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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Diane de Poitiers

de Didier Le Fur

récension rédigée parPierre BoucaudAgrégé d’histoire et docteur en histoire médiévale (Paris IV).

Synopsis

Histoire

Diane de Poitiers (1499 ?-1566) connut une belle ascension sociale à la cour. Catholique convaincue, plutôt discrète, elle fut une épouse, une mère et une femme de haut rang qu’un lien privilégié, mais suspect, unit au roi Henri II, de vingt ans plus jeune qu’elle. Sur fond de rivalités politiques et de violences religieuses, sa légende se construisit. Peu à peu, celle-ci combla les lacunes documentaires, au point de duper les historiens qui, de confiance, s’appuyèrent sur elle pour brosser le portrait fantasmé d’une maîtresse royale parfois mécène, toujours assoiffée d’argent et de pouvoir.

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1. Introduction

« C’est se fier au voleur que se fier à la femme ». À l’aube de la littérature grecque, dans Les Travaux et les Jours, le poète Hésiode (VIIIe s. av. J.-C.) prévient son auditoire en ces termes contre la menace que représente cet être créé par les dieux pour être le piège des hommes. Ailleurs et en tout temps, la misogynie s’exprime d’autant plus que l’argent et le pouvoir s’attachent au beau sexe. Le thème des dangers de la séduction est en effet inépuisable ; il a nourri au fil des siècles l’inspiration du poète et la verve du prédicateur, mais également contaminé la plume de l’historien.

L’exemple de Diane de Poitiers, durant la Renaissance, le confirme amplement. Il y eut certes bien d’autres femmes célèbres, mais la rencontre de l’affection, de l’enrichissement et du pouvoir confère à ce destin une structure archétypale, surtout à une époque dont une certaine historiographie a parfois exagéré l’éclat. C’est l’itinéraire remarquable d’une femme de la noblesse qui, ayant gagné le cœur du dauphin, devenu le roi Henri II (1547-1559), connut la prospérité. Les ingrédients étaient réunis pour bâtir une légende durable dès ce siècle troublé par les conquêtes militaires et les guerres de Religion.

Assurément, Diane de Poitiers, qui fit partie de l’entourage d’Henri II, fut toujours à l’abri du besoin. Mieux : son patrimoine se développa. On la savait en outre bonne catholique, au point de détester les protestants ; or justement, la politique royale se durcit contre ces derniers sous ce règne. Qui fut Diane de Poitiers et quel rôle joua-t-elle vraiment dans la France du premier XVIe siècle ?

Didier Le Fur reprend le dossier en revenant aux documents. Il choisit de livrer d’abord les grandes lignes d’une biographie de Diane de Poitiers qui s’est imposée, mais à tort, jusqu’à récemment. Il fait ensuite le point sur les données révélées par les sources et, enfin, montre de quelle manière le « roman » de Diane de Poitiers s’est mis en place au cours des siècles. La méthode retenue servant la démonstration, il faut en suivre les principales articulations.

2. Une biographie truffée d’inventions

Le 9 janvier 1500, au château de Saint-Vallier, en Dauphiné, naît une enfant qui fut prénommée Diane. Son père, Jean de Poitiers, et sa mère, Jeanne de Batarnay, doivent leur statut au service rendu par leur famille auprès du roi, surtout à partir du règne de Charles VII (1422-1461). Diane reçoit une excellente éducation auprès d’Anne de Beaujeu, sœur de Charles VIII, à la cour de Moulins. Là, elle apprend le latin et le grec et devient une excellente cavalière. Elle est mariée en 1515 à Louis de Brézé, grand sénéchal de Normandie, âgé de 54 ans, à qui, fort pieuse par ailleurs, elle est fidèle et donne deux filles. Seule ombre au tableau : son père est accusé de complot, emprisonné (1523), mais libéré peu après grâce à l’intervention de Diane auprès du pouvoir.

En effet, Diane devient fort jeune demoiselle d’honneur de Claude de France, fille de Louis XII, puis dame d’honneur de Louise de Savoie, mère de François Ier, ensuite d’Éléonore d’Autriche, seconde femme de ce dernier, enfin de Catherine de Médicis, épouse d’Henri II. Elle est ensuite nommée gouvernante des enfants de François Ier, parmi lesquels le jeune Henri. Plus tard, elle devient gouvernante des enfants d’Henri. Une amitié profonde se noue alors entre eux. Le dauphin, dès 1541, élit Diane comme dame de cœur avant un tournoi. Elle est devenue sa maîtresse.

Au décès de son époux (1531), Diane se trouve à la tête d’un riche patrimoine, dont François Ier a accepté qu’elle le gère. Puis, en 1547, Henri devint roi. Il mêle alors son chiffre, le « H » de Henri, avec celui de Diane, offre à sa maîtresse le titre de duchesse de Valentinois et Diois ainsi que la jouissance du château de Chenonceau. En outre, les liens de Diane avec les puissantes familles de Montmorency et de Guise confortent sa place à la cour. Les poètes louent sa beauté apparemment inaltérable, qu’elle entretient chaque matin au moyen de bains d’eau froide.

Puis, subitement, un drame brise cette belle trajectoire. Le 10 juillet 1559, Henri II meurt des suites d’une blessure reçue lors d’un tournoi. Diane doit restituer certains titres ainsi que les bijoux que son amant lui a offerts : « Dame Fortune, qui l’avait fait monter si haut, l’abandonnait » (p. 51). Chassée de la cour par Catherine de Médicis, qui ne souhaite plus sa présence, elle se retire à Anet, où elle s’éteint le 26 avril 1566 après avoir réglé sa succession. Une grande dame de la Renaissance disparaît.

Hélas, les grandes lignes de cette biographie, acceptée encore il y a peu, ne sont pas entièrement conformes à la vérité historique.

3. Une ascension sociale mal documentée (1500-1547)

Que révèlent les sources à propos de Diane de Poitiers ? D’abord que l’ascension sociale des ancêtres de Diane à partir du xve siècle est avérée. Son grand-père Imbert de Batarnay fut ainsi gouvernant des enfants royaux sous Charles VIII et François Ier. Par ailleurs, l’époux de Diane, Louis de Brézé, fit une belle carrière sous les règnes de Louis XII et de son successeur. Le service du roi favorisa l’acquisition de seigneuries du côté des Saint-Vallier, des Batarnay et des Brézé.

De la jeunesse de Diane, nous ne savons pour ainsi dire rien, pas même la date et le lieu précis de sa naissance. Nous ignorons également tout de sa formation intellectuelle. Sa présence à la cour de Moulins n’est pas attestée. En outre, comment aurait-elle pu devenir une cavalière hors pair, puisque chevaucher n’était pas permis aux filles. Nous savons en revanche que Diane fut alternativement présente à la cour et à Anet, qu’elle assista au baptême du futur Henri II (1519) et que c’est sur l’intervention de Louis de Brézé, plutôt que sur la sienne, que son père, Jean de Saint-Vallier, obtint la grâce du roi (1524).

Sur le plan des fonctions, rien ne démontre que Diane fut demoiselle d’honneur de Claude de France ; en revanche, elle intégra bien l’entourage de Louise de Savoie, d’Éléonore d’Autriche et de Catherine de Médicis. Elle n’occupa jamais le poste de gouvernante des enfants royaux sous François Ier, mais ce fut le cas, avec Jean d’Humières, pour ceux du dauphin Henri.

Un indice peut-être significatif de la proximité entre François Ier et les Brézé fut cependant le choix de Catherine de Médicis, cousine éloignée de Diane de Poitiers, mais également parente du pape Clément VII, un interlocuteur diplomatique, comme épouse d’Henri (1533). Les documents sont ensuite trop rares pour restituer une chronologie serrée de la vie de Diane jusqu’en 1546. Sa présence lors de certaines manifestations importantes est possible, parfois hautement probable.

Quant à sa relation intime avec le dauphin, elle « ne dépass[a] jamais le cadre de l’amitié et de la moralité convenues » (p. 128). Henri II se comporta avec Diane comme avec une parente. Il faut d’ailleurs rappeler que ce roi eut d’autres maîtresses et même des bâtards. Certes, Henri avait choisi Diane comme dame de cœur à l’occasion d’un tournoi, mais le rite était codifié et n’impliquait pas une relation physique. Il est vrai que, dès 1538, le poète Clément Marot avait signalé un grand bonheur dans la vie de Diane, mais sans en préciser la nature. Il faut se rendre à l’évidence : Diane de Poitiers est jusque-là presque « transparente à l’historien » (p. 73).

4. Un « triomphe » indéniable, mais relativement discret (1547-1559)

Le règne d’Henri II aurait pu tout changer en livrant à la postérité des preuves de cette amitié singulière et du rôle politique que Diane serait appelée à jouer dans l’ombre du roi. Mais là encore, les sources, moins rares, sont souvent peu pertinentes. Le fait est que la plupart des cadeaux dont Diane bénéficia jusqu’en 1554 rétribuaient à leur juste valeur des mérites familiaux jusque-là mal payés ou réparaient d’anciennes spoliations.

Ayant en outre hérité de son frère Guillaume (1548), la duchesse devint assurément une femme riche, soucieuse de gérer et d’augmenter le patrimoine de ses filles, mais cela en parfaite conformité avec les devoirs ordinaires d’une mère noble. Elle organisa d’ailleurs pour celles-ci des mariages prestigieux qui renforcèrent ses liens avec la famille royale et les puissants du royaume.

Quoi que le roi dise ou fasse, elle était apparemment d’accord, mais rien ou presque, dans sa correspondance conservée, n’indique de sa part une quelconque influence politique, sauf quelques confidences du roi concernant le contexte politique général après le siège de Metz (1553), que nul n’ignorait. Si les confiscations touchant les protestants enrichirent parfois l’entourage de Catherine de Médicis, tel ne fut pas le cas de Diane de Poitiers, qui en fut accusée, même si elle ne cacha jamais son hostilité à la Réforme.

Sur le plan du comportement, la relation entre Diane et le roi fut souvent évoquée par les ambassadeurs en termes dépréciatifs, mais n’était-ce pas là « une figure imposée de la correspondance diplomatique » (p. 152) au sujet des maîtresses royales ? Si, par ailleurs, Diane de Poitiers fut dispendieuse, ce fut surtout dans l’intérêt de ses héritiers. Elle agrandit en effet ses châteaux d’Anet et de Chenonceau et s’offrit pour cela les services du célèbre architecte Philibert de l’Orme. Il faut ajouter qu’elle n’intéressa guère les hommes de lettres. Seuls sept auteurs lui dédièrent des textes, ce qui est très peu. Parmi eux, elle ne protégea guère que Joachim du Bellay.

À la mort d’Henri II, Diane de Poitiers se retira à Anet. La légende la présente alors comme abandonnée par les puissants, dont le sire de Montmorency. Il n’en est rien, comme le prouve sa correspondance. Diane rédigea son testament en faveur de ses filles et de ses petits-enfants (1565) et fit des dons aux pauvres avant de mourir, le 25 ou 26 avril 1566, peut-être à Anet.

Quant à son aspect physique, cinq dessins conservés révèlent seulement l’évolution d’une jeune femme plutôt jolie vers les stigmates de l’âge, ceux, précisément, qu’Henri II semblait ne pas voir et qui alimenteraient sa réputation posthume de sorcière et de « vieille putain » (p. 323).

5. La mise en place du roman de Diane de Poitiers

Comment donc expliquer le contraste entre la biographie reçue presque jusqu’à maintenant et le témoignage des sources ? La première raison réside dans l’ambiguïté des rapports entre Diane de Poitiers et Henri II. Cette « relation amoureuse qui fut l’une des plus inattendues de l’histoire de France » (p. 31) laissa en effet dubitatif et suscita la réprobation. En outre l’enrichissement de Diane et ses convictions catholiques assumées lui valurent beaucoup d’inimitiés. Si, au lendemain de son décès, rien ne fut dit sur elle, ni en bien ni en mal, la mémoire de la duchesse ne tardera pas à se constituer au gré de passions politiques et religieuses longues à s’éteindre et qui détermineront une vision du personnage validée trop hâtivement par les historiens.

Tandis que, du vivant de Diane, l’ambassadeur de la République de Venise Marino Cavalli présentait la relation unissant Henri II et Diane comme un facteur positif de maturation pour le dauphin, la postérité fut moins indulgente. En 1565, un pamphlétaire anonyme soulignait déjà l’aveuglement du roi, « enyvré de la menstrue de ceste vieille paillarde » (p. 199). Les liens de Diane avec les Guise, antiprotestants, assombrirent encore le tableau. Diane fut soupçonnée, par le théologien réformé Théodore de Bèze, d’avoir ensorcelé le roi. Puis ce fut Diane la femme ensorcelée, favorisant les Guise pour piller la France à son profit.

En plus d’une courtisane, Diane était présentée comme une voleuse. Elle aurait vidé les caisses de l’État, soi-disant pleines – d’un argent emprunté, en fait – à la mort de François Ier.

D’autres éléments de la légende se mirent en place entre le XVIIe et le XXe siècle. Vers 1604-1606, le protestant Jacques Auguste de Thou affirma, le premier, que Diane se serait fait attribuer les terres « vagues » (libres) du royaume avec François de Guise. En 1642, Pierre Dan signalait que le chiffre du roi, un « H », initiale de son prénom, croisait le « D » de Diane de Poitiers, alors que cette lettre signifiait seulement qu’Henri était le deuxième du nom. Ensuite, se répandit la rumeur selon laquelle Diane de Poitiers, non plus présentée comme laide et ridée, mais à nouveau comme belle à un âge avancé, aurait préservé sa beauté grâce à des bains quotidiens d’eau glacée, qu’elle était une excellente cavalière et que François Ier lui-même aurait succombé aux charmes de la belle.

Victor Hugo, dans Le Roi s’amuse, affirme par exemple que ce dernier aurait gracié Jean de Saint-Vallier pour mieux jouir du corps de sa fille. Enfin, vers 1900, on préféra délaisser les anecdotes scabreuses au profit du portrait de la femme supposée lettrée : Diane avait, dès lors, été élevée à la cour de Moulins et avait contribué à la renaissance des lettres et des arts. C’est à peu près le point où les historiens en sont restés.

6. Conclusion

Une réévaluation globale du dossier concernant Diane de Poitiers s’imposait. En effet, trop d’historiens n’avaient pas pris la peine de vérifier les sources, à commencer par le célèbre Jules Michelet (1798-1874). Ce dernier s’était ainsi contenté de répéter la légende, que d’autres continuèrent à alimenter.

Si l’image de la prostituée avide d’argent et de pouvoir, véhiculée du XVIe au XIXe siècle, avait plus récemment laissé place à la femme de haute culture qui fit bâtir à Chenonceau l’admirable pont sur le Cher, il s’en fallait de beaucoup que le portrait de la duchesse de Valentinois ait été correctement révisé. Les sources, plus prosaïquement, révèlent une femme noble dont l’ascension sociale fut en effet favorisée de manière déterminante grâce à sa relation privilégiée avec le roi. L’historien sait désormais aussi que Diane de Poitiers ne s’enrichit pas plus – et plutôt moins – que de nombreux contemporains, qu’elle augmenta son héritage pour le compte de ses filles et qu’il est vain de postuler l’influence politique de Diane de Poitiers, à vrai dire insaisissable.

Femme de son siècle sans doute plus encore que redoutable « cougar » (p. 313), Diane ne put être la femme émancipée que le XXe siècle fabriqua. Grâce à de bonnes alliances et à une amitié rare, elle conforta une situation sociale toujours fragile pour une femme du XVIe siècle. Quant au fin mot concernant sa relation réelle avec Henri II, acceptons cette idée qu’elle en emporta le secret dans la tombe.

7. Zone critique

La distance entre le propos largement diffusé dans les manuels d’histoire jusque vers la fin du XXe siècle et celui, nettement moins consistant, qu’autorisent les sources est si grande qu’une nouvelle biographie de Diane de Poitiers s’avérait indispensable. De ce point de vue, l’enquête approfondie de Didier Le Fur a porté ses fruits, le fait de juxtaposer les récits ne faisant que souligner davantage les contrastes.

En outre, cet ouvrage constitue une fort belle leçon de méthode. Il rappelle la nécessité de se prémunir d’une lecture et d’une écriture idéologiques de l’histoire en recourant aux sources. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que ce livre ait obtenu le Grand prix de la biographie politique 2017.

8. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Diane de Poitiers, Paris, Perrin, 2017.

Du même auteur– Louis XII, un autre César, Paris, Perrin, 2001.– Charles VIII, Paris, Perrin, 2006.– Henri II, Paris, Tallandier, 2009.– L’Inquisition, enquête historique : France, XIIIe-XVe siècle, Paris, Tallandier, 2012.– Marignan, 1515, Paris, Perrin, 2015.– François Ier, Paris, Perrin, 2015.– Une autre histoire de la Renaissance, Paris, Perrin, 2018.– Et ils mirent Dieu à la retraite. Une brève histoire de l’histoire, Paris, Passés Composés, 2019.

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