Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Benjamin Elissalde , Frédéric Tomas , et al.
La détection du mensonge est un sujet vendeur. Le folklore sur ce thème est sympathique, mais il y a un problème. Le problème, c’est que les croyances populaires sur le mensonge affectent notre capacité de détection, qui est déjà assez mauvaise à l’origine. En faisant le point sur la science du mensonge, l’ouvrage nous permet de repartir sur des bases saines.
La série américaine Lie to me met en scène les aventures du docteur Carl Lightman, psychologue expert en détection de mensonges. Ce chercheur-enquêteur résout des crimes grâce à sa capacité d’analyse du comportement non verbal. Comme les concepteurs de la série avaient à cœur de lui donner une assise scientifique, ils ont travaillé avec le professeur Paul Ekman, spécialiste des « micro-expressions », concept sur lequel nous reviendrons.
Une équipe de chercheurs de l’Université du Michigan a voulu vérifier l’effet du visionnage d’un épisode de cette série sur la capacité de détection de mensonge. Ils ont observé que ceux qui venaient de regarder un épisode étaient un peu plus mauvais que les autres : ils avaient plus tendance à classer les témoignages véridiques comme des mensonges en s’appuyant sur le repérage de petits indices non verbaux…
La première étape, si l’on veut espérer devenir un peu meilleur dans la détection du mensonge, c’est donc de se débarrasser des mythes propagés à grand renfort de séries, de billets de blogs et de reportages pseudo-scientifiques (comme, par exemple, Le visage décrypté, diffusé sur Arte en juin 2010). Après avoir dissipé deux des mythes les plus coriaces, nous verrons les méthodes qui offrent les résultats les plus probants. Avant toute chose, quelques précisions sur le mensonge.
À partir de 3 ans, les enfants commencent à mentir de façon ludique (par exemple en faisant croire à leurs parents qu’ils ont une conversation téléphonique alors qu’ils parlent dans un jouet). C’est vers 6-7 ans, que leurs mensonges deviennent plus élaborés et suffisamment crédibles pour tromper les adultes. Les mensonges crédibles supposent en effet l’acquisition d’une théorie de l’esprit, c’est-à-dire une capacité à se représenter ce que les autres peuvent ou non savoir. À l’âge adulte, nous mentons tous plusieurs fois par jour, parfois de façon flagrante, parfois de façon anodine.
Dans une étude de 1996, visant à déterminer la fréquence des mensonges, des étudiants américains devaient noter toutes les dix minutes le nombre de mensonges qu’ils proféraient au cours de leurs interactions. Les participants mentaient en moyenne dans un tiers de leurs interactions. Il semble donc que nous mentions beaucoup. Mais pourquoi ? Les sociologues voient dans le mensonge un fusible qui permet de préserver la cordialité de nos relations, que ce soit en privé ou en société. Le mensonge serait donc un lubrifiant social que l’on utilise d’autant plus volontiers qu’ils sont rarement détectés. Dans l’étude mentionnée plus haut, les mensonges n’étaient détectés que dans 18% des cas.
Pour cause, les humains sont sujets à un biais de vérité : « inconsciemment nous n’acceptons pas l’idée de perdre la face et d’avoir la faiblesse d’être dupés sans nous en apercevoir » (p.39). Si nous sommes donc de bons menteurs et de mauvais détecteurs, nous ne mentons pas tous de la même façon.
Les études sur les profils des menteurs se sont intéressées aux différences aux niveaux des genres et des types de personnalités. Sur le premier point, il ressort que les femmes et les hommes mentent autant mais les hommes produiraient plus de mensonges égoïstes (« ils m’ont tous félicité pour ma performance ») et les femmes plus de mensonges altruistes (« mais oui, tu es le meilleur »).
Au niveau des types de personnalités, les chercheurs ont pu établir quatre profils types de menteurs. Les « manipulateurs » mentent pour parvenir à leurs fins et sans éprouver de remords. Les « acteurs » excellent dans la capacité leurs comportements verbaux et non verbaux et peuvent mentir pour le plaisir de tromper. Les « sociables » qui mentent pour maintenir ou renforcer leur position dans un groupe. Les « adaptateurs » qui mentent pour se conformer à l’image que les autres attendent d’eux. Pouvons-nous apprendre à mieux décrypter ces mensonges et ces menteurs qui émaillent notre quotidien ?
Le psychologue Paul Ekman est une star chez les formateurs en langage corporel et en communication non verbale. Il faut dire que son concept de « micro-expressions » est vendeur. Une micro-expression désigne un mouvement facial qui dure moins d’une demi-seconde. Ces micro-expressions trahiraient une émotion contrôlée ou masquée, ce qui pourrait nous indiquer que quelqu’un a quelque chose à cacher. Cela donne donc l’espoir de confondre les menteurs, en voyant ce que les autres ne voient pas, un peu comme un super pouvoir. Le seul problème, c’est que ça ne marche pas.
La première raison est que ces micro-expressions n’apparaissent en vérité que très rarement chez les gens, ce qui n’en fait pas un indicateur pratique. Pour donner un ordre de grandeur, Paul Ekman a identifié 1 711 micro-expressions. Mais quand deux chercheurs se sont adonnés à l’analyse systématique d’un corpus de vidéos, ils n’en ont observé que…18.
Plus problématique encore, des chercheurs ont demandé à des participants de scruter les micro-expressions pour classer vrais et faux témoignages. Dans certains cas, les participants visionnaient de vrais appels à témoins où des personnes demandaient à ce qu’on les aide à retrouver un proche. Dans les autres cas, les personnes qui passaient l’appel à témoins avaient en réalité tué le prétendu disparu. Or, l’analyse des micro-expressions ne permettait de distinguer les menteurs des véridiques que dans 57% des cas.
On comprend les problèmes pratiques générés par une méthode aussi hasardeuse. Cela n’a pourtant pas empêché Paul Ekman d’appliquer sa théorie à la sûreté des aéroports, avec un programme intitulé SPOT (Screening Passengers by Observation Techniques), en dépit de l’absence de preuves scientifiques.
C’est probablement le mythe le plus répandu sur le mensonge : on pourrait repérer les menteurs en analysant leurs mouvements des yeux. Ainsi, les praticiens de la PNL (Programmation Neuro-Linguistique) affirment que l’orientation du regard serait en lien avec des tâches cognitives, ce qui permettrait par exemple de distinguer la remémoration de la création d’un souvenir. Lorsqu’une personne évoque un événement passé en orientant son regard vers le haut et vers la droite, on pourrait la soupçonner d’inventer et donc de mentir. Là encore, cette explication séduisante ne résiste pas à l’épreuve de la démarche expérimentale.
Cela a été testé à de très nombreuses reprises. Par exemple, en 2012, une équipe de chercheurs anglais a entraîné des sujets à repérer les mouvements des yeux selon les principes de la PNL. Ces sujets n’ont pas été meilleurs à repérer les menteurs que des personnes non entraînées (et nous nous trompons en moyenne une fois sur deux lorsque nous essayons de repérer un menteur). Mais, plus généralement, une méta-étude, scannant l’état de la recherche a montré qu’il était hasardeux de faire d’un geste, d’une attitude, d’une posture, d’une émotion un indice fiable du mensonge.
Pour cause, les humains ne sont pas comme Pinocchio et un même comportement peut, selon la situation, avoir des significations différentes. Faut-il alors placer nos espoirs dans l’analyse du comportement verbal ?
Les mots que nous utilisons en disent beaucoup sur notre personne. Des études ont ainsi pu mettre en évidence, à partir de textes, de mails ou de SMS, des aspects de la personnalité, la stabilité d’un couple, la volonté de séduire ou même la propension au suicide. Peut-on voir dans l’analyse linguistique une piste prometteuse pour détecter les mensonges ? Les premiers travaux dans cette perspective ont été conduits dans les années 1950 par un psychologue allemand : Udo Undeutsch.
Son postulat était le suivant : si la vérité existe, le mensonge, lui, doit être inventé. Dès lors, une déclaration véridique devrait différer, par son contenu et sa qualité, de déclarations inventées. Son intuition lui était venue de son goût pour la littérature : le lecteur avisé sait à quel point il faut du talent pour donner à la fiction l’apparence de la réalité. Et ce talent n’est pas à la portée du premier venu… Quels comportements linguistiques permettraient donc de différencier le vrai du faux ?
D’après les recherches d’Undeutsch, une personne qui raconte quelque chose qui lui est vraiment arrivé va s’appuyer sur des éléments sensoriels, contextuels ou affectifs et va donner beaucoup plus de détails que les témoignages inventés. Ces détails sont spécifiques, ils ne relèvent pas du cliché. En outre, les témoignages inventés paraissent trop beaux pour être vrais, trop cohérents. Sur la base de ces premières observations, le psychologue allemand a élaboré une grille d’analyse comprenant 16 critères.
Elle fut d’abord testée pour établir la vérité de témoignages d’enfants victimes d’abus sexuels. Plus récemment, en 2005, une méta-analyse a cumulé les résultats de 37 études ayant eu recours à cette approche linguistique de détection des mensonges. Le taux de précision moyen se situe aux alentours de 73%. C’est mieux que le hasard mais cela laisse toutefois une part importante à l’erreur.
Il n’y a donc pas de recette miracle pour détecter le mensonge. Mais, outre l’analyse linguistique, les auteurs pointent une autre piste prometteuse : rendre la tâche du menteur plus difficile. Pour ce faire, il faut pouvoir le confronter avec de bonnes questions.
En voici quelques-unes.
Il s’agit, pour commencer, de savoir que mentir demande plus d’effort que de dire la vérité : cela suppose d’être vigilant, de vérifier constamment si ce que l’on s’apprête à dire ne va pas nous confondre. Mentir devient donc encore plus compliqué si l’on doit répondre à des questions qui augmentent notre charge cognitive (par exemple : « peux-tu me raconter ton histoire en partant de la fin ? »). On peut ensuite rendre la production de mensonge plus difficile en posant des questions inattendues, des questions qu’un menteur aurait eu du mal à anticiper en préparant sa version des faits (par exemple : « peux-tu me dessiner la scène ? »). Il est également utile de poser des questions qui invitent la personne interrogée à en dire plus. Il s’agit donc de questions ouvertes (« Comment ça s’est passé ? Comment tu te sentais ? »).
En effet, plus l’autre en dit, plus on a de chances de détecter des imprécisions, des incohérences, plus on a de matière à analyser. Enfin et surtout, on peut rendre la production de mensonge plus difficile si l’on a si bien travaillé l’affaire qu’on peut poser des questions précises, qui réduisent la marge de manœuvre pour inventer des choses. Car c’est bien, en définitive, la recherche de la vérité qui est la meilleure arme contre le mensonge.
La détection du mensonge suppose de faire le deuil des trucs et astuces : le bon détecteur de mensonges tient bien plus de l’enquêteur que du magicien. Les méthodes qui parviennent à faire mieux que le hasard sont calquées sur celles qui sont effectivement utilisées dans les domaines de la police et de la justice.
Détecter le mensonge suppose d’abord un entretien avec le menteur présumé, dans des conditions qui permettent de récolter ses propos – et mieux vaut en avoir une transcription écrite, car des recherches ont montré qu’on décèle mieux les mensonges à la lecture d’un texte. Cela suppose, ensuite, de maîtriser des techniques d’entretien, en alternant des questions qui visent à complexifier la tâche du menteur et d’autres qui l’invitent à relâcher sa vigilance pour en dire plus. Et cela implique, enfin, de passer les propos recueillis au crible de critères validés scientifiquement. On arrive ainsi, dans le meilleur des cas, à un taux de succès situé en 70 et 80%…
L’ouvrage est dense, fouillé et, il faut bien le dire, plutôt pénible à lire. Il ne fera donc probablement pas le poids face à des ouvrages plus vendeurs sur ce thème tels que Je sais que vous mentez, de Paul Ekman.
Cependant, l’ouvrage vaut vraiment la peine qu’on le lise : il permet enfin de replacer ce sujet passionnant dans le champ de la recherche scientifique.
Ouvrage recensé– Le Mensonge. Psychologie, applications et outils de détection, Paris, Dunod, 2019.
Autres pistes– Claudine Biland, Psychologie du menteur, Paris, Odile Jacob, 2004.– Jacques Corraze, Les Communications non-verbales, Paris, Puf, 2001.– Marvins Karlins et Joe Navarro, Ces gestes qui parlent à votre place, Paris, Pocket, 2018.– Paul Ekman, Je sais que vous mentez, Paris, J’ai lu, 2011.