement climatique (chapitre 2), bien-être animal (chapitre 4), raréfaction des ressources (chapitre 6), violence (chapitre 7). Les bonnes intentions de l’auteur sont louables, mais la méthode est dommageable car les liens qu’il essaie de tisser entre le multivers et ces sujets se révèlent artificiels, quand ils ne sont pas tout simplement inexistants. Un ouvrage un peu bancal donc, qui permet néanmoins de connaître les grandes lignes du concept de multivers.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Des univers multiples. Nouveaux horizons cosmiques, Paris, Dunod, coll. « Quai des sciences », 2017

Du même auteur– Aurélien Barrau et al., Multivers. Les mondes multiples de l’astrophysique, de la philosophie et de l’imaginaire, Paris, La Ville brûle, 2010.

Autres pistes– J. Barrow, Le Livre des univers, Paris, Dunod, 2012.– C. Rovelli, Et si le temps n’existait pas, Paris, Dunod, 2014.– L. Smolin, La Renaissance du temps, Paris, Dunod, 2014.– M.Tegmark, Notre univers mathématique, Paris, Dunod, 2014.

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