Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Boris Cyrulnik et Philippe Bouhours
Cet ouvrage collectif est issu du travail réalisé en séminaires regroupant une dizaine de praticiens en psychologie, psychiatrie, neuropsychiatrie, mais également en histoire, sociologie ou encore des spécialistes du monde du sport. Sous la direction des psychiatres Boris Cyrulnik et Philippe Bouhours, cet ouvrage tente ainsi de montrer que le sport est un facilitateur dans une démarche personnelle de résilience. À partir de leurs expériences, recherches et réflexions, les auteurs nous expliquent en quoi les sportifs, ces « héros des temps de paix », sont des symboles forts et des exemples à suivre de résilience face à aux événements douloureux que chacun d’entre nous vit au quotidien. Les sportifs, en effet, au cours de leur carrière ont régulièrement à faire face à l’adversité, à la méforme et aux blessures, au stress, bien sûr, aux échecs sportifs, ou encore à la douloureuse période qu’est la reconversion… La résilience est ainsi une « marque de fabrique » du sportif. Elle l’est d’ailleurs encore certainement davantage pour les athlètes de haut niveau qui évoluent dans le sport paralympique.
Quel est le lien entre sport et résilience ? Telle est la question essentielle que se sont posée les auteurs, tous des spécialistes reconnus dans les domaines de la connaissance des activités mentales et des comportements humains, mais également du monde du sport et du mental des sportifs de haut niveau.
S’il est établi, depuis longtemps, que le sport est bénéfique pour l’équilibre mental et la santé émotionnelle, le champion peut-il représenter une « incarnation » de la résilience ? Les athlètes sont devenus les nouveaux héros de temps de paix dans nos sociétés occidentales. Ce sont des hommes et des femmes au-dessus du commun des mortels, des personnages extraordinaires de l’exploit. Par le rêve et l’identification, les sportifs de haut niveau aident ainsi certains d’entre nous, les plus fragiles, à mieux affronter leur propre vie. Les auteurs s’intéressent parallèlement à la capacité des sportifs de haut niveau à affronter les obstacles majeurs qui les entravent dans leur carrière, que ce soient les blessures, la méforme, les échecs…
Car ils ont beaucoup à transmettre sur la capacité à faire face à l’adversité. Mais les différents spécialistes vont encore plus loin dans la recherche sur ce lien entre sport et résilience en posant la question de savoir si la résilience est au cœur même du mental des grands sportifs : « Devient-on champion parce que l’on a subi une blessure psychique et pour atténuer celle-ci ? Étrange question que d’imaginer nos champions triomphants, colosses aux pieds d’argile. » (p. 33) Le champion pratique-t-il un sport à haut niveau pour se « soigner » ?
Le sport procure-t-il des facultés particulières de résilience ? La pratique du sport à haut niveau est-elle, pour les athlètes paralympiques comme valides, un remède physique et psychique ? La fin de carrière, un passage tant redouté par les sportifs professionnels, est-il intrinsèquement un modèle de résilience ? En quoi le sport peut-il aider fondamentalement des jeunes en situation de souffrance ou en rupture ? Le concept de résilience dans le sport questionne ainsi à de multiples niveaux, chez le champion en premier lieu, une image emblématique.
La résilience est un concept récent, apparu dans les années 1990 sous l’influence de psychiatres américains spécialistes de la petite enfance, tels que Emmy Warner ou John Bowlby à l’aune des recherches qu’ils ont effectuées. Ce concept part d’un constat : nous sommes inégaux face aux traumatismes profonds.
Certains retrouvent un équilibre alors que les épreuves traversées auraient dû les terrasser, d’autres ne s’en sortent jamais. C’est une énigme, appelée la « résilience ». Boris Cyrulnik est le premier, en France, à s’intéresser à cette notion et à travailler comme neuropsychiatre sur la question. Il publie, en 1999, un essai, Un merveilleux malheur, dans lequel, il s’interrogeait sur les processus de réparation de soi inventés par les rescapés de l’horreur. Il a révélé, plus tard, ses propres traumatismes de la Shoah : ses parents, immigrés juifs d’Europe orientale, sont morts en déportation et, tandis que lui, se trouvait caché dans une famille.
Comme l’a écrit le neuropsychiatre dans ce premier essai sur la question, « le malheur n’est pas une fatalité, il peut même être “merveilleux’’ ». Le terme de « résilience » vient du monde des sciences et de la physique en particulier. Il décrit l’aptitude d’un corps à résister aux pressions et à reprendre sa structure initiale. En psychologie, la résilience est la capacité à vivre, à réussir, à se développer en dépit de l’adversité. Comment un être humain, ayant subi un traumatisme, peut-il retrouver un équilibre lui permettant d'assurer son développement ? Pour Boris Cyrulnik, cette notion de nécessaire (re)construction paraît logiquement bien adaptée au sport.
Il y a le champion, un héros du quotidien, demi-dieu, adulé, admiré, offrant une image identificatoire nécessaire aux enfants qui leur permet de se renforcer. Pour nombre d’adultes, fragilisés par la vie, lorsque l’« on se sent amoindri par un développement difficile ou par son appartenance à un groupe humilié, le héros dont nous avons besoin prend la figure d’un rédempteur qui rachète nos fautes ». (p. 15)
La réflexion sur les interactions possibles entre sport et résilience est très innovante. Peu de recherches ont, jusqu’à présent, été effectuées sur ces questions.
En effet, sur Internet, s’il apparaît près de 87 000 occurrences grâce aux mots clefs « sport » et « résilience », le nombre de références en termes de publications scientifiques ne dépasse pas les 250. C’est dire si, à la fois, le sujet questionne et passionne, et en même temps, la réalité des recherches scientifiques sur ce sujet n’apparaît pas encore à la hauteur de l’intérêt suscité. Et pour les auteurs, « le sport est plus qu’une simple performance physique.
C’est, comme la résilience, une affaire relationnelle, psychologique, anthropologique, individuelle et collective. » (p. 19) Les champions ont-ils une facilité, grâce à une pratique sportive de haut niveau, à mieux affronter les épreuves de la vie que la population générale ? La mesure de la résilience dans le sport est possible, grâce à trois composantes : la mesure de l’adversité, les capacités positives d’adaptation, et les facteurs de protection. Des expériences prouvent que les athlètes sont moins performants lorsque le stress, l’anxiété et l’agressivité se manifestent. En revanche, la performance augmente lorsque le sportif fait face aux événements de façon responsable, ses erreurs, les maladies et blessures, les défaites, les critiques…
Le psychiatre Philippe Bouhours, spécialisé en thérapie comportementale et cognitive, met aussi en évidence trois facteurs essentiels de résilience chez le sportif : détermination, solidité physique, contrôle émotionnel et maturité psychique. Le lien entre sport et résilience lui paraît donc évident. C’est un lien bilatéral. La résilience peut tout autant avoir des répercussions dans la pratique sportive que le sport peut faciliter une démarche résiliente.
Et, aux yeux du psychiatre, s’il est un acteur majeur dans la résilience du sportif, c’est le coach, véritable « tuteur » de résilience. Car l’entraîneur, le représentant de la figure parentale, insuffle au sportif, pression et confiance, autorité et libre arbitre, sécurité et liberté, exigence et soutien.
Pour l’un des contributeurs, Hubert Ripoll, psychologue, spécialiste de psychologie du sport, il existerait un lien entre le champion et le travail de résilience. Pour celui qui a accompagné quelques-uns des plus grands sportifs français, il s’avère que nombre d’entre eux, valides comme handicapés, étaient porteurs d’une blessure psychique profonde depuis leur enfance.
Chez les sportifs valides, cette blessure psychique est, dans la plupart des cas, liée à une défaillance de l’environnement familial ou social. « Un nombre important de réussites et de succès mondiaux sont dus à cette alchimie dont le creuset fécond est l’absence de relation apaisante et secure dans l’enfance et la reconstruction par le sport. » (p. 36) Le travail de dépassement de cette blessure aurait permis à ces sportifs de devenir des grands champions. Le sport leur a permis, grâce notamment au groupe et au coach, et bien sûr, au dépassement de soi dans leur sport, de se reconstruire psychiquement parlant, et de développer une véritable estime de soi. Leur objectif : devenir le N°1 pour se sentir exister.
Ces champions peuvent même atteindre une totale résilience lorsqu’ils obtiennent succès et reconnaissance sociale. Pour les athlètes handicapés, les ressorts sont quelque peu différents. Ces champions tentent de dépasser le traumatisme, tant physique que psychique, lié au handicap. Ils recherchent progrès et accomplissement de soi plutôt que la satisfaction de leur propre ego. La victoire est avant tout une victoire sur eux-mêmes plutôt que sur l’adversaire.
Selon le professeur de sciences sociales Otto J. Schantz, le sport participe pleinement à deux fonctions essentielles dans la résilience du sportif handicapé. Il favorise grandement le lien social, plus particulièrement dans les sports collectifs, et offre continuellement des opportunités résilientes : d’avoir le sentiment d’être utile et efficace, d’être capable de surmonter des difficultés, d’adopter des attitudes positives, d’apprendre continuellement à se motiver et à persévérer.
Que se passe-t-il lorsque le champion doit arrêter sa carrière ? Un moment crucial, souvent très douloureux, pour le sportif dont la vie n’était centrée que sur son sport et son environnement sportif. La fin de carrière est une phase si critique qu’elle est très souvent qualifiée de « petite mort du champion ».
D’après la psychologue clinicienne, Aurélie Navel-Girard, cette « petite mort » serait une chance donnée à l’athlète, celle d’une nouvelle naissance, la reconversion. La reconversion devrait être appréhender comme une phase temporelle qui s’anticipe et se prépare. « Le temps est exigeant : il demande respect. Et la résilience s’y soumet : elle n’est pas innée, elle n’est pas offerte, elle se construit au fil de son histoire, des opportunités et des rencontres. » (p. 143) Cette reconversion du champion se doit d’être abordée comme un véritable processus de deuil. Accepter ce qui n’est plus afin de pouvoir s’ouvrir de nouvelles perspectives, définir de nouveaux objectifs, s’accomplir avec plaisir dans un domaine autre que la pratique sportive de haut niveau.
Le deuil, nécessaire, passe par différentes phases d’acceptation de perte : de la pratique sportive intensive, de la performance et de l’esthétisme du corps de l’athlète, du statut social de « héros » et de la célébrité, d’un environnement hyper-protégé. Un deuil d’autant difficilement acceptable pour le sportif que ce qui est son « objet de désir », son sport favori, continue d’être pratiqué par d’autres et, avant tout, ses principaux rivaux.
Boris Cyrulnik offre une belle parabole pour expliquer en quoi la souffrance peut servir la résilience particulièrement dans ce contexte de reconversion sportive : « La perle naît donc d’une blessure au creux d’un coquillage, et sans blessure, pas de perle. Il y a bien des perles dans nos vies qui naissent de nos blessures. « (p. 145)
Le sport est un excellent remède pour atteindre un équilibre émotionnel. De nombreuses études scientifiques le prouvent. Car il n’est pas un simple défi physique, mais bien une recherche d’accomplissement de soi.
Chez les sportifs de haut niveau, nos héros des temps modernes, le lien entre sport et résilience est en train d’être démontré. Les expériences diverses des contributeurs de l’ouvrage auprès des champions permettent de mettre en exergue un regard nouveau. Si le sport est un outil efficace de résilience, il est intéressant de voir aussi que de nombreux athlètes de haut niveau sont des personnes ayant subi des blessures psychiques dans l’enfance. Se sont-ils tournés vers le sport pour se (re)construire ?
C’est en tout cas ce que pensent collectivement les auteurs. Une démarche de résilience, différente, mais également confirmée chez les athlètes handicapés, ou encore lors d’une étape majeure, la reconversion du champion. Pourtant, « on ne peut pas dire que les sportifs sont résilients, car il s’agit d’un processus. Mais le sport est un facteur de résilience très précieux ». (p.60)
Si la notion de résilience commence à être plutôt bien décrite par les chercheurs, et en premier lieu Boris Cyrulnik, peu de travaux ont été réalisés sur l’exercice physique assidu et la capacité à rebondir à la suite d’un traumatisme, physique ou mental. Cet ouvrage collaboratif est donc une démarche innovante et passionnante sur le décryptage des champions.
Sont-ils des sportifs de haut niveau parce qu’ils ont une blessure à combler ou sont-ils dotés d’une grande capacité de résilience ? Ou peut-être, pour certains, les deux ? La réflexion est loin d’être aboutie bien sûr, mais l’intervention de ces divers spécialistes des champs du sport et de la psychologie livre de nombreuses pistes.
Car finalement, ces héros des temps de paix, ne sont certainement pas ceux que l’on imagine. Ces êtres apparemment invincibles sont peut-être bien des « colosses aux pieds d’argile ». Après « résilience et Shoah », c’est un énorme champ de compréhension du mental de l’être humain que nous ouvre ainsi le sport via le prisme de la résilience.
Ouvrage recensé– Sport et résilience, Paris, Odile Jacob, 2019.
Ouvrages de Boris Cyrulnik– Un merveilleux malheur, Paris, Odile Jacob, 1999.– Les vilains petits canards, Paris, Odile Jacob, 2001.– Mourir de dire. La honte, Paris, Odile Jacob, 2010.– Sauve-toi, la vie t'appelle, Paris, Odile Jacob, 2012.– La nuit, j’écrirai des soleils, Paris, Odile Jacob, 2019.