Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Bernard Granger & Daria Karaklic
Publié en 2012, cet ouvrage est un véritable outil pour comprendre le trouble de la personnalité borderline. Les auteurs s’intéressent à la fois aux causes, aux symptômes, aux conséquences et aux différents traitements qui peuvent aider le patient.
Il est courant, depuis quelques années, d’entendre le mot « borderline » employé à tort et à travers. Il s’agit pourtant bien d’un véritable trouble de la personnalité qui a des symptômes particuliers, des causes, des conséquences et surtout qui nécessite un suivi psychologique et/ou psychiatrique.
Il s’agit ici de décrire ce qu’est ce trouble de la personnalité (TPB), quelles sont ses causes et ses manifestations. Aussi impressionnant qu’il puisse paraître, des solutions existent et une évolution est possible.
Le trouble de la personnalité borderline est « un mode durable des conduites et de l’expérience vécue qui dévie notablement de ce qui est attendu dans la culture de l’individu, qui est envahissant et rigide, qui apparaît à l’adolescence ou au début de l’âge adulte, qui est stable dans le temps et qui est source d’une souffrance psychologique ou d’une altération du fonctionnement social » (p.26).
Plusieurs dimensions affectent le sujet borderline : peur de l’abandon et efforts pour l’éviter ; relations instables avec les autres variant entre idéalisation et dévalorisation ; perturbation de sa propre identité (instabilité de l’image de soi) ; impulsivité dans au moins deux domaines (drogue, alcool, sexe, achats compulsifs) ; comportements et gestes suicidaires ou automutilations ; instabilité affective à cause d’une humeur changeante ; sentiment chronique de vide ; difficultés à contrôler sa colère ; colères intenses inappropriées ; sentiment de persécution ou symptômes de dissociation dans des situations de stress. Pour être diagnostiqué borderline, il faut présenter au moins cinq de ces neuf critères.
Le TPB est un trouble assez répandu puisqu’il concerne environ 2 % de la population. C’est un trouble qui est fréquent dans les pays du Nord industrialisés où l’individualisme et donc la précarité des liens sociaux sont plus forts que dans les pays traditionnels où persiste un sentiment de sécurité. C’est également un trouble plus féminin : 70% des sujets borderline sont des femmes, 30% des hommes. Tous les borderlines ne souffrent pas avec la même intensité ; il y a des formes graves et des formes légères. Seul un professionnel peut établir un diagnostic.
Il n’existe pas une cause unique. Les gènes y prennent peut-être une part, car des études ont prouvé qu’un déficit en sérotonine (neuromédiateur du cerveau) accentue l’impulsivité et le suicide.
Toutefois si « des prédispositions génétiques à certaines anomalies observées dans le trouble borderline sont donc probables, cependant, la part de l’influence génétique dans le trouble borderline semble réduite » (p.98). Existe-t-il alors une anomalie cérébrale ? Certaines anomalies ont été trouvées dans le système limbique (qui est lié aux émotions) et dans les zones qui normalement permettent d’inhiber les réactions émotionnelles trop intenses.
Il est également prouvé que les expériences négatives précoces, arrivées pendant la maturation du cerveau, laissent des séquelles. La famille pathogène est l’une des causes qui expliquent le TPB. Le borderline a en effet souvent grandi dans des conditions difficiles : mauvais traitements, négligence, abandon, violences verbales et/ou physiques…
Tout ceci a pour conséquence une « mauvaise structuration ou une déstructuration de sa personnalité, qui peut s’exprimer plus tard sous la forme d’un trouble borderline » (p.101). On parle également de traumatisme : traumatismes répétés comme les attouchements sexuels qui, pour certains spécialistes, empêchent la structuration de la personnalité.
Il y a aussi l’hypothèse de ce qu’on nomme le mal social. Notre société est celle de l’abondance (qui peut amener des comportements boulimiques), celle de l’immédiateté (qui peut renforcer l’impulsivité), celle de l’individualisme, etc. : « Ces évolutions sociales participent peut-être au puzzle que représentent les causes du trouble de la personnalité borderline, lequel est encore en voie de construction ». Le TPB n’a été diagnostiqué qu’à partir des années 1930 et classifié seulement dans les années 1980, mais peut-être existait-t-il auparavant sous des formes différentes.
Quels sont les symptômes du TPB ? La difficulté à contrôler les émotions fortes est sans doute l’un des problèmes que rencontrent tous les borderlines. Les réactions sont disproportionnées, instables et imprévisibles : soit elles sont très intenses, soit elles sont inhibés. Une petite contrariété peut rendre le borderline furieux, d’autres le rendent indifférent.
L’humeur est donc changeante et les émotions sont intenses. Au cours d’une même journée, les émotions peuvent changer, passer de la joie à l’angoisse… Le borderline ne supporte pas la frustration et est hypersensible. Il ressent aussi les émotions des autres : c’est une véritable éponge. Il a aussi souvent tendance à attribuer à autrui des sentiment erronés : si un ami ne répond pas au téléphone, il pense qu’il est ennuyeux et se sent rejeté. Il ne sait pas « avoir des sentiments nuancés à l’égard d’une personne ou d’une situation. Soit il aime, soit il déteste, et il peut passer rapidement d’une émotion extrême à une autre » (p.41).
Le borderline ressent de l’angoisse et est souvent mal dans sa peau ; il ne sait pas trop gérer ses colères et en a souvent honte après (certains ne sont pas colériques et somatisent par des douleurs physiques) ; il a souvent un sentiment de vide : « Tout se passe comme s’il était éteint dépourvu d’énergie vitale qui le pousserait à désirer et à agir » (p.48). Il y a aussi chez le borderline une altération des perceptions et du raisonnement parce que sa tolérance au stress est très limitée ; il ne peut donc pas prendre de décisions réfléchies. Il souffre également de symptômes dissociatifs (sentiment d’être coupé de la réalité, que l’environnement est changé…) et d’idées de persécution : il va interpréter des mots ou des actes comme des intentions malveillantes.
Au niveau des troubles du comportement, on distingue l’impulsivité, le manque de limites, les automutilations et les tentatives de suicide.
La majorité des borderlines connaissent des troubles de l’identité. « L’image que le sujet borderline a de lui-même est extrêmement fragile et instable. Elle varie en fonction des événements de vie, des circonstances, notamment de la qualité des relations avec l’entourage » (p.62). Les séparations et le rejet sont une des raisons qui poussent le borderline à avoir une mauvaise image de lui-même. Il y a de véritables perturbations des relations interpersonnelles.
Ses relations sont instables car il a à la fois une vision manichéenne des autres (tout blanc ou tout noir) mais aussi une angoisse terrible d’être abandonné. Côté amour, le borderline va chercher la relation fusionnelle mais la fuir également, car cela l’effraie. Une fois mis en confiance, il va se donner sans réserve, mais « la fusion massive dans laquelle le borderline vit avec son partenaire devient vite aliénante, car elle exclut les amis et la famille plus large. Ses colères, ses caprices et ses changements d’humeur épuisent vite le partenaire » (p.68).
Le sujet borderline peut idéaliser son partenaire puis le faire descendre de son piédestal. Ce qui caractérise le borderline est la peur de l’abandon, c’est une véritable obsession. Parallèlement, il ne pense pas mériter l’amour de quelqu’un, et est persuadé que personne ne peut l’aimer : il est donc toujours à l’affût du moindre indice qui montrerait que l’autre veut le quitter. Le borderline est possessif et jaloux et il pousse l’autre à bout pour provoquer l’abandon ou il abandonne pour ne pas que l’autre le fasse. Il va fuir l’engagement de peur de s’attacher et de finir par être trahi et abandonné. Cela est dû en général à un abandon de l’un des parents ou à un manque de soin.
Le sujet borderline peut également souffrir d’autres troubles psychiques comme les troubles de l’humeur, les troubles anxieux, les troubles de conduites (alcool, drogues…).
Il faut faire attention de ne pas confondre le TPB avec d’autres troubles (qui partagent certaines caractéristiques) comme la dépression (pour le TPB, l’humeur dépressive n’est pas constante) ou la bipolarité (qui n’inclut pas la peur de l’abandon et la dépendance affective, les changements chez les borderline sont dus aux circonstances, pas chez les bipolaires). Pour finir, un sujet borderline ne doit pas se définir à travers son trouble.
La psychothérapie est absolument nécessaire et s’est avérée être le traitement par excellence. La durée peut varier mais elle est de minimum un an, à raison de deux séances par semaine, pour réduire les aspects les plus problématiques, et de deux ans pour voir un véritable changement.
Certains spécialistes pensent que les méthodes psychothérapeutiques classiques peuvent s’avérer contre-productives. Il faut préférer la thérapie dialectique comportementale (de type cognitive-comportemental) et la thérapie centrée sur le transfert (de type psychanalytique).
La première a pour but de « modifier les croyances négatives sur soi, les autres et le monde, de diminuer la vision des choses toute noir ou toute blanche, d’augmenter le contrôle des émotions et de renforcer le sens de l’identité » (p.108). La seconde consiste à revisiter les expériences passées, à prendre conscience de ces forces inconscientes qui influencent ses émotions et ses réactions. Il existe différentes thérapies : la cure psychanalytique classique (le divan) n’est pas adaptée aux sujets borderlines qui peuvent juger la distance du thérapeute comme un signe de froideur.
La thérapie d’inspiration analytique, en face à face avec le thérapeute, peut convenir aux borderlines. La thérapie psychanalytique conçue pour les borderlines est la thérapie centrée sur le transfert. Peu encore utilisée de façon rigoureuse en France, elle a pour but de faire prendre conscience au patient de son mode de fonctionnement. Il est également possible d’aborder une thérapie familiale (en couple, pour la famille) : « Le postulat principal des thérapies familiales est que tous les membres de la famille sont impliqués dans les difficultés du sujet souffrant et doivent être mobilisés pour que cette situation change » (p.121). Le mieux pour le sujet borderline est de suivre à la fois une thérapie individuelle et une thérapie familiale.
Pour que la thérapie soit efficace, il faut que le sujet soit motivé pour changer (qu’il n’annule pas sans arrêt ses séances, choses que les borderlines ont tendance à faire), qu’il y ait une bonne relation entre lui et son thérapeute (on parle d’alliance thérapeutique), qu’il joue un rôle actif et qu’il croie aux progrès sans baisser les bras lors des inévitables rechutes temporaires. Le patient doit se sentir en confiance, et pour cela le thérapeute doit également avoir des qualités indispensables : sens de l’empathie, constance, honnêteté, implication, flexibilité.
À la psychothérapie peut s’ajouter un traitement médicamenteux qui va avoir pour effet d’apaiser les symptômes trop envahissants, ce qui permettra également d’être plus disponible pour la psychothérapie.
Les médicaments les plus prescrits sont les antidépresseurs inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine et noradrénaline ainsi que les antipsychotiques récents. Ils agissent à la fois sur les symptômes dépressifs, sur l’impulsivité et les comportements auto-agressifs, ainsi que sur les troubles des relations sociales et de l’image de soi.
Même si le trouble borderline est chronique, le traitement médicamenteux, lui, peut être ponctuel, utilisé seulement lors de phases difficiles. Surtout, il faut noter qu’après 40 ans les symptômes s’atténuent.
De plus, la psychothérapie a des effets plus que bénéfiques : « Autant le trouble de la personnalité borderline peut être spectaculaire dans ses manifestations, douloureux pour le sujet qui est atteint et parfois même mortel en raison du risque élevé de suicide, autant il répond bien, mieux peut-être que d’autres troubles à une prise en charge adaptée, notamment psychologique » (p.147).
C’est à l’adolescence que le TPB apparaît. Il persiste à l’âge adulte. Il y a des évolutions défavorables qui mènent aux comportements à risque (alcool qui peut entraîner des maladies, conduite alcoolisée, être en couple avec un homme violent) et au suicide (8 à 10 % des borderlines meurent par suicide).
Il y a heureusement des évolutions favorables, dues à des événements de vie qui peuvent provoquer une prise de conscience, à la rencontre d’un partenaire compréhensif et bienveillant, à la rencontre d’un bon thérapeute, à la maternité. Les quarante ans sont un cap : « Avec l’approche des quarante ans, les sujets semblent prendre conscience de la réalité du temps qui passe et surtout du fait que certaines conséquences de leurs comportements à risque sont irréversibles » (p.168). Dès lors, que faire ? Il faut prendre conscience qu’une aide extérieure est indispensable. La famille ne peut pas poser un diagnostic mais elle peut inciter le sujet à aller consulter un spécialiste pour confirmer ou infirmer les suppositions. Il faut donc s’adresser à un psychologue ou psychiatre spécialisé de préférence.
La question qui peut également se poser est : comment l’entourage doit-il se comporter ? Il faut d’abord savoir qu’un comportement adéquat va aider le borderline. La famille doit être bien informée sur la nature du trouble et ses traitements, elle ne doit pas avoir des attitudes opposées ou contradictoires, elle doit savoir rester calme mais ne pas pour autant tolérer toutes les attitudes (comme la violence, les menaces, les colères). En cas de colère il faut rester calme, s’éloigner également et rediscuter ensuite, savoir reconnaître ses torts, ne pas engager un combat de coq. En cas d’automutilation, il faut en parler ouvertement, verbaliser et en parler avec le psychologue qui suit le borderline.
S’il y a un risque de suicide, tout d’abord il ne faut pas culpabiliser soi-même, car le sujet borderline agit souvent de façon impulsive et il est difficile quelquefois de réagir à temps. Il faut l’écouter sans dramatiser cette envie de suicide. Il faut éloigner les moyens de suicide (médicaments, armes…) et recourir à l’hospitalisation dans les cas extrêmes.
De la description du trouble aux solutions, les auteurs dévoilent dans cet ouvrage toutes les facettes du sujet borderline. Il s’agit de comprendre les causes et les conséquences pour mieux appréhender ce trouble et pour trouver des solutions efficaces et durables.
Cela reste un livre d’information qui en aucun cas ne peut se substituer à un diagnostic médical.
Le Professeur Bernard Granger et la docteure Daria Karaklic proposent ici un outil indispensable à la compréhension du trouble borderline. Quelques passages peuvent paraître plus complexes pour des non spécialistes (lorsqu’ils évoquent par exemple les médicaments), mais le propos reste clair et efficace.
C’est un ouvrage indispensable à tous les gens touchés de près ou de loin par ce trouble de la personnalité.
Ouvrage recensé– Bernard Granger et Daria Karaklic, Les Borderlines, Paris, Odile Jacob, 2012.
Ouvrages de Bernard Granger– Idées reçues sur la dépression : Une maladie aussi universelle que mal connue, Paris, Le Cavalier Bleu, 2019 (2e édition).– La schizophrénie : Idées reçues sur une maladie de l’existence, Paris, Le Cavalier Bleu, 2019 (3e édition).– Psychopathologie de l’adulte, Issy-les-Moulineaux, Elsevier Masson, 2010 (4e édition).
Autre piste– Véronique Brand-Arpon et Déborah Ducasse, Cahier pratique de thérapie à domicile, Paris, Odile Jacob, 2017.