Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Christel Petitcollin
La surefficience mentale, voilà un sujet qui ne laisse personne indifférent et qui suscite nombre d’interrogations. Christel Petitcollin s’intéresse à ce phénomène et à tous ces individus qui sont dépassés par des capacités hors norme. L’auteure entremêle témoignages, explications théoriques et solutions concrètes pour mieux vivre sa surefficience, afin de venir en aide à tous ceux dont le cerveau est hyperactif.
Publié en 2010, Je pense trop est un ouvrage qui se veut à la fois théorique et pratique. S’inscrivant dans le prolongement des principes de l’analyse transactionnelle élaborés par le psychiatre Éric Berne, Christel Petitcollin y aborde le sujet de la surefficience mentale. S’appuyant sur des exemples concrets directement tirés de ses propres observations en tant que conseillère en développement personnel, elle explore avec minutie les spécificités cognitives, intellectuelles et identitaires de ceux qu’on appelle aussi parfois « surdoués ».
Cet ouvrage ne se veut surtout pas un traité scientifique et psychologique, mais se présente plutôt comme un guide à l’usage de ceux dont le cerveau bouillonne, ainsi que le révèle le sous-titre : "Comment canaliser ce mental envahissant". Si la surdouance est un phénomène marginal d’un point de vue neurologique, elle est également souvent méconnue, notamment de ceux qui en sont pourvus. Que signifie exactement être surefficient mental et quelles incidences cela a-t-il au quotidien au niveau personnel et social ? Voilà bien ce qui sous-tend ce livre de bout en bout.
Tant pour les professionnels du développement personnel, les psychologues que les personnes concernées, la surdouance est un sujet délicat à aborder, d’autant qu’elle a longtemps été cantonnée au simple fait d’être doté de compétences intellectuelles hors norme. Or, la surefficience mentale est bien plus complexe que cela et se définit par tout un faisceau de caractéristiques d’ordre neurologique certes, mais aussi psychologique et comportemental. C’est ce qui explique, pour Christel Petitcollin, la difficulté à identifier les surefficients mentaux.
La surdouance ne répond par ailleurs pas à un schéma de fonctionnement unique que l’on pourrait appliquer comme une grille de lecture type. Il existe en effet différentes sortes de surefficience mentale pouvant se caractériser, entre autres, par des capacités sensitives particulièrement développées, un mécanisme de pensée ininterrompu, une hyperémotivité ou une curiosité insatiable dans un ou plusieurs domaines. C’est pourquoi certains spécialistes en psychologie ont parfois la tentation de les classer parmi les bipolaires, schizophrènes ou maniaco-dépressifs. Dans les cas les plus extrêmes, la surdouance peut revêtir la forme du syndrome d’Asperger, à savoir un autisme aigu.
La surefficience mentale fait l’objet de diverses théories quant à sa cause, telles que l’hérédité génétique ou un processus de résilience face à une maltraitance psychologique ou physique. Toutefois, un fait est clairement établi : les surefficients disposent d’un fonctionnement cérébral faisant la part belle au cerveau droit. À l’inverse des normo-pensants dominés par l’hémisphère gauche, c’est-à-dire par une approche rationnelle et analytique du réel, ils perçoivent le monde à travers les affects et des signaux d’ordre sensoriel, intuitif et instinctif. À cette particularité s’ajoute un système de pensée en arborescence s’expliquant par un influx nerveux plus rapide.
Les personnes surefficientes sont ainsi assaillies par des pensées fulgurantes et simultanées multiples, qui leur permettent d’appréhender la réalité de façon globale et instantanée. Au vu de sa complexité, il est par conséquent peu aisé de nommer avec justesse ce phénomène qui touche seulement 15 à 30 % de la population. Bien que l’auteure soit encline à les appeler « surdoués », les surefficients rejettent catégoriquement cette appellation et lui préfèrent des dénominations moins élitistes, telles que « personnes encombrées de surefficience mentale » (PESM) ou « cerveaux droits dominants ».
Selon les observations faites par Christel Petitcollin lors de ses consultations, la surefficience intellectuelle se traduit avant tout par une perception perçante et très affûtée des lieux, des événements et des personnes. Le surefficient est un hyperesthésique et se trouve doté de sens aux facultés exacerbées. Cette hypersensibilité se déploie à travers tous les canaux sensoriels propres à chaque individu, qu’ils soient visuels, olfactifs, auditifs, mais aussi gustatifs, tactiles ou kinésithérapiques, avec une prédominance pour certains d’entre eux et une intensité différente en fonction de chaque personne. Aucun menu détail ne peut donc échapper au surefficient mental et la situation du quotidien la plus banale devient pour lui une source inépuisable d’informations qui lui permettent de la décrypter avec précision et, à la différence du normo-pensant, d’aller au-delà des simples apparences.
La gestuelle, les expressions du visage ou les intonations de voix lui offrent par exemple autant de portes d’entrée pour cerner la personnalité et les intentions d’un interlocuteur, tandis que la luminosité, l’ambiance ou les odeurs détectées dans un appartement à vendre auront une incidence prépondérante dans le choix de l’acquérir ou non. Si cette acuité sensorielle est indéniablement un atout et un outil d’analyse utile qui devrait permettre de développer son assurance en soi, elle est souvent, a contrario, le vecteur d’états émotionnels instables, difficiles à canaliser car trop intenses et envahissants. Comme le souligne l’auteure, cette hyperesthésie conduit nécessairement à une lucidité extrême. Elle peut parfois prendre des proportions telles qu’elle peut dépasser la simple expérience sensorielle normale. Comme il n’y a qu’un pas entre le décryptage des expressions du visage et celui des pensées d’une personne, les surefficients intellectuels mettent souvent en œuvre, de façon intuitive et inconsciente, des compétences télépathiques.
Plus encore, Christel Petitcollin rapporte que certains d’entre eux vivent des expériences spirituelles et mystiques pouvant prendre la forme de prémonitions, de communions avec la nature ou d’états extatiques bienfaisants. D’autres déclarent avoir eu accès à des phénomènes paranormaux, comme la perception d’auras ou le souvenir de vies antérieures. Si ces faits peuvent laisser dubitatifs et perplexes nombre de normo-pensants rationnels, ils sont néanmoins cautionnés par l’exemple de Jill Bolte Taylor, une scientifique américaine. Dans son ouvrage Voyage au-delà de mon cerveau, elle révèle avoir connu des états de plénitude et de symbiose avec l’univers suite à un accident vasculaire cérébral n’ayant laissé que son cerveau droit opérationnel.
Ces facultés sensorielles hors norme s’accompagnent naturellement de pensées foisonnantes, le surefficient mental étant continuellement en quête de sens et avide de comprendre le monde qui l’entoure. Ses principes moraux sont quant à eux tout aussi exacerbés et clairement utopistes. Perfectionniste, il prône des valeurs de bienveillance et de respect auxquelles il se conforme, au risque d’être en décalage avec une société imparfaite et des semblables moins exigeants. C’est certain, les surefficients mentaux ne font pas dans la demi-mesure et placent sur un piédestal des principes comme l’intégrité, la tolérance, la justice ou l’égalité. Hélas, leurs convictions et leur idéalisme se trouvent régulièrement confrontés à l’incompréhension et à la moquerie des gens. Pour autant, il n’y a pas de compromis possible : « renoncer à leur idéal leur paraît inacceptable puisqu’ils sont sûrs d’avoir raison » (p. 129).
Si les surefficients ont généralement une mémoire du détail à long terme excellente grâce à leur hyperesthésie, la pensée en arborescence qui les caractérise a ceci de particulier qu’elle ne leur laisse aucun répit. Elle fonctionne en continu, de jour comme de nuit. En journée, cette invasion mentale incessante et multidirectionnelle génère une incapacité à se concentrer sur une tâche. Un sujet en amène toujours un autre, d’où la difficulté à répondre aux normes et aux exigences du système scolaire par exemple. La nuit, la pensée arborescente a également un impact négatif sur le sommeil, l’esprit ne se mettant pas au repos même une fois la personne endormie. Impossible pour un surefficient de se déconnecter et de mettre son fonctionnement mental sur pause, ce qui occasionne fatigue, ainsi qu’instabilité et dérèglement de l’humeur.
Christel Petitcollin ne manque pas d’insister sur le fait que « le cerveau en arborescence est […] une usine à fabriquer du doute et des questions » (p. 73). Pour elle, cet état d’esprit a le mérite de constituer un moyen de confronter ses principes à d’autres pour les valider ou les invalider et d’aborder les événements avec recul. Cette curiosité et cette soif de savoir induisent une ouverture d’esprit et un esprit critique salutaires pour le surefficient mental et les gens qu’il côtoie. Néanmoins, ces questionnements incessants, souvent d’ordre existentiel, sont à l’origine d’un mal-être profond. À force de s’interroger et de remettre en question chaque chose, les personnes surefficientes se trouvent dans l’incapacité de se reposer sur une vision du monde stable. Tout pouvant être reconsidéré à la lumière d’une simple question, ils vivent en permanence dans l’incertitude et l’angoisse de ne pouvoir s’en remettre à des valeurs immuables. Ballottés entre passé et futur par leurs questionnements obsessionnels, ils risquent de ne plus être en phase avec le présent et de se déconstruire en laissant s’immiscer un vide identitaire.
Loin de venir atténuer cette dérive, l’hyperesthésie des surefficients mentaux décuple ce sentiment de malaise. Ayant un fonctionnement neurologique dominé par le cerveau droit, siège des émotions, ils vivent les événements à travers leurs affects et leurs sensations. Le problème réside dans le fait que ceux-ci, tout comme leurs pensées, saturent leur esprit en permanence, sans qu’ils parviennent à les réguler et à faire une sélection des informations : on parle dans ce cas de déficit de l’inhibition latente. Comme le souligne l’auteure, une simple sortie au restaurant peut ainsi se transformer en véritable épreuve : le bruit de la vaisselle et des conversations environnantes, les odeurs de nourriture, les lumières sont autant d’éléments qui dispersent l’attention du surefficient et le détournent des paroles de ses compagnons de table. De la même façon, les personnes surefficientes se laissent submerger par leurs émotions sans réussir à les tempérer ni à les contrôler. C’est pourquoi ils sont sujets à des humeurs instables, passant d’un extrême à un autre.
Entre émotions difficiles à gérer et capacités sensorielles surdéveloppées, les surefficients mentaux sont quasiment condamnés à entretenir des relations humaines compliquées, dans nos sociétés occidentales dominées par des cerveaux gauches tellement rationnels et terre à terre. C’est dès l’enfance que les problèmes relationnels se font jour et que l’incompréhension à leur égard commence à les marginaliser. Leur personnalité tout en excès est mal tolérée et souvent perçue comme un dysfonctionnement par rapport à la norme, ce qui conduit les parents à les rabrouer ou les surprotéger.
À l’école, ils connaissent le même rejet en raison de leur difficulté à se glisser dans le moule du système scolaire et à correspondre aux canons intellectuels en vigueur. Le papillonnement de leurs idées et leur attention dispersée sont un frein à leur réussite et leur parcours est souvent entaché d’échecs. À l’âge adulte, les surefficients sont confrontés aux mêmes problèmes d’intégration dans les domaines professionnel et privé, ce qui explique leurs doutes permanents et génère un manque d’assurance. Continuellement soumis à la désapprobation générale, jugés ou moqués, ils peinent à se construire et à développer une estime de soi.
En décalage avec leur environnement, les surefficents intellectuels n’ont d’autre choix que de mettre en œuvre des stratégies pour rendre leur quotidien plus supportable. Bien qu’il ne soit pas la solution adéquate, le repli sur soi constitue pour eux une manière instinctive de se protéger de l’hostilité extérieure. Si certains se réfugient dans la solitude, la plupart font le choix de contenir leur vrai moi en l’enfouissant au fond d’eux. Ils lui substituent un « faux self », c’est-à-dire un comportement en adéquation avec les attentes de leur entourage et de la société dans laquelle ils évoluent. Loin de consolider leur individualité, cette stratégie de dissociation et d’évitement de la réalité ne fait que fracturer un peu plus leur personnalité déjà fragile. C’est la raison pour laquelle ils sont parfois victimes de « décrochages » lorsque leur vrai moi refait surface, par exemple lors de soirées.
Néanmoins, pour l’auteure, les surefficients sont des maillons essentiels de la société, qui peuvent lui apporter beaucoup. Avec leur sensibilité aiguisée et tout en finesse, ils sont capables de détecter l’état intérieur des gens et de s’en imprégner. Impossible pour eux de rester hermétiques à la tristesse ou la détresse d’autrui. Résolument empathiques, ils sont bienveillants et à l’écoute, au point que certains en font leur métier. Le point négatif qui vient ternir le tableau : en élaborant leur faux self, les surefficients mentaux se sont constitué ce que l’auteure nomme « un salon d’accueil VIP », c’est-à-dire que pour se faire accepter et apprécier, ils privilégient le bien-être des autres au détriment du leur. C’est pourquoi ils sont la proie facile des manipulateurs qui s’immiscent dans cette brèche pour les contrôler. Au cours de ses consultations, Christel Petitcollin a ainsi eu l’occasion de constater que les surefficients mentaux se trouvent souvent sous la coupe de pervers narcissiques qui se valorisent en les rabaissant et les humiliant.
Pour faire de sa surdouance un réel atout et non un fardeau pénible à porter tout au long de sa vie, Christel Petitcollin ponctue son ouvrage de conseils et de techniques à destination des surefficients mentaux. Pour elle, il est avant tout primordial d’effectuer un travail sur soi afin de s’accepter et de mieux se connaître. Pour les surefficients, la prise de conscience de leur fonctionnement cérébral spécifique et de tout ce qu’il induit constitue la pierre de voûte pour chasser définitivement leur faux self et rétablir leur vrai moi. Pour cela, ils doivent commencer par être aussi bienveillants avec eux-mêmes qu’ils le sont avec les autres, ainsi qu’être moins exigeants et moins critiques envers ce qu’ils accomplissent. C’est le meilleur moyen de reprendre confiance en soi.
Ce processus de valorisation implique évidemment une remise en question des principes moraux idéalistes qui sont ceux des surefficients. Comment ne pas se sentir en effet médiocre lorsqu’on a des aspirations et des valeurs irréalistes et inatteignables ? Le surefficient doit donc apprendre à valider ses réussites, même imparfaites. Ce travail sur soi est le point de départ pour combler son vide identitaire. À cet égard, l’aspect social n’est pas à négliger. Faire barrage à la tentation de l’isolement s’impose comme une évidence. Le surefficient a tout intérêt à multiplier ses relations sociales, qu’elles soient familiales, amicales, éphémères ou au long cours.
Quand on a un cerveau qui bouillonne, canaliser et nourrir son mental apparaît comme une nécessité absolue. Pour mieux vivre avec sa pensée arborescente, le surefficient doit apprendre à maîtriser le flux désordonné de ses idées. Cela exige patience et rigueur, mais présente l’avantage de pouvoir contrecarrer les « pensées négatives stériles » (p. 72) et les ruminations qui viennent encombrer son esprit. Les surefficients sont bien connus pour être des personnes qui ne tiennent pas en place et frôlent parfois l’hyperactivité. S’ils se mettent souvent la bride pour s’astreindre à plus de retenue et de tempérance, mieux vaut toutefois répondre pleinement à ce besoin d’activité cérébrale pour éviter la déprime.
Christel Petitcollin conseille en effet d’alimenter ce cerveau droit avide de connaissances et de défis. Mener de front plusieurs projets, se lancer dans l’apprentissage d’une langue étrangère, s’adonner à une activité créative sont autant de possibilités qui permettent de répondre aux besoins cardinaux des surefficients.
La surefficience mentale doit-elle donc être considérée comme un atout ou comme une faculté pénalisante ? Selon Christel Petitcollin, si les capacités sensorielles et intellectuelles hors norme qui en découlent peuvent être mal vécues, elles le sont avant tout parce qu’elles ne sont pas maîtrisées ni endiguées par les surefficients. Dans les sociétés occidentales régies majoritairement par les normo-pensants, elles se révèlent d’autant plus difficiles à assumer qu’elles ne trouvent pas la reconnaissance ni l’approbation qu’elles mériteraient.
Pourtant, la surefficience est une chance. Entre pensées foisonnantes et hyperesthésie, les surefficients mentaux sont dotés d’un cerveau vif et plein de vitalité, propice aux échanges humains et à l’exploration du monde, à condition d’en connaître tous les rouages !
L’intelligence humaine est un sujet qui a fait l’objet de nombreuses études et a toujours fasciné les scientifiques, et ce depuis des siècles. On est aujourd’hui bien loin des études physiognomonistes d’autrefois où la forme du crâne et du visage était un outil d’évaluation des caractéristiques intellectuelles et morales d’un individu. Depuis les années 1980 notamment, la notion d’intelligence s’est affinée, voire démultipliée en différents types : analytique, créative et pratique pour le psychologue Robert Sternberg, spatiale, corporelle ou linguistique pour le professeur de psychologie Howard Gardner.
C’est dans cette veine que s’inscrit Christel Petitcollin, bien consciente au vu de sa pratique professionnelle que l’intelligence est multiple. En mettant en lumière la surefficience mentale et en décryptant son fonctionnement, le livre Je pense trop consacre l’importance du quotient émotionnel (QE) au même titre que le QI. En cela, elle s’inscrit dans le prolongement de bien d’autres spécialistes contemporains, comme la psychothérapeute Jeanne Siaud Facchin ou la psychologue Arielle Adda.
Goleman Daniel, L’Intelligence émotionnelle, Paris, Éditions Robert Laffont, coll. « J’ai lu », 1998.
Petitcollin Christel, Je pense mieux : vivre avec un cerveau bouillonnant, c’est possible !, Éditions Trédaniel, 2015.
Petitcollin Christel, Pourquoi trop penser rend manipulable : protégez votre mental de l’emprise, Éditions Trédaniel, 2017.
Siaud Facchin Jeanne, Trop intelligent pour être heureux, Éditions Odile Jacob, 2002.