Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Daniel Pink
Un modèle de pensée ancien défend la thèse que le management repose sur la fixation d’objectifs, forcément sanctionnés par une récompense s’ils sont atteints, ou une punition s’ils ne le sont pas. Si ce système reste acceptable concernant des tâches purement exécutives, il ne correspond plus du tout aux besoins managériaux des activités constituées de créativité et d’inventivité des métiers du XXIe siècle. Tordant le cou à nombre d’idées reçues sur les leviers de la motivation, Daniel Pink en explore les véritables moteurs : l’autonomie, la maîtrise de ce que l’on fait et la finalité de ce que l’on accomplit. Et si le management n’était plus qu’une ancienne théorie de plus à jeter aux oubliettes ?
Une vieille antienne perdure concernant le comportement humain, qui fait croire aux dirigeants d’entreprise que l’individu moyen déteste travailler. C’est ce qui les incite à mettre en place des organisations de contrainte et de contrôle basées sur une politique de la « carotte » et du « bâton ».
Cette conception, découlant de l’invention du taylorisme, considère l’ouvrier comme un élément de la machine de production : mieux il travaille, mieux la machine fonctionne. La majeure partie des entreprises continue de pratiquer cette politique de « motivation 2.0 » ainsi que la nomme Daniel Pink, fondée sur une récompense conditionnelle : salaires, primes, promotion, etc., en contrepartie de l’atteinte d’un objectif ou d’un résultat. Mais ce système a fait long feu. Le monde du travail a changé, remplaçant de plus en plus souvent les tâches répétitives et contraignantes (laissées à des robots) par des activités plus créatrices, plus demandeuses d’inventivité. Les besoins psychologiques des travailleurs ont changé aussi. L’auteur étudie les éléments-clés de la motivation que sont l’autonomie, la maîtrise et la finalité.
À l’aide de nombreux exemples glanés auprès d’entrepreneurs d’un genre nouveau et de résultats d’études scientifiques, il présente un nouveau comportement qu’il appelle le type I. La personne de type I est bien plus intéressée par l’activité qu’elle mène que par ce qu’elle pourrait lui rapporter.
Ce type I se substitue à l’ancien type X totalement attaché à la stimulation extérieure. En réalité l’être humain est naturellement curieux, créatif et en recherche d’évolution. C’est là que se trouvent tous les leviers de la motivation.
L’autonomie, dans le travail, est la façon dont chacun décide comment il organise et effectue sa mission. Or le management, invention technologique, dans le sens d’un outil de gestion, sans lequel l’humain ne peut être efficace, s’inspire de l’idée que les individus doivent avoir des objectifs, faute de quoi ils ne savent ni quoi faire ni comment.
Faux !, démontre l’auteur, qui évoque le comportement naturel des enfants : l’être humain est enclin à bouger, analyser, tenter des expériences, s’acharner sur un problème même insignifiant, dans le seul but trouver la solution ou de satisfaire sa curiosité. Il observe que l’inertie de certains individus serait plutôt consécutive à une inhibition venue des « forces extérieures » : éducation à l’obéissance passive (sans expliquer pourquoi apprendre est important), conditionnement à rentrer dans les modèles. Ou, en entreprise, un management dont la rigidité annihilerait toute créativité et toute envie de s’impliquer en raison de la soumission qu’il suppose.
Il prend l’exemple de la société 3M : William McKnight, son PDG, écrivait en 1948 : « Si ces hommes et femmes à qui nous déléguons l’autorité et la responsabilité sont des gens compétents, ils voudront faire leur travail à leur propre manière. » (p.129) Ce patron éclairé proposait à ses employés de consacrer 15% de leur temps de travail à des projets de leur choix. C’est lors d’une séance de temps créatif personnel, qu’ils appelaient leur « gribouillage expérimental », qu’un employé a inventé le « post-it » dont le succès qu’on lui connaît donne une idée de la valeur de l’autonomie.
Il nous donne aussi l’exemple du ROWE (results-only work environment), modèle d’organisation dans lequel, les horaires n’existent pas, les salariés s’organisent en toute liberté. Chacun est libre de pratiquer selon ses choix, venir aux réunions ou pas, décider de travailler dans l’entreprise ou chez soi. Le seul engagement est de rendre le meilleur résultat en temps et en heure.
L’autonomie n’est pas de l’individualisme, c’est la capacité à décider quoi faire, quand, comment et avec qui. Ce fonctionnement génère l’implication des salariés. Il entraine une meilleure productivité : des travailleurs plus concernés, car plus responsables de leur propre participation aux résultats. D’une manière générale l’autonomie rend l’individu plus performant, puisque plus persévérant. La liberté de se prendre en charge soi-même valorise et stimule. Par ailleurs, elle permet aux enfants de mieux réussir leur scolarité.
La maîtrise, c’est déjà l’idée que l’on s’en fait : tout dépend de ce que chacun pense de ses capacités et de sa possibilité d’en faire évoluer les limites. Si nous considérons notre intelligence comme une sorte de capital délimité, nous serons enclins à nous arrêter à un certain niveau. Si nous pensons, en revanche, qu’elle est évolutive, nous n’aurons aucun frein dans sa stimulation. C’est ce second état d’esprit qui nous conduit vers la maîtrise. Daniel Pink parle de l’état de flow. Découvert par Mihalyi Csikszentmihalyi, psychologue hongrois, le flow est l’état mental dans lequel se trouve une personne lorsqu’elle ressent l’excitation de relever un défi.
C’est un état de connexion à soi-même, de concentration extrême qui fait que l’on est totalement habité par l’activité que l’on pratique. L’enfant concentré sur son jeu, l’artiste dans sa bulle créative sont en état de flow. Les statistiques montrent que cet état est vécu plus souvent dans la vie professionnelle que personnelle. À partir du moment où un individu trouve dans l’exercice de son métier l’occasion de vivre des moments de flow, il n’existe pas de motivation plus gratifiante. Dans le langage familier, on dirait qu’il « s’éclate » ! L’individu se sent en état de maîtrise à partir du moment où il a envie de se dépasser, de persévérer pour arriver au but qu’il s’est fixé.
Daniel Pink considère l’atteinte de l’état de flow comme « l’oxygène de l’âme ». Cela donne envie de progresser, d’aller plus loin et rend l’individu plus apte à affronter toutes sortes de difficultés. La maîtrise apporte une motivation de très loin supérieure à celle qui dépendrait seulement d’une prime liée à un objectif extérieur. La démarche qui en découle amène la personne à rechercher la performance. C’est cette motivation qui pousse certains artistes à recommencer encore et encore le même tableau dans la recherche de la lumière parfaite même en sachant qu’ils n’y arriveront jamais.
C’est le sens qui est donné à ce que l’on fait. Une personne qui travaille de manière autonome et qui cherche la maîtrise par son implication et par le plaisir qu’elle prend à se dépasser elle-même, sera encore plus motivée si elle va au-delà de son intérêt personnel.
Daniel Pink prend l’exemple des deux encyclopédies Encarta et Wikipedia : l’une conçue de manière classique chez Microsoft par des contributeurs rémunérés, l’autre enrichie en continu par des bénévoles unissant leurs efforts pour collaborer à un projet gratuit. Microsoft a renoncé à Encarta qui n’a pas marché et Wikipedia est devenu une référence. La multiplication des systèmes en open source (ouverts et gratuits) montre l’engagement de tous ceux, de plus en plus nombreux, qui participent à ces nouveaux accès : une envie de contribuer à un mouvement, mais aussi de manière plus personnelle, l’envie de développer leur créativité, d’inventer de nouveaux systèmes, de partager.
C’est, bien sûr pour ceux qui y participent, un moyen de se faire connaître ou de présenter leur travail d’une autre manière. Mais leur motivation se situe au-delà de la perspective d’un gain immédiat. C’est ce qui inspire les créateurs des entreprises à faible profit ou des entreprises humanistes. C’est le cas, par exemple, de la société TOMS Shoes : elle vend des chaussures en toile à semelles plates. Mais surtout elle offre une paire de chaussures à un enfant d’un pays en voie de développement pour chaque paire achetée. Chaque client de TOMS shoes devient donc un bienfaiteur quand il achète dans cette enseigne.
Avoir des objectifs constructifs, qui ont du sens au-delà du seul intérêt, génère une satisfaction personnelle très forte, voire un sentiment de bonheur. On voit bien que cela n’a plus rien à voir avec le fait de se battre perpétuellement pour des objectifs imposés. Ces derniers, exclusivement orientés sur la récompense immédiate, ont d’ailleurs des effets pervers : ils engendrent un calcul à court terme, une addiction à la prime. Ils font perdre la vision de la pérennité de l’entreprise, génèrent stress et mal-être et ne laissent plus beaucoup d’espace à l’idée d’une réalisation personnelle. C’est pourquoi ils ne correspondent plus du tout à la psychologie de la nouvelle génération et qu’il est plus que temps de cesser de les imposer.
Daniel Pink définit la motivation 1.0 : la première motivation de l’humanité : survivre dans son environnement, puis dans ses entreprises. L’homme travaillait pour survivre. L’ère industrielle a généré la motivation 2.0 : obéir à des consignes de productivité, se soumettre aux objectifs et se voir récompensé en gagnant de l’argent.
Depuis les années 2000, les baby-boomers ont compris qu’après avoir travaillé jusqu’à l’âge de 60 ans, ils peuvent encore espérer vivre quelque 20 ou 30 ans en bonne santé. Ils se sont mis à désirer donner du sens à leur vie. Leurs enfants, de la génération Y, ne veulent plus se soumettre au profit. Ils considèrent l’argent comme un moyen et non plus comme une finalité. La génération Y ne veut pas s’ennuyer au travail, elle souhaite être stimulée. Elle réclame plus d’éthique et invente ses propres règles. C’est pour elle qu’il est grand temps de renoncer à la motivation 2.0 pour rentrer dans l’ère de la motivation 3.0 en donnant un nouveau sens au travail.
Après la crise de 2008, des étudiants de Harvard ont conçu leur « serment du MBA » (masters of business administration) sur le modèle du serment d’Hippocrate : « En tant que manager mon but est de servir le bien commun en rassemblant les personnes et les ressources […] je m’efforcerai de créer de la prospérité dans le monde économique, social et environnemental »(p.180-181).
Cette déclaration illustre la motivation 3.0. Ces nouveaux profils ne dédaignent pas l’argent, ils veulent une rémunération juste et suffisante. L’argent ne doit plus être le problème, ils veulent être libres de pouvoir consacrer leur énergie à leur travail, pas à courir après une gratification. Ils veulent avoir leur mot à dire sur les objectifs professionnels à défendre, savoir pour quelle cause ils travaillent et ont besoin de l’approuver pour s’impliquer.
Les professeurs de psychologie Edward Deci et Richard Ryan ont établi une théorie de l’autodétermination (TAD) qui explique les réactions humaines par rapport aux besoins psychologiques.
Si la personne reçoit la motivation qui correspond à sa personnalité, elle sera motivée et heureuse. Le type X est le tempérament qui correspond à la motivation 2.0 c’est-à-dire motivé par les stimulations extérieures. Cela n’empêche pas la personne de type X d’être capable d’apprécier son travail et d’y trouver une source de satisfaction. Mais elle réagira beaucoup plus aux stimulations extérieures : salaire, primes, compliments, reconnaissance.
Le management de type 2.0 la motivera du fait qu’elle cherchera prioritairement les bénéfices de son travail. Les individus de type I réagissent mieux à une motivation 3.0 parce qu’ils sont plus sensibles à l’activité elle-même qu’à ce qu’elle pourra leur rapporter. La personne de type I sera beaucoup plus intéressée par les défis, par le projet de l’entreprise. Mais elle a besoin de liberté pour agir. Son autonomie naturelle la rend plus disposée à réussir, car elle trouve sa motivation en elle-même et n’a pas besoin de stimulation externe pour s’activer. La personne de type I revendique son bien-être et sa qualité de vie au travail. Il est totalement contre-productif de la mettre sous pression. Les individus de type I ont plus confiance en eux-mêmes que les personnes de type X.
C’est pour cette raison que la motivation 3.0 qui repose sur l’autonomie, la maîtrise et la finalité leur convient. Il est donc nécessaire de faire évoluer les comportements vers une majorité de type I plus en phase avec le monde du travail du XXIe siècle. Dans des métiers qui demandent créativité et inventivité, les profils de type I sont plus à l’aise, car plus en lien avec le comportement naturel et spontané de l’humain.
D’ailleurs le comportement naturel des enfants correspond au type I jusqu’au moment où le cadre éducatif les amène vers le type X. Les attitudes des adultes les influencent : proposer une récompense à l’enfant qui aide au ménage ou offrir un cadeau pour une bonne note, orientent l’enfant vers la motivation 2.0.
Pour les orienter vers un comportement de type I il faut développer leur motivation intrinsèque. C’est par exemple ce qu’apporte une méthode d’éducation comme celle proposée par les écoles Montessori. Alors que le cadre scolaire conventionnel crée le contexte d’une motivation extérieure de type X, le système Montessori basé sur la curiosité naturelle de l’enfant et sur son désir spontané d’apprendre, propose un enseignement par l’auto apprentissage. Les enseignants sont là pour observer et aider l’enfant à faire son chemin par lui-même en respectant l’autonomie de ses choix d’apprentissage. L’enfant découvre les clés de la maîtrise en cherchant ses propres solutions sur les problématiques qui l’intéressent, il découvre l’intérêt d’apprendre.
La motivation 2.0 était sans doute bien adaptée au XXe siècle. Pour les tâches répétitives ou quantitatives, la récompense pouvait être un bon moyen de stimuler les travailleurs. Le système a montré ses limites à partir du moment où il a incité chacun à faire tout ce qu’il fallait pour obtenir ses primes sans regarder au-delà.
Cette vision à court terme a contribué à privilégier la gestion au détriment de l’anticipation et des perspectives d’avenir. Elle a créé un système pervers dans lequel la fin justifiant les moyens, le contournement des règles et les comportements illicites ont pu prendre l’avantage sur la bonne conduite. Il est grand temps que les entreprises changent leurs habitudes et s’adaptent à une nouvelle génération de travailleurs qui souhaitent augmenter leurs compétences, et surtout donner un sens à leur vie professionnelle.
Replacer l’entreprise dans un contexte éthique permettra aux nouvelles générations de faire coïncider leur engagement professionnel avec leurs convictions.
Le livre de Daniel Pink est un livre qui fait du bien. Dans le monde de l’entreprise où, parfois, les salariés auraient envie de rappeler à leurs dirigeants qu’ils sont capables de penser par eux-mêmes et qu’il serait souhaitable de leur laisser un peu d’initiative, il est réconfortant de réaliser que ce sont bien les salariés qui sont dans le vrai.
Ce retard à changer de système de management est sans doute à l’origine des nouveaux modèles d’entreprise que sont les start-ups. Elles ont bien compris que la liberté d’organisation, de parole et d’autonomie leur offre une véritable raison d’être dans un monde qui change très vite. On peut supposer que c’est aussi l’inefficacité de la motivation 2.0 extrinsèque qui pousse de plus en plus de travailleurs à aller se motiver eux-mêmes dans des microentreprises où ils peuvent trouver autonomie, maîtrise et finalité, en d’autres termes le meilleur chemin pour le bonheur au travail.
Ouvrage recensé– La vérité sur ce qui nous motive, Paris, Flammarion, coll. « Clés des Champs », 2016.
Du même auteur– Le bon moment : la science du parfait timing, Paris, Flammarion, coll. « Essais », 2019.– Convainquez qui vous voudrez, l’étonnante vérité sur notre capacité d’influence, Paris, Flammarion, coll. « Clés des Champs », 2016.– L’homme aux deux cerveaux, Robert Laffont, 2007.
Autres pistes– Mihalyi Csikszentmihalyi, Vivre : la psychologie du bonheur, Robert Laffont, 2004.– Richard H. Taler, Cass R. Sunstein, Nudge, comment inspirer la bonne décision, Pocket, 2012.