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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Les Villes rebelles

de David Harvey

récension rédigée parMarion ChapoutotDoctorante en droit public (Université Paris II Panthéon-Assas).

Synopsis

Histoire

S’inscrivant dans la pensée d’Henri Lefebvre, David Harvey interroge l’existence d’un droit à la ville susceptible de révolutionner le modèle urbain capitaliste de la ville. Enrichissant la notion, il présente le droit à la ville comme un droit humain susceptible de représenter une force d’opposition aux monopoles de rente et une opportunité pour réinventer un sens commun. Pour cela, ce dernier doit devenir le point de convergence des mouvements urbains anticapitalistes. David Harvey souligne l’acuité de ce changement à l’aune des expériences récentes des villes rebelles.

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1. Introduction

David Harvey estime que « la révolution doit être urbaine… ou ne sera pas ». S’inscrivant dans l’héritage du philosophe Henri Lefebvre, il interroge la manière dont le droit à la ville pourrait servir de point de ralliement des luttes urbaines et servir à révolutionner la ville.

À travers une analyse historico-géographico matérialiste, l’auteur imagine un droit collectif en faveur des habitants précaires des villes, leur permettant d’agir sur le processus d’urbanisation et, par conséquent, de transformer le modèle aliénant de la ville capitaliste.

2. La ville actuelle, produit et cadre du capitalisme

David Harvey analyse l’urbanisation comme un « phénomène de classe » : les villes sont « nées de la concentration géographique et sociale d’un surproduit » (p. 30). L’urbanisation et le capitalisme, qui repose sur la quête perpétuelle de plus-value, sont liés. Tout d’abord, le capitalisme produit en permanence le surproduit nécessaire à l’urbanisation. Réciproquement, il a besoin de l’urbanisation pour absorber le surplus de produit qu’il génère en permanence afin de produire du bénéfice.

Ce surproduit est issu de la combinaison du capital financier et des engagements de l’État dans un investissement urbain massif et dans les infrastructures matérielles c'est-à-dire les chemins de fer, les autoroutes, etc. Pour le fonctionnement du système, des politiques planificatrices sont mises en œuvre : les grands travaux d’Haussmann à Paris en 1853 ou la création aux États-Unis en 1942 par Moses d’un modèle d’aménagement suburbain, financé par la dette, qui reconfigure la métropole.

Depuis les années 1980, les politiques urbaines néolibérales ne redistribuent plus la richesse aux zones urbaines désavantagées qui se retrouvent dépourvues de services publics. Au contraire, les pratiques urbaines prédatrices touchent les plus pauvres, enfermés dans un cercle vicieux d’impayés, de perte d’un bien immobilier et de frais de justice importants. David Harvey insiste sur la pratique des crédits hypothécaires qui est omniprésente avant chaque effondrement du marché et qui engendre des dépossessions. Ces dernières ont lieu en deux temps : premièrement, différents circuits cachés transfèrent massivement des richesses des pauvres vers les riches grâce à une « appropriation privative du sol urbain » (p. 110) ; deuxièmement, les saisies immobilières, parfois illégales, sont prononcées. Elles se sont intensifiées depuis le krach de 2010.

La ville constitue « un vaste terrain d’accumulation par la dépossession », l’argent se retrouvant absorbé par le mouvement du capital fictif pour enrichir les grandes fortunes issues du système financier. Les élites concentrent le surplus produit et la majorité de la population subit les effets négatifs des processus capitalistes : la diminution des salaires ou l’augmentation des loyers, la ségrégation sociale et spatiale, les inégalités urbaines.

3. L’origine urbaine des crises capitalistes

Depuis les années 1970, le monde a connu plusieurs crises financières, et nombreuses sont celles qui ont pour origine « le développement immobilier ou urbain » (p. 72). Le surplus de produit, notamment issu des investissements urbains et des infrastructures matérielles, est particulièrement sujet aux crises : la crise américaine de 1973 trouve son origine dans l’écroulement du marché immobilier mondial, comme celle de 1990 au Japon due à l’effondrement du prix du foncier, à la suite des excès du marché immobilier.

C’est encore le cas de la crise hypothécaire des subprimes, alimentée par le classement de crédits hypothécaires toxiques dans la catégorie des obligations bien notées, ayant conduit à la crise immobilière aux États-Unis en 2008 qui a eu des répercussions jusqu’en Espagne, en Irlande et en Grande-Bretagne. C’est un signe pour l’auteur de la déroute du marché immobilier et de l’urbanisation : la crise du capital fictif et des crédits a conduit à une dégradation de la qualité de vie et à des saisies immobilières.

Or, le bâtiment et les produits accessoires (mobilier, voiture, etc.) constituent une part importante du PIB des États. C’est pourquoi ces crises de l’activité de production conduisent à des tentatives par les pouvoirs publics de relancer le secteur du logement et de financer les microcrédits, ce qui a été le cas notamment entre 2008 et 2010. Malgré tout, le secteur du bâtiment n’est aujourd’hui pas encore totalement rétabli aux États-Unis et en Europe, où la réalisation de travaux reste molle.

La perspective marxiste ne fait pas le lien entre les évolutions urbaines et les perturbations macroéconomiques. Pourtant, selon le matérialisme historique et géographique de David Harvey, l’envolée des loyers, les expropriations, le phénomène de gentrification, la construction de résidences privées sécurisées, la « disneyfication » des villes, les SDF, la pénurie de logements abordables et les problèmes environnementaux, sociaux et éducatifs des villes peuvent être envisagés comme des « formes secondaires d’exploitation infligées par le capital » (p. 78). L’aggravation des difficultés financières présage de la fin « de la phase néolibérale postmoderne et consumériste d’absorption capitaliste des surplus de l’urbanisation ». (p. 58)

4. Les villes rebelles

La ville est le lieu traditionnel du changement social. Les mouvements révolutionnaires ont tous une origine urbaine : c’est le cas de Paris de 1789 à 1830 et de 1848 à la commune de 1871. Périodiquement des révoltes politiques majeures explosent pour reconquérir la ville perdue : l’auteur revient notamment sur les mouvements sociaux urbains en 1968 à Paris, Prague ou Mexico qui essayaient de transformer les modes de vie imposés par l’État et les capitalistes. La grève générale de Seattle en 1919, la place de Barcelone dans la guerre civile espagnole, les révoltes urbaines aux États-Unis dans les années 1960 et les manifestations antimondialisation en 1999 à Seattle en sont des exemples parlants.

Plus récemment encore, David Harvey met en exergue les mobilisations politiques sur les places du Caire, de Madrid ou d’Athènes en 2011, les rébellions à Cochabamba en 2000 et 2007, celles de Buenos Aires en 2001-2002 ou à Santiago du Chili en 2006 et en 2011 mais encore l’embrasement des banlieues françaises en 2005.

Les promoteurs capitalistes et les ultrariches ont toujours craint ces mouvements politiques. En association avec l’État, ils ont tenté d’éviter les manifestations et soulèvements citoyens urbains grâce aux documents de planification d’urbanisme et aux grands projets. L’auteur cite l’exemple des grands travaux d’Haussmann à Paris en 1848 ou aux États-Unis après les émeutes urbaines des années 1960.

David Harvey souligne que l’efficacité des mobilisations politiques réside dans leur capacité à paralyser l’économie urbaine. Il donne pour exemple la mobilisation des populations immigrées aux États-Unis au printemps 2006 en réponse à une proposition du Parlement de criminaliser les sans-papiers : cette grève des travailleurs immigrés a engendré une coupure de l’activité économique de Los Angeles à Chicago. L’interruption du flux de production et de la circulation des biens et services dans les grandes villes américaines par les immigrés a conduit à l’abandon du projet de loi contesté. Le mouvement d’opposition urbain est actuellement trop diffus et manque de cohérence.

5. Le droit à la ville d’Henri Lefebvre, point de convergence des luttes

En dépit des signes de révolte qui apparaissent partout dans le monde, il n’existe pas de liens étroits entre les différents mouvements sociaux. Une réflexion systémique est nécessaire. La ville pourrait être le lieu d’une reconquête du pouvoir par les citoyens, ce qui aboutirait à des transformations profondes.

D’un point de vue stratégique, « les luttes anticapitalistes doivent se concentrer et s’organiser explicitement sur le terrain de l’urbain et de la ville » (p. 209). En ce sens, le réseau urbain mondial offre de larges possibilités de diffusion politique.

Il apparaît nécessaire à l’auteur de prendre en compte les droits fondamentaux des habitants des villes ; David Harvey regrette que les droits économiques et le droit de propriété prévalent sur les autres droits. Pour y remédier, l’auteur reprend la notion de droit à la ville théorisée par le philosophe marxiste Henri Lefebvre dans son ouvrage de référence Le droit à la ville publié en 1968. Ce concept a été le fer de lance des associations urbaines militantes et anticapitalistes dans les années 1990. L’inscription dans la Constitution brésilienne d’une garantie au droit à la ville souligne le poids de ces mouvements et de leurs idées. La notion est depuis largement diffusée sur la scène internationale. Elle rassemble tous les domaines de lutte pour la ville : les banlieues, l’environnement, le chômage, les pauvres, les immigrés, la culture, etc. Depuis 2010, la notion est cependant récupérée et galvaudée par les institutions internationales au risque de devenir un simple concept de marketing politique.

David Harvey envisage le droit à la ville comme un véritable droit humain. Il enrichit la notion et la définit comme un droit collectif reposant sur deux volets : le droit d’accès individuel ou collectif aux ressources que la ville incarne ; le droit de changer et de réinventer la ville selon les considérations citoyennes. Le droit à la ville représente une réelle possibilité d’agir sur le processus d’urbanisation en instaurant un pouvoir démocratique de la population sur « la production et l’utilisation des surplus par l’urbanisation » (p. 59). Notion polysémique, elle est susceptible de constituer un point de ralliement commun des luttes anticapitalistes.

Ce droit repose sur le droit à un logement décent, à une ville durable, égalitaire et inclusive ; il vise « un épanouissement humain universel », au-delà des visées consuméristes. La réponse politique qu’il appelle est complexe et nécessite un renouvellement de la gouvernance urbaine.

6. L’importance des communs dans la fabrique de la ville

L’auteur souligne le rôle important des communs, c'est - à - dire des biens qui appartiennent à tout le monde, dans la formation de la ville. David Harvey considère la ville comme un lieu de production du commun. Ces communs urbains sont nombreux : les infrastructures matérielles telles que les transports et les communications, les installations portuaires, les systèmes d’évacuation et de distribution d’eau ; mais aussi les infrastructures sociales, de l’éducation, de la technologie, de la science, de la culture et de la qualité de vie. L’art, le théâtre, la musique, le cinéma, l’architecture ou les modes de vie locaux, la mémoire et le patrimoine collectif sont également des communs. En dépit du caractère spécial, voire unique, de certains produits et événements culturels, la culture doit être envisagée comme une marchandise.

Les communs sont au centre des politiques de développement urbain mises en œuvre par l’État, les organisations issues de la société civile et les producteurs privés réunis au sein de la gouvernance urbaine. Dans la mesure où les villes présentent des caractéristiques uniques, sur le plan géographique, historique, symbolique, culturel, etc., ces acteurs cherchent à investir dans les communs : l’objectif est de réaliser des rentes de monopoles. C’est donc dans les villes que se concentrent les conditions de production et d’appropriation de rentes de monopole.

Les mouvements d’opposition fragmentés, hostiles à la mondialisation néolibérale qui se sont manifestés à Seattle, Prague ou Melbourne, puis sous une forme plus constructive au Forum social mondial de Porto Alegre en 2001, sont témoignent de l’existence d’une politique alternative. Sans être totalement opposés à la mondialisation, ils soutiennent une autre forme d’organisation fondée sur la volonté d’accéder à une autonomie culturelle. Ils mettent également l’accent sur la créativité et la différenciation culturelles.

Ces éléments peuvent fonder une nouvelle urbanité. Les communs culturels, en cherchant à exploiter les valeurs d’authenticité, de qualités locales, d’histoire, de culture, de conscience collective et de tradition ouvrent un espace de réflexion et d’actions politiques au sein duquel il est possible d’imaginer une révolution urbaine et de la mener à bien.

7. Un droit à la ville centré sur les lieux de vie et les travailleurs précaires

David Harvey définit le droit à la ville comme « le droit de rebâtir et de recréer une ville en tant qu’organe politique socialiste ». Pour mettre un terme à la production des villes destructrices, les luttes anticapitalistes doivent revoir la conceptualisation de classe et redéfinir le terrain où se jouent les luttes.

Premièrement, le prolétariat traditionnel industriel est aujourd’hui remplacé par les travailleurs précaires des villes. Ce glissement met en exergue l’inscription dans le tissu social de discriminations fondées sur le sexe, la race, l’appartenance ethnique, la religion ou la culture. Deuxièmement, les rapports de domination s’exerçant majoritairement en ville, les syndicats devraient élargir leur angle de vue aux espaces de vie et organiser leur lutte dans la ville au sens large au-delà des lieux de travail.

Cette mobilisation anticapitaliste doit être solidaire et se coordonner à l’échelle mondiale au sein d’un système fédéré, par l’intermédiaire d’une imbrication de multiples réseaux urbains hiérarchisés, à la fois corporatistes, « démocratiques, égalitaires et horizontaux », dissonants et frondeurs. En ce sens, David Harvey examine certaines pratiques politiques urbaines dans des contextes révolutionnaires : l’instauration d’un socialisme municipal en France avec la création des services publics et la « Bologne rouge » dans les années 70 en Italie. Il évoque d’autres dispositifs démocratiques progressistes comme les assemblées populaires, les syndicats fondés sur le système d’assemblées, les comités de quartiers, les organisations transversales intégrant divers acteurs urbains. Ces dispositifs sont propices au débat et à l’expression des conflits indispensables à l’élaboration de luttes communes.

David Harvey met en exergue l’expérience des soulèvements urbains de 2003-2005 de la ville d’El Alto en Bolivie et en conclut que la construction d’une « ville politique » est possible lorsque des syndicats s’allient avec les travailleurs précaires, les petits promoteurs, les travailleurs informels ainsi que les associations et mouvements de quartier. Les émeutes urbaines de Londres ou le mouvement Occupy Wall Street de 2011 vont également dans ce sens.

8. Conclusion

Pour lutter contre l’argent roi et faire émerger une alternative durable au modèle capitaliste, les mouvements de lutte urbaine doivent se coordonner par le biais des espaces urbains, notamment culturels, autour d’un but commun : le droit à la ville. Les villes constituant des lieux propices aux transformations sociales, économiques et environnementales, elles permettent d’organiser une opposition politique à l’accumulation des richesses par les élites.

Les mouvements sociaux et citoyens doivent ainsi se réapproprier le droit collectif de façonner la ville grâce à des dispositifs alternatifs, démocratiques et transversaux pour que toute la population accède à des conditions de vie digne et de qualité.

9. Zone critique

David Harvey signe un essai stimulant dans le domaine de l’urbanisation. S’inscrivant dans une littérature critique foisonnante, il constitue un ouvrage original qui présente une analyse marxiste de la ville. Dans la lignée des auteurs comme Manuel Castells, il estime que l’aménagement et l’urbanisme sont des mécanismes de divisions et d’inégalités au service des pouvoirs publics. À l’instar de Mike Davis, il adopte une vision militante, cherchant un moyen de combattre le capitalisme à travers une réflexion à la fois sociale et spatiale.

Pour David Harvey, la ville est le lieu idéal de concentration des luttes. Enrichissant l’idée de droit à la ville d’Henri Lefebvre avec les concepts de travailleurs précaires et de lieux de vie des travailleurs, l’auteur envisage la notion comme un levier de transformation de la ville. David Harvey entend contribuer à l’émergence d’un droit à la ville réel qui permette de révolutionner le modèle d’urbanisation actuelle.

10. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Les villes rebelles – Du droit à la ville à la révolution urbaine, Paris, éditions Buchet/Chastel, 2015.

Du même auteur– Géographie de la domination, Paris, Les prairies ordinaires, 2008– Le capitalisme contre le droit à la ville : néolibéralisme, urbanisation, résistances, Amsterdam, 2011

Autres pistes– Henri Lefebvre, Le droit à la ville, Paris, Economica, 2009 [1968].

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