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Post-démocratie

de Colin Crouch

récension rédigée parMarion AlphonseÉlève de l’ENS de Lyon. Diplômée en histoire de la philosophie et en Études internationales – Amérique Latine.

Synopsis

Société

Au tournant du XXIe siècle, Colin Crouch propose un diagnostic de la démocratie, régime politique qui connut son apogée en Occident dans la seconde moitié du XXe siècle. Les mutations qui ont eu lieu à partir des années 1980 et de la période néolibérale ont conduit à ce que Crouch nomme « post-démocratique » : si les structures de la démocratie subsistent, son contenu est altéré. Alors que l’idée d’État est affaiblie et perd en puissance, les élections et la citoyenneté subissent un processus de marchandisation. Les citoyens, par conséquent, voient leur marge de manœuvre amoindrie et ce sont aux grandes entreprises et aux élites que revient le pouvoir de décision.

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1. Introduction

L’ouvrage de Colin Crouch s’inscrit dans un contexte à la fois bien précis et difficile à cerner puisqu’il nous est contemporain. Les années 1990 sont perçues comme une phase d’apogée pour l’Occident, pendant laquelle on retrouve en même temps quelques signes avant-coureurs d’une remise en question de son hégémonie. Après l’effondrement de l’Union soviétique et la victoire de ce que l’on a nommé « le monde libre », on pense qu’est arrivée la fin de l’histoire. Cette idée fait l’objet d’un livre d’inspiration hégélienne écrit par Francis Fukuyama en 1992. Alors que la guerre froide représentait l’affrontement manichéen du bien et du mal, sa fin a laissé place à un monde régi par l’hégémonie américaine et le culte de la démocratie.

Dans son ouvrage Post-démocratie, Colin Crouch propose de faire état de ces évolutions à travers le diagnostic suivant : si les structures de la démocratie subsistent, leur contenu a été altéré par le néolibéralisme et le capitalisme. Nous sommes donc entrés dans une phase « post-démocratique ». En d’autres termes, nous vivons bien dans une démocratie, mais celle-ci est régie par des élites et les grandes entreprises. L’ouvrage est très intéressant en ce qu’il permet de démêler le paradoxe dans lequel semble se situer le monde démocratique contemporain : alors que la démocratie semble être à son apogée, le régime s’affaiblit dans les pays où il semblait être solidement installé. Peut-on parler d’un retour en arrière ? Comment qualifier ces évolutions ? Comment expliquer ce paradoxe ?

2. La parabole de la post-démocratie

Qu’est-ce que la post-démocratie ? C’est cette période qui succède à l’apogée de la démocratie de la fin du XXe siècle. L’auteur propose de voir l’évolution de la démocratie comme une parabole : celle-ci suivrait une courbe prenant la forme d’une coupole : d’abord, on se situe dans une phase pré-démocratique. Puis, la démocratie bat son plein et atteint son apogée. Enfin, la courbe de la démocratie continue d’avancer sur la ligne du temps, mais régresse sur celle de la qualité. Aujourd’hui, nous n’avons donc pas à faire à un retour en arrière, mais plutôt à une nouvelle phase. Les structures et la forme de la démocratie subsistent, ce sont par exemple l’organisation d’élections libres ou encore un certain nombre de droits civiques et politiques, mais le contenu de celles-ci mute, transformé par la participation d’un nouvel élément : la détention du pouvoir par les élites et les entreprises. Cet élément était déjà présent dans la phase pré-démocratique, mais s’exprime aujourd’hui différemment. La post-démocratie, c’est donc une phase dans laquelle on retrouve certains éléments de la période pré-démocratique, mais combinés avec une forme démocratique qui persiste. L’apogée de la démocratie, ou encore « le moment démocratique » qui précède la phase post-démocratique, a lieu après la Seconde Guerre mondiale. S’ouvre une période économique fructueuse du fait de la reconstruction et d’une volonté pacifiste de réconciliation en Europe. L’enthousiasme et l’entrain en faveur de la démocratie constituent des dynamiques puissantes. Les citoyens sont très actifs et enclins à participer au débat public. Les leaders, bien que parfois autoritaires, savent écouter et prendre en compte les revendications de la population, on peut penser par exemple aux premiers mandats de Charles de Gaulle. Par la suite, en Europe du Nord et de l’Ouest ainsi qu’aux États-Unis, se forme un compromis entre les intérêts des entreprises et ceux des travailleurs. C’est alors ce que l’on appelle la social-démocratie, ayant permis de stabiliser les régimes pendant plusieurs décennies. Les années 1980 sont marquées par l’arrivée de Ronald Reagan et Margaret Thatcher au pouvoir. Ces deux politiciens initieront une grande vague de libéralisation de l’économie ainsi que de réduction du pouvoir d’intervention de l’État. Pendant cette décennie, le capitalisme prend un virage et entre dans sa phase néolibérale. La démocratie s’en voit affectée et en subit aujourd’hui les conséquences, par la mise en place d’un processus continu de marchandisation. En effet, la communication politique et les élections se calquent sur le modèle de la publicité et du marketing, tandis que les citoyens perdent de leur pouvoir de décision, dépassés par la puissance décisionnaire des entreprises. Voici les mutations que connaît la démocratie lorsqu’elle entre dans la phase post-démocratique.

3. Capitalisme et démocratie

La période néolibérale marque et transforme la démocratie qui s’adapte au modèle capitaliste ou plutôt qui ne parvient pas, comme l’écrit Crouch, à s’adapter au même rythme que celui-ci. Par conséquent, l’État suit le modèle de l’entreprise. Plusieurs lignes de conduite de l’État contemporain se situent dans cette optique, telles que la logique de sous-traitance ou bien de privatisation. C’est le cas également du processus électoral qui s’adapte peu à peu aux logiques du marché.

L’entreprise, d’abord, devient un modèle institutionnel. Plusieurs raisons expliquent ce calque sur le modèle de l’entreprise. D’abord, le secteur privé est l’une des plus grosses sources de subvention et de financement de l’État qui doit alors traiter avec les entreprises et se conformer à leurs attentes et exigences. Par ailleurs, on soutient couramment l’idée selon laquelle l’État ne serait pas grand connaisseur des lois du marché : le service public, en effet, n’est pas conçu pour faire du profit. Contrairement à une entreprise, l’État ne cherche pas à être rentable, ce qui entre alors en contradiction avec l’efficacité de son action qui en pâtit. Face à cette exigence, l’État s’est retrouvé à suivre peu à peu le fonctionnement de l’entreprise. Comment cela se traduit-il dans les faits ? Deux logiques marquent la transformation de l’État en entreprise : la logique de privatisation et la logique de sous-traitance. La première consiste dans la vente d’un secteur de services publics. Les entreprises privées se chargeront de la gestion de ce secteur dans l’optique d’une plus grande efficacité et rentabilité. La seconde logique, celle de la sous-traitance, revient à déléguer des tâches institutionnelles à des entreprises privées, tout en conservant la mainmise sur celles-ci. Cette logique est intéressante puisqu’elle permet aux institutions de ne pas se préoccuper de la plus grande partie de leur mission, mais de se concentrer uniquement sur leur image de marque et la promotion de leur action. Jusqu’ici, si les logiques de privatisation ou de sous-traitance permettent d’augmenter la rentabilité et l’efficacité de services publics, quel problème peuvent-elles poser, à part l’augmentation de leur prix ? La délégation des tâches, explique Crouch, permet à l’institution de se concentrer sur la promotion de son image de marque. Cette logique s’applique également au processus électoral qui se convertit peu à peu en combat publicitaire et marketing de dirigeants politiques : Crouch prend l’exemple des manipulateurs d’opinions (spin doctors). Le problème de cette logique, c’est qu’elle ne met en valeur que le superficiel, c’est-à-dire que l’efficacité d’une action politique se mesure à la popularité qu’elle permet à l’institution de gagner et non en travail de fond. Les subventions s’orientent donc vers la construction d’une association d’images positives et non vers une amélioration de la qualité réelle des institutions.

4. Le rôle des citoyens dans la post-démocratie

Les mutations qui affectent la démocratie dans le cadre post-démocratique modifient le rôle des citoyens, et leur place au sein du pouvoir s’en voit limitée, voire remise en question. Cela s’explique par une transformation structurelle globale, la privatisation, qui va de pair avec la transformation des partis politiques et l’augmentation de l’importance des lobbies. En premier lieu, Crouch fait état d’une mutation de la relation triangulaire entre l’État, les citoyens et les entreprises. La relation entre l’État et les citoyens se construit à travers les mécanismes et les procédures démocratiques. D’autre part, la relation entre l’État et les entreprises se concrétise en termes juridiques. Les citoyens, cependant, n’entretiennent pas, sur le plan politique, de lien avec les prestataires privés.

Or, lorsqu’un service est privatisé ou sous-traité, les citoyens ne peuvent plus interpeller l’État pour exprimer leurs demandes et ne peuvent s’adresser aux entreprises puisqu’il s’agit d’un service privé qui n’a pas de raison de rendre des comptes. Désormais, « le service public est devenu un service post-démocratique : […] le gouvernement n’est responsable devant le demos que pour les grandes lignes de sa politique, pas pour son application détaillée » (p. 104). Qui sont ceux qui prennent les décisions ? Pour cerner le rôle des citoyens dans la post-démocratie, il est nécessaire d’identifier les détenteurs du pouvoir décisionnaire. Un citoyen doit-il plutôt s’engager dans un parti ou dans une organisation qui pratique le lobbying ? La capacité décisionnaire appartient avant tout aux hommes et femmes politiques alors au pouvoir. Ceux-ci, cependant, reçoivent des subventions ou signent des accords avec différents fonds qui cherchent à influencer les décisions politiques : c’est ce qu’on appelle des lobbies. Leur pouvoir d’influence est puissant, car les institutions sont dépendantes de leurs ressources financières.

Au sein d’un parti, il en est de même : si les militants du parti continuent d’occuper une place importante dans le cadre post-démocratique, ce sont plutôt les financeurs qui peuvent influencer leur décision puisque les partis sont dépendants de leurs subventions. Si un citoyen veut participer à la prise de décisions politiques, il est plus stratégique qu’il s’engage dans une cause via le lobbying que via un parti. Colin Crouch utilise figure des cercles concentriques pour décrire la structure du pouvoir décisionnaire : d’abord les hommes politiques élus et désignés au centre, entourés des différents influenceurs qui accordent les subventions d’une part, et d’autre part, des militants actifs et importants.

Enfin, aux militants s’ajoute l’ensemble des citoyens susceptibles de voter pour le parti au pouvoir. Or, l’évolution post-démocratique du régime rompt avec ce schéma : le pouvoir se déplace de plus en plus vers le cercle des influenceurs et s’éloigne des militants qui ont un rôle de plus en plus passif. Par conséquent, la capacité décisionnaire des citoyens apparaît infiniment réduite.

5. Quelles alternatives à la post-démocratie ?

L’entrée dans la phase post-démocratique a des conséquences nocives pour la santé et la vitalité de nos démocraties occidentales. Cependant, un retour en arrière n’est pas envisageable, différentes évolutions contextuelles le rendant impossible. Ceci dit, Colin Crouch propose quelques jalons pour contrecarrer de telles évolutions négatives. La première solution suggérée par l’auteur est celle de la régulation. Il est nécessaire d’après lui, de réguler le rôle joué par les firmes afin de les empêcher d’exercer un pouvoir incompatible avec la démocratie. Mais comment faire ? Il est nécessaire de créer des lois qui soient adaptées aux évolutions post-démocratiques et qui limitent les pouvoirs des entreprises. Ces lois, notamment, serviraient à redéfinir la frontière entre le public et le privé pour éviter que les secteurs de la santé, de l’éducation ainsi que d’autres services fondamentaux de l’État-providence ne soient privatisés. En plus de ces régulations, il faut prendre en compte l’évolution post-démocratique de la gauche afin d’y remédier. En effet, explique Crouch, les libéraux « ont tendance à adopter une attitude complaisante vis-à-vis de la montée de ce que j’appelle la “post-démocratie’’ » (p. 11). La gauche, soucieuse de remédier à la post-démocratie, est de son côté tombée dans le consensus social-démocrate : la classe ouvrière a pu concilier ses intérêts avec ceux du capitalisme, ayant acquis des droits après la Seconde Guerre mondiale.

La gauche est donc devenue réformiste et n’a su embrasser les nouvelles luttes politiques alors naissantes, celles des minorités : les droits des femmes, des LGBT+, des anti-racistes, etc. Or, il y a là un véritable « bouillonnement démocratique », qui peut donner naissance à de nouvelles identités collectives et mobilisées capables de créer des chaînes de solidarité, de peser sur les partis et de motiver l’engagement politique. Voilà un deuxième remède pour contrecarrer la post-démocratie.

6. Conclusion

L’ère post-démocratique est donc traversée par un grand paradoxe. D’un côté, la démocratie est toujours perçue comme la meilleure forme de gouvernement, la plus juste et la plus avancée.

De l’autre, la démocratie fait l’objet d’une forte désillusion en Occident et ses structures se vident peu à peu de leur contenu initial. Des éléments pré-démocratiques viennent parcourir le régime démocratique, tels que par exemple la concentration du pouvoir décisionnaire dans les mains d’élites politiques et économiques : l’évolution du capitalisme global a rattrapé la démocratie. De nouveau, les citoyens perdent leur pouvoir d’intervention dans la politique. L’État, de son côté, se calque peu à peu sur le modèle de l’entreprise. Dans la préface à l’édition française de 2012, Colin Crouch écrit que le constat établi par Post-démocratie en 2003 n’a pu qu’être confirmé par les événements qui ont eu lieu depuis : la crise financière de 2008, la crise des économies de la zone euro, etc. Et ce ne sont pas non plus les événements de la dernière décennie qui peuvent le contredire…

7. Zone critique

Dans un chapitre intitulé « Le dilemme du citoyen », Crouch expose un problème que rencontre un citoyen qui souhaite s’engager : soit il devra agir à travers un lobby, mais ce faisant favoriser l’avènement de la post-démocratie, soit il passera par un parti au risque de ne pas avoir beaucoup de poids. La marge de manœuvre du citoyen est donc assez réduite. Dans cette optique, les solutions proposées par l’auteur à la fin de l’ouvrage, qui suggèrent de constituer un groupe politique influent afin de pouvoir négocier avec le pouvoir en place, semblent condamnées à se confronter à la même impasse. La négociation et la transformation de l’intérieur peut être une entreprise vaine si la logique en place absorbe toute tentative de critique.

On a vu, par exemple, ces dernières années, les luttes écologistes et LGBT+ monter en puissance, acquérir des droits, puis être récupérées par la logique marchande : c’est ce qu’on appelle le pinkwashing et le greenwashing. Malgré l’acquisition de droits et des avancées démocratiques, on voit que la composition globale du système ne change pas fondamentalement et continue au fond de mettre en danger la planète ou les personnes LGBT+, par exemple. Ainsi, seules une position radicale ainsi qu’une mise en question globale semblent pouvoir être utile. Il est intéressant de relever, par ailleurs, que le diagnostic de l’entrée dans la période de la « post-démocratie » se base majoritairement sur une analyse des démocraties anglaise et états-unienne. Certaines critiques remettent en question, pour ces raisons, la pertinence de la généralisation des conclusions de Colin Crouch, de même que la légitimité d’une comparaison entre les deux systèmes politiques.

8. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Post-démocratie, Zurich, éditions Diaphane, 2013.

Autres pistes– David Graeber, La Démocratie aux marges, Paris, Flammarion, 2014.– Julia Cagé, Le Prix de la démocratie, Paris, Fayard, 2018.– Yascha Mounk, Le Peuple contre la démocratie, Paris, L’Observatoire, 2018.– Steven Levitsky et Daniel Ziblatt, La Mort des démocraties, Paris, Calman-Lévy, 2019.

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