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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

De L'humain augmenté au posthumain

de Bernard Baertschi

récension rédigée parRobert Guégan

Synopsis

Philosophie

Le projet du transhumanisme est de dépasser les limites de l'humain pour accéder à l'individu posthumain, doté d'un organisme auquel les biotechnologies offrent de nouvelles facultés physiques et cognitives. De nouvelles perspectives, comme l'immortalité. Mais cette augmentation (human enhancement) n'est pas une rupture. Elle ne fait que prolonger un impératif à l’œuvre depuis les débuts de l'humanité : se perfectionner, se dépasser. Pour certains philosophes, comme Kant et Aristote, cette aspiration à devenir meilleur est d'ailleurs un devoir moral. Malgré certaines inquiétudes, c'est-à-dire sous certaines conditions, le transhumanisme se présente donc comme un humanisme.

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1. Introduction

Si l'auteur ne donne pas de définition du transhumanisme, il renvoie à Max More (fondateur de l'Extropy Institute), pour qui l'être posthumain « ne serait plus affligé des limitations propres à l'espèce humaine ». C'est une présentation a minima, qui peut s'expliquer pour des raisons de méthode : l'auteur ne vise pas à « passer en revue les différents progrès actuels et futurs […] pour en évaluer individuellement la faisabilité ou la désirabilité » (p. 8)

Mais cette définition se précise par un emprunt à Nick Bostrom, le fondateur de Humanity + : « Le transhumanisme met au défi la prémisse suivante : la nature humaine est et devrait rester essentiellement inaltérable, et s'il le peut, c'est justement grâce aux technologies convergentes ».

Concrètement, le transhumanisme vise à développer les fonctions cognitives et émotionnelles ainsi que les capacités physiques et sensorielles. En améliorant ce qui existe déjà, et surtout en augmentant les possibilités de l'organisme. « L'augmentation concerne généralement des capacités que l'être humain “ naturel ” ne possède pas, comme la vision nocturne, et dont aucun être humain n'est capable, alors que l'amélioration vise à rendre meilleur ce qui existe déjà » (p. 28). L'auteur précise toutefois que la différence est « souvent assez floue ».

Pour libérer l'homme de ses contraintes, le transhumanisme mise sur les avancées scientifiques et techniques. Certains moyens sont déjà opérationnels, à l'image des interfaces cerveau-machine, dont profitent les personnes handicapées. Ou des neuromédicaments détournés de leur usage thérapeutique : la Ritaline (amphétamine qui accroît la concentration, bien connue des étudiants américains), le Prozac (anti-dépresseur), le propanolol (bêta-bloquant, utilisé contre le trac), le donépézil (améliorant de la mémoire) et l'ocytocine (« l’hormone du bonheur »)...

En dehors des illustrations thérapeutiques, qui ne relèvent pas de l'amélioration, ces produits concentrent les procédés d'augmentation réellement à l'œuvre étudiés par l'auteur.

2. Un projet typiquement libéral

Le transhumanisme relève par ailleurs d'un projet étroitement lié au libéralisme. Le droit fondamental de l'individu à l'autonomie fournit en effet le fondement éthique qui justifie l'exploitation personnelle des NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives). Bernard Baertschi considère « comme un arrière plan donné et qui ne demande pas à être justifié, que nous vivons dans une démocratie libérale et pluraliste, qui reconnaît à chaque individu […] le droit de mener la vie de son choix, dans la mesure où il ne cause de tort à personne » (p. 10). Le lien avec le transhumanisme est logique et revendiqué comme tel. « Lorsqu'il est question d'amélioration, celle-ci fait nécessairement référence à la vie bonne que nous désirons mener et à l'idéal de la personne que nous voulons être ».

On rejoint ici les conceptions philosophiques développées par l'auteur. Celui-ci rejette une conception de la nature humaine « qui enferme l'être humain dans des bornes prédéterminées ».

Comme l'indiquait Aristote, l'être humain est un être en devenir. En d'autres termes, il doit se parfaire pour atteindre sont but (telos) et ainsi s'épanouir. C'est poser l'amélioration en termes d'espèce, et non plus d'individu. Bostrom, qui met la génétique au cœur du projet posthumain, l'a bien compris.Prendre ainsi le contrôle de notre évolution, c'est définir l'individu posthumain comme l'aboutissement de l'humain. Mais c'est aussi procéder à un saut qualitatif : « Le telos posthumain est alors un autre telos que le telos humain » (p. 146).

Rien de problématique en soi, puisque l'être humain souffre de nombreuses imperfections. Il gagne au change. Mais ce changement de perspective relève d'un changement conceptuel : on considère que la nature n'est plus une « bonne mère ». On rejoint Hobbes, pour qui la limite supérieure d'Aristote (la pleine nature de l'humain) est une limite inférieure : l'être humain ne relève d'aucune essence fixée. Aucune limite ne lui est a priori fixée. Et s'il y avait des limites, elles n'auraient aucune pertinence morale. Où est le problème si les êtres posthumains « sont des êtres meilleurs et plus heureux que ne l'étaient les êtres simplement humains ? » (p. 51)

Certaines substances psychoactives ont un effet cognitif, d'autres agissent sur nos émotions. Toutes concourent à affecter le contenu de nos jugements. Est-ce toujours positif ? Sur ce point, l'auteur fait part de résultats et d'avis contrastés, ce qui semble logique : la question ne se pose pas dans les mêmes termes selon le procédé et le but visé. Il peut s'agir d'un bien rival, par exemple, c'est-à-dire un bien dont la possession va diminuer la quantité disponible pour les autres, comme une place à un concours.

3. Les moyens en question

Quant aux moyens, ils ne se valent pas. Le transhumanisme souffre d'ailleurs de deux critiques majeures, qui s'articulent autour des oppositions naturel/artificiel et interne/externe.

À supposer que le caractère naturel d'un dispositif ou d'un produit soit clairement défini, le caractère artificiel d'un produit n'est pas, cependant, un critère de jugement moral. L'auteur y voit en creux deux reproches portés aux moyens de l'augmentation : la dangerosité des procédés, et leur caractère inapproprié.

Le premier n'est pas fondé : comme l'indique l'hormone de croissance, certains produits naturels sont plus dangereux que leurs homologues de synthèse. Le second renvoie aux biotechnologies elles-mêmes, qui brouillent un peu plus la frontière entre naturel et artificiel. Et conduisent en définitive, à un jugement normatif, sur lequel l'auteur s'attarde, car cette frontière-là traverse l'individu posthumain.

Il n'y a pas de différence ontologique entre le naturel et l'artificiel, avance l'auteur en renvoyant aux fondements de la science moderne, pour laquelle le changement qui affecte un corps, qu'il soit de son fait ou du nôtre, ne dépend que des propriétés de ce corps. Ainsi, le caractère bon ou mauvais de quelque chose ne dépend pas de sa genèse. Ce qui importe, d'un point de vue moral, c'est la responsabilité de ce que nous entreprenons, responsabilité qui va croissant avec le développement des biotechnologies, et nous interdit de fermer les yeux. En d'autres termes, « augmenter l'être humain peut être bon ou mauvais, mais ce ne sera jamais parce qu'on utilise des moyens qui sont naturels ou artificiels » (p. 51).

Ce débat rejoint celui sur le mérite, puisque le progrès tend à supprimer la relation entre le résultat et l'action entreprise. Or, nous nous épanouissons par ce que nous faisons, c'est pourquoi la notion d'effort est solidement ancrée. Est-il pour autant moralement condamnable de s'affranchir de l'effort au profit d'une pilule ? Sans doute dans le cas du sportif, mais s'il s'agit de devenir moins colérique ? Bien des capacités ou des comportements sont dignes d'être améliorés. S'il y a d'autres moyens que l'effort, pourquoi les refuser, quand ils ne causent de tort à personne ?

L'importance attachée au mérite expliquerait également la réprobation dont sont victimes les dispositifs placés dans l'organisme, contrairement à un outil extérieur, qui demande à être manié. En fait ces dispositifs existent depuis longtemps : qu'on songe aux vaccins ou aux pace makers. L'opposition interne/externe masque donc un questionnement sur le contrôle et l'identité. Un dispositif intérieur agit seul, et certains malades de Parkinson développent une addiction depuis qu'ils sont appareillés. D'où une crainte légitime. Mais être tributaire d'implants est-ce de la dépendance ou un moyen de rester autonome ?

La question est particulièrement sensible pour les implants informatiques dans le cerveau. Mais dans la mesure où nous états mentaux ne sont pas uniquement incarnés dans nos états cérébraux (notre ordinateur nous aide à développer notre pensée, par exemple), « la distinction entre l'intérieur et l'extérieur devient sans objet » (p. 87). Ce qui compte ce sont les fonctions, et leur caractère désirable.

4. Les principes du bon transhumaniste

Pour apprécier la relation complexe entre le choix des moyens et le résultat visé, l'auteur formule donc plusieurs principes d'évaluation éthiques.

Principe 1 : Un moyen d'amélioration est moralement approprié s'il ne contredit pas la nature du bien visé.Illustration : si tout est bon pour améliorer ma mémoire, une victoire obtenue par dopage ne compte pas comme une victoire.

Principe 2 : Un moyen d'amélioration est moralement approprié s'il ne contredit pas l'adéquation du bien réalisé.Illustration : une pilule qui rend l'humeur joyeuse induit un comportement déplacé lors du décès d'un proche.

Principe 3 : Une amélioration est moralement appropriée si elle ne nous prive pas d'un bien plus désirable.Illustration : simuler électriquement une partie du cortex améliore la capacité à se souvenir, mais au détriment de la mémoire déclarative.

Ces trois premières règles permettent d'évaluer le caractère moral ou immoral d'une amélioration. Agissant sur le cerveau, les implants ou les médicaments comme l'ocytocine pourraient, par exemple, permettre à l'humain de s'affranchir de conduites racistes ou criminelles. D'où la tentation de les imposer. Mais l'emploi de moyens intrinsèquement immoraux disqualifie un tel projet d'amélioration.

Considérant le but visé (moins de crimes, moins de haine), pourrait-on abandonner le point de vue moral pour considérer qu'une amélioration est désirable d'un point de vue social ? On perçoit les enjeux d'un tel débat. De l'amélioration, on passerait au contrôle des comportements.

5. Moi, est-ce bien moi ?

Cette réflexion est liée à des considérations anthropologiques : est-on enfin soi même quand on a pris du Prozac, ou est-on devenu un autre ? Plus généralement, comment apprécier l'authenticité, cette attitude qui consiste à vivre en accord avec son « moi profond », et sa conception de la vie bonne, à la lumière des améliorations biotechnologiques ?

L'auteur rejette la conception des « bioconservateurs » pour lesquels le « moi » de chacun est l'expression d'une essence humaine, et donc un donné. Il dénonce même la pertinence de la notion, au profit de désirs ou d'aspirations, davantage révélateurs de la personne…

Et davantage compatibles avec les concepts du libéralisme politique, où l'autonomie est antérieure à toute idée d'authenticité. Autrement dit : « L'autonomie est au cœur de l'authenticité telle que le libéralisme la conçoit » (p. 74). Ce qui détermine la conception de l'individu et de son humanité.

Quand apparaît une possibilité concrète de dépasser les limites biophysiques de l'organisme, ces limites deviennent contingentes « et en quelque sorte extérieures à la nature humaine. La personne a donc le choix de les rejeter ou de les adopter en fonction de ses propres convictions et idéaux » (p. 74).Dans ce cadre, le transhumanisme offre à chacun le moyen de se réaliser pleinement, selon ses conceptions de la vie bonne. Que l'amélioration vise des biens finaux (ex : la maîtrise de soi) ou instrumentaux, ces derniers permettant d'atteindre les premiers. D'où ces deux autres principes :

Principe 4 : Améliorer une capacité qui permet à un individu de réaliser les fins qu'il s'est fixées ou de mieux les réaliser est une bonne chose (sachant que les biens visés et les moyens utilisés ne sont pas immoraux).

Principe 5 : Améliorer une capacité première ou un état premier de la personne est une bonne chose.Illustration : avoir une meilleure santé. Par capacité première, l'auteur entend un bien instrumental universel, désiré pour soi-même. Qu'il s'agisse de facultés physiques ou non, ces capacités sont sujettes à amélioration.

6. Conclusion

Sous ces réserves, le transhumanisme permet de satisfaire des aspirations qui habitent parfois l'homme depuis la nuit des temps. Hier, offrir les meilleures chances à ses enfants passait par l'éducation, aujourd'hui, sélectionner des embryons y concourt tout autant. Les technologies vont permettre de s'affranchir des limitations de l'organisme, et la diffusion des améliorations profitera, à l'image des vaccinations, à la société dans son ensemble ; elle permettra aussi de corriger les inégalités.

L'auteur émet cependant une sérieuse réserve sur la pression sociale qui pousse fortement à améliorer notre compétitivité, avec le risque que l'amélioration pour réussir ne devienne une obligation. Bernard Baertschi s'interdit cependant d'intervenir sur le plan du droit, puisque l'individu agit selon son libre arbitre, et que « l'État n'a pas à s'occuper des différentes conceptions de la vie bonne que chacun entretient, ni de l'idéal de la personne à laquelle il aspire ».

7. Zone critique

Bien qu'il s'agisse de modifier le génome, donc l'espèce humaine, l'auteur s'élève contre le principe de précaution « qui ne tient aucun compte des bénéfices escomptés » (p. 169).

Ce livre n'aurait pas été écrit par un philosophe, on aurait la nette impression d'avoir affaire à une opération de communication, par certains points comparable ayant vanté les fameux OGM, dont on sait à quelle « liberté individuelle » de l'agriculteur ils renvoient, et à quels dommages ils conduisent. Le message implicite est d'ailleurs le même : laissez faire les labos, ils travaillent pour le bien de l'humanité.

Sous son étiquette « bioéthique », cet ouvrage banalise le projet transhumaniste, dans un double mouvement. Il le rattache à ce qui serait une évidence biologique (il faut s'améliorer car c'est le principe de l'évolution), une tradition, voire un devoir moral. C'est la partie visible de l'argumentation, avec des interrogations qui mobilisent Kant et Condorcet.Mais l'auteur présente une version light du transhumaniste.

Son propos écarte la singularité, qui en est pourtant une composante importante (pour faire court : en 2050 nous serons immortels). Quand il s'agit d'atteindre des niveaux de bien être inconnus, il faut, écrit-il, « faire la part de l'exagération » (p. 146). Le posthumain est-il défini comme une nouvelle espèce, il ne faut pas « prendre à la lettre les affirmations de certains transhumanistes un peu exaltés » (p. 153). Quant à changer de sexe, ce que permet une enveloppe corporelle contingente, on touche là quelque chose de « fantaisiste » (p. 30). Pourquoi cette perspective serait-elle plus fantaisiste que les autres ?

En présentant le posthumain comme un humain bien sympathique, cet ouvrage valide en définitive un projet politique qui porte autant sur la nature (« la nature n'a aucune signification normative ») que sur l'homme, dans le sillage de Julian Huxley, théoricien de l'eugénisme et inventeur du terme « transhumanisme » en 1957.

8. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– De L'humain augmenté au posthumain, une approche bioéthique, Paris, Vrin, 2019.

Du même auteur :– La Neuroéthique, Paris, La Découverte, 2009.– En-quête sur la dignité. L'Anthropologie philosophique et l'éthique des biotechnologies, Genève, Labor & Fides, 2005.

Autres pistes :– Olivier Rey, Leurre et malheur du transhumanisme, Paris, Desclée de Brouwer, 2020.– Transhumanisme : de l'illusion à l'imposture, par Jean Mariani et Danièle Tritsch, sur le blog du CNRS : https://lejournal.cnrs.fr/billets/transhumanisme-de-lillusion-a-limposture.

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