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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

La Traduction dans tous ses états

de David Bellos

récension rédigée parCendrine VaretDocteure en Lettres Modernes (Université de Cergy-Pontoise).

Synopsis

Arts et littérature

C’est à travers une analyse très érudite teintée d’humour que David Bellos choisit d’entraîner le lecteur dans les coulisses de la traduction. Parsemé d’exemples, de références documentaires, d’histoires et d’expériences personnelles, cet ouvrage ne dit pas comment traduire, mais recense tous les états de la traduction. Il dresse ainsi un panorama très exhaustif du rôle de la traduction dans des contextes culturels, sociaux et humains. Il permet de comprendre tout ce que « fait » la traduction, mais également tout ce qu’elle n’est pas.

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1. Introduction

L’ouvrage de David Bellos, paru en Angleterre en 2011, étudie la traduction dans ses moindres détails, de son étymologie aux confins des disciplines, des genres et de ses limites, en passant par tous les préjugés et les idées reçues qui la constituent. Parler du rôle de la traduction, c’est déjà et avant tout parler de la langue, des langues et du travail des traducteurs. Non sans humour, il apporte de sérieuses réponses à toutes les questions auxquelles le lecteur ne songeait pas forcément.

Les interrogations ne manquent pas : y a-t-il une façon de traduire meilleure qu’une autre ? Peut-on tout traduire ? Existe-t-il différentes manières de traduire ? Que nous enseigne la traduction ? Que fait-elle ?

Après avoir pris soin de préciser la perspective anglo-saxonne de son livre, en trente-trois chapitres l’auteur emmène le lecteur au cœur de la traduction.

2. Ce que fait la traduction

Comprendre la traduction, c’est avant tout se demander ce qu’elle fait, et non ce qu’elle est. Alors, que fait la traduction ? « […] Elle fournit à une certaine communauté l’équivalent acceptable d’un énoncé formulé dans une autre langue » (p. 290). David Bellos ne cesse de le prouver dans cet ouvrage, la traduction agit, elle impacte en profondeur et durablement la langue qui la reçoit. C’est ainsi qu’il constate que les dialogues des romans policiers traduits de l’anglais en suédois portent en eux l’empreinte anglophone. En effet, la langue anglaise a si profondément infiltré la langue suédoise que cette dernière en a pris les caractéristiques stylistiques jusque dans son écriture originale. Selon le contexte, l’influence des traductions sur les cultures réceptrices aura pour effet d’enrichir la langue cible ou de la dégrader.

Qui dit traduction dit traducteur. Tout traducteur cherche à transmettre la même information que l’énoncé original et à en préserver la valeur. Pour un seul et même texte il existe autant de traductions possibles que de traducteurs. Lorsque l’universitaire américain Douglas Hofstadter demanda à plusieurs douzaines de ses connaissances de traduire un poème de Clément Marot, il reçut autant de versions différentes que de réponses. Et toutes étaient acceptables. Pour produire l’« effet équivalent » dont il est ici question, il arrive que les traducteurs doivent adapter le message à la personne réceptrice, le reformuler et le recontextualiser. Ainsi, les traducteurs littéraires cherchent-ils le plus souvent à « marier » les deux textes, leur trouver des « correspondances ». Pour que cette correspondance puisse avoir lieu, ils doivent veiller à la fois à maintenir le sens et la valeur du texte initial, mais également à ce que leur traduction demeure identique à la source. Aucune traduction ne peut cependant être totalement identique à l’énoncé original, elle est donc à la fois une appropriation et une interprétation.

Si la traduction présente des spécificités, en revanche, elle n’a pas de frontières nettement fixées, il apparaît dès lors légitime que l’auteur soulève la question de ses limites. Il ne s’agit pas de confondre traduction et adaptation car tout n’est pas traduction. Lorsque David Lean réalise le film Le Docteur Jivago, il fait une adaptation du roman de Boris Pasternak, on ne peut dès lors nullement qualifier cette transformation de traduction.

3. Les états de la traduction

Comme ne manque pas de le souligner l’auteur, la traduction est partout, elle concerne toutes les disciplines, tous les genres et tous les continents. Elle est inévitable. Qui voudrait s’en passer n’aurait d’autre choix que :

- d’apprendre les langues de toutes les communautés avec lesquelles il souhaite communiquer- de créer une langue unique et universelle- ou encore de s’en tenir à sa propre langue et d’ignorer tous ceux qui ne parlent pas la sienne.

L’activité de la traduction est plurielle et multiple, on peut sans aucun doute affirmer qu’il existe bien des traductions. De toute évidence, traduire un poème et traduire un texte de loi sont deux activités différentes. Des traductions bibliques à celles des discours politiques officiels, en passant par les sous-titrages de films, la traduction automatique liée à l’informatique, celle de la presse, jusqu’à celle des textes littéraires en tous genres, les traductions font partie du paysage quotidien de toutes les communautés linguistiques, sociales et culturelles.

L’ouvrage de David Bellos met en lumière deux grands types de traduction. D’une part la traduction écrite dont certains revendiquent la traduction littérale – mot pour mot – là où d’autres préfèrent une traduction adaptative plus libre – sens pour sens. Fondée sur la normalisation ou la domestication, la traduction adaptative a ses adeptes, comme peuvent en témoigner la retraduction de l’Odyssée d’Homère par Emile V. Rieu ou certaines traductions de la Bible engagées en faveur d’une accessibilité au plus grand nombre. Il arrive parfois que certains, pour signifier un mot qui n’existe pas dans une langue, aient recours à la traduction par substitution. Parfois, le résultat est surprenant : ainsi, lorsque le traducteur de la Bible en estonien a voulu traduire le mot « vigne » – végétal alors inconnu en ces contrées baltes –, il a tout simplement créé un mot qui, dans la langue cible fut transposé en « arbre à vodka ».

D’autre part, la traduction orale ou interprétariat oral réclame un certain degré de confiance de la part de l’auditeur, et demeure donc à l’origine de bien des méfiances envers les mots du traducteur. Le rôle de l’interprète peut s’avérer très délicat lorsqu’il concerne des langues minoritaires. Les parties concernées doivent alors s’en remettre exclusivement à l’interprète, se fier entièrement à sa traduction sans que personne ne soit en mesure d’identifier son exactitude. Les tribunaux font régulièrement appel à des interprètes. L’exemple le plus spectaculaire demeure celui du Tribunal militaire de Nuremberg qui, lors du procès ouvert en 1945, parvint à mettre en place un système de traduction simultanée exceptionnel. Exigeante et difficile, la profession de traducteur simultané – à qui l’on préfère désormais l’appellation d’interprète de conférence – oblige le traducteur à savoir à la fois écouter pendant qu’il parle et parler pendant qu’il écoute.

4. Les langues

Tout acte de traduction s’effectue d’une langue source à une langue cible. Sur environ 7 000 langues parlées à travers le monde, rares sont les personnes qui parviennent à en maîtriser plus d’une dizaine. Nombreux sont ceux qui rêvent d’une uniformisation linguistique à l’image de l’espéranto ou telle qu’on la retrouve dans la plupart des champs scientifiques où l’anglais s’est imposé comme langue scientifique internationale.

Même si l’auteur établit la distinction entre langue maternelle et non maternelle, il ne manque pas de rappeler que l’on peut tout à fait être plus à l’aise dans une langue qui n’est pas notre langue native. Le principal étant de « se sentir chez soi dans une langue ». Il existe une différence de rang entre les langues « civilisées » et les langues « primitives ». Ainsi, certaines apparaissent-elles plus « prestigieuses » que d’autres. Cette hiérarchisation entraîne deux sens de traduction : une traduction « amont », une traduction « aval ». La première hisse la langue source vers une langue de plus grand prestige. La seconde « s’effectue vers une langue vernaculaire dont l’audience est plus limitée que celle de la source, ou qui jouit d’un moindre prestige culturel, économique ou religieux, ou enfin qui n’est pas employée comme langue véhiculaire » (p. 182). Ces hiérarchisations ont notamment tendance à supprimer des langues considérées comme « inférieures » par un recours à la normalisation, la standardisation et à l’homogénéisation. C’est ainsi que la traduction en arrive à gommer les parlers régionaux, les dialectes sociaux et tout signe oral populaire. Avec la « traduction légale », qui s’attache à ce que les lois soient perçues comme identiques par tous ceux qui en dépendent, le système juridique est lui aussi concerné par ce calibrage linguistique.

C’est ainsi que pour mettre tous ses membres sur un même rang d’égalité, l’Union européenne a opté pour la règle de parité linguistique. Chaque version du traité de Rome est le texte original et non sa traduction. Malgré tous ces efforts pour unifier l’univers linguistique, des études concernant les flux import-export des ouvrages traduits laissent apparaître que l’anglais, le français et l’allemand dominent le monde de la traduction. Et que l’anglais fait très souvent office de langue pivot et de langue de contact par laquelle tout transite. Toutes ces constatations permettent d’appréhender la flexibilité et les infinies ressources des langues.

5. Idées reçues et préjugés

Idées reçues et préjugés ne manquent pas lorsqu’il s’agit d’aborder la question de la traduction. Et David Bellos ne prend pas de détours pour les dénoncer et prouver au lecteur qu’ils n’ont pas lieu d’être. Parmi les idées reçues les plus courantes, il réfute celle selon laquelle une traduction ne peut tenir lieu d’énoncé original. Force est de constater que bon nombre d’auteurs sont parvenus à faire passer un texte original pour une traduction et une traduction pour un original. Sans que personne ne s’en aperçoive. Andreï Makine est parvenu à faire passer ses trois premiers romans pour des textes traduits du russe alors qu’ils étaient d’authentiques textes français originaux. Romain Gary, quant à lui, a réussi à faire passer trois de ses romans composés et publiés en anglais pour des textes écrits directement en français. Car il n’existe en effet aucun critère permettant de distinguer l’un de l’autre.

« La poésie est ce qui se perd à la traduction » (p. 162) est une formule aussi infondée que la précédente. Pour la justifier, il faudrait être capable de maîtriser parfaitement les traditions poétiques de la langue source et de la langue cible. La qualité d’un poème, ses imperfections ne sont pas liées à la traduction, mais bien au poète. L’auteur remet également en cause l’unicité d’une langue originelle qui figure dans la Bible sous l’histoire de la tour de Babel, faisant de l’intercompréhensibilité un idéal linguistique. Cela revient à dire que « toutes les langues sont le même genre de chose, parce que, au commencement, elles ne faisaient toutes qu’une » (p. 349). Pour mener à bien sa réflexion, David Bellos nous rappelle que la grammaire est le point commun entre toutes les langues, engendrant ainsi l’idée que c’est bien l’existence d’une grammaire qui fait « d’une langue une langue ».

Seulement voilà, il n’existe à ce jour aucune grammaire universelle, pas plus qu’il n’existe une grammaire exhaustive dans aucune langue vivante. À chaque langue sa grammaire : le russe et le chinois ne possèdent pas de déterminants ; le finlandais conversationnel ne distingue pas le genre ; et il est tout à fait possible de se passer des adjectifs. Jorge Luis Borges avait même imaginé une langue sans noms, remplacés par des verbes et des adverbes, et cela fonctionnait tout à fait. Ainsi, pour parler d’« une lune bleue », il disait qu’« il lune bleuement ».

6. Intraduisible ?

La traduction soulève de nombreux problèmes et les difficultés ne manquent pas lorsqu’il s’agit de traduire la poésie, l’humour, ou encore les lois. Au point que certains les qualifient régulièrement d’« intraduisibles ». En ce qui concerne la poésie, la relation entre le son et le sens pose question, engendre souvent de fausses croyances qu’il suffit alors de surmonter. En effet, son transfert d’une langue à une autre modifie inévitablement cette relation, mais le poème n’en perd pas pour autant sa teneur poétique.

En relatant son expérience personnelle, David Bellos fait part d’une autre difficulté liée, cette fois, à la relation très intime que chacun entretient avec le poème. Car celui-ci fait appel aux émotions individuelles et « […] on ne saurait traduire ce qu’on ne peut partager. Mais cela ne rend pas le poème intraduisible pour un autre que moi » (p. 163). Le souci de l’équivalence et des correspondances se pose très nettement dans le cadre des traductions humoristiques. La plupart du temps, il reste cependant tout à fait possible de traduire l’humour, à condition que la langue cible possède une expression équivalente à celle de la langue source, et que le lecteur soit en mesure de comprendre le message délivré. Il reste difficile de trouver une équivalence des jeux de mots mais il arrive parfois que le traducteur s’en sorte brillamment.

Lorsque David Bellos a traduit une carte de visite imaginée par Georges Perec dans La Vie mode d’emploi, « Adolf Hitler – Fourreur », l’équivalence qu’il a appliquée, « Adolf Hitler – German Lieder », était tout à fait acceptable. L’auteur soulève également la problématique de la traduction des textes juridiques et plus particulièrement de la loi qui illustre le type même du texte intraduisible. Bien souvent la loi est intraduisible car elle est exprimée dans une langue juridique inintelligible.

Dès lors, comment traduire l’inintelligible ? Chaque système possède ses termes spécifiques, difficilement transportables d’une langue à une autre. Il apparaît donc impossible de traduire la loi et pourtant il est totalement nécessaire de le faire et celle-ci est même traduite en grande quantité. Enfin, l’auteur soulève la délicate question du style. Comment peut-il survivre à la traduction ? Deux caractéristiques semblent définir le style : imitable et donc traduisible lorsqu’il est entendu « à la manière de l’un ou de l’autre », inimitable et donc intraduisible lorsqu’il témoigne d’une empreinte individuelle significative. Et pourtant, le travail des traducteurs prouve à quel point le style parvient à survivre à la traduction.

Cette dernière nous enseigne que tout est dicible, que l’on peut tout traduire, même l’intraduisible.

7. Conclusion

Traducteur averti et reconnu, David Bellos est certainement le mieux placé pour raconter ce fabuleux voyage au cœur de la traduction et en livrer quelques vérités. Ici, tous les passionnés et spécialistes de traductologie trouveront de quoi satisfaire leur curiosité et parfaire leurs connaissances. Son ouvrage permet en effet de mesurer l’ampleur de la tâche qui incombe à tout traducteur, qu’il s’agisse de traduire des textes littéraires ou juridiques, de trouver des correspondances de jeux de mots entre les langues, ou de transmettre des informations pratiques.

Traduction écrite et traduction orale y sont scrutées à la loupe, au plus près de toutes les difficultés et problèmes qu’elles génèrent, mais aussi tous les bonheurs et bienfaits qu’elles répandent sur la communauté linguistique, culturelle et sociale. Car ne l’oublions pas, « la traduction est un premier pas vers la civilisation » (p. 359).

8. Zone critique

David Bellos ne cesse d’encourager et de stimuler la traduction. Son livre n’est en rien un manuel d’apprentissage, mais un vibrant hommage à la traduction, à ses enjeux, ses pratiques, ses limites et l’immensité des possibilités qu’elle offre. Même s’il demeure parfois difficile d’accès pour des non spécialistes tant il regorge d’informations, à l’issue de cet essai tout lecteur sera incollable ou presque en matière de traduction.

L’auteur n’oublie pas de faire mention de quelques omissions volontaires et ne manque pas de les justifier. En effet, il a choisi de ne pas aborder la traduction dès lors qu’elle concernait les langues artificielles, notamment celles des mathématiques et de l’informatique. Et il reconnaît volontiers son « ignorance » lorsqu’il est question de traduction dans des cadres militaire et hospitalier.

9. Pour aller plus

Ouvrage recensé

– La Traduction dans tous ses états ou comment on inventa l’arbre à vodka et autres merveilles, Paris, Flammarion, coll. « Champs essais », 2018.

Ouvrages du même auteur

– Georges Perec – Une vie dans les mots, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Biographies », 1994 (édition française), 1993 (édition originale en anglais), 2014 (édition japonaise), 2015 (édition hébraïque).– Jacques Tati – Sa vie et son art, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Biographies », 2002 (édition française), 1999 (édition originale en anglais).

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