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Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Elisabeth Kübler-Ross
Avant de se dire au revoir (1978) aborde un thème cher à Elisabeth Kübler-Ross : l’accompagnement des patients en phase terminale. Elle y expose les besoins des malades pour qui les traitements sont inefficaces et la façon dont la maladie impacte le quotidien des familles. L’ouvrage est aussi un hommage aux patients qu’Elisabeth Kübler-Ross a suivis et qui ont su affronter la mort avec courage. Si l’auteure y dévoile sa théorie du retour à domicile pour les malades incurables, son livre est aussi un hymne à la vie qui présente la mort comme une étape transitoire vers un autre monde.
Spécialiste de l’accompagnement de fin de vie, Elisabeth Kübler-Ross a consacré de nombreux ouvrages à ce sujet. Publié en 1978, Avant de se dire au revoir est celui qui lui tient le plus à cœur. Réalisé en collaboration avec le photographe Mal Warshaw, ce livre relate le parcours de malades en phase terminale.
De la petite Jamie âgée de 5 ans et atteinte d’une tumeur cérébrale à Beth, une jeune femme à qui on diagnostique un cancer généralisé, ces récits mettent en évidence comment la fin de vie à domicile apporte la chaleur humaine et la sérénité nécessaires à une mort digne et sans peur.
De quelle façon se préparer à mourir sans regrets, ni remords ? Quelle place donner à son libre-arbitre et comment atteindre l’harmonie spirituelle dans cette phase ultime de son existence ? Elisabeth Kübler-Ross aborde les thèmes majeurs de sa philosophie d’accompagnement des malades incurables, qui font d’elle une pionnière dans ce domaine.
Les structures hospitalières classiques ne constituent pas un cadre suffisamment apaisant et chaleureux pour participer au bien-être nécessaire aux malades en fin de vie. Elles sont incontournables lorsque le patient atteint d’un cancer doit subir une radiothérapie, une chimiothérapie ou tout traitement dispensé par les hôpitaux. Cependant, ces établissements médicalisés offrent un environnement souvent déshumanisé. Ils centrent leurs soins uniquement sur la santé physique du malade, en pratiquant opérations chirurgicales et apports médicamenteux.
Or Elisabeth Kübler-Ross rappelle que différentes facettes sont à prendre en compte. Si l’aspect physique est une donnée essentielle du suivi médical, il ne doit pas occulter les dimensions émotionnelle, spirituelle et intellectuelle constitutives de tout individu et garantes de son harmonie. L’hôpital propose donc un cadre froid et impersonnel en inadéquation avec les besoins des malades en phase terminale, qui préfèrent se soustraire à toute dépendance médicale et retrouver un espace d’intimité tranquillisant.
Par ailleurs, le personnel soignant de ces établissements hospitaliers manquent de temps pour accorder l’attention nécessaire à chaque patient. La famille est elle aussi généralement livrée à elle-même, alors qu’elle aurait besoin de soutien, de conseils, et d’une présence rassurante. Si l’échange verbal est vivement recherché par les malades en fin de vie, les médecins et infirmières évitent souvent le dialogue parce qu’ils sont soumis à leurs propres angoisses vis-à-vis de la mort. Cela les conduit à conserver leurs distances avec cette réalité dérangeante.
En projetant leurs propres peurs sur le malade, ils se rendent hermétiques à toute demande du patient et lui refusent le contact humain dont il est en attente. Au lieu d’être épaulée, la personne en phase terminale se trouve plongée dans une solitude encore plus grande pour faire face à sa maladie.
Au fil de ses consultations, Elisabeth Kübler-Ross a pris conscience de l’importance des interactions humaines et du dialogue pour les malades en phase terminale. Ce constat l’a conduite à développer des stages et séminaires, dont le bien connu « Life, death and transition » en anglais (« Vie, mort, passage »). Ceux-ci s’adressent notamment aux malades incurables, à leur famille et aux professionnels de santé. Ils visent à se libérer par la parole en exprimant ses angoisses et sa douleur, afin d’accéder à un état de sérénité bienfaisant. Cette extériorisation des émotions peut en outre passer par des canaux non verbaux.
Consciente de l’intensité des émotions qui habitent le patient face à sa maladie ou un proche confronté à un décès imminent, Elisabeth Kübler-Ross a mis en place des techniques à visée cathartique étonnantes, telles que le fait de se d’extérioriser ses sentiments en frappant un support avec un tuyau en caoutchouc. Le recours au dessin apparaît également comme une constante. Ce mode d’expression a l’avantage d’être accessible à tous, adultes comme enfants. Développée à l’origine par la psychanalyste Susan Bach, cette méthode s’appuie sur l’utilisation d’un « langage symbolique » qui évite le recours douloureux aux mots et s’avère particulièrement efficace avec les patients les plus jeunes.
Pour l’auteure, éduquer les personnels soignants qui sont en contact avec les patients en fin de vie est aussi une priorité. Une fois initiés aux besoins des malades, ils appréhenderont mieux la mission qui est la leur et seront plus à même de les accompagner avec bienveillance.
Au cœur de cet enseignement, l’accent est mis sur l’ouverture d’esprit qui doit présider à l’établissement de toute relation avec le patient, ainsi que sur le respect absolu de ses choix, qu’il souhaite se battre contre la maladie ou refuse tout traitement. Autre axe majeur du concept d’Elisabeth Kübler-Ross : la création d’hospices de type anglo-saxon, c’est-à-dire des structures accueillant les personnes gravement malades pour les accompagner le plus agréablement possible dans les derniers instants de leur existence. Associant écoute, amour et développement personnel, ces refuges de fin de vie proposent un environnement propice à l’apaisement intérieur.
Alors qu’à l’époque du livre, « 75 % de la population meurt encore dans des institutions » (p. 35), Elisabeth Kübler-Ross préconise la fin de vie à domicile. Dans les années 1970, celle-ci est favorisée par le cocktail de Brompton, un analgésique oral qui permet l’automédication des patients en fonction de leurs phases de douleur.
Pour des malades qui privilégient souvent la qualité de vie plutôt que sa durée, le retour à domicile apparaît comme une solution avantageuse d’un point de vue financier et personnel. Il replace le patient dans un environnement familier et rassurant, où le matériel médical est réduit au strict nécessaire. L’auteure recommande d’installer le lit des personnes malades dans le salon, lieu de partage et d’échange familial, car elles « ont le droit de VIVRE jusqu’à ce qu’elles meurent, au lieu d’être reléguées dans une pièce isolée » (p. 35). Le fait de choisir de mourir chez soi présente aussi un intérêt pour la famille. Cela aide les proches à faire leur deuil et dédramatise la mort aux yeux des enfants. En voyant un parent ou un frère les quitter sereinement et entouré d’amour, ils se libèrent de la peur de mourir et transmettront cette image aux générations futures.
Quand un malade décide de terminer sa vie chez lui, il exerce son libre-arbitre jusqu’au bout, plutôt que d’être soumis à des décisions médicales prises par le personnel hospitalier et à des médications lourdes qui peuvent entamer sa lucidité. L’auteure cite l’exemple de Louise, l’assistante sociale atteinte d’un cancer, qui vit son retour à domicile comme une véritable résurrection et l’occasion de profiter de ses derniers instants de façon active.
À la différence des décès soudains, la personne qui se sait condamnée met ainsi à profit le temps qui lui reste pour mettre ses affaires en ordre. Elle se projette au-delà de sa mort en exposant ses doléances à ses proches concernant ses funérailles. Être responsable de ses choix et maître de son existence aussi longtemps que possible sont deux éléments essentiels pour mourir dignement.
Pour accueillir la mort avec sérénité, le patient doit être en paix avec lui-même. Pour cela, il doit régler ses conflits intérieurs et mettre un terme à ses angoisses. Cela n’est rendu possible que s’il a accompli son « unfinished business ».
Cette notion, centrale dans les théories d’Elisabeth Kübler-Ross, désigne toutes les tâches inachevées qui empêchent le malade d’accéder au lâcher-prise. Il peut s’agir d’émotions refoulées qui n’ont jamais pu être exprimées, de conflits familiaux qui rendent les relations difficiles, de peurs dont on ne parvient pas à se délivrer ou de la culpabilité qui nous ronge. Ce travail sur soi est facilité par le fait que l’approche de la mort conduit le patient à porter un regard objectif sur sa vie et ce qu’il a accompli. Pour se délester de tout ce qui fait entrave à son apaisement intérieur, il doit donc achever ce qui reste non résolu ou en suspens dans son existence.
Le lâcher-prise auquel mène ce travail sur soi permet d’accéder à un état de plénitude qui a des effets positifs sur le plan physique et intellectuel. Après avoir enfin pu rétablir le dialogue avec un proche, certains malades connaissent par exemple un regain de vitalité. Puisqu’ils ont libéré leur esprit du fardeau des non-dits, toute leur énergie est désormais employée à la guérison du corps. Nombreux sont aussi les patients qui développent des dons artistiques qu’ils n’avaient jamais manifestés auparavant : Beth devient poète, Louise s’adonne à la peinture et Jack fabrique des maisons de poupées.
Pour l’auteure, l’émergence de ces talents ne doit rien au hasard. Elle est le fruit de l’apaisement obtenu grâce à l’accomplissement de l’« unfinished business ». Cet éveil intellectuel et spirituel trouve aussi sa source dans le détachement à l’égard des préoccupations matérielles et dans la sagesse que les malades en phase terminale acquièrent au seuil de la mort.
Si la tragédie se joue avant tout dans le corps et la sphère intime du patient, elle bouleverse aussi le quotidien de la famille. À l’annonce de la maladie, les proches mettent leur existence entre parenthèses et annulent tout projet d’avenir. Ils sont emportés par le tourbillon d’un présent si intense à vivre qu’il arrive que les familles explosent.
Les témoignages proposés par Elisabeth Kübler-Ross relatent des divorces, des conjoints qui se désistent. Ils dévoilent aussi des enfants qui deviennent difficiles et instables en réaction à la violence de la situation et à la perte des repères de la structure familiale. Apparaît également la sensation d’être en décalage avec les autres, comme l’explique la mère de la petite Jamie, atteinte d’une tumeur cérébrale maligne.
Alors que ses parents et amis lui apportent aide et soutien, elle peine à se « relier à eux » parce qu’ils peuvent « retourner à leur vie normale, alors que [son] univers [est] en miettes » (p. 79). C’est pourquoi les proches préfèrent souvent placer le malade en phase terminale à l’hôpital, afin de se décharger d’un poids qu’ils peinent à assumer au quotidien.
Pour Elisabeth Kübler-Ross, deux éléments sont fondamentaux pour traverser cette période difficile. D’une part, en cas d’échec de tout traitement, il faut permettre aux proches d’entretenir leur relation avec le malade jusqu’au bout. C’est dans cette optique que le retour à domicile joue un rôle crucial, pour le patient comme pour son entourage. Il offre la possibilité à la famille de s’investir dans les soins à dispenser au malade et de continuer à construire des souvenirs avec lui.
D’autre part, l’auteure préconise aux proches de garder contact avec leurs activités quotidiennes, ainsi qu’avec leurs connaissances. Même si la tentation de la solitude est compréhensible, elle comporte un risque de désocialisation qui, même temporaire, rendra difficile à surmonter la période succédant au décès. Si le quotidien nécessite d’être aménagé et implique de nouvelles priorités, il ne faut donc pas rompre avec certains loisirs ou habitudes qui permettent de garder un pied dans la vie normale, mais aussi de prendre du temps pour soi.
Avant de se dire au revoir est un ouvrage clé d’Elisabeth Kübler-Ross. L’auteure y développe sa théorie concernant l’accompagnement des malades en phase terminale. Elle le fait de façon d’autant plus poignante qu’elle s’appuie sur le parcours de patients qu’elle a guidés jusqu’à leur dernier souffle.
Lorsque le livre paraît en 1978 aux États-Unis, il vient bousculer les pratiques médicales alors en vigueur, si bien que l’accueil fut frileux et qu’aucun éditeur français ne souhaita en proposer la traduction. C’est dire à quel point Elisabeth Kübler-Ross a fait figure de pionnière en matière d’accompagnement des malades en fin de vie.
En 1978, les thèses développées par Elisabeth Kübler-Ross reçoivent un accueil assez réticent du milieu médical. À l’époque, l’accompagnement de fin de vie n’est pas entré dans les mœurs. Les médecins tendent à confiner les mourants au sein des hôpitaux où on leur administre des médicaments pour les maintenir en vie ou atténuer leur souffrance.
Or, Elisabeth Kübler-Ross ouvre une autre voie en prônant l’échange verbal et la relation humaine avec le patient. Cette vision de l’accompagnement des malades incurables fait écho aux théories du médecin anglais Cicely Saunders, pionnière en matière de soins palliatifs, à l’origine de la notion de « douleur totale » : le malade ne souffre pas seulement physiquement, mais aussi psychologiquement et spirituellement. Il convient donc de le soutenir en répondant à l’ensemble de ses besoins.
Si la réflexion d’Elisabeth Kübler-Ross sur l’accompagnement des malades bouscule les mentalités de l’époque, l’auteure suscite aussi le mépris d’une partie de la communauté scientifique en raison de sa croyance en une vie après la mort et d’un au-delà.
Ouvrage recensé
– Avant de se dire au revoir, Paris, Éditions Pocket, 2016.
De la même auteure
– Accueillir la mort : questions et réponses sur la mort et les mourants, Paris, Pocket, 2002.– La mort est un nouveau soleil, Paris, Pocket, 2002.– La mort, dernière étape de la croissance, Paris, Pocket, 2006.– Avec David Kessler, Sur le chagrin et le deuil, Paris, Éditions JC Lattès, 2009.
Autres pistes
– Christophe Fauré, Accompagner un proche en fin de vie, Paris, Éditions Albin Michel, 2016.– Marie de Hennezel, Nous voulons tous mourir dans la dignité, Paris, Éditions Robert Laffont, 2013.