dygest_logo

Téléchargez l'application pour avoir accès à des centaines de résumés de livres.

google_play_download_badgeapple_store_download_badge

Bienvenue sur Dygest

Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.

L’Ere du clash

de Christian Salmon

récension rédigée parNicole MassonNormalienne, agrégée et docteure en Lettres Modernes.

Synopsis

Société

L’essai de Christian Salmon permet de voir défiler toute l’histoire politique récente depuis la chute du mur de Berlin jusqu’à l’affaire Benalla. L’auteur analyse en détail certains moments-clefs qui viennent étayer sa lecture de l’évolution du monde politique. Il a repéré des jalons décisifs autour desquels s’articulent les mutations : 1989, avec la chute du Mur de Berlin qui met fin au grand récit communiste, 2001 avec la déflagration du 11-Septembre qui ruine le mythe américain, 2008 avec la crise financière qui dévoile les rouages des puissances de l’argent sans visage, 2016 avec l’élection de Donald Trump qui efface la distinction entre vérité et mensonge. À chaque fois, Christian Salmon met en exergue les changements considérables dans les représentations de l’histoire et les grilles de lecture qui permettent de l’appréhender. Lui qui, dès 2007, avait pointé l’essor du « storytelling », c’est-à-dire l’invention d’histoires cohérentes pour animer la communication politique, voit dans l’évolution plus récente de la scène politique l’avènement d’une « ère du clash », fondée d’une part sur le discrédit de la parole publique et d’autre part sur l’envahissement de la scène par les réseaux sociaux et par l’info en continu.

google_play_download_badge

1. Introduction

Christian Salmon est un essayiste qui s’est fait connaître par son ouvrage sur le « storytelling », c’est-à-dire à la propension dans tous les domaines à construire des narrations, des « histoires » pour communiquer et persuader. Dans ce nouvel essai, l’auteur reprend cette analyse, tout en l’adaptant aux mutations récentes de notre société. Il montre ainsi que la communication fonctionne désormais sur des chocs, plus que sur des histoires.

À partir de l’actualité et de l’histoire récente, il expose les effets d’un tel virage. Son analyse consiste à prendre quelques situations particulières et à montrer comment la production de « stories », d’histoires crédibles, se heurte à d’autres modèles qui actuellement l’emportent. Mais Christian Salmon est bien un essayiste et pas seulement un chercheur universitaire : il décrit, tout en jugeant afin de démonter des mécanismes de communication. Au final, cela lui permet aussi d’affirmer ses propres positions idéologiques.

2. La crise financière et la Grèce

La crise des subprimes de 2008 constitue pour l’auteur une date-clef. En effet, avant cette brutale crise financière on pouvait envisager une histoire économique aussi lisse que positiviste. L’éclatement de la bulle financière a ruiné la crédibilité des histoires officielles racontées par les dirigeants, aussi bien aux États Unis qu’en Europe.

La volatilité des échanges au niveau de la Bourse – ou plutôt des bourses et des banques –, la dérégulation du monde économique réduit à des spéculations abstraites, a entraîné une ère de soupçon généralisé à tous les domaines touchant de près ou de loin au champ politique. L’auteur décrit cette défiance qui a gagné tous les citoyens à l’égard d’un système qui ressemble à une machine dont les dirigeants ont perdu le contrôle, défiance qui alimente évidemment un complotisme généralisé. Mais lui-même dénonce un capitalisme financier déconnecté du capitalisme industriel, un Léviathan, un Empire sans visage qui asservit les nations et dépouille les dirigeants de tout pouvoir véritable.

Christian Salmon consacre aussi une longue analyse à l’une des conséquences de la crise financière : le bras de fer engagé entre l’Union européenne et la Grèce d’Alexis Tsípras. Rappelons qu’en 2015, Alexis Tsípras dirige la Grèce qui ne peut plus faire face aux échéances de ses créanciers. Avec son ministre des finances Varoufakis, il cherche par un référendum l’appui du peuple grec pour résister aux injonctions de l’Eurogroupe qui lui réclame des réformes en le menaçant d’un « Grexit », d’une sortie de la Grèce de la zone euro. Au moment du référendum, au plus fort de la crise, Christian Salmon se trouvait à Athènes. Son analyse s’appuie sur ses propres observations, sur sa lecture de la presse européenne, sur des témoignages recueillis auprès des hauts-fonctionnaires grecs. Il a également lu avec attention les articles et ouvrages que Varoufakis a écrits par la suite pour raconter cette période. Il les cite abondamment. Il l’a d’ailleurs aussi rencontré bien plus tard et s’est entretenu avec lui.

L’auteur analyse ainsi avec précision la « guerre des histoires » auxquels l’UE et la Grèce se sont livrées à travers la presse. Les représentants de l’Eurogroupe qui cherchent à faire céder le gouvernement grec et à lui imposer une ligne politique d’austérité diffusent notamment à propos de Varoufakis toutes sortes d’anecdotes et d’histoires visant à construire un personnage autour de son look « cool », de sa moto, de son crâne rasé à la Bruce Willis, de ses tenues non conformistes, veste en cuir et chemise bleue électrique au col ouvert.

Mais le gouvernement grec a beau faire ressurgir de son côté des « histoires » héroïques à propos de toute la tradition d’indépendance de résistance de la Grèce, les moyens déployés sont disproportionnés et le gouvernement grec finit par perdre la bataille des histoires, la guerre des propagandes, face au Léviathan européen.

3. Matteo Renzi le marathonien et la spirale du discrédit

Christian Salmon est frappé par l’échec rapide de Matteo Renzi en Italie. Il détaille comment le « storytelling » s’est trouvé au cœur de son avènement à la tête du Conseil.

Plus jeune président de l’histoire de l’Italie, hyperconnecté, mettant en évidence dès sa première apparition devant le Sénat son iPhone, son iPad et son MacBook, Matteo Renzi a soigné son « histoire ». Il a aussi posé devant lui un livre de Haruki Murakami, Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, ouvrage qui allait bien à ce politicien, maire de Florence qui en courait le marathon depuis son élection. Renzi se revendiquait ouvertement du « storytelling », ayant d’ailleurs dit tout le bien qu’il pensait du précédent ouvrage de Christian Salmon. Il se qualifiait de « rottomatore », de démolisseur de l’ancien monde, il affichait son goût pour la vitesse et la jeunesse.

En guise de programme politique durant sa campagne pour accéder à la plus haute charge, selon Christian Salmon, il cherchait la « désintermédiation », le rapport direct du dirigeant avec le peuple, mettant au premier plan les émotions, un nouveau style et la prééminence accordée à l’espoir. Une fois au pouvoir, il lui a fallu changer de « storytelling ». Cette fois, l’homme politique se retrouvait comme un personnage dans un jeu vidéo, avec un crédit de points de vie et des « tableaux », des obstacles à passer, sachant qu’il perdait à chaque fois un peu de crédit. L’essentiel devenait alors de retarder le moment d’affronter les obstacles dans un marathon de promesses en attente, non satisfaites.

À l’engagement durant la campagne de changer l’Italie en cent jours, avec une réforme par mois, s’est substitué le hashtag #passodopopasso, « pas à pas »... Il a épuisé tout son crédit en deux années et s’est retrouvé contraint de démissionner.

4. Le récit national français et Emmanuel Macron

Christian Salmon consacre de nombreuses pages à la France, même si son ouvrage prend le parti d’analyser plus globalement la communication dans le monde occidental et de choisir des exemples surtout à l’étranger. Le manuscrit a été achevé le 9 novembre 2018 et les dernières actualités traitées par l’auteur touchent à l’affaire Benalla.

L’auteur décrit l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en mettant en exergue des points communs avec Matteo Renzi, d’autant que les deux hommes n’ont jamais caché leur proximité. La ligne directrice de sa réflexion consiste à démonter le récit, le « storytelling » du candidat Macron, puis du président français. Il insiste même sur la dimension mythologique, presque mystique, que les discours et les mises en scène accentuent. La scénographie du soir de l’élection au Louvre ou encore des phrases retenues dans des interviews, comme les métaphores du « corps du président » analogue au « corps du roi » sous la monarchie de droit divin ou encore les analogies entre sa propre situation et celle de Napoléon à Iena, viennent à grands traits brosser le portrait d’un homme persuadé qu’il est investi d’une mission presque sacrée qui le relie au récit national français, voire aux dynasties de rois d’Ancien régime.

Pour Christian Salmon, cette sacralisation ne tient pas et l’histoire racontée n’est pas crédible. Elle ne vise qu’à masquer l’impuissance de tout président français puisqu’il est clair aujourd’hui que les décisions ne se prennent plus à Paris. Le roi est nu, comme dans le conte d’Andersen, le président croit avoir revêtu le costume jupitérien, mais il n’est qu’un homo politicus néolibéral qui lui aussi diffère l’accomplissement des promesses en espérant conserver assez de crédit pour ne pas chuter de son trône. Mais il n’a créé aucun lien avec la nation, dépossédée elle aussi de tout pouvoir et réduite à l’état « d’halluci-nation ». Il ne lui est pas possible d’incarner la fonction à la manière d’un De Gaulle et en même temps de promouvoir une « start-up nation » et de la diriger comme un manager agile.

Dans ce contexte global, l’affaire Benalla est venue rompre la verticalité affichée du pouvoir et mettre à terre métaphoriquement et réellement l’aura du président. Le « voyou » comme l’ont appelé certains médias, par sa proximité avec le président et la protection qu’il lui a apportée, a révélé la violence étatique légitimée au plus haut de l’État.

5. Fake news, post-truth politic, tweet et clash : l’ère de Donald Trump

Christian Salmon retrace volontiers l’histoire des États Unis. Plus exactement, il donne sa propre clef de lecture de la succession des présidents élus depuis Ronald Reagan.

Dans son livre, c’est un des rares moments où il remonte davantage en arrière dans le temps. Il analyse brièvement comment l’entourage des candidats s’est transformé pour assurer leur communication. Autrefois des analystes qu’on appelait « spin doctors » étaient des agents d’influence qui délivraient des arguments, des raisonnements, qui écrivaient des discours (« speech writers ») à un candidat qui manquait de substance comme Ronald Reagan. Venu du spectacle, cet acteur avait besoin de scénaristes-producteurs capables de le mettre en scène et de lui souffler son texte. De la sorte, ils ont promu le « stage-craft », la mise en scène, au lieu du « state craft », l’art de gouverner.

De la même manière, ils ont tenu la communication présidentielle encore sous Clinton. Et ils ont même servi de « cerveau » (le surnom de Karl Rowe) à George W. Bush. Ce dernier a commencé à comprendre l’importance des chaînes du câble et de l’info en continu. C’est sous la présidence de Bush que les choses ont changé. À partir du 11-Septembre, il a fallu faire appel aux « storytellers » pour justifier la guerre en Irak, pour écrire des histoires héroïques de l’Amérique éternelle, pour raconter l’histoire des « méchants » et des « gentils ».

Et c’est encore un communicant de ce type, David Axelrod, qui a accompagné l’ascension d’Obama. Il s’est lui-même proclamé « Obama’s Narrator », comme « le narrateur » de l’histoire que vivait ce personnage quasi romanesque. Christian Salmon voit d’ailleurs toute la présidence d’Obama sous ce signe du scénario hollywoodien et il en trouve la preuve dans la reconversion récente d’Obama en producteur de séries télé pour Netflix.

6. La télé-réalité à la Maison-Blanche

Avec la campagne incroyable de Donald Trump, assisté de Steve Bannon à ses côtés, et son accession à la présidence, on entre dans une tout autre ère, celle de l’infotainement, du mélange des genres entre information et télé-réalité. Il n’est plus question de raconter une histoire construite et cohérente, mais simplement d’enchaîner une succession de chocs, de clash qui feront le buzz, de manière discontinue, tout en créant un brouhaha permanent.

Il n’est plus question de vérité, mais de viralité, de voir à quelle vitesse une info, fausse ou vraie se répand, comment les fake news résistent au fact checking, comment la violence des réseaux sociaux peut faire irruption dans le champ politique complètement décrédibilisé. Christian Salmon replace le contexte notamment du point de vue des nouvelles technologies, à l’ère du big data et du web.

Donald Trump, du coup, n’apparaît pas comme un personnage incompréhensible, mais comme le signe et le symptôme de cette « ère du clash » qu’il a presque théorisée sans même s’en rendre compte. Il a mis à mal la narration des démocrates qui, après avoir porté au pouvoir le premier afro-américain, voulaient y mener la première femme. Trump, lui, ne racontait pas une belle histoire, il a mené toute sa campagne à coups de provocations, de transgressions, d’insultes, il a imposé sa figure burlesque avec ses outrances ; il ne proposait ni un discours rationnel sur la politique ni un récit héroïque de son propre destin. Il n’a pas cherché le consensus fondé sur l’assentiment à un programme politique, mais uniquement la cristallisation des colères, des dissensus, des ressentiments autour d’un personnage en rupture avec l’establishment. Provocation, clash, incrédulité à l’égard de tout ce qui a partie liée au « système », complotisme porté à son paroxysme, voilà ce qui fédère l’électorat de Trump.

Mais Trump n’est que le reflet de ce que nous pouvons constater chaque jour : il n’est plus temps de raconter des histoires, mais d’attirer l’attention par un événement qui fait irruption, le dernier chassant le précédent dont la mémoire s’efface très vite. Il ne reste plus que la violence de l’affrontement. La figure d’un Steve Bannon se révèle au final peut-être plus inquiétante même que celle de Trump. Même une fois parti de la Maison-Blanche et de l’entourage direct du président, cet homme cherche à manipuler des foules entières, notamment en Europe, selon cette logique du clash permanent dans des proportions assez effrayantes puisqu’il évoque lui-même non pas des « batailles de polochons » mais la nécessité de recourir à des « tueurs » pour imposer un vrai changement à la classe politique qui domine le monde.

La fin de l’ouvrage de Christian Salmon reflète un pessimisme assez prononcé : le temps des mots, des discours, des délibérations, semble faire place au mutisme qui précède les explosions de violence.Le livre de Christian Salmon encourage son lecteur à prendre le temps d’analyser avec recul toute l’écume de l’actualité quotidienne et à y lire des symptômes inquiétants des maux de notre époque.

7. Zone critique

L’Ere du Clash a été salué comme un livre agréable à lire qui interroge sur une nouvelle forme contemporaine de communication politique et médiatique. Conçu comme une suite à l’ouvrage Storytelling, l’auteur s’appuie sur des exemples très récents qui font l’actualité. Pour certains événements, ne disposant pas de toutes les suites au moment de l’écriture, il risque de se trouver un peu en porte-à-faux (par exemple sur l’affaire Benalla).

L’auteur reprend également des analyses de son précédent livre, La Cérémonie cannibale. L’Ere du clash oscille entre l’analyse surplombante du chercheur en sciences de la communication et l’engagement d’un essayiste, notamment lorsqu’il aborde la vie politique française. Les analyses sont minutieuses et décryptées à partir de grilles de lecture clairement identifiables, anti-UE et antilibérales.

8. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Christian Salmon, L’Ere du clash, Paris, Fayard, 2019.

Du même auteur– Tombeau de la fiction, éditions Denoël, 1999.– Censure !, Censure !, éditions Stock, 2000.– Verbicide, Actes Sud-Babel, 2007.– Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, La Découverte, 2007.– La Cérémonie cannibale, de la performance politique, Fayard, 2013. Prix de l'essai 2013.

Autres pistes– Collectif, Fake News, mensonges et vérités, PUF, 2019.– Ingrid Riocreux, Les Marchands de nouvelles, L’Artilleur, 2018.

© 2021, Dygest