Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Clémentine Gallot et Caroline Michel
L’ouvrage de Clémentine Gallot et de Caroline Michel se propose d'étudier la « charge sexuelle » des femmes. La sexualité serait en effet le lieu d’une charge mentale incombant principalement aux femmes. Gérer la libido et la contraception, s’inquiéter du désir de l’autre, s’apprêter pour plaire, mais aussi se renseigner pour vivre une sexualité épanouie, seraient autant de tâches prises en charge par les femmes.
Clémentine Gallot et Caroline Michel révèlent l’ampleur de la charge sexuelle des femmes, grâce à des références sociologiques accompagnées de témoignages. Ce « labeur sexuel » se trame de manière invisible dans la sphère intime. La charge sexuelle se définit non seulement par la gestion des tâches liées à la sexualité, mais également par la pression sociale incitant les femmes à se conformer à des normes.
Ainsi, la virginité est valorisée chez les jeunes filles jusqu’à un certain âge, tandis que le dépucelage des garçons est considéré comme un rite de passage associé à une certaine fierté. De même, pour demeurer « respectables », les femmes ne devraient pas côtoyer un nombre excessif de partenaires.
Par ailleurs, les rapports hétérosexuels s’inscrivent généralement dans un schéma favorisant prioritairement le plaisir masculin : préliminaires, pénétration et orgasme de l’homme marquant la fin du rapport sexuel. Quant aux femmes, elles ont appris dès leur plus jeune âge à faire plaisir à l’homme, notamment au travers des conseils délivrés par la presse féminine les invitant à susciter le désir masculin.
Toutes ces constatations sont autant de normes que les deux écrivaines tentent de déconstruire en nous amenant à les conscientiser. Comment prendre conscience de la charge sexuelle des femmes pour la déconstruire ?
La représentation du désir apparaît comme déséquilibrée entre hommes et femmes. L’opinion commune considère que les hommes ont toujours envie de faire l’amour, tandis que le désir des femmes serait plus capricieux, d’autant qu’elles auraient plus de difficultés à prendre du plaisir et à atteindre l’orgasme.
De même, la sexualité féminine serait nécessairement liée à des sentiments, présupposant ainsi une forme de frigidité. Dès leur enfance, les femmes sont conditionnées à tempérer leurs ardeurs, leur voracité et leur sensualité. Celles-ci calquent leur désir sur les attentes masculines comme le veulent les codes de la séduction selon lesquels l’homme chasse, tandis que la femme dispose. Les femmes lesbiennes ont aussi des difficultés à exister sans être hyper-sexualisées pour l’excitation des hommes.
C’est notamment ce que révèle la pornographie mettant en scène des corps féminins au service de la jouissance masculine. Les écrivaines se réfèrent ainsi aux propos de Mathieu Trachman dans son ouvrage Le Travail pornographique : « On sait que la pornographie hétérosexuelle repose sur la représentation des désirs et des plaisirs féminins pour un regard masculin. »
La charge sexuelle est intrinsèquement liée à la charge esthétique incombant aux femmes. La lingerie illustre parfaitement cette charge esthétique : seules les femmes sont invitées à porter de la lingerie sexy pour plaire aux hommes. L’inverse n’existe pas, sauf dans des cas exceptionnels de spectacles d’effeuillage masculin.
Les autrices font le constat d’un détail particulièrement évocateur : le petit nœud de la culotte continue de différencier les sous-vêtements féminins de ceux des hommes. D’après l’ouvrage de Virginie Despentes intitulé King Kong Théorie, « le corps de l’homme n’existe pas ».
L’homme apparaît comme un « sujet neutre et désirant face à un objet érotique ». Les deux autrices s’appuient également sur le témoignage d’Axelle, une jeune femme partageant des « nudes » (photos dénudées) sur l’application de rencontre Tinder : « J’ai longtemps été le stéréotype de la bonne meuf, blonde, à gros seins. J’avais plus de 500 matchs sur Tinder. Pour toutes les fois où j’ai envoyé des photos de moi – des “nudes” –, il n’y a qu’un seul mec qui m’a répondu en faisant de même. »
L’épilation constitue une autre charge esthétique essentiellement attribuée aux femmes. Même si certains hommes hétérosexuels sont encouragés à se raser le torse ou le pourtour pénien, ce sont principalement les femmes qui sont sommées de s’épiler. Le documentaire À quoi rêvent les jeunes filles ? réalisé par Ovidie démontre que l’épilation intégrale est devenue une norme sociale.
Certaines femmes tentent de la déloger, parmi lesquelles Arvida Byström ayant publié une photographie d’elle avec des jambes velues pour la marque Adidas sur son compte Instagram. Celle-ci dit avoir reçu des menaces de viol suite à la publication de ce cliché. Par ailleurs, les femmes sont aussi enjointes à se parfumer le sexe par les publicités promouvant les gels moussants intimes, ainsi que les tampons et serviettes hygiéniques parfumés.
Le sexe d’une femme serait donc considéré comme malodorant. Néanmoins, les autrices rappellent que le vagin est autonettoyant et que l’utilisation de produits abrasifs peut causer des irritations. Au contraire, le pénis ne dispose pas de lingettes spécifiquement conçues pour le laver et le parfumer.
La charge du plaisir est l’une des composantes de la charge sexuelle. Les femmes sont incitées à faire plaisir à leur partenaire par différents comportements : être expressive en poussant de petits cris, être active, faire des fellations, oser le BDSM, se renseigner sur le plaisir prostatique et soigner leur attitude.
L’angoisse de la performance est souvent évoquée chez la gent masculine, mais les femmes s’y trouvent également confrontées, dans la mesure où leur plaisir doit être esthétique. C’est ce que montre Léa Séguin, doctorante en sexologie à l’Université du Québec : « Le plaisir féminin est quasiment invisible dans les médias. Quand on le voit à Hollywood ou dans le porno, il est très esthétique et artistique.
Pas étonnant, quand on considère toute cette pression extérieure à jouir “joliment”, que plusieurs femmes soient trop soucieuses de plaire à l’autre pour se laisser aller et vraiment prendre du plaisir. » Beaucoup de femmes simulent le plaisir et l’orgasme pour ménager l’égo de leur partenaire ou pour « mimer la normalité » : selon un sondage Ifop, 58% des femmes ont déjà simulé avec leur partenaire.
Les pratiques sexuelles continuent de s’articuler autour du plaisir et de l’orgasme masculins. Ce dernier est perçu comme nécessaire, puisqu’il marque généralement la fin de la relation sexuelle. Les femmes se préoccupent alors de l’épanouissement sexuel de leur partenaire et de son orgasme jusqu’à en oublier le leur.
D’après l’opinion commune, l’orgasme des femmes se trouverait « dans la tête » et serait donc plus difficile à atteindre que celui des hommes. Pourtant, Odile Buisson, dans son ouvrage Qui a peur du point G ?, rapporte que l’orgasme féminin n’est pas seulement cérébral. Selon un sondage Ifop, 26% des femmes n’ont pas atteint l’orgasme lors de leur dernier rapport, contre 14% des hommes. De même, 65% des femmes hétérosexuelles affirment jouir habituellement, contre 95% des hommes et 86% des femmes lesbiennes.
Cette disparité est notamment causée par l’interruption du rapport sexuel à la suite de l’orgasme masculin. Mais elle résulte également d’un manque de stimulation externe du clitoris, car dans 70% des cas les femmes parviendraient plus facilement à l’orgasme par cette forme de stimulation que par pénétration. Les autrices nous invitent donc à repenser les rapports sexuels et à revisiter le mot « préliminaires », consistant à se « préparer » à la pénétration. Les préliminaires pourraient au contraire être perçus comme une fin en soi.
La santé sexuelle est majoritairement gérée par les femmes. L’OMS définit cette notion de la manière suivante : « état de bien-être physique, émotionnel, mental et social en matière de sexualité ».
Perçues comme plus « émotionnelles » et « douces » que les hommes, les femmes seraient naturellement enclines à prendre soin des autres, et notamment de leur partenaire masculin. Les femmes consultent généralement un gynécologue dès leur entrée dans la sexualité, tandis que les hommes ignorent souvent qu’ils pourraient consulter un urologue ou un andrologue, spécialiste de la santé masculine.
D’après une étude menée par Cécile Thomé, ce sont principalement les femmes qui prennent l’initiative de faire un test de dépistage. Ce sont également elles qui décident de prendre rendez-vous avec un sexologue pour faire face aux problématiques sexuelles dans leur couple. Les autrices rapportent un témoignage de Célia, âgée de 36 ans : « Plus de sexe entre nous, plus de conversation non plus. J’ai tout essayé et j’ai eu besoin d’aide. Est-ce que mon mec y a pensé ? Non. Et quand je lui ai répondu que je comptais contacter un sexologue, il m’a répondu que c’était la honte. Je l’ai presque traîné de force. Finalement, aujourd’hui, il me dit que l’idée était bonne. »
Pour finir, la charge contraceptive repose essentiellement sur les épaules des femmes. Une révolution de la contraception s’est produite à partir de 1967, année à laquelle elle est devenue légale en France. Quant à l’interruption volontaire de grossesse, elle est autorisée depuis 1979. La pilule du lendemain est disponible sans ordonnance en pharmacie depuis 1999. Même si toutes ces lois constituent des avancées sociales indéniables, la charge contraceptive est réservée aux femmes de manière quasiment exclusive.
En effet, l’offre contraceptive se destine principalement aux femmes, notamment parce que ce sont elles qui sont concernées par la grossesse. Les écrivaines rappellent pourtant que les hommes sont fertiles 100% du temps, alors que les femmes ne le sont que quelques jours par mois. De même, dans les faits, les bénéfices de la contraception sont partagés, dans la mesure où elle a pour but d’éviter une grossesse tout en permettant au couple d’être sexuellement actif. La contraception représente une charge, car prendre sa pilule à l’heure, faire changer son implant ou son stérilet, retirer son diaphragme sont autant de charges mentales.
Ce sont également les femmes qui prennent financièrement en charge la contraception et qui subissent les effets indésirables des contraceptifs. D’après le site choisirsacontraception.fr, répertoriant quinze méthodes de contraception, onze sont destinées aux femmes. Les quatre autres méthodes sont : le préservatif masculin, le retrait, l’abstinence périodique et la stérilisation masculine.
Avec cet ouvrage, Clémentine Gallot et Caroline Michel établissent une étude d’ensemble sur la charge sexuelle des femmes. Leur analyse aborde cette problématique sous un angle généraliste, tout en mettant néanmoins en évidence nos propres fonctionnements au sein de notre sexualité.
La lecture de ce livre peut dès lors nous permettre de prendre conscience de nos comportements conditionnés, afin de les remettre en cause et de les transformer.
Cet ouvrage s’inscrit dans la continuité des écrits portant sur la charge ménagère des femmes, théorisée en 1984 par la sociologue Monique Haicault.
Clémentine Gallot et Caroline Michel s’inspirent également des bandes dessinées d’Emma, représentant notamment la charge émotionnelle des femmes. La charge sexuelle a néanmoins fait l’objet de très peu d’études.
Les deux autrices proposent ainsi un ouvrage innovant, mettant en lumière des problématiques essentielles de notre société régissant les rapports hommes/femmes.
Ouvrage recensé– Clémentine Gallot et Caroline Michel, La Charge sexuelle. Désir, plaisir, contraception, IST… encore l’affaire des femmes, Paris, First, 2020.
Autres pistes– Julie Dénès, Décharge mentale, Paris, Michalon, 2019.– Emma, La Charge émotionnelle et autres trucs invisibles, Paris, Massot, 2018.– Aurélia Schneider, La Charge mentale des femmes, Paris, Larousse, 2018.