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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Gouvernance des biens communs

de Elinor Ostrom

récension rédigée parFélix FlauxDiplômé en philosophie et en géographie (Lyon 3).

Synopsis

Économie et entrepreneuriat

Dans un contexte d'épuisement des ressources naturelles, l'étude des modes de gestion de ces dernières les plus à même d'en garantir une exploitation durable s'avère primordiale. C'est ce sujet qu'Elinor Ostrom aborde de front dans son ouvrage qui fit date. Plutôt que de faire appel à une autorité centrale étatique ou au processus de privatisation, Ostrom propose de définir les ressources naturelles comme des biens communs, et défend ainsi un mode de gestion caractérisé par l'autogouvernance.

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1. Introduction

D'après nombre d'organisations, promouvoir les biens communs est un enjeu vital et un impératif mondial. Pour ne citer qu'un exemple, en réaction au Forum mondial de l'eau 2 promouvant une marchandisation de la ressource en eau au détriment de logiques sociales et environnementales, s'est mis en place à Marseille, en 2012, le Forum Alternatif Mondial de l'Eau. Ce Forum s'est donné pour principal objectif de promouvoir l'eau comme un bien commun mondial, en défendant une réappropriation collective de sa gestion et de sa distribution – que ce soit à l'échelle municipale, nationale ou même mondiale – afin de répondre au mieux aux impératifs de durabilité et de justice sociale dans l'accès à cette ressource vitale. Cette défense des biens communs, qu'ils soient naturels ou non, est aujourd'hui sans cesse présente au sein des forums mondiaux alternatifs, qui en font un objectif prioritaire. Si la question des communs occupe une telle place aujourd'hui, c'est principalement grâce aux recherches d'Elinor Ostrom, qui a su lui redonner toute sa pertinence.

Avant la parution de l'ouvrage d'Elinor Ostrom, la pensée selon laquelle la propriété collective des ressources conduirait inexorablement à la destruction de ces dernières était dominante. Cette pensée s'appuyait principalement sur les travaux de l'écologiste états-unien Garret Hardin, qui publia en 1968 un article phare intitulé « La tragédie des communs ». Selon ce penseur, seules une régulation étatique ou une gestion privée des ressources naturelles peuvent garantir l'exploitation durable de ces dernières. Comme nous allons le voir, Ostrom dépasse ces solutions classiques et dualistes en nous proposant une troisième alternative. Des formes de gouvernance et de gestion autres que l'étatisation ou la privatisation sont envisageables, et sont déjà mises en œuvre par nombre de communautés dans le cadre de l'exploitation de leurs ressources naturelles.

2. Les régimes de propriété

Le concept de propriété est au cœur de l’œuvre d'Ostrom, qui remet à l'ordre du jour la notion de propriété collective. Afin de situer au mieux sa théorie, il convient d'exposer une vue d'ensemble des différents régimes de propriété existants, régimes structurant les modes de gestion associés à un bien particulier :

– Le régime d'accès libre, caractérisé par l'absence de possibilité de contrôle sur le bien (comme l'air, par exemple).– Le régime de propriété commune, dans lequel l'accès à et l'usage d'une ressource ou d'un bien sont réservés aux membres de la communauté. En suivant Baland et Platteau, deux sous-régimes sont ici à distinguer. D'une part, le régime de propriété commune non-régulée, dans lequel tous les membres ont un accès sans restriction à la ressource. D'autre part, le régime de propriété commune régulée, où tous les membres ont accès à la ressource, cet accès étant régulé selon certaines règles. C'est sous ce régime que se placent les ressources communes naturelles (ou biens communs naturels) étudiées par Ostrom.– Le régime de propriété d’État, dans lequel l'accès à et l'usage de la ressource sont contrôlés par l'autorité publique.– Le régime de propriété privée, permettant aux individus de détenir des droits privés sur les ressources, et d'en user comme ils le souhaitent. Ils peuvent céder (par l'acte de vente) leurs droits de propriété.

Ces régimes de propriété vont déterminer le statut des biens. Ainsi, un bien privé relève du régime de propriété privée (auquel est rattaché un mode de gestion particulier). Un bien commun (ou ressource commune), dans le cadre de l'étude d'Ostrom, relève du régime de propriété commune régulée. Il est primordial d'avoir ces distinctions à l'esprit, sans quoi une réflexion sur la gestion des ressources peut s'avérer confuse voire biaisée.

Ainsi, l'inefficience présumée dans la lignée de Hardin de la gestion en commun est due à la non-prise en compte de la présence de règles coutumières collectives. Hardin laisse penser qu'une gestion en commun des ressources naturelles implique que ces dernières soient placées sous le régime d'accès libre ou de propriété commune non régulée. Or il s'agit bien d'un régime de propriété commune régulée, sous lequel la tragédie des biens communs n'émerge pas nécessairement : de bonnes institutions, créées et gérées par les appropriateurs eux-mêmes, peuvent permettre de l'éviter.

3. La tragédie des biens communs

Qu'est-ce que la tragédie des biens communs théorisée par Garrett Hardin ? Imaginons deux éleveurs exploitant en commun une même prairie. Dans cette prairie, au cours d'une saison, un nombre limité d'animaux peut y paître. Si cette limite maximale est dépassée, la bonne alimentation des animaux ne pourra être garantie et la prairie dépérira. Ce nombre limite sera nommé L.

Nos deux protagonistes peuvent opter pour deux stratégies différentes, nous dit Ostrom : la stratégie dite coopérative, et la stratégie dite de défection. S’ils optent ensemble pour la stratégie coopérative, chacun d’eux fera paître le nombre L/2 d’animaux. La stratégie de défection, quant à elle, consiste pour chaque éleveur « à faire paître le nombre d'animaux qu'il pense pouvoir vendre à profit (compte tenu de ses coûts privés), en supposant que ce nombre soit supérieur à L/2 »5, souligne Ostrom.

Analysons cela en termes de profit. Supposons que les deux éleveurs obtiennent, en optant pour la stratégie coopérative (chacun faisant alors paître le nombre L/2 d’animaux), 10 unités de profit chacun (20 unités de profit étant le maximum à tirer du pâturage, avec le nombre d’animaux L). Si les deux optent pour la stratégie de défection, ils dépasseront alors le nombre limite d’animaux pouvant paître et entraîneront leur perte (car la prairie périra). Si seulement l’un des deux opte pour la stratégie coopérative et que l'autre opte pour la stratégie de défection, ce dernier, le défectionnaire, dépassera alors le nombre d'animaux L/2 afin de réaliser, par exemple, 11 unités de profit. Le « pigeon » (comme le nomme Ostrom), quant à lui, s'adaptera dans une optique coopérative au comportement du défectionnaire et n'obtiendra alors que 9 unités de profit. Enfin, si nos deux protagonistes choisissent leur stratégie indépendamment l'un de l'autre, sans établir aucun accord entre eux, chacun adoptera alors la stratégie de défection. Selon Hardin, si aucune règle ne motive ou ne contraint les individus à opter pour une stratégie de coopération, ces derniers opteront pour des stratégies de défection.

Ce jeu des éleveurs relève le paradoxe suivant : dans le cadre de l'exploitation d'une ressource commune, lorsque des individus rationnels adoptent des stratégies individuelles (stratégies de défection), les résultats sur le plan collectif s'avèrent irrationnels (avec une destruction de la ressource commune). Selon Hardin, la gestion en commun des ressources naturelles (érigeant les ressources naturelles en communs ou biens communs) doit être écartée si l'on veut garantir une exploitation durable des ressources. Ainsi, seuls les recours à une autorité étatique ou à une gestion privée pourraient permettre d'éviter une destruction de ces biens. C'est avant tout contre cette affirmation qu'Ostrom publie son ouvrage : les utilisateurs d'une ressource naturelle sont à même de mettre en place leurs propres institutions en vue de garantir une exploitation durable de leur ressource.

4. La gestion en commun des ressources naturelles : les principes-clés

Après avoir analysé, sur le terrain, diverses institutions réelles de ressources communes durables et auto-organisées, Ostrom dégage huit principes – communs à certaines d'entre elles – garantissant le succès d'une gestion durable des ressources communes.

Principe 1 : Définir les limites

Dans le cadre de l'exploitation d'une ressource commune, il convient de spécifier clairement quels individus ou ménages sont habilités à utiliser cette ressource. De même, la ressource commune en tant que telle doit être bien définie.

Principe 2 : Concordance entre les conditions locales et les règles d'appropriation et de fourniture

Ce principe se réfère aux règles précisant, par exemple, de quelle quantité d'eau peut disposer tel appropriateur (ou exploiteur) de la ressource en question. Ces règles dépendent des conditions locales (tant géographiques que sociales ou économiques), et doivent s'élaborer à partir de ces dernières.

Principe 3 : Des procédures pour l'élaboration de choix collectifs

Les individus concernés par les règles opérationnelles – règles déterminant le mode de gestion de la ressource en question – peuvent participer à l'élaboration et à la modification de ces dernières.

Principe 4 : Système de surveillance

Le système de surveillance permet d'assurer le respect des règles. Dans un système de gestion en commun des ressources, les individus exerçant l'activité de surveillance peuvent être les appropriateurs eux-mêmes. Si ces derniers délèguent cette tâche à une personne extérieure, celle-ci demeure sous le contrôle des appropriateurs et doit leur rendre des comptes.

Principe 5 : Mise en place de sanctions graduelles

Les appropriateurs transgressant les règles se verront sanctionnés, en fonction du contexte et de la gravité de l'infraction, par les autres appropriateurs ou par une personne extérieure travaillant pour ces derniers. Ostrom signale que dans les institutions que sont les systèmes de gestion des ressources communes autogouvernés, ce sont généralement (pour les mieux édifiées d'entre elles) les appropriateurs eux-mêmes qui exercent les activités de surveillance et qui attribuent les sanctions.

Principe 6 : Des mécanismes de résolution des potentiels conflits Des arènes locales de dialogue (formelles ou informelles) sont aisément accessibles, afin de résoudre les conflits entre appropriateurs, ou entre les appropriateurs et leurs agents ou encore leurs représentants. Se met alors en place un volet de justice sociale, qui s'avère nécessaire.

Principe 7 : Une reconnaissance étatique des droits d'organisation

Les citoyens doivent pouvoir inventer leurs propres institutions. Si cela est remis en cause par les autorités publiques, il sera difficile d'élaborer un système d'autogouvernance d'une ressource commune.

Principe 8 : Plusieurs niveaux imbriqués

Ce huitième principe, valable pour les ressources communes appartenant à des systèmes de relativement grande taille, met l'accent sur la nécessité d'organiser les activités de gouvernance (comprenant les activités d'appropriation, de surveillance, de sanction, de fourniture, de production, de résolution de conflit) à divers niveaux corrélés.

Selon Ostrom, la faillibilité d'un système de gestion des ressources communes réside en ce que ces principes précédemment cités n'apparaissent pas (ou que seuls certains d'entre eux apparaissent). L'auteure nomme « institutions fragiles » les institutions n'adoptant pas la totalité de ces principes. Dans un tel cas, elles ne peuvent être durables. Ostrom n'accorde pas une croyance universelle en ces principes : ils ont été élaborés à partir d'une certaine base empirique, qu'il conviendrait d'enrichir afin de conforter ou bien d'écarter certains d'entre eux, voire d'en ajouter.

5. Conclusion

Les biens communs (ou ressources communes), dans l'analyse ostromienne, sont systématiquement appréhendés dans leurs relations avec les groupes sociaux, ou groupes d'appropriateurs de la ressource en question. Ainsi, lorsqu'il est question des communs, il ne s'agit pas simplement de biens (ou ressources) particuliers, mais également des systèmes de règles ou institutions mis en place par les individus eux-mêmes afin de réguler leurs actions collectives. La mise en place de telles institutions n'est pas aisée, et procède souvent par erreurs et expérimentations. Ostrom, en puisant de l'expérience ces huit principes-clés, et en appelant à poursuivre ces recherches sur les différentes formes de gestion en commun existantes, souhaite pouvoir faciliter cette tâche.

À la suite aux recherches de la lauréate du prix Nobel d'économie, les travaux menés sur la question des communs se sont élargis, dépassant ainsi l'étude des ressources naturelles locales pour s'attacher à des ressources que l'on pourrait dire « globales », tels les océans, les forêts ou encore l'Antarctique. De même, il existe aujourd'hui de « nouveaux communs » d'une tout autre nature. Parmi eux figurent aujourd'hui en première place les « communs de la connaissance ». Le constat est sans appel : l'archipel des communs est amené à s'étendre.

6. Zone critique

Comme le remarque Olivier Weinstein, dans son article « Comment comprendre les "communs" », Ostrom ne voit dans la construction des communs ou le développement de la gestion en commun qu'un intérêt d'ordre économique, en promouvant son efficacité productive, en termes de durabilité et de bénéfices produits. Un pan important – voire primordial aux yeux d'auteurs tels que Dardot, Laval ou encore Weinstein – de la gestion en commun est alors laissé de côté : le développement de nouvelles subjectivités. Ostrom élabore sa théorie à partir d'une certaine conception de la nature humaine. Il s'agit de la conception libérale de l'Homme définissant ce dernier comme un être rationnel, poursuivant spontanément ses propres intérêts (et comme le montre sa théorie, il peut être dans l'intérêt d'un individu de poursuivre l'intérêt commun du groupe dans lequel il s'inscrit, dans le cadre d'une ou plusieurs activités ou sphères de vie).

Cependant, cette « nature humaine » n'est en rien naturelle, mais bien plutôt sociale. Selon les auteurs précédemment cités, elle est avant tout un construit, informé par des systèmes économiques et politiques visant à créer de telles subjectivités, subjectivités allant jusqu'à être naturalisées en se présentant comme des données objectives d'une prétendue nature humaine. Bien au-delà d'une simple efficacité et rationalité d'ordre économique, l'intérêt d'une gestion en commun est aussi de faire émerger de nouvelles subjectivités, au travers desquelles la pensée du collectif a toute son importance. Les mouvements de démocratie participative – qui connaissent une effervescence sur divers territoires à l'échelle municipale – s'inscrivent pleinement dans cette démarche, en déplaçant les lieux de pouvoir et les arènes de décision du national au local.

Il s'agit avant tout de repenser la construction de l'intérêt général en élaborant collectivement, avec l'ensemble des citoyens concernés, les politiques publiques à mener dans les municipalités en question. Porto Alegre fut l'une des villes pionnières en la matière, à travers la mise en place, dès 1989, d'un budget participatif, réel outil de démocratie participative permettant aux citoyens d'allouer une partie du budget de la municipalité aux projets qu'ils estiment être prioritaires. Toutefois, lorsque nous nous trouvons face à des cas de gestion en commun – que ce soit pour des ressources naturelles ou encore pour un ensemble de politiques à mener à l'échelle municipale –, il convient de prêter attention aux degrés de participation, pouvant aller d'une simple consultation à un réel transfert du pouvoir décisionnaire aux citoyens.

7. Pour aller plus loin

Elinor Ostrom et Charlotte Hess, Understanding knowledge as a commons : from theory to practice, Cambridge, Massachusetts, MIT Press, 2007.

Pierre Dardot et Christian Laval, Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle, Paris, La Découverte, 2015.

Hervé Le Crosnier, En communs. Une introduction aux communs de la connaissance, Paris, C & F Éditions, 2015.

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