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Les Fantômes familiaux

de Bruno Clavier

récension rédigée parKarine ValletProfesseure certifiée de Lettres Modernes.

Synopsis

Psychologie

Peut-on être hanté par ses ancêtres ? Aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est bien ce qui arrive lorsqu’un descendant endosse de façon inconsciente le traumatisme d’un aïeul ou réitère les schémas comportementaux à l’œuvre plusieurs générations auparavant. Un phénomène étrange et méconnu qui dévoile les capacités les plus profondes du psychisme humain.

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1. Introduction

En marge de la psychanalyse traditionnelle, la psychogénéalogie ou psychanalyse transgénérationnelle a ouvert de nouvelles portes en intégrant la notion de fantôme psychique.

Bruno Clavier démontre comment les blessures les plus secrètes peuvent être transmises d’une génération à une autre, de façon inconsciente et sans que leur intensité ne s’estompe. C’est dans ce cadre que l’analyse généalogique devient un outil thérapeutique précieux pour libérer certains patients de leurs obsessions ou de leur mal de vivre.

Quelle forme peut prendre un fantôme familial et comment en détecter la présence ? Quelles sont ses conséquences sur le psychisme d’un individu ? Comment briser ces chaînes inconscientes qui lient une personne à ses ancêtres ?

À travers de nombreux cas concrets, Bruno Clavier dévoile les mécanismes du fantôme transgénérationnel, depuis sa survenue jusqu’à sa guérison thérapeutique.

2. Psychanalyse transgénérationnelle : définition

La psychanalyse transgénérationnelle repose sur l’idée que l’on hérite d’une structure psychique marquée par le vécu de nos ancêtres, ce qui élargit le spectre de nos déterminants psychiques.

Dans le cas de traumatismes non résolus dans les générations antérieures, cette influence est parfois si prégnante qu’elle peut engendrer chez les descendants des désordres psychologiques plus ou moins graves. C’est ce que l’auteur nomme « l’après-coup transgénérationnel ». La compréhension ou la connaissance du passé familial constitue l’une des clés pour démêler les fils de ces troubles psychiques qui ne trouvent aucune cause dans le présent. Les patients concernés évoluent généralement dans un environnement équilibré et mènent une vie ordinaire. Mais ils sont dépositaires d’une blessure ancestrale qui les empêche d’évoluer dans leur existence et d’être heureux.

Dans le domaine psychanalytique, on désigne ce phénomène par le terme de fantômes. Ce sont les psychanalystes, Nicolas Abraham et Maria Török, qui ont introduit cette notion dans les années 1970. L’individu est en effet comme possédé par une structure émotionnelle qui parasite son psychisme de façon inconsciente. Celle-ci est vouée à passer d’une génération à une autre tant que le trauma initial n’a pas été mis à jour. La répétition de schémas relationnels identiques, la récurrence de dates ou de noms semblables dans la généalogie, l’existence de traumatismes enfouis, permettent d’identifier la présence d’un fantôme familial dans une lignée. L’aïeul à l’origine de cette structure psychique aliénante peut appartenir à des générations très anciennes.

Cette prise en compte du passé familial en psychanalyse a été longtemps entravée par la prédominance des concepts freudiens. Sigmund Freud a en effet développé la pratique de cures psychanalytiques essentiellement centrées sur le sujet, excluant du travail analytique l’influence familiale et parentale. Pour l’auteur, le père de la psychanalyse aurait été victime de ses propres démons. Le refus de voir en face le traumatisme sexuel engendré par son propre père sur son frère l’aurait notamment conduit à occulter le rôle fondamental des névroses parentales dans la construction psychique de l’enfant et de l’adulte.

Comme le rappelle Bruno Clavier, le « trauma originaire occasionné par le père » a été délibérément évacué des théories de Sigmund Freud parce que cela l’aurait obligé à remettre en question son propre père. D’ailleurs, avant la publication de sa correspondance avec le docteur Wilhelm Fliess, il a retiré tous les passages dans lesquels il avouait la perversité paternelle à son ami. Ce déni était même si ancré qu’il n’a pas donné de réponses à Carl Gustav Jung et Sandor Ferenczi lorsqu’ils lui ont confié avoir subi des abus sexuels durant leur enfance.

3. L’inconscient, mode de transmission du fantôme familial

Un trauma familial se transmet d’un inconscient à un autre, ce qui explique sa résurgence bien des années plus tard dans le psychisme des descendants. Ce processus est à l’œuvre dès la petite enfance. Avant l’âge de 3 ans, l’enfant est en effet connecté à l’état psychologique de ses parents, car il ne dispose pas encore d’un « appareil psychique clos et séparé des autres » (p. 133). Cette communication inconsciente originaire, théorisée par la psychiatre Piera Aulagnier, repose donc sur des capacités de télépathie de l’enfant, qui perdurent jusqu’à l’âge de 8 ans environ.

C’est pour cette raison que certains jeunes patients ont connaissance de noms ou de lieux dont ils n’ont jamais entendu parler. Si le processus télépathique a été rejeté par Sigmund Freud, car ne relevant pas d’un ressort suffisamment scientifique, la découverte de neurones miroirs, fonctionnant par mimétisme avec l’entourage, apporte un éclairage nouveau. Elle explique comment l’enfant s’imprègne comme un buvard des structures psychiques de ses proches et peut accéder à des informations familiales en dehors de toute contrainte d’espace et de temps.

La perpétuation du fantôme familial à travers les générations est généralement le fait d’une absence de verbalisation initiale du traumatisme. À ce sujet, Nicolas Abraham part du postulat que ce fantôme transgénérationnel se déploie sous le coup d’un secret enfoui. Le psychanalyste Didier Dumas, quant à lui, élargit la notion en parlant plutôt de « non-dit ancestral » qui n’a pu permettre à l’ancêtre de faire face à l’événement traumatique et de le dépasser.

Sans élaboration verbale ni mentale, il a été intériorisé et parfois tellement refoulé qu’il a été remplacé par un véritable vide psychique et émotionnel qui l’a plongé dans l’oubli. Mais ce n’est pas pour autant que le traumatisme disparaît. Bien au contraire, il reste vivace et se transmet aux générations suivantes. Bruno Clavier évoque l’image d’un « trou noir […] siphonnant l’énergie des descendants » (p. 40), bien qu’ils n’aient ni vécu ni eu connaissance du trauma familial.

4. La relation amoureuse, un révélateur de fantômes familiaux

De nombreuses femmes ne parviennent pas à s’épanouir en amour parce qu’elles sont dans une quête incessante de la relation parfaite et du prince charmant.

Cet idéal amoureux est assez répandu, même parmi les femmes modernes et indépendantes. Il résulte en fait d’une structure sentimentale archaïque héritée des mariages arrangés d’autrefois. Comme la femme n’avait pas le choix de son époux, l’homme aimé représentait celui qu’elle n’aurait jamais. Transmise de mère en fille, cette structure sentimentale fait perdurer le clivage entre le mari et le prince charmant, c’est-à-dire entre la relation conjugale et la relation extra-conjugale, dans l’inconscient de certaines femmes d’aujourd’hui. Un autre modèle amoureux est assez fréquent, lié à la Première Guerre mondiale.

De nombreuses femmes ont épousé ou retrouvé un mari ayant survécu aux combats, alors qu’elles avaient perdu un frère. Par l’idéalisation de ce dernier au détriment de leur conjoint, elles ont communiqué à leurs filles l’image d’un modèle amoureux dans lequel l’homme aimé est celui qui est absent et le mariage ne peut être source de bonheur.

La jalousie amoureuse paranoïaque est aussi le vestige de fantômes familiaux, aussi bien chez les hommes que chez les femmes. À l’origine de cet état pathologique se trouve généralement un déficit affectif et identificatoire provenant de l’enfance. L’absence du père ou de la mère, son incapacité à donner de l’amour ou son caractère trop effacé peuvent empêcher l’enfant de se nourrir des deux énergies masculine et féminine dont il a besoin pour se construire.

Alors que l’énergie féminine se caractérise par un mouvement centripète évoquant la protection et la stabilité, l’énergie masculine se définit par un mouvement centrifuge, symbolisant la séparation et le mouvement en avant vers l’extérieur. Ainsi, en cas de lacune paternelle, un homme ne pourra se construire de façon solide et recherchera ultérieurement l’énergie qui lui a fait défaut.

C’est exactement ce qui est en jeu dans la jalousie paranoïaque. Le jaloux ne s’intéresse pas tant à son partenaire qu’au rival potentiel qui devient sa véritable obsession. Il réalise ainsi un fantasme homosexuel inconscient pour combler l’énergie manquante.

5. Quels sont les troubles pathologiques les plus répandus ?

Lorsqu’un individu est hanté par un fantôme familial, les symptômes se manifestent souvent brutalement et peuvent prendre une ampleur pathologique grave. La personne s’enferme généralement dans un comportement qui est la duplication de ce qu’a vécu autrefois un ancêtre. La lignée paternelle d’Arthur Rimbaud en est un exemple frappant sur trois générations successives. Le père du poète abandonne définitivement le domicile familial quand son fils atteint ses 6 ans. On retrouve le même schéma de vie dans les générations précédentes : l’arrière-grand-père, Jean-François Rimbaud, dont le père est mort lorsqu’il avait 5 ans, quitte femme et enfants lorsque son fils a 6 ans.

Au-delà de la répétition de comportements, des troubles psychiques tels que la névrose obsessionnelle, la paranoïa ou la psychose témoignent la plupart du temps d’un fantôme transgénérationnel. Les symptômes touchent aussi bien les adultes que les enfants. Ils peuvent prendre des formes diverses, comme des hallucinations, des cauchemars, une hypocondrie, le développement de tocs ou troubles autistiques, des états convulsifs ou phobiques, etc. Bruno Clavier révèle ainsi que la phobie des serpents, des araignées ou des loups chez les tout-petits est caractéristique de la présence d’une figure féminine dominatrice dans les générations précédentes, dont l’ascendant se perpétue sur les descendants.

Dans certains cas, le fantôme familial peut aussi entraver l’évolution normale d’un individu. Ainsi, le silence entourant la mort ou la procréation est à l’origine de nombreux blocages chez les enfants. Les parents évitent souvent d’aborder ces sujets avec les tout-petits, craignant de les traumatiser.

Or, c’est justement l’inverse qui se produit. En n’informant pas un enfant sur ces deux réalités constitutives de ce qu’il est (un être né pour mourir), on entretient une ignorance qui crée des « vides de représentation » susceptibles d’être néfastes à sa santé psychique. Le problème de la mort et de la sexualité doit être abordé au plus tôt, pendant la période œdipienne où l’enfant construit son identité par opposition ou identification à ses parents.

Il est également indispensable de ne pas occulter ces sujets et de les expliquer clairement lorsque des événements traumatiques interviennent. Sans cela, un décès, un avortement ou une fausse couche risquent de devenir des fantômes familiaux dont seront tributaires les descendants.

6. Quelles sont les modalités thérapeutiques ?

La particularité de la psychogénéalogie tient à ce qu’elle ne peut reposer exclusivement sur l’inconscient individuel au risque de conduire à un échec de la thérapie. Pour comprendre un fantôme familial, il convient de se placer également dans la perspective d’un inconscient collectif reflétant le vécu d’une lignée.

C’est pourquoi les séances d’analyse doivent s’effectuer en présence des parents, notamment dans le cas d’enfants dépositaires d’un traumatisme psychique ancestral. Cette dimension collective de la thérapie est essentielle : il faut en effet que tous les maillons de la mémoire transgénérationnelle soient libérés sous peine de faire perdurer la transmission du trauma. C’est d’autant plus vrai que l’individu atteint psychiquement fonctionne souvent comme un « tampon » dans une famille : en devenant le creuset des conflits intérieurs des ancêtres, il cherche à en protéger inconsciemment ceux qu’il aime. C’est dans ce cadre que Sandor Ferenczi parle d’« enfant thérapeute » voué à porter « le fardeau de tous les autres membres de la famille » (p. 242).

Cette notion fait écho au cas d’un psychotique soigné par Bruno Clavier : la santé psychique de ses proches déclinait en effet à la mesure des progrès qu’il faisait. Sa maladie avait en quelque sorte eu pour vocation de centraliser tout le mal-être qui pouvait guetter sa famille. Dès lors qu’il guérissait, ses proches n’avaient plus de rempart contre leurs propres maux.

La parole constitue un véritable moteur dans la thérapie. Elle a pour vocation de faire la lumière sur un pan méconnu de l’histoire familiale. Dans le cas d’enfants, les révélations que fournissent les parents et leur capacité à faire face à leur propre vécu sont essentielles. Il suffit parfois d’une seule séance pour que s’atténuent les symptômes, d’autant plus que l’inconscient infantile est moins figé que chez l’adulte. La symbolique des dessins est par ailleurs un support d’analyse précieux pour comprendre les mécanismes psychiques complexes auxquels est soumis un enfant.

De façon générale, la psychanalyse transgénérationnelle induit également un travail de recherche généalogique et d’enquête auprès des proches pour découvrir de potentielles explications aux désordres psychiques dont souffre le patient, adulte ou non.

7. Conclusion

La psychogénéalogie a révolutionné l’approche psychanalytique. Il est aujourd’hui attesté que certaines affections psychiques résultent non pas d’une prédisposition ou d’un vécu personnel, mais d’une histoire familiale. Cette avancée significative a permis de guérir des patients qu’aucun autre type de thérapie n’était parvenu à aider.

En associant thérapie individuelle et approche transgénérationnnelle, l’individu parvient à se libérer d’une emprise dont l’origine est extérieure à lui-même. Désormais, les aides psychologiques proposées dans le cas d’événements traumatisants offrent un rempart à la transmission de nouveaux fantômes familiaux, en permettant d’extérioriser son trauma et de le mettre en mots pour le surmonter.

8. Zone critique

La psychogénéalogie doit beaucoup à Carl Gustav Jung qui a été le premier à théoriser la notion d’inconscient collectif et familial influençant la vie des descendants. Dès les années 1950, la psychiatre Joséphine Hilgard observe dans le cas de psychoses qu’il existe un lien entre le déclenchement de la pathologie et un traumatisme familial vécu par un ancêtre. Elle constate que certaines personnes développent des troubles psychotiques lorsqu’elles atteignent l’âge auquel un traumatisme a touché antérieurement un proche. Elle élabore la notion de réaction anniversaire pour désigner le phénomène de répétition qui s’opère dans une famille à des âges identiques.

Les études d’Anne Ancelin Schützenberger confirment ces théories, en mettant à jour le concept de stress d’anniversaire qu’elle observe dans les cas de cancers ou même de pathologies provoquées par des traumatismes de guerre vécus par des générations antérieures. La psychanalyste va même plus loin en établissant que la transmission d’inconscient à inconscient serait déjà à l’œuvre entre la mère et le fœtus. Cette idée avait déjà été auparavant avancée par Françoise Dolto.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Les Fantômes familiaux – Psychanalyse transgénérationnelle, Paris, Éditions Payot, 2014.

Du même auteur– Ces enfants qui veulent guérir leurs parents, Paris, Payot, 2019.– Les fantômes de l'analyste, Paris, Payot, 2017.

Autres pistes– Nicolas Abraham et Maria Török, L’Écorce et le Noyau, Paris, Éditions Flammarion, coll. « Champs Essais », 2009.– Anne Ancelin Schützenberger, Psychogénéalogie – Guérir les blessures familiales et se retrouver soi, Paris, Éditions Payot, 2015.– Didier Dumas, L’Ange et le Fantôme, Paris, Éditions de Minuit, 1985.– Giacomo Rizzolatti et Corrado Sinigaglia, Les Neurones miroirs, Paris, Éditions Odile Jacob, 2011.– Christine Ulivucci, Psychogénéalogie des lieux de vie – Ces lieux qui nous habitent, Paris, Éditions Payot, 2017.

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