Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Ben Horowitz
La vie d’une start-up n’est pas un long fleuve tranquille. Elle doit affronter les problèmes de toute entreprise, maîtriser un changement d’échelle explosif, et surclasser une concurrence vite mondialisée. Aucune formation ne prépare à la diriger. À travers son parcours, et quelques exemples puisés chez d’autres patrons de la Valley, Ben Horowitz explique comment il est devenu dirigeant, « en temps de paix, comme en temps de guerre ». De son expérience à la fois valorisante et douloureuse, il dégage des suggestions concrètes et donne une série de conseils utiles à destination des créateurs d’entreprise high-tech.
Ben Horowitz a travaillé chez NetLabs, puis chez Netscape du temps de Mosaic : l’un des premiers navigateurs du Web, inventé par Marc Andreessen. Le premier fut embauché par le second, qui avait alors 22 ans. La concurrence s’appelait alors Microsoft.
En 1999, pressentant le développement de l’informatique en nuage – le nom restera – Horowitz co-créait Loudcloud, et levait très vite plusieurs millions de dollars. La société avait moins de dix salariés, mais trente nouveaux la rejoignaient chaque mois, dont « les meilleurs éléments de la Silicon Valley ». C’est alors qu’éclata la « bulle Internet » : en mars 2000, les valeurs technologiques s’effondrèrent à la bourse. Une chute de 80 % qui fit qualifier les « dot.coms » de « dot.bombs ». Suivirent les attentats de 2001. Comment survivre alors qu’une entreprise comme Exodus, valorisée à 50 milliards de dollars, déposait son bilan ?
Dans « l’hiver nucléaire que vivait le secteur high-tech », l’auteur détaille son « opération survie » qui aboutit à la cession de Loudcloud à EDS en échange de 63,5 millions de dollars et d’un contrat de licence avec Opsware, nouvelle société exploitant l’application au cœur de l’activité de Loudcloud au prix du licenciement de 140 employés.
Lâchée par son premier client (90 % de son CA), Opsware se consacra au développement logiciel. Ce qui aboutit finalement à son rachat par HP, au moment où l’entreprise dominait son secteur, mais au moment aussi où la virtualisation annonçait un bouleversement dans la gestion des serveurs.
Ce parcours entrepreneurial, qui a débuté avant Facebook et Twitter., constitue à la fois l’intérêt du témoignage de l’auteur, mais aussi sa spécificité. Il porte sur des entreprises de services bien particulières : elles s’attachent des collaborateurs avec un très haut niveau de compétence, si possible les meilleurs de leur domaine, qu’il s’agisse d’ingénierie ou de marketing.
Elles sont très vite plongées dans une concurrence planétaire, en lien avec un marché exigeant. Au-delà du contexte américain (mode de financement, clause « CA », etc.), ce sont des sociétés de service, engagées dans une course contre la montre. Et, comme le souligne Horowitz, la différence entre la médiocrité et la magie y « tient souvent à l’écart entre le fait de laisser les gens exprimer leur créativité, quitte à prendre des risques, et la tentation de les rendre responsables de manière trop stricte » (p. 241).
Le personnel occupe une place cruciale dans l’entreprise. Il ne s’agit pas d’un penchant bienveillant, que l’on sent poindre quand l’auteur explique comment rétrograder un ami fidèle. Il s’agit d’une analyse rationnelle. Le personnel assure l’essor des start-up. Il est à la fois son actif principal et la clé de sa survie quand l’entreprise vacille. C’est pourquoi, avant d’accélérer l’intégration des nouveaux venus, le processus de recrutement est fondamental. D’autant que le PDG doit embaucher des cadres plus compétents que lui dans la tâche qui leur est assignée. Et en dernière instance, c’est lui qui décide.
Le boss doit donc porter son attention sur le processus lui-même, sur l’équipe chargée de la sélection des candidats, et surtout sur la définition des besoins. Parmi les nombreuses indications données par Horowitz pour ne pas se tromper, on peut retenir qu’il faut rechercher la bonne personne pour le bon poste. Et non s’attacher à un profil générique, idéal. Il faut même se concentrer sur les points forts du candidat, plutôt que sur son absence de faiblesses. Ce qu’illustre l’embauche de Marc Cranney à Opsware, qui ne correspondait pas au profil consensuel d’un directeur des ventes.
Constituer un réservoir de talents ne suffit pas. La formation du personnel est impérative. C’est d’ailleurs à elle que l’auteur attribue la réussite de Loudcloud. À l’origine d’un effet de levier, elle est en effet facteur de productivité. Offrant des bases de comparaison, elle est par ailleurs indispensable dans la gestion des performances. La formation influe également sur la qualité du produit, puisqu’elle contribue à fidéliser le personnel (qui apprend quelque chose). Pour toutes ces raisons, les formations (au management et à la fonction) doivent être obligatoires.
Passer de 30 à 400 salariés conduit à la spécialisation des équipes, donc à une perte d’information à laquelle il faut remédier. En multipliant les tête-à-tête avec les salariés qui le demandent. Et en définissant un design organisationnel qui optimise la communication.Pour Horowitz, « la responsabilité opérationnelle sans doute la plus importante d’un PDG est de concevoir et de mettre en place l’architecture de communication de l’entreprise » (p. 175). L’information et les idées circulent ainsi de bas en haut, ce qui permet de prendre la moins mauvaise décision, et d’éviter les malentendus entre les managers et les salariés. Les idées ne stagnant pas, cela renforce les dynamiques internes.Si le changement d’échelle des start-up provoque des bouleversements, il ne faut pas l’anticiper trop tôt. Il est probable, cependant, que le succès incitera certains à monnayer leurs talents, à proférer des menaces de départ.
Comme d’autres, présentés au fil des pages (ambition trop personnelle, querelle de territoires, etc.), ces problèmes ne sont pas l’apanage des start-up, mais leurs conséquences sont redoutables. Vos éléments peuvent être aspirés par la concurrence. Vous-même pouvez être tenté de débaucher un brillant spécialiste. Comment se comporter et maintenir la cohésion de l‘entreprise ? À ces questions, l’auteur donne des formulations concrètes : comment gérer les promotions ? Jusqu’où peut-on accepter le comportement déviant d’un élément génial ? Quel est le fonctionnement optimal d’un service des ressources humaines ?, etc.
Dans une start-up, où les premiers postes n’ont pas d’intitulé précis, Horowitz se penche ainsi sur les titres accordés au personnel. Ils ont de l’importance, pour savoir le rôle de chacun, mais ils sont aussi à manier avec précaution, en raison du principe de Peter voulant que « dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s'élever à son niveau d'incompétence ». La méthode de Marc Andreessen (des titres plutôt ronflants, qui ne coûtent rien à l’entreprise) n’est donc ni inférieure ni supérieure à la méthode de Marc Zuckerberg (des titres minimalistes, qui montrent qui détient l’influence et permettent d’« intérioriser le processus de nivellement de Facebook »). Le principal est d’élaborer un processus de promotion, solide et rigoureux.
Ben Horowitz définit surtout la mission du PDG : savoir ce qu’il doit faire, et conduire sa société à réaliser ce qu’il attend d’elle. Il lui revient donc d’articuler une vision de l’entreprise, et de développer un leadership qui participe d’une culture interne. Ce qui a des conséquences au quotidien comme en période de crise, où les salariés doivent avoir de bonnes raisons pour s’associer aux efforts demandés.
S’il n’est pas facile de développer un leadership, une compétence est encore plus difficile à acquérir : gérer sa psychologie. « Le design organisationnel, les métriques, le recrutement sont relativement faciles à maîtriser en comparaison de l’art de dominer ses émotions » (p. 195). Comme vous êtes seul aux commandes, c’est le « combat le plus personnel qu’un PDG ait à livrer », résume l’auteur. D’autant que vous devez remplir des obligations qui exigent des compétences que vous ne possédez pas. C’est normal : « Il n’existe aucune formation pour apprendre à diriger une entreprise comme celle dont bénéficient les managers ou les responsables de département. Le seul moyen de s’y préparer est de diriger réellement une entreprise. » (p. 196)
Il y a ici deux écueils à éviter : prendre les choses de manière trop personnelle, et les envisager de manière détachée. La première méthode rend malade, la seconde conduit à la faillite. Il faut donc dissocier l’importance des problèmes de leur impact émotionnel. Ce n’est pas facile, mais on peut s’y préparer. En parlant avec des amis (qui connaissent le genre de problèmes que vous traversez), en mettant ses pensées par écrit (pour prendre du recul), et en se concentrant sur l’action.
« Mon expérience m’a appris que les décisions les plus importantes faisaient davantage appel au courage qu’à l’intelligence » (p. 202). Et le courage, cela se cultive, même si on est submergé par un sentiment de terreur. Il suffit de faire face aux difficultés. « C’est précisément dans les moments où vous seriez tenté de vous cacher ou de disparaître que vous pouvez faire la différence en tant que PDG. » (p. 71)
La difficulté réside peut-être dans le fait qu’un PDG doit à la fois assurer la gestion quotidienne (appliquant ce qu’il sait faire) et diriger ses troupes à travers un champ de mines (sachant ce qu’il faut faire). Les deux missions correspondent à deux profils différents, que l’auteur détaille. Un bon PDG réunit les deux caractéristiques, ce qui le rend à même de prendre les bonnes décisions dans tous les cas de figure.
« La transition que j’ai vécue m’a fait découvrir une leçon majeure, selon que votre entreprise se trouve en temps de paix ou en de temps de guerre, vous adoptez un style de management totalement différent » (p. 217). Par temps de guerre, comprenez que l’entreprise n’a qu’une balle en réserve et doit, coûte que coûte, atteindre sa cible. Elle doit donc mobiliser son personnel sur des objectifs qui peuvent sembler démesurés. D’où l’intérêt d’un climat de confiance. Car des sacrifices seront nécessaires. En termes de travail ou en termes d’emploi, le licenciement constituant toujours un échec et un traumatisme.
« En considérant a posteriori ce qui s’est passé, je dirais que nous avons réussi à préserver une continuité culturelle et à conserver nos meilleurs salariés en dépit de licenciements massifs parce que nous avons procédé de la bonne manière. Schématiquement, cette « bonne manière » s’articule autour des points suivants :
1- Si les licenciements sont inévitables, ne temporisez pas. C’est mieux pour tout le monde, et d’abord pour les salariés concernés.2- Sachez clairement pourquoi vous licenciez. C’est la performance de l’entreprise dans son ensemble qui est en cause. Pour restaurer la confiance brisée par des licenciements, vous ne devez rien occulter.3- Préparez et formez vos managers en respectant cette règle d’or : « il appartient aux managers [-et non à la DRH] de licencier les salariés placés sous leur responsabilité ». Les salariés de souviendront du moindre détail de leur licenciement. Il s’agit de « traiter dignement des personnes qui vous ont fait confiance ». 4- Comme PDG, adressez-vous à l’ensemble du personnel, pour expliquer le contexte et le rôle des managers, sachant toutefois que le message « s’adresse à tous ceux qui restent ».5- Soyez visible, soyez disponible, par égard pour les salariés licenciés qui voudront vous rencontrer.
Tous les PDG ont traversé des moments douloureux. Car les difficultés font partie de l’entreprise. Pour mieux les vivre, sachez être opportuniste : la technologie évoluant vite, il y a toujours un coup à jouer. Ensuite, ne portez pas tout sur vos épaules, contentez-vous de ce qui vous incombe, et n’en faites pas une affaire personnelle. À l’inverse, ne vous fiez pas à votre bonne étoile. « L’introduction en bourse de Loudcloud m’a enseigné cette leçon primordiale, signale Horowitz : les PDG de start-up ne devraient jamais compter sur la chance » (p. 71).
S’il y a une solution il faut la chercher et la trouver. Reste que l’auteur, a bénéficié du bon tempo (les débuts de l’Internet), des bonnes rencontres (Marc Cranney aux ventes, Herb Allen chez les investisseurs). Sa réussite ne repose pas uniquement sur des facteurs rationnels. « Si je n’avais pas bénéficié d’une chance et d’une aide exceptionnelles, j’aurais sombré corps et âme », écrit-il (p. 75).
Son parcours repose cependant sur un travail acharné, une éducation propice aux changements de perspective, et des apprentissages allant parfois à l’encontre de ses intuitions. Horowitz signale ainsi que l’amélioration personnelle la plus significative qu’il ait vécue comme dirigeant est due au fait qu’il a cessé de « positiver » quand les choses allaient mal. Son équipe ne conservait pas le moral, comme il l’espérait en pensant la décharger d’un fardeau. Au contraire, elle perdait confiance dans un dirigeant qui évacuait les points négatifs. Le patron de la Silicon Valley en a donc tiré trois enseignements en faveur de la transparence :
1- Sans confiance, la communication devient impossible. « L’aptitude d’un PDG à bâtir des relations de confiance avec les salariés fait toute la différence entre les entreprises qui fonctionnent bien et celles où règne le chaos » (p. 78).2- Pour traiter les problèmes difficiles, mieux vaut disposer du maximum de matière grise.3- « Une culture saine incite les salariés à partager les mauvaises nouvelles. » (p. 78).En d’autres termes, ne cachez rien.
Contrairement à d’autres gourous de la Silicon Valley, Ben Horowitz n’explique pas comment il faut bâtir une stratégie produit, ou quels outils doivent être mis en place pour gérer l’innovation. L’auteur se concentre sur le métier de PDG, qu’il décortique sans adopter de position normative. Sur la base de son expérience, Ben Horowitz explique ce qu’il a fait, ou évité de faire, et il en donne les raisons.
Cette mise en perspective fait de Hard Things un ouvrage très instructif, avec des vérités peu agréables, et trois vertus érigées en principes cardinaux : l’exigence, la rigueur et l’honnêteté. Comme l’indique son sous-titre, il concerne finalement tous les entrepreneurs opérant dans un environnement incertain, avec des rêves qui virent parfois au cauchemar.
Comme tous les ouvrages de ce genre, le lecteur n’a droit qu’à une version de l’histoire. Et il est facile d’avoir raison a posteriori. Reste que Ben Horowitz entre dans des considérations très concrètes, des perspectives familières à tous les entrepreneurs. Le principal apport de cet ouvrage réside peut-être dans l’approche de l’auteur. Sa méthode d’analyse procède souvent de l’algorithme et de ses formulations imbriquées en si…, si… alors. Cette démarche, typique d’un ingénieur logiciel, évite les écueils d’une approche centrée sur la technique ou la finance. « Manager essentiellement par les chiffres équivaut à peindre par numéros, signale d’ailleurs Horowitz – c’est réservé aux amateurs » (p. 137).
Plus qu’un livre de « recettes », il faut donc voir dans ce livre un guide pour prendre les bonnes décisions, y compris quand on ne sait pas où l’on va, et qu’il n’y a plus d’indicateurs sur la route.
Ouvrage recensé– Ben Horowitz, Hard Things. Entreprendre dans l’incertitude, Malakoff, Dunod 2018.
Du même auteur– Le blog de l’auteur : https://a16z.com/author/ben-horowitz/