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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Fondements de la métaphysique des mœurs

de Emmanuel Kant

récension rédigée parMélanie SemaineEnseignante en philosophie dans le secondaire.

Synopsis

Philosophie

Fondements de la métaphysique des mœurs, publié en 1785, devait initialement constituer une simple préface à la future et célèbre Critique de la raison pratique (1788). Mais ce à quoi Kant aboutit est bien un ouvrage à part entière, réalisant deux ambitions, que l’on pourrait pourtant penser difficilement conciliables : écrire un ouvrage bref et accessible qui parvient néanmoins à fonder la morale sur des bases solides. L’ouvrage cherche ainsi à mettre au jour ce qui rend possible et justifie l’existence de la morale telle qu’on la connaît, la morale populaire, nous montre quelles facultés nous utilisons pour agir moralement et établit, à partir de ces fondements, des règles à appliquer au quotidien.

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1. Introduction

Comment savoir ce qui est véritablement moral ? Faire des expériences ne suffit pas puisqu’il nous faut déjà des principes pour les juger. Agir par imitation nécessiterait également un critère nous permettant de savoir quelles personnes, valeurs ou situations peuvent être érigées en modèle.

Et il faut même se méfier de notre raison, toujours prête à ruser pour rationnaliser nos pires penchants et inventer des règles nous permettant de les satisfaire. Si on n’obéit pas les yeux fermés à la morale commune, il est donc très difficile de savoir comment bien agir. Mais dans les Fondements de la métaphysique des mœurs, Kant ne s’arrête pas à ce constat pessimiste : il s’en sert au contraire comme point de départ pour fonder une philosophie morale apte à déjouer les difficultés tout en restant accessible à tous.

2. Comment fonder la morale ?

D’un point de vue formel, le fil rouge de l’ouvrage est l’idée selon laquelle la morale doit se fonder a priori. Est a priori ce qui précède l’expérience. On peut donc dire qu’Emmanuel Kant n’est pas empiriste : il ne pense pas qu’il faut partir de l’expérience pour connaître, contrairement à son prédécesseur John Locke, par exemple.

D’autant qu’en morale, l’expérience est relative, changeante, et que pour la juger il faut déjà posséder des principes. Pour autant, il n’est pas non plus rationaliste : il ne pense pas qu’il faut partir de la raison, contrairement à une tradition allant de Platon à Descartes et qui se poursuivra après lui avec Hegel. Il observe surtout que la raison ne peut s’empêcher d’inventer des systèmes entiers pour autoriser l’homme à poursuivre ses désirs.

D’une manière inédite, il renvoie dos à dos ces deux positions philosophiques, en adoptant ce qu’il nomme la démarche transcendantale, c’est-à-dire la quête des conditions de possibilité de toute expérience (ici, de toute expérience morale). Fonder une chose en montrant qu’elle est d’abord possible est une véritable signature pour l’auteur : la démarche était déjà à l’œuvre dans la Critique de la raison pure (pour fonder les sciences mathématiques et physiques) et réapparaîtra dans son œuvre.

Kant s’engage donc dans ce qu’il nomme une « métaphysique des mœurs », et non pas une simple philosophie morale. Tout d’abord, la métaphysique renvoie à ce ce que l’on perçoit au-delà l’expérience sensible. Et ce que recherche une métaphysique est un principe qui ne dépend d’aucun contexte, d’aucune condition, pour être valable. C’est pourquoi il annonce dans sa Préface qu’il passera d’une philosophie morale à une métaphysique des mœurs : la première étape désigne simplement le fait de penser des principes à appliquer en morale, tandis que la seconde réfère à cette recherche d’un principe premier.

C’est ce que font les scientifiques et mathématiciens lorsqu’ils recherchent des « axiomes », des principes premiers indémontrables. Cependant, la métaphysique des mœurs ne s’intéresse pas aux lois de ce qui est, mais de ce qui doit être. Enfin, pour cette même raison, la métaphysique des mœurs ne rend pas non plus compte de la psychologie , qui met au jour les lois gouvernant les tendances naturelles de l’homme et non pas les lois qu’il devrait suivre. Elle emprunte donc un chemin inédit en morale, mais caractéristique de la pensée de l’auteur.

3. Le principe premier de toute morale : la bonne volonté

Kant débute son ouvrage en montrant que le principe premier de toute morale, celui qui donne sa valeur morale à une personne, à une parole ou encore à une action, est la bonne volonté. Cette thèse sépare nettement Kant des philosophes antiques, qui composaient la morale d’un ensemble de vertus. Et elle est étonnante car on serait tenté de citer une longue liste de talents et qualités avant de penser à la bonne volonté. Mais comme l’explique Kant, n’importe quelle qualité généralement louée peut se changer en défaut ou servir des fins immorales.

On pense par exemple qu’être courageux est estimable en soi, mais, en réalité, un criminel peut l’être : le courage peut servir à sauver un enfant de la noyade tout comme à tuer. Or, ce qui dirige notre action et nous permet de bien employer nos talents et traits de caractères, est toujours la bonne volonté. Elle est donc bien le principe premier de la morale et la seule chose véritablement bonne en soi.

Mais que désigne précisément cette « bonne volonté » ? Pour Kant, elle se distingue tout à fait du désir, qui nous éloigne au contraire de la morale. Et en effet, on ne désire que ce qui est susceptible de nous procurer du plaisir, indépendamment (et souvent au détriment) de toute considération morale. Mais qu’apporte la volonté ? Selon lui, elle est indissociable de la raison. Car elle est « la faculté d’agir d’après la représentation des lois » (p. 113), et pour agir d’après des lois il faut réfléchir, ne serait-ce que pour savoir comment appliquer les lois générales ou universelles à des cas particuliers. Kant ne se contente donc pas de la distinction habituelle entre le désir passif et la volonté active, mais il se sert de cette dimension de réalisation concrète de la volonté pour montrer que cela implique un usage de la raison. Ce qui justifie que la bonne volonté soit pour Kant une « faculté supérieure de désirer ».

Enfin, il faut éviter un contresens courant que le français peut amener : la bonne volonté kantienne, c’est-à-dire la volonté moralement bonne, n’a rien à voir avec la détermination. En français, « faire preuve de bonne volonté » signifie que l’on va faire des efforts pour atteindre un but. Au contraire, la bonne volonté kantienne ne se réalise uniquement si elle ne vise aucun autre but que le devoir moral. Si elle a un autre objectif, aussi louable qu’il puisse être, elle n’est pas bonne moralement. Ainsi, dire que la bonne volonté est le principe premier de toute morale n’est absolument pas pour Kant une manière de faire un éloge de l’effort ou de la persévérance.

4. Mais quelles sont les caractéristiques de l’action morale ?

Fonder la morale en théorie ne suffit pas pour savoir, dans la pratique, lorsqu’on agit bien. C’est pour cela que Kant expose les formes concrètes que revêt la bonne volonté. Tout d’abord, elle ne vise pas seulement des actions conformes au devoir mais nous pousse à agir par devoir. La différence est subtile : une action conforme au devoir obéit simplement aux lois mais peut très bien être dirigée par une mauvaise raison.

Kant donne en exemple le commerce : lorsqu’un commerçant vend une marchandise à un prix loyal, ce n’est pas le devoir moral qui le motive, mais son intérêt (sa réputation, par exemple). Il écarte ainsi toutes les actions accomplies par intérêt ou par inclination. C’est sévère et on pourrait s’étonner que la bienveillance, lorsqu’elle est exercée par goût, soit alors discréditée : on aurait plutôt tendance à louer celui qui éprouve un plaisir sincère à faire le bien autour de lui et non pas celui qui s’y résout uniquement pour faire son devoir ! Mais de façon très pédagogique, Kant nous montre que le résultat d’une action ne suffit pas à la rendre morale, sa conformité avec une quelconque règle non plus, et encore moins le plaisir qu’on ressent à la commettre. Ce ne sont donc jamais nos bonnes intentions qui rendent nos actions morales.

Une action accomplie par devoir tire sa valeur morale non pas de l’intention poursuivie, « mais de la maxime d’après laquelle elle est décidée » (p. 92). Une maxime est une règle suivie par un sujet (un être doté de conscience). Notre vie quotidienne est régie par des maximes, même lorsque nous n’y pensons pas. Inventons cet exemple : je vois de l’argent tomber de la poche d’un inconnu, ramasse le billet mais renonce à interpeller l’homme pour lui rendre parce qu’il me semble plus riche que moi. Cet acte applique en réalité une règle, que l’on peut retrouver en généralisant l’action. Cela donnerait : « On peut s’approprier le bien d’autrui lorsqu’on juge qu’il en a moins besoin que nous. » Or n’importe qui peut sentir que cette maxime n’est pas applicable à tout le monde (ce serait par exemple la ruine de la propriété et de ses droits). Donc elle n’est pas morale et l’action qui l’applique non plus.

Ainsi, si l'on doit faire son devoir mais que l’on ne sait pas ce en quoi il consiste, il faut se référer à la maxime de notre action et se demander si elle est universalisable. C’est ce que Kant nomme l’impératif catégorique, dont la première formulation (il y en aura trois) est : « Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature. » (p.129) Être immoral se réduit donc toujours à la même chose : vouloir être une exception à la règle dont on sait qu’elle doit pourtant s’appliquer à tous.

5. Cesse-t-on d’être libre lorsqu’on fait son devoir ?

Kant a implicitement montré qu’une réflexion était nécessaire à chaque étape de l’action morale. Or, réfléchir, qui plus est pour obéir à des lois, contredit la définition la plus évidente de la liberté qui est de pouvoir agir spontanément, sans contraintes ni obstacles. Pour autant, Kant ne pense pas que suivre notre devoir nous fasse perdre notre liberté, au contraire. Il explique ainsi que la véritable liberté est l’autonomie. L’étymologie du terme (en grec, auto signifie soi-même et nomos la loi) montre que l’autonomie désigne la capacité à s’imposer soi-même la loi. Cela la distingue de la simple indépendance, qui consiste à pouvoir agir soi-même, indépendamment de toute loi. Puisqu’elle consiste à obéir à la loi, on comprend que l’autonomie revête un aspect moral pour Kant.

L’autonomie défendue par Kant ne consiste cependant pas à obéir aveuglément aux lois, mais à en devenir auteur. Les lois morales (« Tu ne dois pas mentir. ») et leur pendant politique (« Tu ne dois pas frauder. ») existent bien sûr, nous ne les écrivons pas, mais elles ne mentionnent pas l’infinité de cas particuliers auxquels nous sommes confrontés. On doit donc toujours se demander à quelle maxime correspond notre action et si celle-ci peut être universalisable, autrement dit si elle est en accord avec les lois existantes.

Or lorsqu’on fait cela, on ne se contente pas d’obéir aux lois, ou de les intérioriser, mais on légifère. La loi à laquelle on obéit est bel et bien celle qu’on a mise au point pour notre action.

6. La morale mène-t-elle au bonheur ?

On peut se demander à la lecture de l’ouvrage : tous ces efforts pour faire son devoir (et rien que son devoir) n’engendrent-ils pas une vie de frustrations et de contrariétés ?

Kant semble préparer son lecteur à ce constat dès le début de la Première Section, puisqu’il y remarque que si la nature avait voulu rendre l’homme heureux, elle ne lui aurait pas donné la raison mais l’instinct (p. 83).

En effet, le bonheur est classiquement défini comme un état de satisfaction total et durable, et c’est par instinct qu’on s’éloigne des sources de souffrance et qu’on est attiré par ce qui peut nous procurer du plaisir. D’autre part, le texte canonique portant sur la bonne volonté (pp. 79-80) prévient que l’homme ne doit pas viser le bonheur mais se rendre digne d’être heureux. Nuance importante qui signifie que le prix de la morale est l’abandon de la poursuite du bonheur. Ce qui, dans la morale kantienne, est logique : si on agit pour être heureux, notre action sera au mieux conforme au devoir, mais on n’aura pas agi par devoir.

Mais si Kant veut nous pousser à renoncer au bonheur tel que défini classiquement, il pense également qu’en agissant moralement, on atteindra un « vrai contentement » (p. 84), moral : il réactive ici la notion antique de Souverain Bien, c’est-à-dire de bien suprême alliant bonheur et vertu. Les satisfactions que l’on poursuit généralement sont en effet illusoires pour Kant. Celui qui essaie d’atteindre un état maximal et durable de satisfactions poursuit un absolu (seul l’absolu est présent partout et tout le temps car il ne dépend de rien pour exister) en accumulant des plaisirs qui ne seront toujours que relatifs : c’est une quête contradictoire et vouée à l’échec. Mais en agissant moralement, on se rendra digne de la satisfaction plus haute d’avoir bien agi et d’avoir ainsi honoré la destinée humaine.

C’est toutefois un bonheur paradoxal : on ne peut pas le poursuivre (sinon, on n’agit plus par devoir), et il est donc de ces choses qu’on n’obtient qu’en ne les cherchant pas (comme l’oubli ou le sommeil). La philosophie de Kant n’est pas un eudémonisme (une philosophie dont le but est d’atteindre le bonheur) mais on ne peut pas non plus dire que sa morale est ascétique car le bonheur rationnel est bien présent à l’horizon.

7. Conclusion

Les Fondements de la métaphysique des mœurs est un ouvrage singulier dans l’œuvre kantienne, réputée pour son abstraction et sa complexité. Kant part de la morale populaire, montre ce qui la fonde et en érige une nouvelle, faite de règles et de manières de procéder concrètes. Sa force réside dans son souci pédagogique, visible à travers la multiplicité d’exemples sur lesquels le lecteur est invité à réfléchir.

Claire et accessible pour un public plus large, elle a en tout cas renouvelé la pensée morale et suscité de nombreux débats chez ses contemporains comme chez d’illustres futurs lecteurs (de Hegel à Hannah Arendt).

8. Zone critique

La conception kantienne du devoir pose deux problèmes majeurs. Tout d’abord, pour Kant une action n’est morale que si elle a été effectuée par devoir et uniquement par devoir. Mais est-il concrètement possible d’agir dans le seul et unique but de faire son devoir ? N’a-t-on pas toujours d’autres motifs, parfois que l’on ne s’avoue même pas ? Kant reconnaît toutefois discrètement cette difficulté dans les Fondements, mais c’est surtout dans Anthropologie du point de vue pragmatique (1798) qu’il insistera sur l’impossibilité d’une transparence de soi à soi-même assortie d’un devoir de toujours tenter de nous sonder autant qu’on le peut.

Le second problème posé par le devoir kantien peut se formuler ainsi : n’est-il pas dangereux de toujours obéir à la loi ? En effet, pour Kant la morale se réduit finalement à la loi, et l’immoral à se constituer en exception à une loi que l’on sait pourtant être universellement valable. Mais n’y a-t-il pas parfois de réelles exceptions ? Benjamin Constant a ainsi émis cette objection : si un ami est poursuivi par des assassins, qu’il se réfugie chez moi et que ses assaillants frappent à ma porte, dois-je vraiment appliquer la loi morale « Tu ne dois pas mentir » et dénoncer mon ami ?

Si Kant lui répond dans l’ouvrage Sur un prétendu droit de mentir par humanité (1797) en maintenant et justifiant sa position, les horreurs de la Seconde Guerre mondiale ont réactivé l’objection. On ne peut dire que l’agent moral kantien est un robot appliquant froidement la loi (Kant ne cesse de montrer l’importance de la réflexion à chaque étape de l’action morale), mais il demeure problématique de constater que tout devoir de désobéissance est inexistant car contradictoire chez l’auteur.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Fondements de la métaphysique des mœurs, trad. V. Delbos, Paris, Vrin, 2015.

Du même auteur– Critique de la raison pratique, trad. L. Ferry et H. Wismann, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1985.– Anthropologie d’un point de vue pragmatique, trad. M. Foucault, Paris, Vrin, 1994.– Sur un prétendu droit de mentir par humanité, trad. L. Guillermit, Paris, Vrin, 2000.

Autre piste– Michèle Cohen-Halimi, Entendre raison : essai sur la philosophie pratique de Kant, Paris, Vrin, 2004.

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