Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Christophe Fauré
La perte d’un être cher est un événement qui bouleverse la vie personnelle et dont les conséquences se répercutent des années après le décès. Phénomène à la fois intime et social, le deuil est un processus long qui métamorphose en profondeur la personne que l’on est et bouscule tous les repères valides par le passé. Dans son livre Vivre le deuil au jour le jour, Christophe Fauré se place en accompagnant du deuil et dévoile étape par étape comment cheminer dans son chagrin.
À une époque où l’accompagnement en matière de fin de vie et de deuil n’en est qu’à ses balbutiements en France, le docteur et psychiatre Christophe Fauré rédige Vivre le deuil au jour le jour.
Publié en 1994, puis en 2018 dans une version enrichie, cet ouvrage se présente comme un manuel à l’usage de ceux qui se retrouvent confrontés à la douloureuse épreuve de la perte d’un proche. Il invite à découvrir pas à pas le cheminement du deuil et à décrypter ses incidences d’un point de vue psychologique, familial ou social, en fonction de la nature de la relation entretenue autrefois avec le défunt.
Quelles sont les phases de ce processus complexe ? Comment le corps et l’esprit gèrent-ils le choc et dans quelle mesure la société interfère-t-elle dans leur action ? Autant de questions que Christophe Fauré aborde au fil de son livre, en mêlant éclairage scientifique et conseils à destination du lecteur pour l’aider à mieux comprendre les rouages du processus de reconstruction qui se met en place en lui.
Le décès d’un proche signe l’interruption brutale d’une relation humaine en cours. Il enclenche un processus de deuil auquel on ne peut se soustraire et qui résulte de l’affection qu’on portait au défunt. D’une durée différente selon les personnes, ce processus est soumis à une évolution et des fluctuations propres à chacun.
Selon l’auteur, il se décompose néanmoins en quatre étapes principales : la phase de sidération au cours de laquelle on peine à réaliser la réalité du décès ; la phase de fuite et de recherche où l’on évite de se confronter au réel et poursuit la quête constante du défunt ; la phase de déstructuration où l’aspect irrévocable de la mort et de l’absence prend tout son sens et engendre une douleur profonde ; la phase de restructuration qui amène à se tourner progressivement vers l’avenir et à envisager une nouvelle vie. Si ces diverses étapes se déroulent selon un rythme et une intensité variables, elles n’en sont pas moins irréductibles et incontournables. Chacune d’elles participe à la « cicatrisation psychique » (p. 26) à l’œuvre tout au long de la période de deuil.
Pour débuter dans les meilleures conditions, le processus de deuil doit reposer sur le constat concret du décès. Comment se résigner en effet à l’absence d’un être cher quand l’esprit refuse obstinément de se rendre à l’évidence ? C’est pourquoi la preuve tangible qu’est le corps sans vie exposé au funérarium constitue un élément déterminant pour appréhender cette disparition, de même que la cérémonie des funérailles et les visites ultérieures au cimetière. Ces rites permettent d’intégrer la perte de façon indubitable dans notre univers, mais aussi d’obtenir la reconnaissance sociale du deuil qui nous accable par le biais de rituels publics.
La culture et la morale occidentales se révèlent en inadéquation avec le cours naturel du deuil. Elles n’offrent en effet qu’un cadre strict à l’expression de la douleur, au-delà duquel celle-ci n’est plus considérée comme acceptable.
Si l’extériorisation de la souffrance par la tristesse ou la colère est publiquement tolérée pendant un certain laps de temps, elle devient un comportement dégradant et l’expression d’une fragilité si celle-ci dure trop longtemps. L’univers professionnel est sans doute le lieu où le lâcher-prise émotionnel est le plus indésirable et le moins compris : durant son travail, on doit faire preuve de performance et non dévoiler ses failles. Les codes sociaux instaurent par ailleurs une différence de traitement notable selon le sexe. Si la femme peut s’abandonner plus largement à sa peine, l’homme est contraint à la retenue et doit adopter une attitude plus forte face à la perte qu’il vient de subir.
Au-delà de la pression sociale qui s’exerce sur la personne en deuil pour être en conformité avec les normes morales, il est à noter que les sociétés modernes ont perdu tout contact avec la notion de mort. L’auteur rappelle qu’autrefois, les veillées funèbres à domicile étaient très répandues. Elles permettaient de côtoyer régulièrement la mort et de se familiariser avec elle. À l’inverse, aujourd’hui, la mort a majoritairement lieu dans les hôpitaux auxquels les enfants de moins de 15 ans n’ont pas accès, tandis que 60 % des plus jeunes sont délibérément écartés par leur famille des cérémonies funéraires pour les préserver.
Conséquence : quel que soit son âge, on ne sait plus comment appréhender le décès d’un proche, ni comment épauler une personne en deuil sans commettre d’impair.
La perte d’un proche est pour quiconque une épreuve difficile à traverser. De façon inconsciente, un certain nombre de stratégies de protection se mettent en place pour maintenir la santé psychique de la personne endeuillée et lui permettre de franchir ce cap.
Parmi elles, le déni permet de canaliser la violence de l’événement dans les premiers jours du deuil. La personne ne peut croire en la réalité du décès : cette mise à distance de la réalité lui ménage un temps transitoire d’adaptation. Elle lui donne l’opportunité d’intégrer progressivement la disparition définitive de son proche et de retarder le déluge des émotions. Cette « censure émotionnelle » qu’elle s’impose se trouve souvent conjuguée à une hyperactivité ou une agressivité qui a pour but d’occulter la réalité. C’est ainsi que l’on se plonge corps et âme dans le travail, qu’un adolescent s’oppose violemment au parent qui lui reste ou qu’un petit enfant joue avec insouciance et opiniâtreté pour occuper son esprit et faire barrage à la souffrance latente. Christophe Fauré souligne néanmoins que ces stratégies inconscientes n’offrent qu’un répit temporaire et n’annulent pas le processus de deuil naturellement enclenché.
Pendant les mois qui suivent le décès, la personne endeuillée s’efforce en outre de continuer à vivre en gardant le contact avec le défunt. Grâce à des objets représentant ou ayant appartenu au proche décédé, elle maintient avec lui le lien sensoriel établi avec lui durant son vivant et passant par la vue, l’ouïe, l’odorat ou le toucher. L’auteur rapporte que certains individus ont même la sensation de la présence du défunt près d’eux à travers la manifestation de phénomènes qu’ils ne s’expliquent pas, comme des appareils électriques qui se mettent en route ou des parfums familiers qui flottent autour d’eux.
Ces signes, regroupés sous la dénomination de « vécu subjectif de contact avec un défunt » (VSCD), font d’ailleurs l’objet d’études sérieuses révélant qu’ils sont loin d’être occasionnels, même s’ils n’ont trouvé aucun éclairage scientifique à l’heure actuelle.
Qu’il s’agisse de son enfant, de son partenaire ou de l’un de ses parents, surmonter le décès d’un proche n’est pas l’affaire de quelques mois, mais de plusieurs années. Le retour à l’apaisement connaît certains obstacles inhérents aux conséquences mêmes du deuil, qui bouleverse les fondations de la vie qu’on s’est forgée.
Car il faut bien le dire : quand on perd un être cher, c’est tout une partie de son existence qui s’effondre et se fragmente, depuis les souvenirs jusqu’aux projets d’avenir subitement avortés. La personne en deuil est le plus souvent désorientée car elle perd soudainement tous ses repères, d’autant plus quand il s’agit d’un décès brutal que rien ne laissait présager. Cela peut la conduire à une crise d’identité ou à un dédoublement au cours duquel elle se déconnecte d’elle-même et se voit vivre à distance comme si elle était désincarnée.
Cette destruction de l’environnement vital concerne également la structure familiale où les statuts de chacun peuvent être bousculés, par exemple lorsqu’un petit garçon s’efforce de remplacer son père décédé pour soulager sa mère au quotidien. L’auteur souligne que l’aspect matériel est un autre facteur aggravant, la situation financière de la personne en deuil pouvant être mise à mal par la mort de l’être cher.
La fragilisation psychologique qui découle de cette situation chaotique s’avère évidemment un frein au processus rapide de cicatrisation. Quand on subit la perte d’un proche, on se voit assailli par une souffrance profonde, mais aussi par l’angoisse face à la solitude. On est également rongé par le sentiment de culpabilité d’être toujours en vie, d’avoir commis des erreurs désormais irréparables envers l’être aimé ou de n’avoir pas été assez présent auprès de lui. L’auteur n’hésite pas à parler de « camisole émotionnelle » , tant on doute de pouvoir s’extraire de cet état psychique hors norme et invasif.
La pression psychologique est telle qu’elle a un impact physique se traduisant par une fatigue intense et persistante, ainsi que par une diminution des performances intellectuelles et de concentration. Si cette dépossession de ses capacités est passagère, elle peut occasionner une fragilisation du système immunitaire et divers symptômes dépressifs, tels que des douleurs musculaires, des troubles du sommeil et de l’appétit, une motivation en berne. Selon l’auteur, ces manifestations sont des composantes normales du deuil, qui s’estompent au fil du temps.
La douleur est la composante majeure du deuil et elle ne fait que croître dans les 6 à 10 mois succédant au décès. Dans de telles circonstances, certains ne voient qu’une issue pour échapper à cette souffrance lancinante qui leur ôte tout espoir : le suicide. Par ce biais, la personne en deuil est en quête d’un moyen de mettre un terme à un état physiquement et moralement insupportable.
La tentation suicidaire peut aussi répondre au besoin de rejoindre le défunt. Christophe Fauré note que dans certains cas, cet attrait morbide prend une forme détournée qui consiste à se saboter et à se mettre « plus ou moins en danger, que ce soit physiquement, psychologiquement, socialement ou professionnellement » (p. 134). Ces équivalents suicidaires, de même que la tentation du suicide, ne doivent pas être banalisés, ni minimisés. À cet égard, l’entourage joue un rôle prépondérant : écoute et vigilance sont les maîtres mots qui doivent guider le soutien de la personne en deuil.
Dans le cas précis d’un décès subit, un traumatisme peut venir se greffer au processus de deuil. Cet état traumatique se révèle parfois si puissant que le cerveau ne parvient pas à intégrer l’information, créant un syndrome de stress post-traumatique (PTSD). Celui-ci se manifeste de différentes manières : l’individu en deuil éprouve un stress intense, il est accaparé de façon récurrente par les images obsédantes du décès, il fuit toutes les situations faisant écho à l’événement traumatique.
Sans prise en charge, les séquelles peuvent afficher une longévité pouvant excéder plusieurs années et faire obstacle au processus de deuil. C’est pourquoi il est recommandé de faire appel à un psychologue ou un psychiatre pour désamorcer le traumatisme grâce à une thérapie cognitivo-comportementale ou une thérapie EMDR, basée sur une stimulation sensorielle et visant à « réactiver les mécanismes de "digestion" psychique qui ont été bloqués lors de l’événement traumatique » (p. 42).
Le processus de deuil, qui est un mécanisme naturel de guérison opérant de façon inconsciente, est à distinguer du travail de deuil. Ce dernier correspond aux initiatives que nous prenons pour favoriser la cicatrisation intérieure.
Au cœur de ce travail de deuil, la parole tient une place essentielle. Sa dimension cathartique est salvatrice : elle contribue à l’extériorisation des émotions et à alléger le poids de la peine. Elle s’avère d’autant plus libératrice qu’elle est pratiquée régulièrement. Parler du défunt ne doit en effet pas être considéré comme un tabou, bien au contraire. Si la douleur est vivace à sa simple évocation dans les premiers temps, elle s’atténuera progressivement. Dans ce travail de deuil, la famille et les amis peuvent devenir des confidents, à condition qu’ils s’abstiennent de tout jugement. Le recours à une psychothérapie est aussi une option viable, tout comme les associations spécialisées qui offrent un accompagnement permettant la verbalisation du chagrin et des difficultés rencontrées. Ces groupes de parole reposent sur « l’écho-résonance », c’est-à-dire que chacun se retrouve dans les confidences des autres et se sent moins solitaire dans sa souffrance.
Le travail de deuil doit par ailleurs permettre d’inscrire le souvenir de la personne disparue dans la mémoire de façon apaisée. Pour cela, il faut entretenir la relation avec le défunt d’une façon nouvelle. Cette perpétuation du lien s’effectue généralement de manière spontanée par des gestes ou comportements a priori sans conséquence, mais d’une grande importance pour la personne en deuil, tels que conserver une photo près de soi ou porter un bijou du défunt. La création de rituels personnels constitue une autre alternative, à condition que ceux-ci n’interfèrent pas dans le déroulement normal du quotidien. Ils aident « à la transition entre un hier où on partageait le quotidien du défunt et un demain où il faudra vivre sans lui » (p. 281).
Car tel est bien l’objectif du travail de deuil : recommencer à vivre et retrouver la voie du bonheur.
Dans tous les cas, l’auteur met en garde contre la tentation de l’idéalisation du défunt qui risque d’enfermer la personne dans son deuil et son passé au lieu de l’en libérer.
Par sa violence et sa versatilité, le deuil d’un être cher est donc un processus qui impose au corps et à l’esprit des tensions extrêmes. Il anesthésie les émotions et les décuple, il nous détruit pour nous reconstruire autrement, il mêle la peur d’oublier au désir d’avancer.
À travers ses contradictions, il soumet l’individu à un état incontrôlable qu’il est vain de vouloir dompter ou étouffer au risque de souffrir davantage. Le processus de deuil se déploie selon une grille constituée de critères liés à notre parcours, qui interviennent indépendamment de notre volonté et jalonnent cette période de difficultés supplémentaires. Mais au bout du chemin, le deuil n’a qu’un but : nous reconnecter à la vie et au désir de bâtir de nouveaux bonheurs et projets.
Quand il publie son livre pour la première fois en 1994, le psychothérapeute Christophe Fauré fait presque figure de précurseur tant les ouvrages de vulgarisation sur le sujet sont rares.
Loin des essais scientifiques complexes, son but est de fournir des jalons à ceux qui traversent un deuil, pour leur permettre d’aborder cette période délicate en toute clairvoyance. Il s’inscrit ainsi dans le principe naissant des soins palliatifs des années 1980 en France, dont le rôle est certes d’accompagner le malade, mais aussi d’aider son entourage à affronter cette épreuve.
Ouvrage recensé
– Vivre le deuil au jour le jour, Paris, Éditions Albin Michel, 2018
Du même auteur
– Vivre ensemble la maladie d’un proche,Paris, Albin Michel, 2002.– Le couple brisé – Vivre la rupture et se reconstruire, Paris, Albin Michel, 2002.– Après le suicide d’un proche – Vivre le deuil et se reconstruire, Paris, Albin Michel, 2007.– Maintenant ou jamais – La Transition du Milieu de la Vie, Paris, Albin Michel, 2011– Est-ce que tu m’aimes encore ? – Se reconstruire après l’infidélité, Paris, Albin Michel, 2013.– Comment t'aimer toi et tes enfants ?, Paris, Albin Michel, 2014.– Accompagner un proche en fin de vie : savoir l'écouter, le comprendre et communiquer avec les médecins (avec la participation de Stéphane Allix), Paris, Albin Michel, 2016– S'aimer enfin ! Un chemin initiatique pour retrouver l'essentiel, Paris, Albin Michel, 2018
Autres pistes
– Anne Ancelin Schützenberger, Sortir du deuil – Surmonter son chagrin et réapprendre à vivre, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2008.– Alain Sauteraud, Vivre après ta mort, Paris, Éditions Odile Jacob, 2017.– Nadine Beauthéac, Hommes et femmes face au deuil – Regards croisés sur le chagrin, Paris, Éditions Albin Michel, 2015.– Mélanie Klein, Deuil et dépression, Paris, Éditions Payot, 2016.– Élisabeth Kübler-Ross et David Kessler, Sur le chagrin et sur le deuil, Éditions JC Lattès, 2009.