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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Contre les élections

de David Van Reybrouck

récension rédigée parMorgan DonotDocteure en science politique (CNRS- Paris 3).

Synopsis

Histoire

Partant du constat d’une remise en cause généralisée de la démocratie dans les sociétés occidentales contemporaines, David Van Reybrouck se fait l’ardent défenseur d’une ancienne pratique décriée : le tirage au sort. Son constat est sans appel : la démocratie telle que nous la connaissons se meurt ; les citoyens s’en détournent, la confiance dans les institutions démocratiques est en chute libre, les taux d’abstention n’ont jamais été aussi élevés. Il appelle donc à démocratiser la démocratie.

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1. Introduction

L’auteur dresse tout d’abord un état des lieux des démocraties représentatives contemporaines et de tous les maux qui les accablent, reprenant la thèse classique de la crise de la représentation.

Après avoir posé plusieurs diagnostics quant à cette crise, il opère un retour historique sur les deux procédures que sont le tirage au sort et les élections pour comprendre la lente imposition du système représentatif électif, coupable, selon lui, du syndrome de fatigue politique à l’œuvre aujourd’hui. Filant la métaphore médicale, le remède proposé est l’instauration d’un modèle bireprésentatif.

2. Le paradoxe de la démocratie

Tout le monde semble aspirer à vivre en démocratie, mais plus personne n’y croit. Ce paradoxe souligne la crise de méfiance exprimée par les citoyens à l’encontre des institutions démocratique – gouvernements, partis politiques et parlements. Cette méfiance est expliquée par les hommes politiques en termes d’apathie citoyenne.

À l’encontre de cette thèse, Van Reybrouck défend l’idée d’un accroissement de l’intérêt pour la politique et d’une frustration citoyenne vis-à-vire des dires et des faits des hommes politiques. On serait ainsi passé d’une époque marquée par l’apathie et la confiance politiques dans les années 1960 à une période d’enthousiasme et de méfiance politiques à partir des années 2000, en raison d’une crise de légitimité et d’efficacité.

La crise de légitimité de la démocratie se manifeste par l’augmentation de l’abstention, la volatilité électorale et le déclin du militantisme. Quant à la crise de l’efficacité, prenant l’exemple de la Belgique, l’auteur met en exergue les difficultés de plus en plus ardues pour former un gouvernement. Plus largement, cette crise se manifeste par les sanctions exprimées vis-à-vis des partis de gouvernement : les partis ayant participé à un gouvernement sortant sont régulièrement sanctionnés par les urnes.

L’action publique est devenue synonyme d’impuissance publique face à la multiplicité des acteurs et des niveaux de décision. Cette crise de l’efficacité aggrave de fait la crise de légitimité, dessinant les contours du syndrome de fatigue démocratique.

3. À qui la faute ?

La crise de la démocratie est due avant tout à une crise du personnel politique. Ces propos sont relayés avec force en Europe par les leaders des partis populistes. Prétendant incarner le (véritable) peuple, ils proposent un remède simple : une meilleure représentation nationale via l’élection des représentants de leur parti.

Tout comme le peuple n’est pas unitaire, le populisme n’est pas la solution pour guérir la démocratie de ses maux. Cela étant dit, le diagnostic n’est pas dénué de fondement. Selon Van Reybrouck, nos régimes seraient des « démocraties diplômées », fait accentué par la professionnalisation politique.

Dans une autre perspective, la faute en incombe à la technocratie. La politique, confondue avec la simple gestion des affaires et des problèmes publics, est confiée à des spécialistes détachés des préoccupations électorales. Si cela peut être un gage d’efficacité, la technocratisation de la prise de décision n’engendre pas nécessairement la légitimité. La politique n’est pas qu’une question de bonne gestion.

Plus largement, la faute reviendrait au système de la démocratie représentative. La seule solution serait de mettre en œuvre un système réellement démocratique, à savoir une démocratie directe égalitaire. Cette alternative a été portée par le mouvement Occupy Wall Street à travers son slogan : « Nous sommes les 99% », et a essaimé dans d’autres points du globe avec notamment les Indignados espagnols. Si ces mouvements révélaient bien le malaise démocratique de nos sociétés contemporaines, le remède proposé n’apparaît pas satisfaisant en raison de leur antiparlementarisme viscéral.

Selon Van Reybrouck, le syndrome de fatigue démocratique ne serait pas provoqué par la démocratie représentative en tant que telle, mais par la démocratie représentative élective. Il conteste l’idée majoritairement admise que la seule manière d’être représenté passe par l’élection. Il propose un parcours historique du XVIIIe siècle à nos jours, retraçant le chemin qui nous a convertis en « fondamentalistes des élections » (p.52).

Le système électoral, dévoyé par les logiques médiatiques et partisanes, est devenu l’ennemi du long terme et de l’intérêt général, à la faveur d’une vision court-termiste et des intérêts politiques et partisans. La démocratie est réduite aux élections.

4. Réponses historiques à l’aspiration démocratique

Afin de comprendre comment on en est arrivé à cette situation de malaise démocratique, l’auteur propose un rapide parcours historique des formes de démocratie qui ont existé dans le passé. Il porte une attention particulière aux institutions et aux modes de fonctionnement de la démocratie grecque antique, dans laquelle le tirage au sort jouait un rôle important. Ce qui l’amène à définir la démocratie athénienne comme une démocratie représentative non élective ou, plus exactement, une démocratie représentative aléatoire.

De la République romaine aux cités-États italiennes et espagnoles de la Renaissance, Van Reybrouck tire plusieurs leçons de l’utilisation du tirage au sort. C’est un instrument politique utilisé dans un territoire restreint, avec des procédures diverses, dont l’utilisation a souvent coïncidé avec l’apogée de la puissance du territoire considéré et ayant comme effet de réduire les conflits et d’accroître l’implication des citoyens. Fait notable : le tirage au sort a toujours été utilisé en combinaison avec les élections, gage de compétence. La combinaison du tirage au sort et de l’élection peut résoudre les maux de la démocratie représentative, en conciliant légitimité et efficacité.

C’est durant les périodes révolutionnaires que le tirage au sort a été abandonné. Les gouvernements représentatifs qui apparaissent dès la fin du XVIIIe siècle étaient une combinaison d’éléments mixtes : aristocratiques par le recrutement du personnel politique, ils étaient démocratiques par le droit de vote. Les pères fondateurs des démocraties américaine et française ont d’emblée posé une distinction qualitative entre les représentants et les représentés. Ce qui fait dire à l’auteur que la Révolution française « a chassé une aristocratie héréditaire pour la remplacer par une aristocratie librement choisie » (p.108) : une aristocratie élective.

Les élections ont acquis un caractère démocratique dès le XIXe siècle, notamment grâce à la publication de l’ouvrage d’Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique.

À partir du milieu du XIXe siècle, les revendications populaires ont commencé à se concentrer sur l’extension du droit de vote à toutes les couches de la population. Dans le même temps, la pratique de la conscription pour le service militaire à travers le tirage au sort avait durablement implanté l’idée que celui-ci était injuste et inégalitaire, le discréditant durablement.

5. Le tournant délibératif

Depuis la fin du XXe siècle, on assiste à un tournant délibératif, que ce soit dans les sciences sociales ou dans des expériences concrètes, souvent à l’échelon local. Van Reybrouck revient sur un certain nombre de projets de démocratie délibérative et participative, alliant l’auto-sélection des citoyens pour plus d’efficacité et le tirage au sort pour plus de légitimité.

En effet, il faut se garder de fonder un processus délibératif uniquement sur la candidature spontanée des citoyens, au risque que la participation donne naissance à une « aristocratie auto-élue » en remplacement de l’« aristocratie élue ». De même, la démocratie délibérative se distingue de la pratique du référendum : si les deux se fondent sur la consultation citoyenne, le référendum vise à récolter des opinions individuelles, alors qu’une opinion publique éclairée doit émerger lors d’une délibération.

6. Démocratiser la démocratie

Le renouveau démocratique doit donc s’incarner dans des assemblées mixtes. Un Parlement composé de façon aléatoire favorise la légitimité en rétablissant l’idéal d’un partage équitable, mais aussi l’efficacité en luttant contre les batailles médiatiques et les jeux partisans.

L’auteur analyse cinq projets d’assemblées législatives incluant le tirage au sort pour en proposer un bilan. Les expériences actuelles concernent de grandes entités ; elles sont souvent menées à l’échelle d’un pays, à la différence des projets antérieurs. Elles ont fait émerger un consensus quant à la durée de ces expériences, mais aussi concernant la nécessaire rémunération des participants. Il doit être proposé aux citoyens une formation, gage de compétences. L’assemblée tirée au sort est complémentaire d’une autre chambre élue.

Plusieurs dilemmes existent pour créer une autre forme de délibération : la taille du groupe sélectionné, le mode de sélection approprié, la méthode et la dynamique de délibération, et la durée d’existence de cette assemblée.

Ainsi, l’auteur propose un modèle qui se compose de plusieurs instances pour qu’elles se renforcent mutuellement et afin d’atténuer les inconvénients. Un système fondé sur le tirage au sort réintègre la politique au plus près des citoyens et tend à faire disparaître la distinction entre gouvernants et gouvernés. La voie à suivre serait donc celle d’un modèle bireprésentatif, avec une représentation nationale combinant élection et tirage au sort. Les compétences des hommes politiques de métier s’allient à la liberté des citoyens tirés au sort qui n’ont pas à se préoccuper de leur réélection ; le modèle électif et le modèle aléatoire fonctionnent main dans la main.

Face aux défis qui assaillent nos démocraties, le tirage au sort apparaît comme « une formidable école de la démocratie » (p.180) : les citoyens découvrent la complexité de la négociation et de la prise de décision, les politiques prennent conscience de la capacité décisionnelle des citoyens. Renforçant de fait l’implication citoyenne, le modèle bireprésentatif améliore la capacité d’action politique et la relation entre gouvernants et gouvernés.

7. Conclusion

Face à la destruction annoncée de notre démocratie, la conclusion proposée par David Van Reybrouck est claire : le tirage au sort fait partie intégrante de tout régime qui se prétend démocratique.

Son plaidoyer en faveur d’une démocratisation de la démocratie vise à adapter nos régimes à l’époque contemporaine, marquée par une communication décentralisée et une interactivité permanente. Le recours au tirage au sort n’est pas le remède miracle à la crise de la démocratie représentative actuelle, mais il permettrait de corriger un certain nombre de défauts actuels du système. Il s’agirait donc de réellement mettre en place un gouvernement du peuple, pour le peuple, mais aussi par le peuple.

8. Zone critique

La réflexion virulente et stimulante de David Van Reybrouck a le grand mérite de montrer comment une démocratie peut être organisée sur des bases complétement différentes, en réhabilitant la pratique si décriée du tirage au sort.

Cependant, dans sa volonté de « décoloniser la démocratie » (p.190) et d’instaurer un modèle bireprésentatif, l’auteur ne laisse que peu de place à une réflexion théorique sur le système représentatif, sur ses tensions et éléments inhérents. Il stigmatise la pratique et la professionnalisation politiques comme l’un des maux de notre époque actuelle, sans en souligner les mérites et les vertus.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– David Van Reybrouck, Contre les élections, Arles, Actes Sud, 2014.

Du même auteur– Congo, une histoire, Arles, Actes Sud, 2012.

Autres pistes– Loïc Blondiaux, Le Nouvel Esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, Paris, Seuil, 2008.– Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Postface inédite « La démocratie du public reconsidérée », Paris, Seuil, 2012 (2e édition).– Pierre Rosanvallon, La Contre-Démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Seuil, 2006.– Pierre Rosanvallon, Le Parlement des invisibles, Paris, Seuil, 2014.– Dominique Rousseau, Radicaliser la démocratie. Propositions pour une refondation, Paris, Seuil, 2015.– Pierre-Henri Tavoillot, Comment gouverner un peuple-roi ? Traité nouveau d’art politique, Paris, Odile Jacob, 2019.– Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique I et II, Paris, Gallimard, 1992 [1835 et 1840].

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