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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Ces gens-là

de Colette Pétonnet

récension rédigée parValérie LengronneBibliothécaire et diplômée de l'Université Jean Jaurès de Toulouse en anthropologie.

Synopsis

Société

Cet ouvrage entreprend de décrire une « cité de transit », un type d’habitation établi dans les années 1960 en France pour loger des personnes en situation précaire et en vue de les préparer à la vie en HLM (habitation à loyer modéré). L’auteure décrit avec une précision ethnographique le mode de vie de cette population d’origines ethniques diverses, de sa façon de gérer un budget aux relations de couple, en passant par ses goûts esthétiques et sa relation au travail. L’objectivité du propos engage le lecteur à découvrir une culture particulière lui permettant de s’affranchir des préjugés négatifs qui pèsent sur cette société marginale.

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1. Introduction

« Ces gens-là » est le résultat du travail de thèse de Colette Pétonnet publiée en 1968.

Si le texte a été réédité 50 ans plus tard, c’est qu’il est considéré comme une référence pour l’ethnologie urbaine, témoignage d’un dispositif de logement social mis en place dans les années 1970 et disparu aujourd’hui. Et un tel dispositif peut nous aider à remettre en perspective les banlieues actuelles. Selon les auteurs de la postface du livre, il représente même un exemple de travail qui devrait servir aux ethnologues d’aujourd’hui pour rendre intelligibles « les nouvelles configurations migratoires », « pour mettre en évidence, au-delà des dénégations idéologiques et du racisme ambiant qui les frappent, qui sont ces gens venus par nécessité et au péril de leur vie » (p. 372).

Colette Pétonnet donne, en effet, un visage à « ces gens-là » dont le mode de vie, bien que méconnu, était fortement critiqué et redouté par la société globale de l’époque et montre en toute neutralité les stratégies d’adaptation et systèmes de valeurs de ces personnes déracinées de leur milieu d’origine.

L’ouvrage décrit le quotidien de la cité et reste attaché aux pratiques concrètes : comment les ménages s’organisent, ce qu’ils mangent, lisent, quelles relations ils établissent avec les personnes vivant en dehors de la cité et les institutions ou avec leurs voisins. À travers ce portrait ethnographique une question se tisse en filigrane : existe-t-il une « subculture » urbaine spécifique aux cités de transit ? Si oui, comment pouvons-nous la définir ? Comment s’articule-t-elle avec la société globale ?

2. Les cités de transit : un objet d’étude mal identifié

Lorsque Colette Pétonnet décide de commencer sa thèse d’anthropologie sur une cité qu’elle nomme la Halle, qui fait partie d’un complexe de cités en marge d’une grande métropole qu’elle n’identifie pas, c’est avant tout parce qu’elle observe qu’il n’existe que peu de recherches sur ce sujet : « Peu de travaux ont été encore consacrés aux cités de transit, précisément destinées aux occupants des taudis des grandes villes, et c’est cette lacune que nous voudrions tenter de combler ici » (p. 11).

Elle décide d’utiliser les techniques de l’ethnographie apprise dans les cours d’André Leroi-Gourhan, consistant à observer quotidiennement, à collecter minutieusement les données sans les hiérarchiser pour les mettre en mots. Elle passe ainsi beaucoup de temps sur son terrain d’étude, accompagne le quotidien de ses habitants, participe aux repas, dort parfois sur place et sa riche expérience dans les quartiers pauvres de Casablanca a dû considérablement l’aider pour ce travail de terrain.

Qui sont les habitants des cités de transit ? Colette Pétonnet croise à la Halle des personnes originaires d’autres villes de France, ou bien du centre de la Ville (les métropolitains), mais aussi, des Arabes, des Juifs, des Pieds Noirs tout juste revenus d’Algérie et des couples mixtes, mêlant plusieurs origines. Tous ont pour caractéristique d’avoir été considérés en situation de mal-logement et relogés dans la cité temporairement en vue d’une installation pérenne en logement social de type HLM.

Il s’agit pour la ville qui les reçoit de mettre à leur disposition un logement aux normes réduites, leur permettant de s’habituer à un cadre de vie conciliable avec celui des grands ensembles d’immeubles, alors fortement en croissance dans les périphéries urbaines à la fin des années 1960. La cité est située à plus d’une heure en bus de la Ville et offre des conditions de vie plutôt difficiles : les appartements sont très mal isolés entre eux, il n’y a ni vide-ordure, ni sèche-linge ou espaces leur permettant de sociabiliser. Les lieux sont assez mal entretenus et il y a peu de services sociaux à disposition.

La plupart des habitants ont eu une enfance difficile et sont arrivés dans la cité pour trouver un emploi en ville. Ils sont généralement en couple et le nombre d’enfants dans la cité dépasse celui des adultes (avec en moyenne 4 enfants par famille). La sexualité est assez libérée à l’intérieur de la cité, mais les couples stables se forment généralement en dehors. Si la répartition des tâches dans les ménages est assez similaire à celui de la société dominante, il semble toutefois que les femmes soient au centre de la cellule familiale et qu’elles aient davantage de responsabilités que les hommes.

L’auteure note également que malgré la diversité des origines ethniques, des langues et des religions, les communautés sont peu étanches entre elles et que les coutumes ont tendance à s’uniformiser. Les enfants et adolescents ont une place très importante dans la cité et l’auteure décrit leur éducation et leurs jeux avec minutie : investissant tout d’abord les cours, puis le terrain vague, et les quartiers des alentours, ils s’organisent en « bandes » délimitées en territoires (cabanes en été et caves en hiver).

3. Une écologie de l’ici et du maintenant

Les habitants n’étant pas locataires, la redevance d’occupation qu’ils versent ne les protège pas de l’expulsion. Ils vivent donc sans pouvoir se projeter dans le futur et dans une indétermination totale. Cette caractéristique explique selon l’auteure bon nombre de comportements de leur vie de tous les jours. Comme l’écrit Roger Bastide dans la préface de l’ouvrage, « il y a naturellement une dialectique entre la nature de l’appartement et la structure de la famille qui l’habite » (p. 7), le « home » façonne les rapports familiaux.

Dans l’organisation de la vie familiale tout d’abord, l’auteure observe peu de régularité dans la gestion budgétaire. Les ressources sont en effet surtout basées sur les allocations de l’État et sur les salaires des hommes, eux-mêmes très précaires et instables.

Si, dans la plupart des ménages, la redevance d’occupation et l’argent pour la nourriture sont dès le départ mis de côté (manger insuffisamment étant souvent considéré comme une honte), aucun mois ne ressemble à un autre et il arrive que les dettes soient trop lourdes ou qu’un achat impulsif auprès d’un démarcheur empêche de bien finir le mois. « Les difficultés pécuniaires ne sont jamais éprouvées de manière tout à fait tragique, ou plutôt comme le tragique est souvent du domaine quasi quotidien, il a perdu de son acuité. Ils savent « endurer la misère » et la volonté de vivre leur fait trouver nombre d’expédients et d’astuces pour se procurer des ressources » (p. 127).

Il n’y a pas non plus de gestion des naissances. Ceci peut s’expliquer par le peu de connaissances concernant la biologie et les grossesses sont vécues comme des fatalités. Au bout d’un certain nombre d’enfants, les femmes pratiquent l’avortement (parfois sans le recours d’un médecin) ou demandent à se faire ligaturer les trompes. Quant au travail, il reste précaire, les habitants n’ayant pour la plupart aucun diplôme qui leur permettrait d’envisager une carrière et qui les rendrait moins vulnérables face aux aléas du marché. Ce peu de projection existe dès le plus jeune âge, dans le rapport à l’école. Les enfants pensent qu’ils doivent apprendre à lire, mais ne comprennent pas le projet éducatif global de l’institution. La discipline est donc vécue comme une pure contrainte par rapport à laquelle les parents se révoltent pour protéger leurs enfants. En sortant de l’école, les jeunes n’ont généralement pas d’ambition professionnelle et ils ont des difficultés à se plier au système de l’apprentissage qu’ils finissent par abandonner.

Ainsi, la vie entière est vécue au jour le jour et dans ce contexte, la cité, l’ici, représente un lieu de repli réconfortant. Elle n’est pas vraiment propice à la sociabilité, mais « néanmoins, à partir de deux blocs gris parallèles, et un terrain vague annexé les habitants ont réhumanisé l’espace qui leur était dévolu, ils en ont fait une sorte de village construit autour d’une place publique et bordé d’un vaste pré » (p. 259). Faute de pouvoir s’imaginer un ailleurs, les habitants s’adaptent à l’espace, tentent de s’enraciner. « À ce qui n’était qu’un endroit rectangulaire et défini, les humains donnent une couleur locale, une existence » (p. 256).

4. Une subculture créée par ses relations avec l’extérieur

Dès le début de l’ouvrage, Colette Pétonnet annonce la thèse suivante au sujet de la Cité : « C’est sa physionomie propre et la manière dont apparaissent, dans une première approche, ses relations avec l’extérieur qui la constituent, dès ce premier niveau écologique, comme un “ groupe social ” et permet de l’étudier comme tel » (p. 29).

Cette culture originale viendrait de sa façon d’interagir avec l’extérieur, la société globale, qui pour sa part la met à l’écart comme l’expression « ces gens-là » utilisée par les habitants des quartiers du centre-ville en témoigne. Colette Pétonnet observe une dialectique du clos et de l’ouvert, l’ouverture et le repli sur soi, ou encore l’intérieur et l’extérieur dans l’ensemble des aspects abordés et c’est cette imbrication particulière qui semble caractériser la subculture de la cité.

Dans les relations sociales, il y a la plupart du temps un rejet vis-à-vis du monde extérieur : rejet des institutions (école, représentants de justice, politiciens), méfiance envers les étrangers (c’est-à-dire toute personne ayant un lien mercantile à la cité ou étant de passage). Il y a par contre un repli sur soi dans les relations de voisinage. Le système de valeurs est lui à la fois interne à la cité (comme les notions de prestige et d’autorité) et calqué sur les traditions provenant de la religion et donc de la culture ambiante.

Cette subculture qui forme les spécificités de la vie dans la cité ne vient cependant pas de rien, elle « semble provenir de la réaction de la population à ce rejet de la société environnante et à la contrainte qu’elle subit » (p. 340). En effet, les instituteurs considèrent que les enfants de la Halle sont différents, les médecins refusent de suivre certaines familles, les commerçants se méfient des mauvais payeurs, les employeurs discriminent à l’embauche. À plusieurs reprises l’auteure dénonce des institutions qui ne sont que contraignantes et peu inclusives.

Il y a bien cependant dans cette cité une volonté d’appartenance à la société globale (Colette Pétonnet rappelle à quel point la télévision est importante pour les habitants de la cité en tant qu’elle efface l’origine sociale du téléspectateur), mais elle est rendue impossible par les conditions de survie qui lui sont imposées.

5. Conclusion

La cité de transit étudiée par Colette Pétonnet représente donc bel et bien une subculture de la société globale. L’auteure s’interroge d’ailleurs à la fin du livre si celle-ci ne pourrait pas être comparée à un système carcéral.

En effet, compte tenu de la contrainte imposée par les conditions économiques, par les distances avec les autres quartiers, le rejet de la société environnante, la vie dans la cité ne représente-t-elle pas un mode de vie quasi obligatoire et « transitoire » ? Un mode de vie « si étroitement conditionné qu’il pourrait comporter des analogies avec des « milieux » (hôpitaux, prison, internats) créés de toutes pièces par la société pour faire vivre ses « marginaux » (p. 341-342).

Ce travail trouvera ensuite un prolongement dans deux autres ouvrages qui constituent également des classiques de la discipline : On est tous dans le brouillard (1979) et Espaces habités (1982).

6. Zone critique

« Ces gens-là » a été critiqué pour son manque de références et de cadre théorique. Il est vrai que le peu de citations d’autres études réalisées sur les classes populaires n’apparaît qu’à la toute fin de l’ouvrage. Si elle reconnait dans la cité de la Halle la plupart des traits du concept de « culture des pauvres » développé par Oscar Lewis, mais aussi par Proudhon et Louis Chevalier, elle s’oppose à ces auteurs en refusant de voir les cités de transit comme les héritières de la classe ouvrière du XIXe siècle.

Pour elle, ses interactions avec la société globale montrent qu’elles ne sont pas non plus vouées à reproduire un système de pauvreté : « Il faut en effet constater que si les aspirations des adolescents demeurent spécifiques de la vie matérielle et culturelle à la Halle par unité du système des valeurs et socialisation endogène, elles tendent cependant, et constamment à une intégration dans la société globale » (p. 344).

Enfin le peu de cadre théorique de l’ouvrage provient de la forme d’étude choisie par l’auteure : une ethnographie exhaustive dont le but est de rendre compte d’une atmosphère. Pour les auteurs de la postface du livre, « il ne s’agit pas de donner une voix à ceux qui n’en ont pas, souvent d’ailleurs en se substituant à eux, mais de laisser les entendre dans ce qu’ils signifient » (p. 366). Colette Pétonnet a ainsi ouvert la voie de l’ethnologie du proche et ce style épuré a beaucoup influencé les réalisateurs du cinéma du réel.

7. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Ces gens-là, Paris, CNRS Éditions, coll. « Biblis », 2017.

De la même auteure– On est tous dans le brouillard, préf. d’André Leroi-Gourhan et éd. par Catherine Choron-Baix, Paris, Éd. du Cths, 2002. – Variations sur la ville, Paris, CNRS Éditions, 2018.

Autres pistes– Paul-Henry Chombart de Lauwe, Des hommes et des villes, Paris, Payot, 1965.– Jacques Gutwirth, « Jalons Pour L'anthropologie Urbaine », L'Homme, 22, no. 4, 1982, p. 5-23. http://www.jstor.org/stable/25131902.– Ulf Hannerz, Explorer la ville, Éléments d'anthropologie urbaine, Paris, Les Éditions de Minuit, 1983. – Yves Lacascade, « L’empirisme irréductible de Colette Pétonnet », Journal des anthropologues [En ligne], 134-135, 2013, mis en ligne le 15 octobre 2015, consulté le 26 décembre 2018. http://journals.openedition.org/jda/4843

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