Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Emmanuel Saez & Gabriel Zucman
Le triomphe de l’injustice part d’un constat qui pourrait surprendre : en proportion de leurs revenus, les milliardaires américains paient moins d’impôts que leurs concitoyens. En combinant des approches statistique, historique et théorique pour appréhender la relation entre fiscalité et inégalités, Saez et Zucman rendent compte des causes et conséquences de l’évolution des inégalités aux États-Unis pour ensuite proposer des solutions en vue de repenser les systèmes fiscaux des économies développées.
Un système fiscal constitue une institution cruciale dans une société démocratique pour la simple et bonne raison que le consentement à l’impôt est une condition de stabilité sociale. Or le système fiscal américain contemporain est nettement favorable aux individus les plus riches. Les revenus de la classe ouvrière américaine stagnent depuis 1980. L’espérance de vie décline depuis 2010. Le recul de facto de la progressivité de l’impôt explique pour partie ces dynamiques.
Mais cette « injustice fiscale » n’est pas une fatalité. Si tant est que les États-nations acceptent de jouer le rôle de « percepteur fiscal de dernier ressort », la justice fiscale et la mondialisation sont compatibles. Ce point de vue de Saez et Zucman se fondent sur une base de données statistiques novatrice leur permettant d’évaluer le taux d’imposition auquel chaque groupe social américain a effectivement été assujetti depuis 1913.
Saez et Zucman proposent de distinguer quatre classes dans la société américaine : les classes populaires (les 50% les plus pauvres), moyennes (les 40% suivant), supérieures (les 9% suivant) et enfin le 1% les plus riches. En 2019, le revenu moyen par américain est de 75 000 dollars. Mais la moitié des Américains, soit les classes populaires, vit avec moins d’un quart du revenu moyen. Les classes moyennes ont justement un revenu moyen avoisinant 75 000 dollars par an.
D’où leur conclusion selon laquelle « le fait marquant de l’économie américaine n’est pas la disparition des classes moyennes ; c’est la faiblesse des revenus des classes populaires » (p.29). Enfin, les 9% d’Américains qui composent les classes supérieures vivent avec un revenu moyen de 220 000 dollars tandis que ce montant s’élève à 1,5 million de dollars pour les 2,4 millions d’Américains les plus riches. La part du revenu national captée par ce 1% le plus riche est passée de moins de 12% en 1978 à plus de 20% de nos jours. Les auteurs soulignent que cette situation n’est pas comparable à celle de l’Europe, où le 1% le plus riche capte aujourd’hui 12% du revenu national. L’impôt fédéral sur le revenu, créé en 1913, représente un tiers des recettes fiscales aux États-Unis. Il convient toutefois de noter que le revenu effectivement imposé est assez largement inférieur au revenu national en raison de diverses exonérations et, dans une moindre mesure, de l’évasion fiscale. Ceci étant, le taux moyen d’imposition des revenus est de 18%. Les cotisations sociales sont plafonnées, de telle sorte qu’elles constituent un impôt régressif. Elles représentent 8% du revenu national. Le taux moyen d’imposition du capital est quant à lui de 13% et représente 4% du revenu national.
Enfin, il existe diverses taxes sur la consommation qui sont prélevées au niveau des États fédérés. Ainsi, au total, les prélèvements obligatoires aux États-Unis atteignent 28% du revenu national. Saez et Zucman jugent ce système injuste car régressif. « Aujourd’hui, chaque groupe social paie entre 25% et 30% de ses revenus en impôts, hormis les ultra-riches [400 plus grandes fortunes], pour qui le taux effectif d’imposition tombe à 23% » (p.40). Un tel système pose problème pour trois raisons. Il menace l’équilibre budgétaire. Il apparaît contraire à l’équité. Enfin, il entretient une spirale inégalitaire. Le système fiscal américain n’a toutefois pas toujours eu ces caractéristiques.
Saez et Zucman rappellent qu’entre 1930-1980, le taux marginal supérieur d’imposition du revenu était, en moyenne, supérieur à 75%. Aussi défendent-ils la thèse selon laquelle les États-Unis ont été à la pointe de certaines innovations en matière fiscale. Des impôts sur la fortune y ont été mis en place dès le XVIIe siècle. Les esclavagistes avaient certes un intérêt à ne pas voir se développer les impôts sur la propriété. Ce sont dans leurs discours que l’on retrouve une des origines de la « rhétorique antifiscale » souvent perçue comme caractéristique des États-Unis. Ils soulignent toutefois qu’au cours de la guerre civile, la Confédération pâtit précisément de son incapacité à prélever l’impôt, contrairement aux États de l’Union qui instaurèrent, via le Revenue Act de 1862, le premier impôt fédéral sur le revenu.
Après la victoire du Nord, ses grands industriels reprirent à leur compte la rhétorique anti-impôt des esclavagistes du Sud. L’impôt sur le revenu fut aboli en 1872. Toutes les recettes provenaient alors des impôts sur la consommation. L’impôt sur le revenu ne fut finalement rétabli qu’en 1913, à l’aube de la Première Guerre mondiale et en réponse à la hausse exponentielle des inégalités.
Le système fiscal américain est à l’origine de deux grandes innovations. Premièrement, un impôt progressif sur le patrimoine fut créé en 1916. Si le taux d’imposition était initialement faible, il augmenta constamment pour osciller entre 70 et 80% entre 1935 et 1981. Deuxièmement, Franklin Delano Roosevelt attribua à l’impôt sur le revenu une fonction explicite de réduction des inégalités. Pour ce faire, les taux marginaux furent augmentés. Le taux supérieur atteignit 79% en 1936 puis 90% au cours de la décennie suivante.
Ces taux quais confiscatoires ont fait des États-Unis un pays ayant l’équivalent de facto d’un « revenu maximum légal », incitant à la compression de la distribution des revenus avant même la redistribution. Si ces taux favorisèrent les profits non distribués plutôt que de verser des dividendes ne pouvant échapper à l’impôt sur le revenu des ménages, la concentration des revenus diminua fortement. Après la Seconde Guerre mondiale, sous la présidence d’Eisenhower, le taux moyen d’imposition effectif des 0,1% les plus riches avoisinait encore les 55%. L’impôt sur les sociétés était élevé, les dividendes fortement taxés et l’évasion fiscale réduite.
Les présidences de Reagan représentent un véritable tournant dans l’histoire fiscale américaine. Le Tax Reform Act de 1986 fit passer les États-Unis de pays développé avec un taux marginal supérieur d’imposition sur le revenu parmi les plus élevés à celui avec le taux marginal d’imposition supérieur le plus faible : 28%. Comme Joseph Stiglitz, les auteurs considèrent que cette réforme est l’une des causes de l’explosion des inégalités. Ce volte-face historique est toutefois le fruit de mutations politiques et idéologiques de long terme, notamment fondées sur la rhétorique selon laquelle il n’est pas d’autre choix possible.
Pour Saez et Zucman, cette réforme de Reagan « illustre la façon dont meurt l’impôt progressif », à savoir qu’il ne « disparaît pas démocratiquement, foudroyé par la volonté des électeurs ». Il disparaît régulièrement suite à « une explosion de l’évasion fiscale, puis des gouvernements qui se lamentent du fait que taxer les riches est devenu impossible et qui finissent par baisser leurs impôts » (p.84).
Ce faisant, ils lient le bon fonctionnement de l’impôt progressif sur le revenu à l’efficacité de la lutte contre l’évasion fiscale. Dans les années trente, Roosevelt avait renforcé les moyens de l’administration fiscale. Jusqu’en 1983, les rachats d’actions (buybacks) étaient par exemple illégaux, alors même qu’ils permettaient d’exploiter le fait que les plus-values soient moins taxées que les dividendes. De la même manière, le développement de holdings off-shore pour réduire le revenu imposable fut stoppé suite à la décision, en 1937, d’imposer les revenus qui y étaient déclarés.
À partir des années 1980, l’évasion fiscale redevient une véritable industrie en pleine croissance. On assiste notamment au développement de sociétés de personnes permettant d’enregistrer des pertes financières fictives ayant l’avantage d’être déductibles des revenus individuels imposables. Ce procédé d’évasion fiscale fut si répandu qu’entre 1982 et 1986, les pertes fictives de ces « tax shelters » dépassaient les profits réalisés par les autres sociétés de personnes.
Saez et Zucman insistent sur le fait que le marché de l’optimisation fiscale « ne crée pas un dollar de valeur ajoutée » et que le tolérer est « un choix de politique publique » (p.94-95). Aux États-Unis, il existe pourtant une doctrine juridique de la « substance économique », soit l’idée que toute transaction dont le but est uniquement de réduire son montant imposable est illégale. La création de sociétés écrans viole cette doctrine. Pourtant, on constate une absence de lutte contre le phénomène.
Saez et Zucman expliquent en partie cette absence par le manque d’informations et le manque de ressources à disposition de l’administration. La conséquence est que le taux de fraude fiscale est aujourd’hui de 20% pour le 1% le plus riche, alors qu’il oscille entre 10 et 15% pour les 80% les moins riches. La croissance de l’industrie de l’évasion fiscale est stimulée par trois phénomènes : la dérégulation financière, la hausse des inégalités et la facilité de création de sociétés écrans offshores.
Le Cabinet Mossack Fonseca, au cœur des « Panama papers », créait ainsi, entre 2000 et 2010, près de 10 000 sociétés écrans par an. Les auteurs sont néanmoins convaincus que l’évasion fiscale n’est pas une fatalité. Le Foreign Account Taxe Compliance Act de 2010, qui incite à la transmission des informations relatives aux pratiques d’évasion fiscale sous menaces de sanctions, semble aller dans la bonne direction.
L’impôt sur les sociétés rapporte de moins en moins de recettes depuis les années 60 en raison d’une crise de profitabilité des entreprises puis de l’augmentation de l’évasion fiscale. La multinationalisation des entreprises entre ici en jeu.
La gestion discrétionnaire des échanges entre une maison-mère et ses filiales, échange réalisé à des prix de transferts décidé en interne, permet par exemple à Apple de déclarer la majeure partie de ses profits en Irlande. Le taux de l’impôt sur les sociétés s’y élève à 12,5% contre 21% aux États-Unis. Une autre pratique répandue réside dans la cession de technologies et de droits de propriété intellectuelle à des filiales situées dans des paradis fiscaux.
Ainsi Skype avait-elle cédé des technologies Internet à sa filiale irlandaise pour 25 000 euros avant qu’elles ne soient revendues 2,6 milliards de dollars à EBay en 2005. Jusqu’à la fin des années 80, les multinationales déclaraient moins de 5% de leurs bénéfices hors du pays où se trouve leur siège social, contre 18% dans les années 2010. En 2016, les firmes multinationales américaines ont déclaré plus de profits dans l’ensemble des paradis fiscaux qu’au Royaume-Uni, en France, au Japon et au Mexique réunis.
Pourtant, c’est 95% de leur dix millions de salariés qui travaillent dans des pays à la fiscalité relativement élevée. L’ampleur de l’évasion fiscale est également rendue visible lorsque l’on met en évidence le fait que 82% du stock de capital des firmes multinationales américaines hors États-Unis est détenu dans des pays à fiscalité élevée alors que 60% de leurs profits hors États-Unis sont déclarés dans les paradis fiscaux. On assiste aussi à une explosion du capital détenu dans les paradis fiscaux alors même que les salaires qui y sont versés stagnent.
Pour Saez et Zucman, il s’agit bien d’une véritable « épidémie de fraude fiscale » (p.125). Certes les pouvoirs publics des paradis fiscaux engrangent des recettes fiscales supérieures. Mais cela se fait au détriment d’autres nations. La fiscalité est un jeu à somme nulle au niveau global qui engendre actuellement une course au moins-disant fiscal.
Entre 1980 et 2018, le salaire moyen par adulte aux États-Unis a connu un taux de croissance annuel moyen de seulement 0,4% contre 1,6% en moyenne pour les revenus du capital par adulte. On a de surcroît assisté, depuis les années 1970, à une hausse de la taxation des revenus du travail et à une baisse de la taxation des revenus du capital, de telle sorte que ces derniers sont désormais, en moyenne, moins imposés que les premiers (primes d’assurance santé incluses).
La réforme connue sous le nom d’Obamacare a obligé les Américains à souscrire une assurance privée s’ils ne sont pas couverts par les assurances publiques. Or quand l’assurance santé est privée, le taux de prélèvement obligatoire diminue mécaniquement. Mais cela ne signifie pas pour autant que les salaires sont amputés de moins de prélèvements. Ces primes obligatoires versées aux assureurs privés représentent 6% du revenu national aux USA en 2019. Saez et Zucman soulignent qu’« après avoir payé ses impôts, son assurance santé (impôt privatisé) et ses cotisations retraite, l’Américain moyen conserve à peu près la même proportion de son revenu avant impôts que son homologue européen » (p.149). Les auteurs contestent également la rhétorique selon laquelle taxer le capital est nocif pour l’investissement et l’emploi.
Historiquement, aucune corrélation n’existe entre la taxation du capital et son accumulation. Les périodes de forte taxation du capital n’ont pas été marquées par une baisse de l’épargne et de l’investissement. Si la hausse de la taxation engendre de l’évasion fiscale, contre laquelle il est possible de lutter, elle ne modifie pas profondément l’arbitrage entre consommation et épargne.
Saez et Zucman soulignent l’importance de la complémentarité entre l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés. Ce dernier permet d’annihiler les possibilités d’évitement de l’impôt sur le revenu en encaissant par le biais de leurs entreprises.
Ceci étant, l’effondrement présent constaté de l’impôt sur les sociétés risque de faire s’effondrer l’impôt sur le revenu et de générer une nouvelle vague d’évasion fiscale. Si on ne peut que difficilement exiger que les paradis fiscaux renoncent à leur souveraineté fiscale, Saez et Zucman sont persuadés que l’on peut en revanche prendre des mesures pour rompre l’idée selon laquelle la mondialisation engendre nécessairement la concurrence et l’injustice fiscale. Ils proposent de taxer les groupes multinationaux non plus filiale par filiale, mais sur leurs « profits mondiaux consolidés », réduisant ainsi l’importance de l’activité, interne aux multinationales, de gestion des prix de transfert. Pour ce faire, « chaque pays doit devenir le gendarme de ses propres multinationales » (p.173).
Si une multinationale américaine migre sa production vers des pays où les taux de l’impôt sont respectivement inférieurs, les États-Unis doivent lui appliquer un « impôt de rattrapage » de sorte qu’elle paie in fine le même taux quel que soit l’endroit où ses profits sont déclarés. Le but de cet impôt de rattrapage est de faire disparaître toute incitation à déclarer ses bénéfices dans des paradis fiscaux. Ses avantages sont nombreux.
Il ne viole aucun traité international ni ne requiert la coopération des paradis fiscaux. La concurrence fiscale étant un jeu à somme nulle, il est dans l’intérêt de toutes les nations avec des taux d’imposition relativement élevés d’agir ainsi. Si le risque de déménagement des sièges sociaux existe, les auteurs expliquent que ces « expatriations fiscales » sont rares et complexes à réaliser. Les firmes multinationales des pays du G20 représentent 90% des bénéfices mondiaux des firmes multinationales. Les auteurs militent pour un accord entre ces pays sur un taux d’imposition sur les sociétés à 25%.
Il y a plusieurs méthodes pour que ces pays collectent alors l’impôt de rattrapage. Saez et Zucman proposent de procéder via une ventilation du « déficit fiscal » lié à l’évasion. Si une entreprise est par exemple imposée en moyenne à 15% sur ses profits évadés, son déficit fiscal équivaut à 10% de ses profits dans le scénario où les pays du G20 s’accordent sur un taux à 25%. Si l’entreprise fait 30% de son chiffre d’affaires aux États-Unis, ce pays collecte 30% de ce « déficit fiscal ».
Saez et Zucman préconisent un taux moyen d’imposition du revenu de 60% pour les 1% les plus riches, soit une situation proche de celle en vigueur dans les années 1930-1950. Pour y échapper, les riches auront deux moyens. Soit ils modifieront leurs comportements choisissant des carrières moins lucratives.
Ce comportement réduira les écarts de distribution avant impôt. Soit ils se soustrairont au fisc. Mais si on limite la possibilité d’évasion fiscale, alors l’incidence d’une hausse du taux d’imposition sera faible. Car « ce n’est pas la demande qui tire l’évasion fiscale, mais l’offre » (p.200). Saez et Zucman plaident également pour trois autres mesures : une intégration de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés ; un impôt sur la fortune progressif ; une augmentation des taux marginaux d’imposition de toutes les formes de revenus.
Enfin, ils rappellent que « l’impôt sur la fortune ne remplacera jamais l’impôt sur le revenu », son objectif étant à l’origine plus limité, à savoir « s’assurer que les très riches ne paient pas moins que le reste de la population » (p.213). L’avantage de l’impôt sur la fortune afin de mettre les plus riches à contribution est que le patrimoine est difficile à réduire artificiellement, contrairement au revenu imposable. Certains estiment qu’un patrimoine élevé n’est pas synonyme de revenus élevés, l’impôt sur la fortune étant alors difficilement acquittable. Ce à quoi Saez et Zucman rétorquent que « quand les ultra-riches prétendent avoir peu de liquidités, c’est le plus souvent parce qu’ils ont choisi de réaliser peu de revenus pour échapper à l’impôt progressif sur le revenu des ménages » (p.221).
Saez et Zucman insistent sur le fait que lorsque l’on prend en compte les primes d’assurance santé obligatoires, on constate que « le système américain ressemble à une immense flat tax qui devient régressive au sommet » (p.259). Les classes moyennes ont un taux moyen d’imposition de 40% contre 23% pour les milliardaires.
Dans cette situation, la question du financement de l’État social convient d’être posée. Ils estiment que l’inconvénient des cotisations sociales est de ne frapper que les revenus du travail. Des taxes sur la consommation, telles que la TVA en vigueur dans les pays européens, sont jugées régressives en plus de reposer sur des assiettes trop étroites.
Ceci étant, ils militent en faveur de la création d’un impôt sur le revenu national. Il ne viendrait pas en remplacement de l’impôt sur le revenu mais uniquement en remplacement des cotisations (mais en imposant aussi les revenus du capital) et de la TVA (mais en imposant en plus l’épargne). Cet impôt sur le revenu national serait proportionnel. Ils préconisent un taux unique de 6%, lequel permettrait de mettre en place « une véritable assurance santé universelle » aux États-Unis.
Saez et Zucman proposent une réforme profonde du système fiscal américain guidée par quatre objectifs corolaires : assurer le financement de l’État social, réduire les inégalités de revenus et de patrimoine, favoriser le consentement à l’impôt tout en adaptant les outils fiscaux aux réalités économiques du XXIe siècle, telles que la liberté de circulation des capitaux.
Si le cas américain est leur objet d’étude principal, l’ouvrage n’en contient pas moins des réflexions stimulantes en vue d’une transformation fiscale dans les pays européens.
L’ouvrage parvient parfaitement à conjuguer analyse théorique, parallèles historiques, études statistiques et arguments programmatiques. Certaines questions ne manquent toutefois pas d’émerger. Les cotisations sociales sont présentées comme une « amputation du salaire » plutôt que comme du salaire socialisé. Le système prôné par les auteurs, appliqué à la France, n’est-il pas un appel à définitivement remplacer la logique d’assurance par une logique d’assistance ?
On peut regretter qu’il ne se confronte pas plus explicitement à cette question. Un second point qui aurait mérité une plus ample discussion concerne la question des profits non distribués. Ils ont certes pu être utilisés afin d’échapper à des taux marginaux élevés. Mais ils ont aussi joué un rôle fondamental dans l’accumulation du capital au cours de la période des Trente glorieuses, participant d’un régime de croissance au sein duquel les inégalités étaient relativement réduites.
Ouvrage recensé– Emmanuel Saez et Gabriel Zucman, Le triomphe de l’injustice : Richesse, évasion fiscale et démocratie, Paris, Seuil, 2020.
Autres pistes– Branko Milanovic, Les inégalités mondiales, Paris, La découverte, 2019.– Thomas Piketty, Le Capital au XXIe siècle, Paris, Seuil, « Les livres du nouveau monde », 2013.– Thomas Piketty, Capital et idéologie, Paris, Seuil, 2019.