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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Pour un populisme de gauche

de Chantal Mouffe

récension rédigée parMarion AlphonseÉlève de l’ENS de Lyon. Diplômée en histoire de la philosophie et en Études internationales – Amérique Latine.

Synopsis

Philosophie

Septembre 2018 : nous sommes au cœur de mouvements de contestation de grande ampleur en Europe et dans le monde lorsque Chantal Mouffe écrit Pour un populisme de gauche. Cet ouvrage, résumé de son cheminement intellectuel et manifeste politique, propose de redonner un sens positif au terme de « populisme » qui vit en ce moment des temps obscurs. Chantal Mouffe rédige sur cette base, un programme politique pour le renouvellement de la gauche.

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1. Introduction

Depuis la crise financière de 2008, l’ordre mondial néolibéral, est ébranlé et contesté. Dans le monde entier, des vagues de contestations et des soulèvements populaires se produisent, donnant naissance à toute sorte de sorties de crise. Des printemps arabes à Occupy Wall Street ou Nuit debout, de Syriza en Grèce qui conteste l’Union Européenne au Brexit, de la création de Podemos à la montée du Front National, autant de réactions différentes face à un système qui s’effondre.

Dans un tel contexte, les repères politiques et idéologiques se brouillent et s’efface. Depuis quelques années cependant, une tendance populiste se dessine : l’extrême-droite prend par exemple le pouvoir en Hongrie, en Autriche, aux États-Unis, au Brésil, gagnant en force dans de nombreux autres pays.

C’est dans ce contexte-ci que s’inscrit le travail de Chantal Mouffe qui se situe dans une optique de lutte contre la montée de l’extrême-droite en Europe occidentale. L’auteure propose une interprétation du contexte actuel et expose sa position : la gauche est bloquée dans une impasse et il est nécessaire de la renouveler pour qu’elle puisse être efficace.

Pour un populisme de gauche est un manifeste pour la reconstruction de la gauche, un manuel de stratégie politique dans le contexte occidental actuel. Qu’est-ce que le populisme ? Comment interpréter ce qu’il se passe depuis 2008 dans le monde ? Comment la gauche peut-elle se relever et comment peut-elle agir face à l’extrême-droite ? Ce livre offre de précieuses réponses et solutions à toutes ces questions.

2. De la mise en place du néolibéralisme à sa contestation

Le premier axe de l'ouvrage consiste à retracer l’histoire politique des différents mouvements de contestation générale, notamment la montée en puissance de l’extrême-droite.

Qu’est-ce que le néolibéralisme ? C’est une doctrine économique qui cherche à libérer l’économie du joug des restrictions de l’État. L’économie doit être régulée le moins possible pour que le marché puisse prospérer, et que l’individu soit considéré comme un capital potentiel. Le néolibéralisme naît dans le monde anglo-saxon naît dans les années 1980, avec les politiques de Margaret Thatcher au Royaume-Uni et de Ronald Reagan aux États-Unis, et s’impose peu à peu dans le reste du monde. Pour Margaret Thatcher, il n’y a pas d’alternative au néolibéralisme, et une telle position fera peu à peu consensus dans le monde entier.

C’est précisément sur ce consensus-là que Chantal Mouffe fonde son raisonnement : le consensus autour du néo-libéralisme nous a fait entrer dans l’ère de la « post-politique », explique-t-elle. En lieu et place des débats, le champ est désormais libre pour les hordes d’experts et de technocrates. En d’autres termes, « la politique n’apparaît plus comme une confrontation partisane, mais comme une gestion neutre des affaires publiques » (p. 16). Le centre radical, la troisième voie, celle du consensus, a pris le dessus. Il ne s’agit plus de faire de la politique et de confronter, mais de gérer et gouverner les sociétés, et c’est ce que Chantal Mouffe appelle la « post-politique ».

À la fin du XXe siècle, on pensait que l’humanité était arrivée à maturité, était enfin sage, modérée, consensuelle. C’est cet état d’esprit qui a inspiré la célèbre œuvre de Francis Fukuyama, La Fin de l’histoire, écrite en 1992. Dans l’ère de la post-politique, la gauche voit naître sa version social-démocrate, c’est-à-dire, pour Chantal Mouffe, la version de la gauche adaptée au consensus néolibéral, celle qui accepte jouer une configuration logiquement opposée à ses ambitions premières. Tout semble donc aller dans le sens du consensus.

C’est pourtant sans compter sur la crise financière de 2008 qui déclencha les premières grandes vagues de contestation qui, depuis, n’ont pas cessé. Les soulèvements populaires brisent peu à peu le consensus post-politique, et c’est là qu’intervient le travail de Chantal Mouffe : la gauche est morte, puisqu’elle s’est adaptée au consensus, il faut donc refonder une gauche capable de faire de la politique.

3. Le populisme comme stratégie politique

Qu’est-ce que le populisme ? Le populisme est un terme confus, une désignation qui confond. Il est utilisé à tout va, dans différents sens et pour dénigrer tous types de partis ou de politiciens. Chantal Mouffe, elle, l’utilise dans un sens bien précis : le populisme est une stratégie politique qui permet de confronter un ensemble de revendications venant du peuple à l’oligarchie qui gouverne.

Pour Chantal Mouffe et Ernesto Laclau, le populisme n’est pas un terme négatif. S’inspirant des courants politiques d’Amérique Latine, ils développent une très fine théorie du populisme au cours de leurs œuvres : le populisme est le processus de construction d’un peuple. Qu’est-ce que cela signifie ? Pour nos deux penseurs, il s’agit de rassembler les demandes de différents individus et de les faire entendre via, entre autres, un leader qui pourra faire part de ces demandes à l’oligarchie.

Ainsi, un ensemble d’individus pourtant très différents se trouve rassemblé dans le soutien au leader et constitue un peuple. Tel est le sens du mot « populisme » pour Laclau et Mouffe.

Quelle place occupe alors ce « populisme » dans la politique ? Il faut, pour le comprendre, revenir une nouvelle fois aux fondements de leur théorie politique. La politique fonctionne, d’après eux, par hégémonies. L’hégémonie, c’est la pensée dominante qui a gagné le pouvoir. C’est l’idéologie qui fait marcher le système monde de la manière dont il fonctionne. Or, l’hégémonie n’est pas toujours la même et change lors de grands chamboulements et de moments de crise. Quand une hégémonie est très contestée, c’est une autre qui voit le jour.

Qu’est-ce que ces théories de l’hégémonie et du populisme signifient concrètement ? Nous vivons, depuis les années 1980, sous l’hégémonie du néolibéralisme. Si elle n’a pas été remise en question pendant plusieurs dizaines d’années, elle est aujourd’hui fortement contestée, et ce, entre autres, depuis la crise financière de 2008. Pour Chantal Mouffe, ces fortes contestations, symptomatiques d’une crise du modèle dominant, doivent donner naissance à une nouvelle hégémonie.

C’est là qu’intervient le populisme : nous sommes dans un « moment populiste », selon elle, car les repères antérieurs sont brouillés, on ne se reconnaît plus vraiment dans aucun parti politique ni dans aucune manière de faire la politique. Il faut donc constituer de nouveaux blocs, de nouveaux groupes politiques en rassemblant différentes demandes afin de former le peuple qui portera au pouvoir le leader capable de servir leurs intérêts. Ce qu’il reste à savoir, c’est la forme que prendra ce nouveau modèle : sera-t-il autoritaire ou au contraire, plus démocratique ?

4. Qu’est-ce que le populisme de gauche ?

En Europe, on associe plus facilement le populisme à l’extrême-droite. Que signifie alors populisme de gauche ? Pourquoi Chantal Mouffe le défend-elle ? Nous sommes actuellement, en Europe occidentale et dans le monde, au cœur de ce que Mouffe appelle « un moment populiste ». En d’autres termes, le modèle dominant est fortement contesté et il est nécessaire de construire de nouveaux modèles pour remplacer celui qui ne va pas tarder à s’effondrer. Or, au cours des dix dernières années, on a vu se dessiner clairement deux tendances opposées. D’un côté, des groupes qui demandent plus de démocratie : ce sont Les Indignés, Nuit debout, les groupes d’extrême-gauche. D’un autre côté, montent en puissance des groupes identitaires qui défendent leurs cultures et leurs frontières citons le Front national, le Brexit ou encore des groupes néonazis allemands. Dans cette confrontation, Chantal Mouffe a choisi de défendre ce qu’elle appelle la gauche, c’est-à-dire les groupes qui luttent pour l’approfondissement de la démocratie. Face à l’effondrement du modèle dominant, il faut donc reconstruire une gauche capable de proposer un nouveau modèle. En effet, la gauche actuelle ne saurait remplir cette mission pour deux raisons majeures. Depuis 1985, Chantal Mouffe a souligné, avec son mari Ernesto Laclau, dans Hégémonie et stratégie socialiste, que la gauche était trop concentrée sur la lutte des classes et sur la défense de la classe ouvrière pour intégrer en son sein les nouvelles luttes primordiales de l’époque : le féminisme, l’anti-racisme, les mouvements LGBT+, les mouvements post-coloniaux, etc. Selon elle, la gauche n’a su réparer cette erreur et a donc été obligée de jouer sur le terrain du néolibéralisme qui était alors devenu le modèle dominant. C’est alors qu’est née la version social-démocrate de la gauche, celle qui est compatible avec le néolibéralisme. C’est cette gauche-là qu’il faut écarter, puisqu’elle n’est pas capable de proposer un nouveau modèle de société et c’est une alternative à cette dernière qu’il faudra proposer. À quoi ressemblerait alors la nouvelle gauche ? C’est là l’intérêt principal de l’ouvrage. La nouvelle gauche doit chercher tous les moyens possibles pour élargir et approfondir la démocratie. L’élargir, c’est d’abord étendre les droits au plus grand nombre de personnes. En d’autres termes, il s’agit d’intégrer au cœur de la démocratie les nouvelles luttes. L’approfondir, d’un autre côté, c’est multiplier les formes de participation et en faire de nouvelles : élire plus de représentants, proposer quelques mesures de démocratie directe, par exemple. Tel est le programme politique proposé à la gauche par Chantal Mouffe.

5. Conclusion

Pour un populisme de gauche est un ouvrage profondément ancré dans notre temps, comme le précise elle-même Chantal Mouffe. Elle ne prétend pas proposer un programme atemporel et pour le monde entier, mais bien seulement proposer une stratégie politique pour renouveler la gauche en Europe occidentale.

Il s’agit bien de reconstruire une proposition politique pour la gauche capable de répondre en effet aux demandes du peuples tout en approfondissant la démocratie face à une extrême-droite qui effectuerait le même processus, mais avec des tendances autoritaires cette fois-ci.

Cet ouvrage est une interprétation très originale, intéressante et utile pour comprendre des phénomènes contemporains qui nous laissent parfois sans repères.

En France, le mouvement des gilets jaunes peut tout à faire être lu à travers les textes de Chantal Mouffe : un ensemble d’individus aux revendications différentes s’allient pour protester contre une élite qui ne les représente pas et contre un modèle en crise qui ne fait plus consensus. On voit pourtant de manière flagrante que se dessinent plusieurs tendances politiques au sein du mouvement, la question qu’il reste alors à poser est la suivante : quelle issue aura la crise ? Quelle sera la nouvelle hégémonie ?

6. Zone critique

La critique la plus commune au populisme défendu par Chantal Mouffe et Ernesto Laclau provient de penseurs libéraux qui dénoncent une dangereuse utilisation des symboles, des sentiments et des affects pour légitimer la présence au pouvoir d’un leader charismatique, presque autoritaire. Il semble pourtant que cette critique soit peu pertinente puisque les symptômes que diagnostique Mouffe sont directement provoqués par une trop grande importance du libéralisme dans la démocratie.

Les critiques soulevées, cependant, restent intéressantes et sont également produites par un autre groupe du panorama politique. Ce sont les anarchistes de France, d’Espagne, ou encore du Venezuela, qui attirent l’attention sur les écueils dans lesquels peut tomber le populisme de gauche. Ils dénoncent en effet une stratégie politique n’ayant de sens que par l’accès au pouvoir. Une fois élus, ils risqueraient de tomber dans des dérives autoritaires, comme le suggèrent leurs figures de leaders charismatiques. C’est en effet une critique souvent adressée à Hugo Chávez au Venezuela.

Par ailleurs, et c’est là encore une fois une critique qui provient de « la gauche de la gauche », Chantal Mouffe défend la pratique de la réforme, à travers des institutions et via un leader. La critique révolutionnaire générale est la suivante : réformer à travers les institutions, c’est accepter le système qui, justement a montré ses failles, c’est continuer de fonctionner avec. Par la réforme, les demandes sont canalisées, mais pas totalement prises en compte. Il est cependant intéressant de noter que pour Mouffe, la réforme progressive est possible, et que les institutions ne sont pas à jeter à la poubelle (voir chapitre 3 « radicaliser la démocratie ». Pour elle, en effet, il ne s’agit pas de s’affronter violemment, tels des ennemis, en politique, mais bien de débattre de questions de fond, en tant qu’adversaires.

7. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé

– Pour un populisme de gauche, Paris, Albin Michel, 2018.

De la même auteure

– Avec Ernesto Laclau, Hégémonie et stratégie socialiste. Vers une politique démocratique radicale, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2009.– L'illusion du consensus, Paris, Éditions Albin Michel, 2016.– Avec Inigo Errejon, Construire un peuple : pour une radicalisation de la démocratie, Paris, Cerf, 2017.– Avec Denyse Beaulieu, 2018. Le paradoxe démocratique.

Autre piste

– Laclau, Ernesto, La raison populiste. Paris, Le Seuil, 2008.

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