Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Christine Bard
Reflet du corps social, le costume a longtemps été strictement coordonné à l’âge, au sexe et au statut de celui ou celle qui le portait. Avec cette Histoire politique du pantalon, Christine Bard interroge la centralité d’un élément extrêmement visible et symboliquement investi de notre culture matérielle. Si les hommes portèrent longtemps un vêtement fermé et les femmes un vêtement ouvert, l’emprunt du premier par les secondes n’alla pas sans résistances, « car, autant qu’un vêtement, le pantalon est un symbole » (p. 7).
« Porter la culotte » : à travers cette expression, la culture populaire met en image le lien qui unit la détention du pouvoir et le vêtement bifide, jusqu’à peu réservé aux hommes. En suivant le fil rouge que constitue l’histoire de ce vêtement du bas – lié, de ce fait, à la sexualité et au genre –, Christine Bard met en perspective la manière dont cette pièce de vêtement a incarné, dès la fin du XVIIIe siècle, la lutte des femmes pour l’égalité et la mobilité.
Après avoir rappelé le moment historique que constitue la Révolution française en termes de changement démocratique, auquel est liée la diffusion exceptionnelle du vêtement plébéien qu’est le pantalon, l’auteure interroge sous l’angle du genre les tentatives féminines de s’emparer de ce vêtement confortable et pratique, et les résistances nombreuses qui leur furent opposées. Symbole de masculinité et de pouvoir alors qu’il est au départ le vêtement des vaincus, le pantalon incarnera, au fil des siècles et des changements politiques, une certaine idée du corps social et du corps biologique.
Du projet totalisant d’une citoyenneté unificatrice de la fin du XVIIIe siècle aux utopies sociales du XIXe siècle et aux « troubles dans le genre » revendiqués au XXe siècle, l’exigence d’égalité, longtemps réservée aux hommes, est peu à peu revendiquée par un nombre grandissant de femmes.
Le mot pantalon est d’origine italienne, les pantaloni désignant les longues culottes vénitiennes diffusées dans toute l’Europe par la commedia dell’arte à partir du XVIe siècle. Si les paysans d’Ancien Régime portent, sous leur tunique, un vêtement large descendant des braies gauloises, la noblesse puis la bourgeoisie se distinguent par un vêtement du bas ajusté et coûteux : la culotte. « Les origines du pantalon renvoient donc à un large éventail de conditions dominées : c’est le vêtement du vaincu, du Barbare, du pauvre, du paysan, du marin, de l’artisan, de l’enfant, du bouffon… » (p. 10). Christine Bard souligne que la diffusion vers le haut de l’échelle sociale d’un vêtement « dominé » est un cas unique dans l’histoire, à rebours du phénomène d’imitation des puissants (power dressing).
En effet, cette anomalie s’est « produite dans un contexte de rupture révolutionnaire » (p. 28), celui de la fin du XVIIIe siècle français. Avec le bonnet dit phrygien et la cocarde, ce vêtement de travailleur revendiqué par les sans-culottes, ces militants jacobins radicaux issus du peuple parisien, est bientôt repris par tous les patriotes et devient le symbole de l’égalité des citoyens.
Mais cette « unification du costume masculin, que le pantalon résume » (p. 43) est aussi un moment de masculinisation de la société : « Si chaque corps est désormais citoyen, le corps masculin l’est un peu plus que les autres » (p. 34). Avec ce que le psychanalyste anglais John Carl Flügel appela « la Grande Renonciation masculine » du XVIIIe siècle, les hommes abandonnent leurs prétentions esthétiques, qui deviennent dès lors supposément féminines.
Le pantalon devient l’emblème de cette virilité nouvelle et d’une égalité qui, comme le suffrage dit « universel », ne concerne que les hommes. 1793 : les Clubs de femmes sont interdits ; 1800 : une ordonnance de la Préfecture de police de Paris leur défend le port des habits masculins, annulant les quelques rares autorisations. Pour Christine Bard, cette interdiction « peut être vue comme un des éléments du dispositif de contrôle de l’identité qui se renforce alors » (p. 71).
Tandis que le Consulat puis l’Empire martialisent le costume masculin, les femmes sont renvoyées au devoir patriotique de la maternité. Le Code civil de 1804, qui donne aux femmes mariées le statut de mineures, met en place un système que l’auteure qualifie de « masculiniste ». Parallèlement, les scientifiques naturalisent les différences de genre : mettant fin à la vision humaniste, héritée de l’Antiquité, d’un corps unique pour les deux sexes, les anatomistes du XIXe tentent de prouver l’existence d’un dimorphisme sexuel hiérarchisé, dans lequel le cerveau de la femme est prétendument plus petit et ses hanches démesurément agrandies.
Dans ce nouvel ordre social biologisé, le costume reste sexuellement normé. L’analyse de Christine Bard est que l’individualisme démocratique aurait suscité la peur d’une confusion des sexes, l’égalité sociale engendrant une « pensée de la différence ».
Les utopies du XIXe témoignent d’un fort lien de pensée entre les mouvements socialistes et les féminismes. Face au féminisme naissant, de nombreuses attaques montrent combien, à travers la question du pantalon, identité de genre et pouvoir se recoupent, et les caricaturistes de l’époque font grand usage du vieil adage selon lequel « Qui culotte a, pouvoir a ».
Condamnées au vêtement ouvert, qui marque leur condition de dominées et prévient leur mobilité, les femmes ne connaissent de pantalon que sous la forme de dessous : apparus sous l’Empire, alors importés d’Angleterre, les pantalons de dessous se développent à la Belle-Époque sous une forme hautement érotisée et garnie de dentelles : ils symbolisent alors la disponibilité sexuelle des prostituées et danseuses du « Paris des plaisirs ».
Mais, au-delà de ce contexte, l’apparition de pantalons de dessous fermés – ils étaient jusque-là fendus – permet une « mutation fondamentale, car le privilège du vêtement fermé – impénétrable – cesse alors d’être masculin, au moins pour les dessous. (…) Il marque une étape importante de l’émancipation féminine, en donnant le sentiment d’une plus grande maîtrise corporelle » (p. 207).
Quelques projets, liés à des groupes utopiques mixtes ou féminins, veulent aller plus loin et réclament une réforme du costume féminin, alors constitué d’un ensemble complexe de pièces superposées, incluant corset, bas et accessoires divers.
En France, le mouvement communautaire utopique des saint-simoniens tente d’imaginer un vêtement un vêtement pour le nouveau citoyen, mais le pantalon qui le compose est réservé aux hommes. C’est aux États-Unis, terre d’utopies et d’expérimentation, que les réformateurs du costume sont les plus nombreux, que ce soit pour des raisons religieuses, hygiénistes ou sociales.
Parmi eux, la féministe Amelia Bloomer fait parler d’elle jusqu’en Europe, avec le pantalon bouffant qui prendra son nom. Accusée de viriliser les femmes, elle déclenche une forte opposition, y compris auprès des féministes qui préfèrent se concentrer sur la question du vote et craignent d’effrayer politiques et grand public. Pour beaucoup d’entre elles, la femme doit rester « féminine ». Pourtant, rappelle l’auteure, « selon les pionnières du féminisme vestimentaire, rien n’est intrinsèquement masculin dans le pantalon. C’est un vêtement qui leur permet d’assouvir leur liberté physique » (p. 113).
Pour faire taire les féministes, la caricature est la voie royale. Dans les journaux réactionnaires, mais pas seulement eux, les demandes d’égalité des femmes sont violemment moquées à travers des costumes qui les ridiculisent, mêlant pantalons collants et hyper-sexualisation.
Des gravures de Daumier montrant de supposées « bas-bleus », ces femmes instruites et pédantes, refusant les tâches ménagères – dont la reprise des pantalons de l’époux –, aux dessinateurs du Charivari, de L’Assiette au beurre et de La Caricature, les femmes sont accusées d’inverser les rôles et de se viriliser. Les « bas-bleus, vésuviennes et viragos » qui envahissent les journaux traduisent les peurs et les fantasmes d’une femme qui prendrait le pouvoir (les Vésuviennes sont un régiment fictif de républicaines inventé par la presse en 1848, et les viragos des femmes viriles).
Le pantalon – cette fameuse « culotte » que doit porter le mari sous peine de ne plus être maître chez lui – marque symboliquement cette prise de pouvoir. « Depuis l’Antiquité, la femme habillée en homme préfigure un monde inversé apprécié des humoristes » (p. 121) : de Lysistrata d’Aristophane aux images d’Épinal en passant par les Vésuviennes, ces « mondes à l’envers » souvent servis par un ressort comique qui doit en souligner l’incongruité profonde traduisent la peur fondamentale de perdre son statut de dominant.
Certains moments politiques concentrent encore l’acuité de cette angoisse sociale, ainsi 1848, année du suffrage « universel », tout aussi masculin que celui de 1792, relance-t-il l’antiféminisme. En effet, les féministes, qui animent des clubs politiques et soutiennent les socialistes, paieront le prix de leur engagement en concentrant l’essentiel des attaques. Tout comme la révolutionnaire de 1789, échevelée et en jupons, la quarante-huitarde est dépeinte en pantalon.
Le mythe de barricades de femmes à la Commune reconduit les craintes sexistes du camp réactionnaire (et parfois des socialistes eux-mêmes), même si les femmes participent effectivement au soulèvement populaire, si Louise Michel s’y montre en uniforme, et si quelques-unes, telle Jane Dieulafoy, s’engagent physiquement dans la guerre franco-prussienne.
Dans ce XIXe siècle qui naturalise le genre et assigne les femmes à la maternité, quelques figures singulières émergent, qui marqueront durablement notre imaginaire. Si certaines sont homosexuelles ou bisexuelles, d’autres apprécient simplement le côté pratique du vêtement masculin. Mais la transgression vestimentaire et l’homosexualité ont, pour les deux sexes, toujours été l’objet d’amalgames, et le terme « Troisième sexe », qui date du XIXe, désigne tant les travestis que les homosexuels.
Alors que seul le carnaval autorise l’échange des costumes et l’inversion (temporaire) des rôles sociaux et de genre, le travestissement quotidien est toujours réprimé, et plus largement découragé par « un dispositif de contrôle social plus vaste et plus complexe » (p. 89).
Réelle ou supposée, l’homosexualité des femmes en pantalon est présentée comme un danger moral, et ce d’autant plus que les amours féminines semblent désormais s’afficher au grand jour » (p. 215). Plus visibles et donc plus attaquées, les homosexuelles vont aussi plus facilement se regrouper et s’affirmer « par le langage des apparences » (p. 216).
Après la Révolution, la plus célèbre à transgresser l’ordre vestimentaire est l’écrivaine George Sand : « figure majeure (…) sa trace mémorielle est profonde ». Elle porte le pantalon ou la robe selon l’humeur, et fume le cigare. En 1835, elle adopte le costume des jeunes républicains.
La ville du XIXe est pourtant « un espace fortement sexué » où les seules femmes à circuler librement sont les femmes dites publiques, livrées à la prostitution. La peintre Rosa Bonheur, qualifiée de « George Sand de la palette » et première femme acceptée aux Salons de peinture porte, elle aussi, le pantalon, mais pas dans les lieux publics. L’archéologue Jane Dieulafoy le porte pour des raisons pratiques et, se déclarant « collaborateur » de son mari, durant les nombreux voyages qu’ils firent en Orient et au Maghreb. La comédienne Sarah Bernhardt, qui interpréta de nombreux rôles masculins, porte le pantalon sur scène.
Son androgynie théâtrale n’est acceptable que parce elle est artistique. Son amie Louise Abbéma porte à la ville un vêtement mixte, le costume tailleur, dont seul le haut est masculinisé. Il y a d’autres femmes exceptionnelles sur le plan vestimentaire parmi les auteures de l’époque, ainsi Rachilde, qui prend l’habit masculin dès ses 25 ans mais se dit antiféministe. Beaucoup de ces femmes présentent d’ailleurs ce paradoxe : leur vie et leur œuvre sont non-conventionnelles, mais elles professent une sorte de dédain pour les autres femmes et s’opposent aux idées féministes. C’est le cas, dans les années 1900-1930, de Marc de Montifaud, né Marie-Amélie, qui ne rejoint les féministes qu’à la cinquantaine, alors qu’elle a toujours porté le pantalon et un pseudonyme masculin.
Enfin, l’auteure Gyp témoigne que l’adoption de la masculinité peut s’accompagner de misogynie. L’écrivaine Colette, dont les cheveux sont coupés court, porte volontiers le pantalon sur les photographies et défend la liberté du corps, mais se distancie sur le tard de ses amies lesbiennes, telles Mathilde de Morny ou Natalie Clifford Barney, qui tient un salon lesbien. Le pantalon n’est d’ailleurs pour beaucoup qu’un déguisement occasionnel. Christine Bard rappelle utilement que, si le port du pantalon est politisé par le regard de ceux qu’il dérange, « le travesti n’est pas forcément féministe » (p. 190).
« C’est au tournant du XIXe et du XXe siècle que le féminisme parvient à politiser la question des apparences. (…) Au nom de la santé et des bienfaits de l’activité physique, des évolutions sont possibles (…) » (p. 225). Avec le féminisme et l’homosexualité, le sport promeut le pantalon. Déjà, les grandes voyageuses Adèle Hommaire de Hell, Alexandra David-Néel et Isabelle Eberhardt l’avaient adopté pour pouvoir circuler librement. Par son caractère pratique, protecteur et peu coûteux, il participe à la prise d’autonomie spatiale et sociale des femmes.
Avec la diffusion des voyages, la mode du vélo et l’équitation, alors très répandue dans la classe aisée, plusieurs options se présentent aux femmes : le costume de cavalière appelé amazone, porté en ville par certaines ; le costume tailleur, à jupe droite et jaquette inspirée du veston masculin, jugé convenable pour la promenade dès 1890 ; enfin la culotte bouffante de bicyclette, laquelle se diffuse dans les couches bourgeoises dès la fin du XIXe malgré de nombreuses railleries, car la position à califourchon est jugée obscène pour une femme.
Bientôt l’automobile, où s’illustre la championne de sport Violette Morris, rendra plus floue l’appartenance sexuelle par l’égalité des performances. Certaines coureuses automobiles sont d’ailleurs des militantes des droits des femmes. La transgression de Morris, d’une élégance masculine ostensible, sera payée de son exclusion de la Fédération féminine sportive. « Elle incarne en quelque sorte le “péril lesbien” qui plane sur le sport » (p. 271). Cependant, les femmes entrent dans la pratique de nombreux sports et y excellent, associant définitivement l’image de la femme athlète ou de l’aventurière en pantalon à la bravoure, au dépassement de soi et à la réussite.
Sur le plan de la mode, la Belle-Époque, marquée par d’« intenses changements politico-vestimentaires » (p. 224), aura fait apparaître un personnage en partie de fiction : la « femme nouvelle » émancipée, et fortunée. Pour l’habiller, la couture, autrefois métier de femmes, passe entre les mains des hommes, le premier d’entre eux étant Paul Poiret.
Il propose en 1911 des pantalons bouffants, mais pour l’intérieur et le théâtre, et c’est la maison Béchoff-David qui lance les jupes-culottes que leurs détracteurs associèrent au mouvement féministe. Le costume est donc toujours politisé par la lecture qui en est faite. Mais « la mode est un puissant facteur de légitimation du changement vestimentaire » (p. 202), et se joue des interdictions.
Les revendications à porter le pantalon n’ont pas attendu le XXe siècle pour être formulées en termes politiques : dès 1880, la journaliste Astié, fondatrice de la Ligue socialiste des femmes et ardente partisane du droit de vote et de l’égalité salariale, revendique la liberté vestimentaire.
Avec d’autres féministes radicales, souvent socialistes, elle fonde en 1891 la Fédération française des sociétés féministes. Le féminisme est dès lors nommé, et revendiqué comme force politique. C’est la psychiatre Madeleine Pelletier, une socialiste révolutionnaire que l’on décrirait aujourd’hui comme transgenre et pour qui « il faut être des hommes socialement », qui élabore le premier projet politique de « virilisation des femmes ».
Mais les autres socialistes européennes ne la suivent pas sur ce terrain, et pour beaucoup de féministes, le féminin, suffisamment dénigré, doit être défendu. Stratégie politique ou attachement à la différence des sexes, les féministes réformistes revendiquent un « féminisme féminin ».
Pourtant, avec la Première Guerre mondiale et la nécessité de remplacer les hommes dans différents secteurs importants de l’économie, les femmes portent souvent blouse et pantalon et leur tenue est simplifiée. Cette guerre « masculinisatrice » pour le costume et l’emploi féminins angoisse les hommes, et « la séduction féminine, sorte de devoir moral (…), gagne en importance » (p. 280). L’après-guerre change la donne : cheveux courts, robes au genou, bronzage et larges pantalons de plage disent la jeunesse et la force retrouvées. Sous les jupes, les sous-vêtements fermés, désormais simplifiés, autorisent le mouvement.
Mais la mode de la « garçonne », qui donne à penser que les femmes ont acquis une identité nouvelle, est vite remplacée par sa version érotisée, sur le modèle de la girl d’Amérique. La peur de l’inversion sexuelle est en effet grande, et le pantalon est encore largement assimilé aux lesbiennes, qui dans les années 1920 ont tenu une place importante dans l’imaginaire et les arts.
Si la défaite française de 1940 engendre un regain de traditionalisme (campagnes contre le short en bord de mer, la danse, les zazous), sur le plan international, le pantalon se répand, par l’engagement de femmes dans les forces armées et les usines d’armement. Des soldates soviétiques à Rosie la Riveteuse en passant par la reine Elizabeth, le port du pantalon devient plus acceptable. Avec la diffusion des loisirs de masse, le pantalon décontracté et le jean, venus d’Amérique, se répandent progressivement, dès les années 1950.
En 1965, leur production dépasse celle des jupes. La mode le met à l’honneur : ainsi Saint-Laurent et son smoking pour femme, symbole du pouvoir de celle qui le porte, ou les recherches avant-gardistes de Courrèges ou Paco Rabanne. « Le pantalon féminin est une image forte de rupture avec la tradition » (p. 319) dans un contexte où il faut « construire du neuf » (p. 320). Le jean est « associé à la libération sexuelle et à un style de vie bohème » (p. 320), tandis que mai 1968 voit apparaître un « débraillé révolutionnaire » (p. 321) qui rappelle les sans-culottes. L’interdiction du pantalon tombe dans l’oubli, même s’il n’est autorisé dans les établissements scolaires qu’après 1968.
Les années 1970 voient apparaître le Mouvement de Libération des Femmes, porteur d’une déconstruction de la féminité et de nouvelles revendications, puis les années 1990 défendront l’unisexe et de nouvelles identités de genre. Ainsi, la mode n’a pu ignorer « l’émancipation des femmes : citoyenneté en 1944, réforme du Code civil en 1965 qui dégage les épouses de la tutelle maritale, accès massif des filles aux études » (p. 307).
Enjeu majeur de l’ordre social, le costume et ses variations autorisent une lecture minutieuse du pouvoir et de son rapport au genre. Son extension de la sphère intime à celle du politique est l’histoire d’une conquête. L’ordonnance du Code de police de 1800, qui interdisait aux femmes le port du pantalon dans l’espace public, n’a été abrogée qu’en 2013, après la publication du livre de Christine Bard. Son « fil rouge, la codification/transgression du genre à travers (…) le pantalon » (p. 332), lui permet de montrer combien « le vêtement reste un marqueur social » (p. 354), obligeant les femmes qui travaillent à de plus grandes dépenses que leurs collègues masculins, et parfois, au port de la jupe.
Cette dernière fait aujourd’hui l’objet d’attaques sexistes, que ce soit dans l’arène politique (cas de la députée Cécile Duflot à l’Assemblée nationale) ou dans certaines parties de l’espace public, notamment les quartiers à forte population immigrée, où les jeunes filles adoptent un survêtement couvrant. Désormais, avec « la journée de la jupe », est posée la question de la liberté des femmes de s’habiller comme elles l’entendent.
En 2020, elles font toujours l’objet d’une surveillance et d’une appropriation patriarcale de leur corps et leur forte érotisation dans les médias et la publicité montre combien « les limites de la libération des corps sont déjà perceptibles » (p. 354).
Nicole Pellegrin, que cite Bard, voit dans le vêtement le lieu d’une « histoire totale : économique, sociale, anthropologique, symbolique » (p. 18). Si l’auteure fait appel dans son livre à l’ensemble de ces catégories, elle fait toutefois le choix du symbolique, qu’elle perçoit « comme l’un des leviers du changement social » (p. 377).
Aux fonctions de « parure, pudeur et protection » (p. 375) du vêtement s’ajoute en effet une fonction symbolique particulièrement constitutive de la communication politique, le besoin de symbolisation ayant accompagné la pratique du pouvoir à chacune de ses étapes.
En inscrivant dans une relative longue durée ses observations, Christine Bard nous permet de suivre, dans ses avancées et ses reculs – échos de la valse hésitante des droits des femmes –, l’évolution de leur situation sous l’angle de la liberté, chère aux valeurs républicaines.
Ouvrage recensé– Une histoire politique du pantalon, Paris, Seuil, 2010.
De la même auteure– Avec Sylvie Chaperon, Dictionnaire des féminismes. XVIIIe-XXIe siècle, Paris, PUF, 2017. – Le féminisme au-delà des idées reçues, Paris, Le Cavalier Bleu, 2012. – Avec Nicole Pellegrin dir., « Femmes travesties : un "mauvais" genre », Clio. Histoire, femmes et sociétés, n°10, 1999.
Autres pistes– Jean-Claude Bologne, Histoire de la coquetterie masculine, Paris, Perrin, 2011.– Farid Chenoune, Des modes et des hommes. Deux siècles d’élégance masculine, Paris, Flammarion, 1993.