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Mindfuck

de Christopher Wylie

récension rédigée parMarc CrépinJournaliste indépendant. A occupé plusieurs postes à l'étranger et dirigé les rédactions de France Culture et de France Info.

Synopsis

Société

Le scandale éclate le 17 mars 2018 par le biais d’articles dans The Guardian et The New York Times : les données personnelles de millions d’utilisateurs de Facebook ont été utilisées pour influencer à grande échelle le référendum sur le Brexit et l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Au cœur de ce véritable complot, une société jusqu’alors totalement inconnue de l’opinion publique, Cambridge Analytica. C’est Christopher Wylie, l’ancien directeur de recherche de cette entreprise, qui a lancé l’alerte. Il retrace par le menu cette incroyable histoire de manipulation de l’opinion dans un ouvrage-choc, Mindfuck. Le Complot Cambrige Analytica pour s’emparer de nos cerveaux.

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1. Introduction

Le choix du titre, Mindfuck en anglais, est sans appel. Difficilement traduisible, il porte l’idée d’une escroquerie mentale. Ce livre-témoignage est d’abord l’histoire de Christopher Wylie, talentueux ingénieur en informatique, qui devint l’un des rouages d’une machination. Il raconte les huit années qu’il vient de vivre, qui se sont soldées par deux gigantesques opérations de manipulation électorale, à la faveur desquelles des citoyens britanniques et américains ont été trompés, influencés, abusés.

Le 17 mars 2018 a éclaté le scandale Cambrige Analytica et débuté la plus grande enquête criminelle qui ait jusqu’alors été menée sur une affaire de données informatiques. Comment tout cela a-t-il commencé ? La société Cambridge Analytica a paradoxalement ses racines dans la campagne de Barack Obama, qui a vu naître de nouvelles manières de faire campagne en ciblant les électeurs grâce à l’utilisation des données. L’observation de ces pratiques nouvelles a immédiatement interpellé l’auteur, qui était déjà un fin connaisseur des nouvelles technologies.

Quelques années plus tard, il s’est retrouvé directeur de recherche d’une toute jeune société d’utilisation des données, Cambridge Analytica. Dans ce nouveau système d’influence de l’opinion, les données sont le nerf de la guerre. Christopher Wylie explique comment Facebook a servi à alimenter les bases de données de la société et comment celles-ci ont permis de manipuler les individus lors du référendum du Brexit et de l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis.

2. La plus grande enquête criminelle de l’Histoire sur des données informatiques

Très introspectif, le récit de Christopher Wylie commence par son audition sous haute sécurité devant des membres du Congrès américain, à Washington. C’est en juin 2018. À ce stade de l’histoire, les institutions gouvernementales de deux pays occidentaux se sont mises en branle. En Grande-Bretagne sont impliqués la NCA (National Crime Agency), le M15 (agence britannique du renseignement intérieur), l’Information Commissioner’s Office, la Commission électorale, le Metropolitan Police Service de Londres.

Aux États-Unis, le FBI, le Département de la Justice, la SEC (Securities and Exchange Commission) et la FTC (Federal Trade Commission) se sont également saisis du dossier Cambridge Analytica. Leurs pistes convergent alors avec celles suivies par le procureur spécial américain Robert Mueller, qui enquête sur les liens entre les Russes et la campagne présidentielle de Donald Trump depuis 2017.

« Trois mois plus tôt, le 17 mars 2018, le Guardian, le New York Times et la chaîne britannique Channel 4 News ont simultanément publié les résultats d’une enquête commune ayant duré un an, déclenchée par ma décision [celle de l’auteur] de révéler la vérité sur ce qu’il se passait à l’intérieur de Cambridge Analytica et de Facebook. » (p. 17) Les éléments deviennent viraux et se diffusent partout, sauf sur le réseau social qui promeut son propre communiqué de presse.

Les titres des journaux sont éloquents. « Comment les consultants de Trump ont exploité les données Facebook de millions de personnes », titre le New York Times, tandis que le Guardian affiche : « "J’ai construit les armes de la guerre psychologique de Steve Bannon" : À la rencontre du lanceur d’alerte de la guerre des données ». Le reportage de Channel 4 a, quant à lui, utilisé des moyens qu’on croirait réservés aux films d’espionnage, avec figurants équipés de caméras cachées afin de piéger un membre haut placé de la société Cambridge Analytica, Alexandre Nix. Comment en est-on arrivé là ?

3. Combine ou conquête des urnes ?

Lorsque l’on mène une guerre, il faut des armes équipées d’une charge utile et d’un système de ciblage. Selon l’auteur, lorsque la guerre est psychologique, il faut se préparer de façon analogue, mais pour un combat informationnel. La charge utile est alors souvent une histoire, une narration qui modifie la lecture de la réalité ou se substitue à elle.

Dix ans avant ces faits, en 2008, Barack Obama fait campagne pour accéder à la charge suprême américaine. Christopher Wylie a dix-huit ans et il est déjà investi dans le parti libéral canadien. Celui-ci l’envoie aux États-Unis pour observer la campagne du candidat démocrate. Cette dernière se distingue nettement de celles de ses concurrents, par exemple Hillary Clinton, et constitue une rupture nette avec les pratiques du passé.

L’élément principal de différenciation est le recours aux nouvelles technologies. Avec son site My.BarackObama.com, le staff du candidat parvient à établir un lien avec les militants et les électeurs, lien qu’il poursuit ensuite sur le terrain. Mais, surtout, « le cœur de la campagne d’Obama, c’étaient les données » (p. 28). Les informations personnelles recueillies permettent de déterminer des profils et de modéliser le comportement des électeurs. Au terme de l’analyse, il est possible de faire du micro-ciblage, c’est-à-dire de cibler une petite fraction de la population seulement, celle qui va faire basculer le vote en faveur du candidat. Le plus pertinent est de viser la catégorie d’individus qui ne va pas voter, car il s’agit de personnes qui se sentent souvent oubliées des discours et qui, mobilisées, font la différence dans une élection. En 2008, la campagne de Barack Obama s’est ainsi tournée vers les Afro-Américains. Elle a mis en place une stratégie de communication très finement adaptée pour toucher cet électorat.

Après s’être familiarisé avec le terrain politique canadien, sans grand succès, Christopher Wylie se voit confier la tâche de relancer les adhésions chez les Libéraux-Démocrates britanniques. Dans les deux cas, les méthodes surannées des partis traditionnels le conduisent à l’échec.

Aussi, la proposition d’un des dirigeants de SCL, Alexandre Nix, arrive à point. Nix lui offre tous les moyens dont il pouvait rêver. En fait, ce travail consiste à mettre au point, en exploitant toutes sortes de données, des « armes informationnelles » sur mesure, en fonction du pays. On prend en compte la langue, la culture, le lieu, la diversité démographique, etc. Si on veut construire une arme destinée à un « perspecticide », autrement dit à une manipulation et à la déconstruction des perceptions, il faut comprendre ce qui anime les gens. SCL peut y parvenir parce que le groupe a passé des contrats avec des agences du Ministère britannique de la Défense et du Pentagone pour des actions de cyberguerre.

Dans la plupart des pays, il s’agit « d’étouffer les récits de l’opposant, avant de dominer l’univers informationnel de la cible », généralement au moyen de contre-récits. Mais dégrader le moral des troupes ne suffit pas. Le but est de provoquer des émotions et d’initier des processus de pensée négatifs. C’est ainsi que des élections au Ghana, au Kenya, en Inde, à Trinidad et Tobago sont systématiquement remportées par les clients de SCL. Très clairement, Christopher Wylie peut désormais modifier les choix d’un individu à chaque instant et à son insu. On utilise ses données personnelles, et notamment son comportement social, ses habitudes, ses manies, ses goûts et dégoûts, ses idées politiques et ses préférences sexuelles, pour le faire réagir, provoquer la colère ou le laisser submerger par les émotions. Mais, la difficulté majeure reste toujours la même. Il lui faut trouver un grand nombre de données sur chacun. On peut les acheter, les voler ou bien faire tourner des algorithmes complexes sur des réseaux sociaux.

C’est à ce moment de la recherche de Wylie qu’il se voit imposer un rendez-vous discret à Cambridge, avec un certain « Steve l’Américain », sans plus de précision. Il s’agit de Steve Bannon, thuriféraire de l’alt-right, qui va largement contribuer à modifier le cours de la politique en Occident.

4. Le rêve parfait des conservateurs

Steve Bannon est très influencé par la « doctrine Breitbart ». L’inspirateur et propagandiste de l’extrême-droite américaine assurait en 2000 que « la politique découle de la culture. Si les conservateurs veulent faire barrage aux idées progressistes en Amérique, ils doivent en premier lieu se battre sur le terrain de la culture ». L’auteur qui connait peu les mouvances d’extrême droite, et en particulier l’alt-right doit donc collaborer désormais avec un Steve Bannon qui prône un ultra-conservatisme alternatif, fait de doctrines diverses : le suprémacisme blanc, la haine des immigrés, le racisme et le conspirationnisme. Puissant, très introduit dans certains milieux financiers, il va bientôt proposer à Wylie et ses amis de fonder Cambridge Analytica.

À la recherche de financements, l’équipe de SCL monte un stratagème. Elle invite Bannon à négocier dans un faux bureau loué près de l’université de Cambridge, et le convainc que son programme de recherches sur le profilage des individus bénéficie d’un partenariat universitaire. Bannon, tombe dans le piège. Vivement intéressé, il imagine l’exploitation possible des travaux de Wylie sur le terrain électoral américain. En devenant directeur de Cambridge Analytica, Bannon devient aussi la première personne manipulée par sa propre entreprise.

Wylie intéressait Bannon parce que sa méthode de micro-profilage allait être utile à son projet : convaincre les Américains du bien-fondé des idées conservatrices. Wylie identifie son travail à celui que mènent les hackers. Eux cherchent un point faible dans un système informatique, lui cherche une faille, un défaut dans l’opinion et la pensée des gens. Pour « hacker » l’esprit de quelqu’un, il suffit d’identifier ses biais cognitifs et de les exploiter. Il agit sur la perception de la réalité de ses cibles. Il est donc parti aux États Unis à la demande de Steve Bannon, soucieux de tester cette méthode.

L’auteur arpente la Virginie pour interroger ses habitants. Il s’agissait de travailler sur la perception du bonheur que peuvent avoir les uns et les autres, mais cela dépend de l’information la plus présente à son esprit à un moment précis. Cet effet appelé en psychologie « amorçage », pouvait transformer les données en arme, selon Wylie. Il suffit de trouver l’information qui va affecter ce qu’une personne ressent pour guider ses choix. Bannon tenait sa guerre culturelle par l’exploitation des données de chaque individu.

5. Comment assurer un avenir à Cambridge Analytica ?

C’est encore lui, Bannon, qui va précipiter la recherche sur le micro-ciblage des individus. Tout est désormais une question de moyens financiers et de collecte de données suffisamment abondantes pour que la modélisation du comportement des électeurs permette d’influencer un nombre significatif d’entre eux. En novembre 2013, toute l’équipe de Londres est invitée à New York, par Bannon, dans le luxueux appartement de la fille du milliardaire, Bob Mercer.

Tous les acteurs de l’affaire y participent : Bob Mercer, Bannon, Wylie, Nix, des ingénieurs, des psychologues. Mercer annonce être décidé à investir 15 à 20 millions de dollars dans Cambridge Analytica qui va voir le jour. L’entreprise britannique doit intervenir dans la campagne précédant le Brexit avant de montrer l’efficacité de ses méthodes aux États-Unis. Mais la réglementation du financement des campagnes électorales oblige Bannon et ses amis à créer de nouvelles entités, dont Aggregate IQ, identique à Cambridge Analytica, pour intervenir dans la présidentielle américaine.

Wylie revient longuement sur la façon dont les équipes avec qui il travaillait, constituées non seulement d’ingénieurs et de mathématiciens, mais aussi d’anthropologues, de sociologues, de psychologues étaient partis à la chasse aux données en prospectant de nombreux États américains. Selon lui, l’objectif de Bannon était de créer le chaos pour mieux faire renaître une société nouvelle dans un ordre nouveau. Mais c’est une autre rencontre, celle d’un « Data speclialist », un expert en traitement des données, qui va enfin permettre à Wylie et ses amis de mener à bien leurs travaux et étancher leur soif de données. Aleksandr Kogan, né en Moldavie, dans l’ex-URSS, qui partage son temps entre Londres et Saint-Pétersbourg où il enseigne, connaît mieux que personne les réseaux sociaux. Il a mis au point une application destinée aux utilisateurs de Facebook.

Discrètement, elle récupère leurs données personnelles bénéficiant là de la bienveillante neutralité de Facebook et de la Silicon Valley. L’auteur et son équipe font le test lors du lancement de leur application (p. 207). La plupart des gens sont désormais pleinement connectés à Internet. Monde virtuel, le Web est devenu une réalité, même si celle-ci n’a rien de tangible. Les Américains consultent leur smartphone cinquante-deux fois par jour en moyenne ; ils gardent celui-ci près d’eux quand ils dorment ; ils se lèvent et se couchent avec un écran. Ils cèdent abondamment et gratuitement leurs données sans réaliser que celles-ci ont désormais une valeur marchande qui va être utilisée par les collecteurs.

Cette application, d’une efficacité redoutable, va alors collecter les données de 87 millions de comptes dont une cinquantaine seront immédiatement exploités. Elles vont être utilisées pour les inciter à acheter, mais elles peuvent aussi être utilisées pour les amener à des actes bien plus intimes, comme celui de voter dans un sens ou dans un autre — et sans que l’individu ait compris qu’il a été l’objet d’une manipulation.Ils appartiennent surtout à des Américains et des Britanniques Leurs profils fournissent nombre d’informations et chacun donne accès à ceux de leurs amis. Le hold-up est monstrueux. Wylie rapporte que Kogan lui aurait dit : « Facebook sait plus de choses sur vous que n’importe qui d’autre, y compris votre épouse ».

6. L’effet d’aubaine

Comme il convient pour Cambridge Analytica, après avoir bénéficié d’un investissement conséquent, ici celui de Bob Mercer, le regain d’activité appelle la création de nombreux postes nouveaux dans le secteur Recherche et développement : toujours des psychologues, et beaucoup de scientifiques. L’activité se focalise désormais sur l’électorat britannique.

C’est à ce moment que Christopher Wylie a commencé à se douter que ses techniques de micro-profilage n’allaient pas servir uniquement à des fins de défense nationale. Non seulement on pouvait brosser un portrait extrêmement fin d’une personne et de son comportement, mais on pouvait aussi y ajouter des données médicales et des profils génétiques. Sans compter que Kogan fit savoir à ses nouveaux associés qu’il pouvait aussi accéder à tous les messages privés sur Facebook.

Puis, en affinant les critères, il fut possible d’identifier des électeurs plutôt névrosés et colériques. Ils intéressaient l’équipe surtout lorsqu’ils portaient les caractéristiques de ce qu’ils appelaient la « sombre triade » : narcissisme, machiavélisme et psychopathie. Cambridge Analytica créait aussi de faux sites sur Facebook ou d’autres réseaux, et de fausses pages d’extrême-droite bourrées de fausses informations, que leurs destinataires considéreraient comme vraies. Selon Christopher Wylie, Bannon « transforma Cambridge Analytica en un outil de harcèlement automatique et de maltraitance psychologique à grande échelle ». Moins d’un an après son arrivée à la tête de la société, Wylie claquait la porte.

Et donc, la société était l’objet de nouvelles fréquentations. Y défilaient des visiteurs, nombreux et étranges. Parmi les plus assidus, les cadres de la société pétrolière russe Lukoil qui semblaient passionnés par les activités de Cambridge Analytica. La couverture ne trompait personne. Ils appartenaient au FSB, les services de renseignement russes. Ils étaient surtout curieux de connaître les actifs de données sur l’électorat américain. D’autres personnages, prétendument hommes d’affaires, entretenaient des contacts entre milieux politiques russes et Paul Manafort, le directeur de la campagne de Donald Trump. Ce fut encore le tour de certains responsables de la campagne du référendum sur le Brexit. Dominic Cummings, chef d’un des deux groupes pro-Brexit, Leave.EU, devait longuement collaborer avec Cambridge Analytica pendant l’année qui a précédé le scrutin. Exactement comme l’ont fait les équipes de campagne de Trump par l’intermédiaire de Bannon. Il fallait après tout prévoir les tendances de chaque vote.

Pour sortir vainqueur d’un scrutin, il suffit de faire basculer un nombre limité de voix du côté choisi par Cambridge Analytica. Les algorithmes d’abord expérimentés prudemment identifiaient les votants les plus faciles à convaincre, par tous les moyens : la peur, le mensonge, les menaces, les fausses nouvelles. Il n’y avait plus qu’à provoquer leur vote ensuite. Et ça fonctionnait très bien.

7. Les scandales du Brexit et de l’élection américaine

Si Cambridge Analytica a œuvré dans diverses affaires opaques, notamment en Afrique, ce sont bien les scandales du Brexit et de l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche qui ont scandalisé l’opinion mondiale.

La campagne pro-Brexit Leave.EU fait appel à Cambridge Analytica pour soutenir son action d’influence auprès de la population britannique. Une autre structure pro-Brexit, Vote Leave, souhaite également travailler avec cette société, mais les lois interdisent qu’un même consultant fournisse son aide aux deux groupements. Une première infraction est commise lorsque Cambridge Analytica crée la filiale AIQ au Canada pour accompagner Vote Leave.

Cette filiale a accès aux mêmes bases de données personnelles que la maison-mère. Dans les semaines précédant le vote, les messages de Vote Leave inondent les fils d’actualités Facebook d’une fraction ciblée de la population britannique. Ce sont plus d’une centaine de publicités véhiculant 1 433 messages différents incitant à la colère contre les « bobos » et les immigrés. « Comme l’avait découvert Cambridge Analytica, provoquer la colère et l’indignation réduisait le besoin d’explications rationnelles et mettait les électeurs dans un état d’esprit plus aveuglément punitif. » (p. 318)

La même méthode est utilisée lors de la campagne de Donald Trump peu après. L’auteur explique qu’il ne comprit l’objectif de Steve Bannon qu’à ce moment-là. Ce dernier déteste le « Big Government » (p. 157), qu’il considère comme le fossoyeur de la tradition et de la culture américaines. « L’œil divin de Facebook » lui fournit une arme pour « tout casser » (p. 247). La campagne de Donald Trump a accès à 87 millions de comptes privés Facebook par le biais de Cambridge Analytica. Celle-ci n’en cible qu’une petite fraction.

D’une part, elle fait en sorte d’inhiber le vote afro-américain qui est défavorable à Trump.

D’autre part, elle attise la rancœur d’un groupe en particulier, dont le profil type est l’homme blanc hétérosexuel et plutôt âgé qui a grandi avec des valeurs racistes et misogynes autrefois tacitement acceptées et désormais attaquées. Elle leur montre par exemple des blogs élitistes sur lesquels des libéraux de la côte se moquent des « péquenauds ». C’est ainsi que, malgré l’incompréhension totale du reste de la planète, Donald Trump est finalement élu à la Maison-Blanche.

8. Conclusion

Lorsque Christopher Wylie quitte Cambridge Analytica, avant le Brexit, il n’a pas encore le projet de révéler ce qui s’y passe. Il avait simplement compris que les activités de l’entreprise avaient changé. La société avait passé des contrats pour soutenir la campagne de Leave.EU. Une des responsables, Britanny Kaiser, se voit même confier la direction des opérations du camp du Brexit. Rien ne leur manquait ni les données ni l’argent puisque l’américain Mercer travaillait avec le grand argentier du Brexit, Arron Banks, qui plus est, avec la bénédiction de Nigel Farage, chef du parti eurosceptique UKIP. Quant aux électeurs, Kaiser dira plus tard : « Manipuler les élections, c’est la norme désormais ». Wylie tentera ensuite de prendre conseil auprès des milieux politiques canadiens, puis d’alerter le parti démocrate américain de ce que préparaient les équipes de Donald Trump. Une journaliste du Guardian fut la première à qui Christopher Wylie confia toute l’affaire. Allait suivre le New York Times et la chaîne télévisée Channel 4 news. Le scandale n’aura finalement pas eu beaucoup de conséquences, ni à Londres ni à Washington.

Mindfuck se lit comme un roman : Christopher Wylie adopte une narration très percutante pour raconter et expliquer les dessous de l’affaire Cambridge Analytica. Celle-ci se confond dans l’ouvrage avec la vie de l’auteur. Tout commence avec les espoirs d’un jeune homme qui découvre les possibilités de l’utilisation des données pour redonner confiance en la démocratie lors de la campagne de Barack Obama. Wylie s’investit dans Cambridge Analytica et parcourt le champ des possibles liés aux données et aux biais cognitifs — champ des possibles qui va du meilleur jusqu’au pire et qui incite Wylie à quitter l’entreprise. C’est ensuite en spectateur impuissant qu’il assiste à la manipulation des esprits lors du référendum du Brexit et de l’élection présidentielle de Donald Trump. Sa décision de devenir lanceur d’alerte sur ce scandale va mener à la plus grande enquête criminelle de l’histoire sur des données informatiques. Elle va également jeter le discrédit sur Facebook, le pourvoyeur de données de Cambridge Analytica.

9. Zone critique

Pour Christopher Wylie, la manipulation des données personnelles corrompt la démocratie. Elle est source de désinformation et, plus grave, elle permet aux réseaux sociaux d’enfermer les individus dans des « groupes » et dans des « communautés » en sélectionnant les informations qui leur sont proposées. Malgré cela et en dépit des scandales qui ont éclaté, le Brexit est toujours d’actualité et Trump est resté président des États-Unis.

Ce qui se passe sur Internet échappe aux législations : la technicité et l’aspect nébuleux de ce monde du Web semblent effrayer les gouvernements. L’auteur donne des pistes de réflexion pour responsabiliser Facebook et les autres géants d’Internet, car « nous devons impérativement essayer de corriger l’environnement défectueux dans lequel il [Cambridge Analytica] a pu incuber » (p. 465).

Son projet : un code de la construction pour Internet, à l’image de ce qui existe pour le bâtiment ; une charte de déontologie pour les ingénieurs informaticiens, comme pour les avocats et les médecins ; une définition des services publics d’Internet devant servir au bien commun. Fonder la réglementation sur les principes plutôt que sur les technologies garantira à l’internaute à la fois la liberté et la sécurité.

10. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Christopher Wylie, Mindfuck, Le complot Cambridge Analytica pour s’emparer de nos cerveaux. Paris, Grasset, 2020.

Autres pistes– Britanny Kaiser, L’affaire Cambridge Analytica, Paris, Harper Collins, 2019.– Kevin O’Rourke, Une brève histoire du Brexit, Paris Odile Jacob, 2018.– Michael Wolff, Le feu et la fureur, Trump à la Maison-Blanche, Paris, Robert Laffont, 2018. – James Comey, Mensonges et vérités, l’ex-patron du FBI parle, Paris, Flammarion, 2018.

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