Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Camille Froidevaux-Metterie
Ce livre est une étude à la fois philosophique et sociologique sur les modifications de la perception du féminin et, notamment du corps attribué au genre féminin. À force de luttes contre la domination masculine, les femmes en sont venues à désexualiser les rôles familiaux, sociaux, et leurs propres corps, pour atteindre ce qu’elle appelle une « convergence des genres ». Cependant, malgré une multitude de potentialités, de genres et de sexualités, il est plus que jamais demandé aux humains de se définir : or, comment faire pour les femmes lorsque des décennies de combats féministes ont fait disparaître le corps féminin ? L’autrice décide de remettre au centre le corps féminin, car, selon elle, la révolution féminine sera corporelle, ou ne sera pas.
C’est avec une approche philosophique que l’autrice décide de nous plonger, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, dans les profondes transformations qu’apportent au quotidien la pensée et les combats féministes. Son objectif : montrer à quel point ils aboutissent à la suppression de la division ancestrale du « privé-féminin » et du « public-masculin ». En effet, les femmes ont historiquement été assignées au foyer et les hommes à l’extérieur, à la vie politique et économique.
L’autrice constate que les combats menés en faveur de l’égalité des sexes aboutissent doucement à une convergence des genres, mêlée à une désexualisation des corps.
Au fil des pages, les plus grand.e.s philosophes nous accompagnent pour montrer comment le système patriarcal s’est peu à peu effiloché dans une première partie ; tandis que, dans un second temps, l’autrice explique qu’en rejetant la domination des femmes par leur corps, c’est leur corps en entier qu’elles ont rejeté.
La troisième partie du livre enfin, intitulée « L’expérience du féminin », tend à montrer comment l’on peut se réapproprier notre corporéité en faisant l’expérience de notre corps.
De tout temps, les femmes ont été attribuées à la vie privée du foyer et les hommes à l’extérieur, au politique, situation entérinée par la puissance religieuse. Si les pensées féministes émergent au fil des siècles, il faut attendre 1970 pour que le prisme de la domination masculine soit appliqué à tous les domaines de l’existence, et pour que les théoriciennes mettent au même niveau la sphère publique et la sphère privée.
En effet, dès l’Antiquité, les femmes étaient déjà assignées au foyer, et les philosophes de l’époque comme Platon ou Aristote ont confirmé l’infériorité féminine (la femme était comparée à un mâle infertile). Aristote explique que le destin naturel des femmes est domestique. Il en va de même à Rome, où les femmes quittent l’école à 12 ans pour se préparer à leur statut d’épouse, même si, à partir du Ier siècle, le statut de femme au foyer est valorisé.
Avec le début du christianisme, l’abstinence est encouragée, l’adultère (féminin) puni, le renoncement sexuel se pose comme fondement de la domination masculine. Au IVe siècle, le couple chrétien peut être le lieu de l’amour, mais il est toujours motivé par la procréation.
À partir de l’âge féodal, les femmes sont considérées comme une propriété privée, gérée par le dominus (maître de maison). Une obsession de la pureté se met en place : la femme doit rester vierge jusqu’au mariage, puis ne jamais commettre l’adultère. Au XIIIe siècle, c’est l’âge d’or du christianisme : la famille est considérée comme le lieu de réalisation ultime. C’est aussi à ce moment que Saint-Thomas réaffirme l’infériorité féminine, par des justifications religieuses. L’assignation au foyer est d’ailleurs valorisée dans la chrétienté par l’image de la Vierge Marie.
L’autrice établit un état des lieux des diverses pensées philosophiques à travers les siècles, en parallèle avec l’histoire chrétienne résumée plus haut. Elle prend l’exemple du Prince de Machiavel, paru au XVIe siècle : il attribue tout ce qui touche à la sphère publique, donc aux hommes, les valeurs comme la ruse, la force, la violence, autant d’éléments qui fondent aussi l’autorité masculine. Dans cet ouvrage, les valeurs domestiques sont considérées comme moindres, et elles sont évidemment attribuées aux femmes. Hobbes, dans son ouvrage le Léviathan, réaffirme la règle patriarcale en indiquant que le référent familial se doit d’être le père parce que « la plupart des républiques ont été fondées par des pères ».
On pouvait reprendre espoir avec John Locke (XVIIe siècle) qui défendait une idée égalitaire de la société : pour lui, père et mère avaient égale autorité dans le foyer. Idée sur laquelle il revint rapidement en attestant de la supériorité physique de l’homme, et donc sa supériorité globale dans la société. Au XVIIIe siècle, Rousseau, qui abhorrer le sexe féminin, présente dans plusieurs de ses ouvrages l’enfermement féminin comme une nécessité : les femmes étant mues par leurs désirs. Dans Le Contrat social, il exclut d’ailleurs complètement les femmes, et le seul moment où il aborde l’éducation féminine est celui où il établit une comparaison entre hommes et femmes : ses propos marquent d’ailleurs le début de la sexualisation du corps féminin, du “male gaze” (les femmes se construisent par rapport à ce que les hommes attendent d’elles). Cela marque également le début du développement du culte du corps.
Pendant la période révolutionnaire, quelques personnalités défendent les femmes, à l’image de Condorcet, qui insiste sur le droit de cité des femmes, sans toutefois parvenir à convaincre. Babeuf, quant à lui, explique que si les femmes sont absentes de la création, de l’art ou de la politique, c’est simplement parce qu’on les en a empêchées. Toutefois, la constitution de 1789 n’offre pas la citoyenneté aux femmes : elles sont toujours perçues comme des épouses, le bulletin de vote de l’homme parle pour le foyer entier. Le Code civil de 1804 ne fait d’ailleurs pas mieux : il réaffirme la dépendance des femmes au sein de l’institution du mariage, et en 1816, le divorce est à nouveau interdit.
Camille Froidevaux-Metterie s’attarde sur l’apparition de cette discipline au XIXe siècle : on découvre que toutes les sociétés pratiquent la division sexuée du travail. Si certaines sociétés étaient plutôt matriarcales, elles étaient toutefois considérées comme sauvages, et l’instauration du patriarcat est alors perçue comme la finalité du progrès et de l’organisation (p.193).
Cependant, cette discipline, comme beaucoup d’autres, souffre d’un biais genré, puisqu’elle a pendant longtemps été seulement pratiquée par des hommes. Robert H. Lowie explique que les premiers anthropologues se sont trompés en attribuant une dimension négative aux femmes des sociétés primitives. À partir du XXe siècle d’ailleurs, on ne parle plus de société matriarcale, mais plutôt matrilinéaire, et l’on montre surtout que la division masculin/féminin et sa hiérarchie relèvent du culturel, et non de l’inné. En effet, le partage sexué répond à une finalité sociale et non biologique, avec le désir de contrôle de la reproduction de la part de ceux qui ne disposent pas de ce pouvoir, comme l’explique Françoise Héritier.
Au XIXe siècle, Freud s’empare du sujet féminin grâce à la psychanalyse. Selon lui, nous sommes tous.tes composé.e.s de substances féminine et masculine, et le dominant s’impose ensuite à l’âge adulte.
Pour lui, les femmes sont dédiées à la nature, elles ne peuvent pas investir la culture, et la raison vient de leur sexe : le clitoris constitue un pénis amputé, ce qui témoigne bien de la suprématie masculine. Il atteste également que le désir d’enfant a vocation à se substituer au désir de pénis. Les filles ont conscience de leur infériorité dès la découverte de la différence sexuée. Au final, selon Freud, les femmes jouent leur rôle en étant (capacité biologique), alors que les hommes jouent le leur en faisant (action).
Dans les années 1930, Mélanie Klein, psychanalyste, démonte peu à peu les thèses freudiennes en posant une question : comment peut-on être angoissée de quelque chose que l’on n’a pas (le pénis en l’occurrence) ? Antoinette Fouque, autre psychanalyste française, revendique quant à elle une libido propre aux femmes, et martèle qu’il faut cesser de définir les femmes par rapport aux hommes (p.294).
Si le sujet de la maternité est central dans les années 1960, avec une réaffirmation du soi maternel, une propension au soin spécifiquement féminin (Nancy J. Chodorow), la pensée féministe à partir des années 1980 représenter une rupture totale. On parlait avant de réattribuer le pouvoir maternant aux femmes en attribuant un statut social à cette fonction, on parle désormais de mettre fin à la conception même de la femme au foyer, de l’instinct maternel, de la propension naturelle des femmes à prendre soin d’autrui.
En effet, l’après-Première Guerre mondiale a connu une grande politique nataliste de repopulation (en 1923, le Code pénal fait de l’avortement un délit), mais dans les années 1950, Simone de Beauvoir choque en parlant de la maternité comme source principale d’aliénation des femmes: elle parle du fœtus comme d’un parasite et de la ménopause comme une libération du joug de la nature. p.290La troisième vague féministe (années 80) demande donc un réel affranchissement des femmes de leur supposé destin biologique, à la suite de l’arrivée de moyens de contraception fiables et de la légalisation de l’avortement. On commence à déconstruire le genre, encore appelé « sexe social ».
Dans les années 90, Judith Butler bouscule donc l’alignement sexe-genre, en expliquant que le sexe est lui aussi une construction sociale. Au même moment, la notion d’intersectionnalité entre en jeu, avec la nécessité de reconnaître la multiplicité des points de vue et des oppressions, notamment grâce au mouvement Black feminism. Le temps est venu de cesser de voir les femmes comme une catégorie homogène.
Le problème, selon l’autrice, est qu’à cette période, le féminisme est obnubilé par le fait que les femmes puissent devenir des hommes comme les autres, en oubliant notre corporéité, notre spécificité féminine.
Aujourd’hui, il est primordial pour l’autrice de réoccuper l’espace public (il est par exemple difficile de considérer l’extérieur comme accueillant et non dangereux pour les femmes). Dès le plus jeune âge, les jouets promeuvent l’idée de rester au-dedans pour les jeunes filles, à l’image des poupées. L’autre combat réside dans le fait de cesser de voir ce qui est attribué au féminin comme négatif, y compris par les femmes. La maison ne doit pas forcément être un lieu de subordination féminine, elle peut être vue, comme le confirme Iris Marion Young, comme un lieu sécurisant, d’individuation, d’intimité et de préservation. Enfin, il est temps de considérer les cycles féminins d’une manière positive : ceux-ci témoignent avant tout de la capacité des femmes à s’adapter, en lieu et place d’une perte de contrôle sur leur corps.
Le corps féminin et le concept même de féminité ont longtemps été une prison pour les femmes : il peut être aujourd’hui un vecteur de liberté (p.454). Il s’agit de se réapproprier de manière positive tout ce qui a été dévalué comme étant spécifiquement féminin.
On peut se préoccuper du souci esthétique, non pas parce qu’il s’agit d’une occupation artificielle, mais parce que les femmes présentent de l’intérêt pour la façon dont elles se présentent à elles-mêmes et au monde. On doit redonner de la valeur au foyer, à l’intérieur ou encore à la maternité comme des activités d’épanouissement.
La principale problématique de ce livre est l’accessibilité de l’ouvrage, qui regorge de concepts et de références philosophiques. Le ton employé est parfois assez condescendant, et en tout cas, il met en avant un féminisme blanc bourgeois, qui considère que l’expérience d’une femme blanche est l’apanage de tous.tes. Il est difficile de poursuivre la lecture jusqu’au bout, mais lorsqu’on s’y tient, on découvre néanmoins des concepts intéressants, et une fine analyse des diverses vagues féministes. On comprend aussi mieux, grâce à l’ouvrage, les fondements du patriarcat qui s’est imposé au fil des siècles, encouragé par une élite profondément misogyne.
Ce livre trouve de nombreux échos dans l’ouvrage La plus belle histoire des femmes, coécrit par Françoise Héritier, Michelle Perrot, Nicole Bacharan et Sylviane Agacinski. Un ouvrage brillant qui raconte à travers de courts entretien, l’histoire des femmes de cro-magnonne à nos jours et qui tend à expliquer à quel moment nous avons glissé dans la subordination.
Ouvrage recensé– Camille Froidevaux-Metterie, La révolution du féminin, Paris, éditions Gallimard, 2015.
De la même autrice :– Le corps des femmes : la bataille de l'intime, Paris, Philosophie magazine éditeur, 2018.– Seins : En quête d'une libération, Paris, Anamosa, 2020.
Autre piste– Françoise Héritier, Michelle Perrot, Nicole Bacharan et Sylviane Agacinski, La plus belle histoire des femmes, Paris, Seuil, 2011.