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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Comment les rabbins font les enfants

de Delphine Horvilleur

récension rédigée parClara BoutetDoctorante en anthropologie sociale (EHESS/EPHE).

Synopsis

Société

Comment devient-on Juif ? Question de croyance et de pratique ? Pas seulement, puisque le peuple juif se reconnaît issu d’une même filiation. Est-ce alors question de biologie ou bien d’héritage, voire d’apprentissage ? Delphine Horvilleur revient sur les subtilités de la transmission juive pour évoquer la complexité de l’appartenance religieuse, communautaire et identitaire. L’ouvrage montre à quel point transmission ne signifie pas réplication : on ne produit pas de l’identique. C’est là la richesse du judaïsme et de la Thora de se soumettre à une multiplicité d’interprétations pouvant aller jusqu’à la contradiction.

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1. Introduction

L’ouvrage traite de la fabrique des parents, de l’identité, du désir. Il aborde les questions de filiation, de transmission, d’appartenance, et d’identité au prisme du judaïsme, tout en produisant une réflexion plus large sur le sens de la transmission dans la société contemporaine. De fait, l’individu contemporain est pris entre, d’une part, l’injonction de la société individualiste pour laquelle l’homme doit se construire lui-même dans un fantasme d’auto-fondation et, d’autre part, le repli identitaire qui conduit au communautarisme.

Avec la transmission, notamment en matière de religion, on suggère l’emprise du groupe sur l’individu, là où l’individu devrait avoir le choix. Mais la liberté de choix ne peut-elle pas s’exprimer à partir du moment où une option est déjà présélectionnée ? C’est à partir de l’héritage reçu que l’on peut, librement, choisir de s’en détacher, ou de le renforcer. Sans transmission culturelle, sans bain de langage, on ne peut parvenir à construire son identité propre. « Notre époque […] est prompte à dénoncer toutes les aliénations, particulièrement celles des familles, et à encenser le principe de libération de l’individu au nom du droit qu’aurait chacun dès l’enfance à s’autodéterminer, à se libérer du carcan que la naissance impose » (p. 12).

Nait-on Juif ou le devient-on ? Affaire de naissance, de croyance ou de pratique ? Cette interrogation guide la réflexion de Delphine Horvilleur qui, pour donner des pistes de réponses, mêle mythologie biblique et culture populaire contemporaine. L’auteure manie l’humour tout au long de l’ouvrage ce qui lui permet, à travers les stéréotypes, d’aborder des questions fondamentales, de la réputation de la mère juive (« Mon chéri, mets un pull parce que j’ai froid ! ») à la (remise en) question de la filiation matrilinéaire dans le judaïsme.

2. La sortie d’Égypte

Le récit de la sortie hors d’Égypte (l’Exode) tient une place centrale dans la tradition juive. Le récit, lu à Pessah, la Pâque juive, raconte l’émancipation des Hébreux tenus en esclavage en Égypte depuis des siècles. Ils parviennent, sous la conduite de Moïse et d’Aaron, au pays de Canaan. Après le célèbre épisode de la traversée de la mer à pied sec survient l’un des événements fondateurs du judaïsme, où Moïse reçoit les Tables de la Loi au mont Sinaï.

L’Égypte fait figure de matrice pour le peuple hébreu quand bien même la terre promise est ailleurs. L’Exode est perçu comme un enfantement ou un engendrement dans une métaphore filée jusqu’à la volonté de retour du peuple vers la terre mère. Lors de la fête de Pessah, chaque convive revit la sortie d’Égypte à la première personne, bien qu’il s’agisse d’un passé collectif. Si on ne sait pas quelle valeur historique on peut donner à ces événements, ils sont en tout cas mythiques au sens où ils font écho au présent et peuvent être revécus en tout temps. Il s’agit de la libération que chacun peut faire intimement, pour soi.

La lecture proposée par Delphine Horvilleur appelle un renouvellement continu et sans cesse réitéré qui concerne l’avènement du sujet, dans une attitude proche de la lecture psychanalytique, ce qui apparaît notamment dans le dialogue avec Marie Balmary. Cette dernière met la psychanalyse en dialogue avec la Bible, à partir de l’étymologie, qu’elle soit grecque ou hébraïque. Ici, l’hébreu est davantage sollicité et conduit à ce type de relecture : par exemple, Mitzrayim est le nom hébreu de l’Égypte, il provient de la racine tzar, qui signifie l’étroitesse. L’étymologie conforte l’image de l’Égypte matricielle pour le peuple hébreu.

3. La circoncision, entre mutilation et bénédiction

La pratique de la circoncision (en hébreu, brit-mila) connaît diverses justifications. Certains y ont recours sans se revendiquer du judaïsme, pour des raisons que l’on dit hygiénistes, d’autres se définissent juifs non pratiquants, mais n’y dérogent pas à la naissance de chacun de leurs fils. La circoncision sert à marquer l’histoire dans la chair, avec l’idée que c’est ce qui reste quand on a tout oublié. Elle est le vecteur de la mémoire.

Cette pratique connaît de farouches opposants appelés « intactivistes ». Ces militants du « prépuce intègre » (p. 45) défendent la protection de l’enfant contre les croyances religieuses de ses parents. Les intactivistes craignent les conséquences physiologiques et psychologiques engendrées par cette mutilation génitale.

La circoncision symbolise la séparation avec la mère. Par ailleurs, la Brit-Mila est manifestement en lien avec une histoire d’affirmation du genre… mais lequel ? Certains défendent qu’elle contribue à la masculinisation, d’autres à la féminisation. Soit le prépuce est perçu comme une partie anatomique féminine qu’il faut ôter au petit garçon dans l’idée de le décontaminer de la féminité maternelle dans laquelle il a baigné, soit, au contraire, l’ablation du prépuce inscrirait du féminin dans la chair. Quoi qu’il en soit, la circoncision fait un trou : elle crée un manque, rejoignant symboliquement ainsi les questions ayant trait au désir et au langage.

4. La matrilinéarité en question

Pour le judaïsme orthodoxe, un Juif est l’enfant d’une mère juive. Le judaïsme est réputé matrilinéaire, c'est-à-dire que la filiation se fait par la mère. Or l’auteure montre que la lecture matrilinéaire constitue quasiment une usurpation ou, a minima, une caricature qui dissimule la complexité de la transmission.

La matrilinéarité s’appuierait sur un verset du Deutéronome et sur la prophétie d’Ezra qui aurait expulsé les femmes étrangères et leurs enfants de Jérusalem dans une forme de décontamination culturelle. Mais on ne trouve pas de référence directe à la justification matrilinéaire dans la Bible.

Dans la Mishna, livre qui recense une partie de la tradition orale hébraïque, il est écrit que dès lors que le mariage est valide et l’union sans transgression, l’identité dépend du père : « Lorsqu’une femme qui ne peut virtuellement contracter de mariage légal s’est unie à un partenaire avec lequel elle ne peut établir une validité de mariage, l’identité de l’enfant sera conforme à la sienne » (cf. Shaye Cohen). En somme, Delphine Horvilleur montre que, si l’on suit les textes, l’origine de la matrilinéarité n’est pas attestée et difficilement déductible. Lorsque deux Juifs sont en droit de se marier, la patrilinéarité prévaut et, à celle-ci s’adjoint une matrilinéarité « par défaut », comme le montre le texte de la Mishna, pour les cas de mariages mixtes notamment.

Depuis les années 1980, le judaïsme libéral (américain, d’abord) a revu le droit juif traditionnel en matière de filiation et reconnaît une filiation bilinéaire : si l’un de ses parents est Juif, l’enfant bénéficie d’une présomption de judéité qui sera validée par les rites habituels. Ainsi, « le judaïsme devient affaire de culture et de pratique, plus que de filiation biologique. L’éducation devient le critère premier d’identité » (p. 113). Quant aux Juifs libéraux de France, ils s’appuient sur le principe de matrilinéarité, mais facilitent l’intégration des enfants de père Juif.

5. La transmission ascendante

Delphine Horvilleur montre que la tradition juive porte l’idée d’une transmission à l’envers : ce sont les générations à venir, dans l’expression de leur judaïsme propre, qui donneront à leurs ancêtres leur identité. Dans une certaine mesure, c’est le Juif à venir, encore dans la matrice, qui reconnaîtra la judéité de ses ancêtres : « Le judaïsme […] fait souvent de la génération suivante la raison d’être de l’engagement de la génération précédente » (p. 116). Dans la Thora, le terme « histoire » trouve son équivalent dans un mot, toledot, qui renvoie à l’engendrement. Il s’agit d’une vision gestationnelle du temps.

L’enseignement du judaïsme raconte qu’un savoir religieux précède la naissance : l’embryon possède la Thora dans le ventre maternel, il en connaît intégralement les préceptes. Juste avant la naissance, il est frappé d’amnésie et devra réapprendre l’ensemble de la Loi. Pour certains, une pratique impeccable précède également la naissance. Les générations suivants se veulent garantes de l’histoire collective : « Chaque génération ne sort d’Égypte et ne reçoit la Thora qu’au nom de celle qui viendra après elle » (p. 134).

L’Exode (la libération) et la révélation au mont Sinaï sont réintégrés dans les biographies personnelles : ce sont deux moments de l’histoire à la fois collective et individuelle. En étant événements du passé, mais aussi du présent, ils appartiennent, déjà, à l’histoire des générations à venir et sont au cœur de la transmission. L’auteure parle du temps juif comme d’une « gestation du possible » (p. 138) : la révélation est sans cesse revécue et renouvelée à travers la narration et les rites.

6. Ruth la Moabite, figure de l’admission du converti

Si le judaïsme interroge la question de la filiation, notamment à travers la matrilinéarité, il demeure une possibilité pour le non-juif d’intégrer la communauté. La religion juive n’est pas prosélyte, c'est-à-dire qu’elle ne cherche pas à fidéliser de nouveaux membres puisque son héritage se transmet, nous l’avons vu, par la filiation. Cependant, des cas de conversions sont évoqués dans la Bible et certains engendreront des personnages centraux. Parmi les convertis bibliques, Ruth la Moabite apparaît comme une figure incontournable.

Ruth épouse un hébreu et se lie au destin d’Israël. Sa descendance verra naître le roi David (dont elle est l’arrière-grand-mère) : elle est donc « l’ancêtre directe de la lignée messianique. Sans Ruth convertie, pas de messie ! Sans accueil du converti, pas de rédemption possible pour le peuple juif » (p. 146). Là encore, on observe la trace de la transmission inversée puisque la place de Ruth est centrale en tant qu’ancêtre de David et non en tant que fille de tel membre de la communauté.

Une fois l’appartenance établie, après un parcours long et complexe jusqu’à la conversion, elle n’est plus soumise à révision : un juif non pratiquant, comme un juif athée ou agnostique, demeure juif du point de vue de la communauté. Au sein du judaïsme, l’exclusion (H’erem) n’ôte d’ailleurs pas l’identité juive. De même, un converti est considéré comme un juif à part entière et on ne saurait le taxer d’une judéité moindre de par la filiation non-juive dont il est issu. Il rejoint la communauté et reconnaît Abraham, Isaac et Jacob comme ses pères.

7. Conclusion

On relève un certain mépris du judaïsme pour le célibataire et pour l’abstinent, car ils ne répondent pas au commandement de procréer (qui ne concerne d’ailleurs que les hommes). L’attachement à la transmission et à la filiation est tel que contrevenir à l’injonction « Croissez et multipliez-vous » (Genèse, 1, 28) est considéré comme un blasphème. De fait, sans descendance, l’homme n’est plus tout à fait à l’image de Dieu et ne répond plus à sa volonté.

Filiation et transmission sont au cœur de la tradition juive et parlent à chacun de la juste mesure entre ce que l’on reçoit et ce que l’on en fait. « Telle est l’ambiguïté de la transmission : ne pas appartenir condamne à mourir, et trop appartenir, à ne jamais devenir soi » (p. 13).

8. Zone critique

Delphine Horvilleur prend le parti, à travers le particularisme du judaïsme, de rappeler à chacun de ses lecteurs que nous ne nous sommes pas faits tout seuls. Elle contribue ainsi à rompre le fantasme de l’homme comme origine de lui-même alors même que la société contemporaine nous assène d’une injonction continue à nous penser comme uniques détenteurs de notre propre destin.

L’auteure montre que ce que l’on reçoit par la transmission n’est pas voué à être reproduit à l’identique mais, qu’au contraire, accepter un héritage, qu’il soit culturel ou religieux, fonde notre liberté à naître comme sujet.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Delphine Horvilleur, Comment les rabbins font les enfants. Sexe, transmission, identité dans le judaïsme, Paris, Grasset et Fasquelle, 2015.

De la même auteure– En tenue d’Ève. Féminin, pudeur et judaïsme, Paris, Grasset, 2013.– Avec Rachid Benzine, Des mille et une façons d’être juif ou musulman, Paris, Seuil, 2017.– Réflexions sur la question antisémite, Paris, Grasset, 2019.

Autres pistes – Jean-Christophe Attias, Penser le judaïsme, CNRS Éditions, 2010.– Marie Balmary, Abel ou la Traversée de l’Éden, Grasset, 1999.— La Divine Origine. Dieu n’a pas créé l’homme, Grasset, 1993.– Shaye Cohen, « Le fondement historique de la matrilinéarité juive », in Rivon Krygier (dir.), La Loi juive à l’aube du XXIe siècle, Biblieurope, 2000.– Amos Oz et Fania Oz-Salzberger, Juifs par les mots, Gallimard, 2012.

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