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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Père-fille

de Didier Lauru

récension rédigée parCatherine Piraud-RouetJournaliste et auteure spécialisée en puériculture et éducation.

Synopsis

Psychologie

Pour devenir une femme, chaque fille doit assumer pleinement sa féminité, dans le domaine amoureux et sexuel comme dans son désir d’être mère. Le père est l’un des piliers de cette réussite. Le lien intense qui se noue entre la fille et son père, caractérisé par l’interdit fondateur de l’inceste, présidera à la qualité de l’épanouissement du féminin. À la condition, toutefois, que le regard mutuel de l’un envers l’autre parvienne à éviter l’écueil d’un désir non surmonté, de l’enfance à l’âge adulte.

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1. Introduction

Pour la fille comme pour le garçon, les bases de la sécurité affective sont, dans un premier temps, prodiguées par la mère. Mais le rôle du père est également fondamental.

D’abord, pour limiter les effets de cette relation si intense que l’on parle parfois de « ravage maternel ». Mais aussi parce qu’il représente l’indispensable structure qui permettra à la fille de se construire et d’épanouir sa féminité. Cette lente transformation s’effectue à travers le regard qu’il portera sur elle. Ce lien d’amour entre un père et sa fille est unique, puisqu’il ne peut se traduire dans la sexualité. En respectant l’interdit de l’inceste, le père autorise sa fille à échapper à son emprise pour devenir une femme et aimer un autre homme.

Mais parfois, d’un côté ou de l’autre, la qualité de ce regard dérape, empêchant la fille devenue femme de vivre sa vie personnelle et amoureuse de manière sereine. C’est la complexité de ce lien père-fille que décrypte le psychanalyste Didier Lauru, au travers de nombreuses histoires issues de sa pratique.

2. L’interdit de l’inceste et le complexe d’Œdipe au féminin

Le père joue un rôle essentiel en tant que représentant de l’autorité, de la puissance et de la loi. Il est à la fois porteur de la loi universelle de l’inceste et garant de cette même loi. Mais selon la psychanalyse, par leur existence même, ces interdits supposent la présence de désirs secrets et enfouis : le désir d’inceste ou de meurtre fait partie intégrante de la structure de la psyché humaine. La relation entre un père et sa fille est donc placée sous le signe de l’ambivalence, oscillant entre un désir incestueux plus ou moins inconscient et l’interdit de celui-ci.

Ces attitudes ambivalentes de certains pères dans le développement de la féminité de leur fille passent notamment par le regard qui, à la différence de la parole, a du mal à se cacher. En dehors même de tout passage à l’acte incestueux – qui induirait des dommages sévères et profonds dans le psychisme de la fille –, l’ambiguïté du regard paternel peut entraver l’épanouissement de la féminité de celle-ci. Beaucoup de femmes pleurent, sur le divan de leur analyste, la perte d’un père idéal dont elles espéraient l’amour immodéré et éternel. Mais c’est justement le refus paternel de répondre à une telle demande qui leur permet de s’ouvrir au plein essor de leur féminité. C’est la façon dont le père vit l’interdit de l’inceste qui va autoriser la fille à se vouloir femme et désirante.

Le complexe d’Œdipe se conjugue aussi au féminin. Comme le garçon, la petite fille voue d’abord un amour fusionnel à sa mère, à tel point que Lacan parle de « ravage » maternel. La fillette se pense d’abord séduite par la mère et désire que celle-ci lui donne un enfant. Mais, faute de pénis (complexe de castration), le fantasme tourne court. Elle se tourne alors vers le père qui, ayant un pénis, est en mesure de lui donner ce que sa mère lui a refusé.

Dans un deuxième temps, la petite fille rêve donc d’épouser son père et d’en recevoir un enfant en cadeau, ainsi que de tuer sa mère, sa rivale. Freud avait noté que, dans une évolution psychique normale, ce complexe d’Œdipe est ensuite lentement abandonné. C’est ce « renoncement au père » qui permettra à la fillette, devenue femme, de se tourner vers l’homme qui lui permettra d’épanouir sa féminité et d’accomplir son désir d’enfant.

3. La construction de la relation père-fille

La relation père-fille est donc une interaction qui se construit au fil du temps, autour du regard et des paroles de chacun. Elle prend ses racines avant même l’enfance de la fille, dans le désir d’enfant de chacun des parents. Lequel peut être entravé par l’histoire même du sujet, sur le plan symbolique ou physique.

La place respective de la mère et du père dans la famille et dans l’éducation des enfants joue aussi. Mais la relation connaît, dans tous les cas, une charnière importante au moment de l’adolescence. Entre les deux parties, c’est l’épreuve de la confrontation à la sexualité : la sienne et celle de l’autre. « Pour la première fois, le fantasme peut être mis en acte puisque le corps est devenu apte à avoir des rapports sexuels », note Didier Lauru (p.89).

Devenir femme résulte en effet d’un apprentissage, notamment de la sexualité. Apprentissage conditionné par le regard du père. Car, dans la façon qu’il a de la faire exister, le regard paternel servira, pour la fille, de référence à la femme qu’elle deviendra dans son positionnement face aux hommes. Cet apprentissage passe d’abord par un éloignement mutuel de la fille par rapport au père : les câlins fréquents et innocents de l’enfance n’ont plus lieu d’être, tandis que l’adolescente remet en question l’autorité jusqu’ici inconditionnelle du père, à mesure que ses faiblesses d’homme se dévoilent à ses yeux. Elle doit faire le deuil de cette image idéale, pour se rapprocher d’autres figures de référence (amis, enseignants ou animateurs, stars de cinéma ou de la musique, etc.).

Toutefois, ce passage n’est jamais exempt de désir, du côté du père comme de la fille. Entre le trop et le trop peu, la position du père est des plus délicates. Pour être rassurée sur sa capacité à plaire et à se faire aimer, la jeune fille a besoin d’être reconnue par son père en tant que femme. S’il ne la regarde pas assez, elle cherchera toute sa vie l’amour dans le regard des hommes qu’elle rencontrera. Mais si le père la regarde avec ambiguïté, elle risque de se figer dans une position névrotique articulée autour de son père, qui entravera toute sa vie amoureuse.

4. Quand le rapport père-fille est fusionnel

Sigmund Freud, fondateur de la psychanalyse, a aussi été père. Il a entretenu un rapport fusionnel avec sa benjamine, Anna. Entre eux, le processus d’identification était poussé à l’extrême. L’identification est l’un des mécanismes majeurs à l’œuvre dans la constitution de la psyché humaine.

C’est par le nom que transmet le père que ce dernier exprime son désir et inscrit symboliquement l’enfant dans une lignée. Les processus d’identification sont en grande partie inconscients. Ils s’effectuent dès la première enfance, avec une résurgence importante à l’adolescence, et sont constitutifs de la structure de la personnalité. Chez la fille, la problématique de l’identification comporte des éléments parfois conscients et explicites – le désir de ressembler au père par l’un de ses traits de caractère –, mais aussi inconscients.

Certaines femmes vouent ainsi leur vie à prouver à leur père qu’elles feront mieux que lui, sur le plan professionnel comme personnel. À l’instar de Jacqueline, la cinquantaine, qui a derrière elle des années de souffrance et de difficultés relationnelles. Elle est habitée par la figure d’un père agaçant et séduisant à la fois. Enfant, avec son père, elle a vécu une « véritable lune de miel ». Par la suite, son père tombe en dépression, tandis que sa mère retombe enceinte, ce qu’elle vit comme une suite de trahisons. L’adulation qu’elle portait à son père se transforme alors en une attaque en règle, tandis que les liaisons qu’elle entreprend se soldent par des ruptures : passée la lune de miel initiale, elle se montre agressive envers ses amants. À la suite de son analyse, Jacqueline finit par s’assouplir et gagne en sérénité.

L’aspect fusionnel peut aussi venir du père. Un homme ayant eu un attachement intense et non résolu à sa mère a de fortes chances de répéter avec sa fille ces mêmes modalités d’attachement. C’est le cas de Régis, la cinquantaine, qui entretient une relation particulière avec sa fille aînée, Camille. Elle lui rappelle sa propre mère, dont il admirait la beauté et qui le troublait sexuellement. Lorsque sa fille s’éloigne de lui, il ressent douleur et culpabilité. Ce n’est que lorsqu’il finit par accepter son attirance conjointe pour sa mère et sa fille qu’il commence à sortir de sa dépression.

5. Quand la fille est tétanisée par l’image d’un père idéal

Isabelle, 40 ans, est dépressive et insatisfaite sur le plan affectif. Professionnellement, elle a suivi la voie que son père lui avait tracée à son adolescence et qu’il désirait pour elle. Aucun homme ne pouvait la combler, car elle était restée fixée à une image idéale – mais faussée – de son père.

Grâce à l’analyse, elle s’autorise enfin à être une femme au sens plein du terme. Même syndrome chez Émilie, 28 ans, frigide, insatisfaite sur le plan affectif et dénuée de perspectives. Elle regrette que son mari n’ait pas toutes les qualités de son père, qu’elle admire énormément. Elle fantasme aussi de remplacer sa mère dans toutes ses prérogatives d’épouse. La levée de ses différents degrés de refoulement lui a rendu une partie de ses capacités à la jouissance.

D’autres femmes se retrouvent systématiquement dans la position de numéro 2, en s’orientant toujours vers un homme engagé ailleurs. On retrouve souvent dans ces choix un certain nombre de fixations inconscientes sur le père, la fille se vivant à une place où l’accès au père se fait uniquement par la mère : une place qu’elle reproduit dans ses choix amoureux en se remettant inconsciemment à la deuxième place. En témoigne Claire, 40 ans, nantie d’un père jugé admirable dont elle était très proche, mais avec qui elle s’est brouillée. Elle a toujours enchaîné les relations avec des hommes pris, avec une épouse ou avec leur mère. Elle finit par admettre qu’elle recherche un partenaire qui ressemble à son père. Au terme de l’analyse, elle finira par quitter son amant marié et à en prendre un autre libre de toute attache.

Parfois aussi les troubles se fondent sur la quête d’un père inconnu… et forcément idéal.« La disparition d’un père est pour une fillette ou une jeune fille une terrible épreuve qui peut la marquer dans sa vie et influencer durablement ses choix amoureux », note l’auteur. Devenues femmes, beaucoup d’entre elles tentent de retrouver une présence paternelle en choisissant des hommes plus âgés qu’elles comme partenaires.

6. Quand le père a failli : somatisations, homosexualité, asexualité, phobies…

À l’inverse, parfois la fille réalise que son père n’est pas à la hauteur de ses espérances et qu’elle ne pourra jamais satisfaire le désir de celui-ci. C’est dans ce décalage entre imaginaire et réel que vont naître insatisfactions ou frustrations. Nombre de femmes paient au prix fort le malaise né d’un regard inapproprié de leur père, traduisant des fantasmes, conscients ou non, sur leur fille : symptômes dépressifs avec passages à l’acte suicidaires, troubles alimentaires, épisodes d’auto-agressivité sous forme de scarifications, etc.

Parfois, la féminité se cache derrière une apparence androgyne, une « asexualité » revendiquée ou une anorexie. En toile de fond de toutes ces histoires de femmes se profile toujours une déception commune, « celle infligée par le père qui ne les a pas reconnues comme pouvant devenir femmes » (p.211). Didier Lauru évoque le cas de Claude, homosexuelle, au père incestueux et lubrique, ce qui l’a déterminée à adopter elle-même une position masculine – voire machiste – sur ses compagnes, comme une revanche. Hélène souffre de douleurs abdominales et de migraines. Elle se sent épiée, comme si son père l’observait en permanence. Noémie est sans relations depuis des années et souffre de vaginisme. Lorsqu’elle avait une dizaine d’années, son père l’avait surprise en train de se livrer à des explorations sexuelles avec ses voisins : elle n’a jamais oublié ses regards et ses commentaires désapprobateurs.

Les phobiques présentent souvent leur père comme impuissant dans la vie sociale et violent au sein de la famille. « La phobie représente une forme de menace intermédiaire qui se dresse, telle une barrière, contre la menace de l’inceste » (p.147). Ces troubles se manifestent parfois aussi par la peur du dehors, ou agoraphobie. Laquelle, selon Freud, impose une limitation à son moi pour échapper à ses pulsions érotiques.

C’est le cas de Valérie, 35 ans, victime d’attouchements pendant l’enfance par son beau-père et culpabilisée par le plaisir pris alors, indissociable de son dégoût. Le regard du père peut, enfin, s’exercer sous le prisme des secrets de famille. Certaines apprennent que leur père n’est pas leur vrai géniteur, avec à la clé un vide et des interrogations immenses. Autre cas de figure qui peut laisser des traces durables sur la psyché féminine : des pères bienveillants et aimants, mais qui, par ailleurs, ont une vie secrète (liaison, notamment).

7. Conclusion

« La légitimité de la féminité ne peut être donnée que par le père », résume l’auteur (p.216). Plus une femme se sent aimée dans le regard de celui-ci, plus son capital de séduction s’accroît. Mais à la condition que ce regard paternel – ainsi que les mots qui l’accompagnent le cas échéant – respectent à la lettre l’interdit de l’inceste. Dans tous les cas, l’amour du premier homme de sa vie va laisser sur sa féminité naissante une empreinte indélébile.

Pour devenir une femme épanouie, il ne suffit donc pas à une fille d’avoir été aimée par son père : « Encore faut-il qu’il l’ait aimée d’un regard juste, sans se l’approprier, quand bien même il se serait limité à le faire juste du regard » (p.22) Pour les filles en quête de père, il faudra passer par l’épreuve du transfert – la confrontation à leur attirance et/ou à leur colère envers leur analyste mais à l’impossibilité d’être avec lui, comme avec leur père – pour enfin se débarrasser de ce qui entravait leur vie de femme.

8. Zone critique

Un livre vivant et agréable à lire, qui éclaire d’un jour original, fascinant et dérangeant à la fois la thématique des relations père-fille. Original, car il est plus courant de voir analysé le rapport des filles avec leurs mères. Fascinant, car il met en exergue l’importance, dès le plus jeune âge, de ce regard que le père pose sur la fille, regard à la fois physique et psychologique. Et dérangeant, tant ce regard peut s’avérer, plus souvent qu’on ne le pense, inapproprié – voire incestueux – ou mal vécu par certaines filles.

On regrettera toutefois la teneur 100% freudienne du décryptage de ce mal-être. Décryptage décrétant souvent, en guise d’explication inconsciente au ressenti des filles, des fantasmes amoureux à l’endroit du père, assortis d’un désir de meurtre envers la mère. Une analyse qui date un peu, désormais, et qui aurait gagné à être enrichie de considérations issues des neurosciences (comment les émotions modifient notre cerveau, et inversement) ou davantage nourries du contexte ethnologique et social.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Didier Lauru, Père-fille. Une histoire de regard, Paris, Albin Michel, 2011.

Autres pistes– Alain Braconnier, Les filles et les pères, Paris, Odile Jacob, 2007.– Donatella Caprioglio, Pères-filles. Pourquoi est-ce si complexe ?, Paris, Fayard, 2014.– Véronique Moraldi et Michèle Gaubert, La Fille de son père. La relation père-fille : mode d’emploi, Paris, Les Editions de l’Homme, 2011– Didier Dumas, Sans père et sans parole. La place du père dans l’équilibre de l’enfant, Paris, Fayard, 2013.– Simone et Moussa Nabati, Le Père, à quoi ça sert ? La valeur du triangle père-mère-enfant, Genève, Jouvence, 1994.

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