Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Bernard Sablonnière
Le cerveau ne cesse de se construire. Sa plasticité lui permet de se renouveler sans cesse et de s’adapter à de multiples situations, grâce aux nouvelles connexions qui se créent entre les neurones. Bernard Sablonnière décrit comment 1 300 grammes de matière sont organisés en réseau de cellules qui conduisent la pensée, les émotions, la mémoire, et servent de support aux différentes formes d’intelligence. Y sont décryptés le rôle essentiel de certaines molécules et celui des hormones, l’importance de l’alimentation ou encore celle de l’activité physique et du lien social.
Le cerveau est un organe mou, constitué à 78% d’eau et à 10% de graisse, son poids étant de l’ordre de 1 300 grammes. Il contient des cellules spécialisées appelées neurones. Celles-ci se connectent entre elles par de minuscules câbles, nommés axones. De la même manière qu’une œuvre est produite en se transformant sans cesse, le cerveau se construit en se modifiant en permanence sous l’effet de l’environnement et des relations avec les autres.
Tout aussi surprenant : le cerveau nous rend aptes à interpréter ce qui nous entoure, il nous fait ressentir, décider, agir, aimer, nous mobiliser. De nouvelles connexions entre les cellules du cerveau peuvent avoir lieu à tout moment de la vie : le fait d’apprendre, notamment, mais aussi de méditer, d’agir, de se motiver, aide les neurones à rester vigoureux.
La neurogenèse, c’est-à-dire la formation de nouveaux neurones, reste active tout au long de la vie, notamment dans la partie du cerveau appelée hippocampe.
Le cerveau a la forme d’une demi-sphère qui se situe dans le crâne. Le tronc cérébral se situe dans la partie inférieure et commande des fonctions vitales telles que la respiration, les battements du cœur, la température ou encore la faim et la soif. Son prolongement est la moelle épinière : elle descend dans la colonne vertébrale et ses ramifications sont constituées de nerfs qui commandent les muscles ainsi que le fonctionnement de nombreux organes.
Outre ce tronc cérébral, le cerveau comprend aussi l’hypothalamus, siège de nombreuses hormones, le cervelet et enfin les hémisphères, cette énorme enveloppe faite de plusieurs parties séparées, qui contiennent le lobe frontal, le lobe temporal, le lobe pariétal et le lobe occipital.
Le cerveau contient 170 milliards de cellules, les cellules douées de communication, appelées neurones, et les cellules gliales qui leur apportent l’oxygène et la nourriture. Grâce à leurs tentacules, ou dendrites, les neurones s’échangent des informations : ils communiquent entre eux par l’intermédiaire des synapses, qui constituent la région de contact située entre deux neurones. Beaucoup possèdent un tentacule principal, que l’on nomme l’axone. Ce sont de très petites impulsions électriques, ce qu’on appelle « l’influx nerveux », qui permettent aux neurones de s’envoyer des messages entre eux. Ces impulsions électriques permettent d’activer, parfois d’inhiber « la naissance d’un influx nerveux dans le neurone voisin ; la communication est alors établie » (p.31).
Les neurones ont été décrits pour la première fois en 1891. Le premier neuroanatomiste à les avoir visualisés au microscope et dessinés a qualifié ces neurones de « papillons mystérieux de l’âme, dont les battements de l’aile pourraient, qui sait, clarifier un jour le secret de la vie mentale » (p.32).
Le fonctionnement du cerveau est plus complexe encore. Il repose également sur des substances, dites clés chimiques, pour fonctionner : il s’agit des neurotransmetteurs, qui modulent l’intensité des connexions nerveuses. En effet, les neurones ne répondent pas uniquement sur le principe du « tout ou rien », la réponse de plusieurs neurones à celui qui les active peut être modulée, grâce à des variations d’intensité des impulsions électriques.
Ainsi, au cours de l’évolution, « ce principe observé maintenant pour de nombreuses clés chimiques dénommées neuromodulateurs a profondément modifié l’intelligence humaine et a grandement facilité l’adaptation des capacités mentales à la vie sociale, la vie collective, sous l’effet de l’augmentation progressive de la population des hominidés » (p.33). Les neurones utilisant la dopamine, par exemple, comme clé chimique ont aidé l’homme à développer sa capacité de concentration, d’attention et de motivation dans l’exécution d’une tâche.
La sérotonine favorise les capacités d’adaptation de l’homme dans sa vie en société : « Son comportement relationnel est plus axé sur la relation positive avec l’autre, qui n’est pas obligatoirement perçu comme un rival, ce qui est encore le cas chez de nombreux grands singes » (p.33).
Quant à l’acétylcholine, elle utilise un grand nombre de connexions entre le cerveau de la mémoire récente et le cortex préfrontal impliqué dans la planification de l’action : « On réfléchit donc davantage à initier une action ou un comportement en fonction de sa propre expérience » (p.34).
Des hormones sont elles aussi impliquées dans le bon fonctionnement cérébral. On notera par exemple que les hormones sexuelles féminines comme les œstrogènes présentent un effet protecteur sur le cerveau.
« Le cerveau évolue et s’adapte en permanence, c’est une des clés essentielles de nos capacités mentales » (p.61). Au cours de la grossesse, la neurogenèse provoque une production intense de neurones, atteignant 90 milliards de cellules. Puis, de la naissance à l’âge de douze ans, ces neurones se connectent entre eux par l’intermédiaire d’un grand nombre de synapses : le cerveau est alors très malléable à l’apprentissage ainsi qu’aux effets de l’environnement. De 12 à 25 ans intervient le grand élagage : beaucoup de synapses sont éliminées et « le cerveau de l’adolescent sélectionne les synapses les plus solides pour forger son raisonnement et sa personnalité » (p.62).
La vie adulte, entre 25 et 65 ans, constitue le moment où le cerveau est à son fonctionnement maximal, et au cours duquel il est le mieux à même de s’adapter et de faire face aux soucis et au stress quotidiens. Il est alors encore capable de produire de nouveaux neurones dans l’hippocampe et les parois des ventricules, et fait preuve d’une excellente plasticité pour reformer des connexions par de nouvelles synapses.
Enfin, après 65 ans, parfois un peu plus, arrive l’âge du déclin progressif des capacités cognitives. « Si on l’entraîne bien, à la fois en le maintenant en forme par l’exercice physique et par cette curiosité motivée et dévorante, c’est-à-dire par la pratique régulière de nombreuses activités intellectuelles et culturelles, le cerveau peut se constituer une réserve qu’il peut utiliser pour mieux résister au vieillissement » (p.62). Cela est d’autant plus vrai que les capacités intellectuelles ont été pleinement stimulées avant l’âge adulte.
Parmi les facteurs favorisant une bonne survie neuronale et la résistance au stress, l’exercice physique régulier est primordial. Ainsi, la pratique d’un sport favorise la bonne oxygénation du cerveau et stimule des capacités cognitives telles que l’attention, la concentration ou encore la mémoire, notamment grâce à la libération de molécules qui ont un effet bénéfique sur le cerveau. Par exemple, lors d’un exercice rapide qui mobilise un effort important, « la libération d’adrénaline, qui au départ sert à mobiliser tous nos muscles pour réaliser l’effort demandé, entraîne, au bout de vingt à trente minutes, la sécrétion de différentes endorphines dans plusieurs régions du cortex.
Ces molécules sont responsables de cette euphorie si particulière qui accentue le plaisir procuré par l’exercice » (p.135). Lors d’une activité d’intensité plus faible, telle qu’une séance de natation ou de jogging, c’est cette fois l’anandamide qui est libérée par le cerveau : une molécule se comportant comme un cannabis naturel, qui libère une quantité accrue de dopamine, accentuant la motivation mentale et s’accompagnant d’une émotion positive.
Qu’est-ce que l’intelligence ? Il s’agit de capacités mentales variées, regroupant la pensée abstraite, la compréhension, la communication, le raisonnement, l’apprentissage et la mémoire, et encore l’aptitude à planifier une action et à résoudre les problèmes rencontrés.
La théorie de l’esprit suggère même qu’elle comprend la capacité à comprendre l’attitude de l’homme : « Comprendre qu’une autre personne possède des états mentaux (intention, désir, connaissance, croyance, émotions, etc.) différents des siens est une spécialisation formidable de l’intelligence humaine qu’est capable de développer un enfant de deux ans » (p.53). Cette capacité humaine à comprendre ce que les autres ressentent dans leur cerveau émotionnel est située dans la région antérieure du cortex préfrontal : c’est le siège de l’empathie.
Par ailleurs, il existe aussi, selon le grand spécialiste de la mémoire Endel Tulving, cinq systèmes de réseaux neuronaux pour organiser la mémoire. La mémoire à court terme, également appelée mémoire de travail, se situe dans le cortex préfrontal. Elle permet de se souvenir pendant quelques secondes d’éléments, tels que des commandes de clients pour un serveur, et ne permet d’emmagasiner qu’une petite quantité d’informations.
Les quatre autres systèmes utilisent une mémoire à long terme : « La mémoire épisodique conserve des faits importants de notre vie liés à un contexte particulier de notre vie et est surtout localisée dans l’hippocampe, la mémoire procédurale enregistre des gestes appris, comme enfiler une veste, qui deviennent automatiques au fil du temps, la mémoire sémantique stocke des connaissances générales sur soi-même et sur le monde qui nous entoure, enfin la mémoire perceptive nous rappelle les sensations dont on a fait l’expérience comme l’odeur du muguet, par exemple » (p.105).
Ces différentes formes de mémoire utilisent plusieurs régions du cerveau : lobe frontal, hippocampe, lobe temporal, mais également des régions impliquées dans les diverses perceptions sensorielles.
Le cerveau perd 6 grammes chaque année après 60 ans, et plus de 10 grammes par an après 80 ans. En réalité, très peu de neurones sont perdus, mais l’efficacité des connexions est altérée.
Et les neurotrophines, sortes de vitamines du cerveau, deviennent moins nombreuses avec l’âge. Les cellules gliales sont également affectées par ce vieillissement. Or ce sont elles qui nourrissent les neurones. De fait, un grand nombre de cellules du cerveau subissent une altération de leur état général, notamment du fait de la moins bonne élimination des toxiques qui se forment souvent dans les cellules. Par ailleurs, l’énergie issue de la combustion du sucre est aussi moins bien exploitée par les neurones.
Comment ralentir les effets du vieillissement ? « Lors de la répétition d’exercices physiques réguliers, mais aussi en réitérant une activité mentale et relationnelle stimulante, l’homme âgé reproduit une succession d’épisodes de stress d’intensité moyenne qui réenclenche la production de dopamine, d’acétylcholine et aussi de neurotrophines » (p.184).
Le cerveau de certaines personnes, même en prenant de l’âge, vieillit moins vite que celui d’autres, et ils ne développent jamais de démence, cette perte caractérisée de fonctions telles que la mémoire épisodique, la mémoire dans le temps et l’espace, l’aptitude à organiser une action. Comment font ces personnes âgées pour conserver la forme ? Elle peut se résumer en une envie de vivre ! Leur cerveau s’est particulièrement adapté à leur environnement, elles conservent une plasticité cérébrale intacte et chez elles est favorisé le transport cérébral de deux clés chimiques indissociables de l’envie de vivre et du bonheur que sont la dopamine et la sérotonine.
Il existe des phénomènes de compensation dans le cerveau : chez certaines personnes d’âge avancé, lorsqu’une défaillance neuronale se présente dans une aire du cerveau, elle sera compensée par la suractivité développée dans une région voisine ! « Ce phénomène de compensation est souvent plus marqué chez ceux qui ont accumulé, tout au long de leur vie, une large palette de connaissances dans tous les domaines de la vie et de la culture » (p.198). Les importantes disparités entre personnes âgées sont fortement liées à la qualité des connexions à distance. La dopamine et la sérotonine seraient-ils finalement l’une des clés de notre longévité ?
La génétique, même si elle ne conditionne pas tout, joue un rôle dans le développement et la longévité du cerveau. Ainsi, des variants courts ou longs du gène de la sérotonine peuvent influencer notre perception du bonheur. De même, la génétique « permet d’influencer indiscutablement l’amélioration de nos capacités mentales et de ressentir davantage de bonheur, gage d’une longévité accrue » (p.236).
Enfin, parmi les gènes engendrant une modification de la durée de vie de certains animaux qu’on utilise comme modèle, le gène Khotho, lorsqu’il est muté, induit un vieillissement accéléré touchant l’ensemble des organes : il mettrait un jeu un mécanisme hormonal. Mais finalement, si les gènes ne sont pas dépourvus d’impact, le rôle de l’environnement, une activité physique régulière, une alimentation saine, une vie riche en relations sociales, intellectuelles et culturelles, une bonne réserve cognitive formée tout au long de la vie, demeurent des clés essentielles de la longévité…
L’ouvrage explique de façon claire et approfondie les diverses expériences que le cerveau a besoin de vivre pour progresser, pour grandir et disposer de ses pleines facultés, à l’âge adulte, puis pour résister aux effets du vieillissement.
Est d’ailleurs également abordée l’idée que dans la rééducation, à la suite d’accidents cérébraux tels que les AVC, la plasticité exprime là encore toute l’étendue de ses facultés, en permettant à des zones qui n’exercent pas habituellement un rôle, celui du langage par exemple, de prendre le relais des zones endommagées à cause de l’interruption de l’apport en oxygène, et d’établir de nouvelles connexions entre elles afin de rétablir, de compenser les fonctions défectueuses.
À l’heure où les écrans sont de plus en plus utilisés dans toutes les dimensions de notre vie, on pourrait se poser également la question de l’impact qu’ils auront sur l’évolution cérébrale humaine.
Enfin, une question peut encore demeurer : quel est l’ultime support de la pensée ? Est-elle simplement le fait d’une forme de matérialité liée à l’organe en lui-même, le cerveau, comme le sous-entendait le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux, ou est-elle aussi d’ordre spirituel, selon l’approche phénoménologique du philosophe Paul Ricœur ? Que penser de l’idée selon laquelle la vision intellectuelle crée son objet lui-même, ici le cerveau ? Qu’est-ce qui tisse finalement, au-delà des connexions physico-chimiques, le lien entre notre vie, l’ensemble de nos expériences vécues, et le fonctionnement de notre cerveau ?
Ouvrage recensé– Bernard Sablonnière, Le Cerveau. Les clés de son développement et de sa longévité, Paris, Odile Jacob, 2015.
Du même auteur– Les Nouveaux Territoires du cerveau, Paris, Odile Jacob, 2016.
Autres pistes– Francis Eustache, Les Troubles de la mémoire. Prévenir, accompagner, Paris, Le Pommier, 2015.– Jean-Philippe Lachaux, Le Cerveau funambule. Comprendre et apprivoiser son attention grâce aux neurosciences, Paris, Odile Jacob, 2015.– Jean-Pierre Changeux et Paul Ricœur, La Nature et la Règle. Ce qui nous fait penser, Paris, Odile Jacob, 1998.