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Le Point de vue animal

de Éric Baratay

récension rédigée parKarine ValletProfesseure certifiée de Lettres Modernes.

Synopsis

Histoire

L’histoire animale est aussi riche que l’histoire humaine, d’autant que les deux s’entremêlent perpétuellement. À l’échelle collective ou individuelle, elle est faite de progrès, de rencontres et de douleurs. Éric Baratay nous propose une approche inédite de l’histoire, en adoptant le point de vue animal, pour relater le vécu des bêtes et la manière dont il a influencé celui de l’homme.

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1. Introduction

Les destins de l’homme et de l’animal ne cessent de s’entrecroiser. Pourtant, les historiens ne font guère état de ces interactions lorsqu’ils relatent l’histoire humaine. Ils en font même abstraction, ne voyant en l’animal qu’un élément négligeable qui n’influe pas sur le cours des événements ou des évolutions sociales. Pour Éric Baratay, adopter le point de vue des bêtes, c’est au contraire parcourir le fil de l’histoire selon un autre prisme permettant de mettre en évidence leur rôle de sujets dans nombre de situations.

À l’heure où les recherches scientifiques et éthologiques leur attribuent des compétences sensibles et sociales similaires aux nôtres, il est plus que temps de les réhabiliter, en construisant notamment l’histoire des espèces domestiques qui nous ont accompagnés ou nous accompagnent toujours au quotidien. Dans quelle mesure le destin des animaux est-il étroitement lié à celui des êtres humains ? En quoi le vécu des bêtes a-t-il eu une influence sur notre façon de les percevoir ? Comment certains animaux ont-ils réussi à passer du statut d’objets à celui d’individus ? Du XVIIIe siècle à l’époque contemporaine, l’auteur retrace l’histoire des animaux à travers des événements majeurs, tels que la Première Guerre mondiale ou la révolution industrielle.

2. L’animal, entre machine et utilitarisme

L’histoire des bêtes est marquée par une appropriation des animaux par l’homme. Celui-ci en fait des ouvriers qui lui facilitent la tâche ou rendent ses activités plus prospères. Les animaux se trouvent ainsi propulsés dans le rang des travailleurs en assurant diverses fonctions.

À compter du XVIIIe siècle, les chiens sont de plus en plus sollicités pour garder les troupeaux ou tirer des charrettes. Les chevaux, qui représentent les animaux domestiques les plus répandus jusqu’au début du XXe siècle et l’arrivée des véhicules motorisés, occupent essentiellement des emplois de trait. Ils deviennent les acteurs majeurs des compagnies d’omnibus et travaillent dans les mines. Durant la Première Guerre mondiale, les animaux sont aussi largement mobilisés. Ce sont près de deux millions de mulets, ânes et chevaux, qui se trouvent réquisitionnés pour le ravitaillement des régiments, l’évacuation des blessés, les déplacements des soldats ou le transport des pièces d’artillerie lourde.

En 1917-1918, dix mille chiens sont envoyés sur le front. Du chien sentinelle au chien estafette ou sanitaire, ils ont pour rôle de repérer les blessés, de faire le guet et d’alerter du danger, de tracter des armes ou des vivres.L’animal peut aussi être ravalé au rang d’objet de production ou de divertissement. Avec la corrida, le taureau est plongé au cœur d’un spectacle en plusieurs actes, qui met en scène son agonie et sa mort. Jouet vivant, il subit les pires atrocités physiques et psychologiques pour le simple plaisir de l’homme, qui le pousse dans ses derniers retranchements afin de rendre le divertissement plus attractif. Dans le domaine de l’élevage, les vaches sont perçues comme des outils de production de lait ou de viande. Au fil du XIXe siècle, la conversion laitière en fait notamment des « machines à lait ».

On les pousse au-delà de leurs capacités physiologiques pour obtenir une lactation perpétuelle. L’alimentation des bovins est à base de compléments alimentaires destinés à accélérer la croissance et intensifier la production. Cette exploitation intensive, non respectueuse du vivant, conduit à l’usure prématurée des bêtes qui sont envoyées de plus en plus rapidement à l’abattoir.

3. L’animal élevé au statut d’individu

Autrefois victime de campagnes d’éradication pour combattre la prolifération des animaux errants, le chien est le cas le plus représentatif de cet accès au statut d’individu.

Au cours du XIXe siècle, il devient un compagnon de vie qui trouve sa place pleine et entière au sein des foyers. Cette conversion en animal de compagnie lui offre en quelque sorte une promotion sociale, se concrétisant par des conditions de vie meilleures alliant confort, prévenances et divertissements. Il est érigé en enfant ou ami, qui traverse les mêmes étapes de vie que les humains, de l’enfance à l’adolescence en passant par la vieillesse, de plus en plus prise en charge. Son décès fait l’objet de funérailles par enterrement ou incinération, exactement comme tous les membres de la famille.

Cette évolution du niveau de vie de l’animal de compagnie est parallèle à celle qui s’opère dans les familles. Alors que l’hygiène devient une préoccupation majeure au XIXe siècle, les chiens domestiques se voient brossés et lavés régulièrement. Parallèlement au développement de l’alimentation carnée au XXe siècle et à l’apparition des plats préparés dans les années 1950, les menus canins passent de la soupe frugale à la pâtée composée de viande, puis aux croquettes. Le chien bénéficie enfin d’un traitement équivalent à celui des enfants. Le chiot est nourri au biberon. Il est placé sous la surveillance du maître, qui l’éduque. Dans les années 1970-80, l’éducation canine se départit de la rigidité du dressage par la punition. Tout comme celle des enfants, elle associe la bienveillance et le respect de la personnalité de chaque chien, qui permettent à celui-ci d’apprendre les règles de vie en société tout en créant des liens forts avec ses maîtres.

À priori moins propices à des interactions de ce type, les élevages révèlent des complicités entre l’homme et l’animal. Lorsqu’elles sont tenues à l’étable, les vaches nouent des liens plus rapprochés avec les paysans, notamment les femmes à qui l’on confie la traite car elles se montrent plus douces avec les bêtes. Les animaux sont d’autant plus choyés qu’ils répondent favorablement aux attentes des hommes. Les mineurs offrent des friandises aux chevaux avec lesquels ils travaillent.

Certains soldats des tranchées s’efforcent d’apporter du bien-être aux chiens guetteurs, en leur fabriquant des niches ou des manteaux de protection contre le froid. Les hommages rendus aux animaux morts pendant la Première Guerre mondiale signent la reconnaissance de l’animal en tant qu’individu à part entière. L’auteur considère que ces relations inter-espèces sont favorisées par certains facteurs, comme une expérience éprouvante commune ou la taille réduite des fermes, mais également le désir de l’animal d’entrer en contact avec l’homme.

4. La création de nouvelles races

Au XIXe siècle, la transformation des races animales est une pratique qui se répand. Les experts vétérinaires ou agronomes établissent des critères permettant de standardiser les animaux selon leurs fonctions. Par le biais d’observations effectuées sur des bêtes jugées excellentes, on associe à chaque race des mensurations et une physionomie type, qui porte aussi bien sur la robe et le port de tête que sur le calibre des organes producteurs, comme les mamelles des vaches laitières. Ces informations sont recensées dans des livres généalogiques ou sont reprises par les standards d’évaluation des concours agricoles.

En pratique, ces critères d’excellence sont obtenus par les croisements et la sélection de bêtes correspondant aux canons esthétiques, morphologiques ou psychologiques en vigueur, quitte à développer des lignées de plus en plus consanguines et fragiles. Au XIXe siècle, on garde seulement les chiots les plus beaux en vue des portées futures, de même qu’on fait se reproduire les taureaux les plus impétueux afin d’assurer la relève pour les corridas. Le XXe siècle voit l’émergence de nouvelles techniques, comme la congélation du sperme, l’insémination artificielle et le transfert d’embryon, permettant de créer à la chaîne des animaux toujours plus performants.

Cette gestion humaine de la reproduction animale vise à créer des animaux parfaitement conformes aux attentes des professionnels, qui sont en quête d’une meilleure productivité ou résistance à l’effort. C’est pourquoi la corpulence des chevaux et des animaux de ferme augmente sensiblement. Les chevaux de trait passent progressivement d’une hauteur au garrot de 1,30 mètre à 1,60 mètre, tandis que les porcs deviennent de plus en plus gros avec l’élevage industriel. Ces changements peuvent aussi être liés aux modes. Le labrador à poil court, très prisé au début du XXe siècle, est remplacé par le labrador à poils longs après 1950. Loin d’être anodines, ces transformations ont un effet sur le destin des races.

Elles engendrent leur uniformisation par la réduction de la diversité génétique. Les races les plus rentables évincent les moins productives, au point de les faire disparaître. C’est ainsi que la vache laitière flamande a cédé la place à la normande, qui s’est à son tour trouvée mise à mal par la Prim’Holstein, parfaitement adaptée aux élevages intensifs et prédominante depuis les années 1990-2000.

5. L’animal, sujet agissant et réagissant de l’histoire

Travailleurs-esclaves ou compagnons de vie, les animaux subissent les bouleversements engendrés par leur changement de situation. Selon leur tempérament, ils adoptent des comportements plus ou moins coopératifs. Certains font preuve de résistance en imposant leur volonté. Dans les élevages laitiers, des vaches instaurent des rapports de force avec les éleveurs en refusant la traite pour garder le lait pour leur veau.

Dans les campagnes, les bœufs tractant en binôme refusent de travailler avec d’autres congénères que leur compagnon habituel. Dans les mines, les chevaux refusent de faire des heures supplémentaires après la journée de travail et se détachent eux-mêmes lorsqu’on tente de leur imposer une charge plus lourde qu’à l’accoutumée. Quant aux chiennes dont on veut contrôler la reproduction, elles fuguent pour choisir leurs partenaires, si bien qu’au début du XXe siècle, on abat ces femelles rétives ou élimine leurs portées. À l’inverse, certains animaux s’adaptent aux conditions de vie qu’on leur impose. Le cheval de mine apprend ainsi à se familiariser avec les galeries et leurs obstacles au point de pouvoir y circuler sans se blesser.

Les animaux réagissent aussi aux manipulations dont ils font l’objet par le biais de leur corps. La sélection engendre, par exemple, de nombreuses pathologies chroniques chez les grands chiens ou les bovins destinés à la boucherie, telles que des problèmes ostéo-articulaires liés à un déséquilibre entre leur squelette et leur corpulence. Les modes de vie auxquels les animaux sont confrontés les prédisposent à certaines maladies. L’insalubrité des mines ou des tranchées cause des épidémies de gale, des affections articulaires ou pulmonaires, sans compter l’épuisement découlant d’exigences allant au-delà de leurs capacités physiques.

Du côté des animaux de compagnie, l’obésité et le diabète deviennent des pathologies récurrentes en raison de leur oisiveté et d’une alimentation trop riche. Le malaise des animaux se traduit en outre au niveau psychologique. Immobilisées dans des espaces restreints, sans distance avec les congénères, les bêtes d’élevage développent agressivité et comportements stéréotypés. La désorganisation de l’ordre social au sein des troupeaux provoque probablement stress et frustration chez les bovins puisque les veaux sont retirés à leurs mères et que celles-ci sont coupées des mâles avec le recours à l’insémination artificielle.

De même, les chiens de compagnie sont peu en contact avec leurs congénères, si bien qu’ils sont plus habitués à l’homme et se montrent de moins en moins sociables entre eux.

6. L’influence du vécu animal sur les comportements humains

L’observation du vécu animal conduit les hommes à améliorer les conditions de vie des bêtes afin d’optimiser leurs capacités de rendement. Le matériel est rendu plus fonctionnel par rapport à la morphologie des animaux. On innove avec de nouveaux types d’attelages et des ascenseurs-cages pour descendre les chevaux dans les mines. On prend en compte leurs besoins psychologiques en instaurant des cures de lumière et de plein air, de même qu’on agrandit les espaces de vie des bovins dans les élevages ou prévoit l’insensibilisation des animaux de boucherie avant leur abattage. Au cours du XXe siècle, la médecine vétérinaire fait aussi des progrès pour mieux soigner les bêtes.

Durant la Première Guerre mondiale, les animaux bénéficient d’hôpitaux ou de sanatoriums dédiés. Le suivi médical des chiens de compagnie va en s’accentuant, au point d’être étonnamment semblable à celui de leurs maîtres avec des interventions chirurgicales complexes, des suivis gériatriques, des chimiothérapies ou des thérapies comportementales.

Les mesures prises relèvent de deux types de postures de la part des hommes : soit une adaptation transformante, c’est-à-dire que l’on fabrique du matériel ou des bêtes de plus en plus adaptés aux conditions imposées ; soit une adaptation résistante, c’est-à-dire que l’on ignore la souffrance animale en la dissimulant au fond d’élevages et d’abattoirs isolés, de laboratoires interdits au public. Dans les deux cas, le vécu des animaux est relativisé. Jusqu’en 1920, les changements sont d’ailleurs motivés par des considérations économiques, sanitaires ou morales, la violence à l’égard des animaux domestiqués étant perçue comme un avilissement pour l’homme moderne. C’est pourquoi on élabore des théories fallacieuses pour certaines pratiques, comme la corrida, que l’on veut rendre acceptables : les aficionados ont ainsi construit un mythe basé sur la soi-disant valeur chevaleresque du torero, qui combat pourtant un taureau affaibli en coulisses avant son entrée dans l’arène.

L’amélioration du sort animal se fait aussi sous la pression d’associations et de particuliers, qui dénoncent, dès le XIXe siècle, les maltraitances dont font l’objet les équidés, mais également les animaux de boucherie ou les chiens. Ce sont avant tout des aristocrates et des bourgeois qui se mobilisent et s’insurgent. En 1850, est votée la première loi de protection animale, la loi Grammont. La création de refuges privés ou de la SPA en 1845 à Paris, la dénonciation de pratiques telles que la vivisection ou les abandons, signent le début d’un militantisme qui se déploie de plus en plus. Aujourd’hui, la sensibilité des animaux a été scientifiquement établie. Elle a permis d’introduire le principe de bien-être animal dans les textes législatifs concernant les animaux.

7. Conclusion

En renversant le point de vue anthropocentrique des historiens, Éric Baratay donne à voir l’implication des animaux dans l’histoire humaine. Certes, l’homme agit sur eux en les utilisant souvent comme des objets, leur réservant un sort douloureux et difficile. Mais l'animal est aussi un acteur qui agit et réagit, en répondant ou non aux sollicitations des êtres humains, en communiquant avec eux et manifestant ses désirs jusqu’à nouer, parfois, des liens d’amitié profonds et acquérir le statut d’individu à part entière.

L’auteur montre ainsi que l’histoire animale est à la fois collective et individuelle, qu’elle est traversée de joies et de souffrances, de choix et de résistances de la part des bêtes, au même titre que la nôtre.

8. Zone critique

Dans ses ouvrages, Éric Baratay considère que l’animal est un sujet agissant qui participe à l’histoire et s’adapte en faisant évoluer ses comportements, obligeant aussi les hommes à repenser les leurs. Il s’oppose ainsi aux thèses du behaviorisme, apparu dans les années 1950. Les behavioristes voient les bêtes comme des machines programmées qui réagissent à des stimuli et à des apprentissages. Ils leur dénient toute capacité d’adaptation. Pour Éric Baratay, cette approche est biaisée par une vision anthropocentrique du monde. L’éthologie objectiviste, développée par Konrad Lorenz et Nikolaas Tinbergen à la même époque, a le mérite de prendre en compte les interactions avec l’environnement et d’attribuer des variations comportementales aux animaux en fonction des contextes. Mais elle réduit ces comportements à des mécanismes innés et stéréotypés, liés à l’instinct et déterminés par l’espèce.

Par son adhésion à l’idée d’un animal-sujet doté de facultés complexes, Éric Baratay rejoint les théories de l’éthologie cognitive. Pour ses partisans comme Jacques Vauclair ou Donald Griffin, les animaux possèdent une mémoire, des capacités psychiques et une sensibilité, qui leur permettent d’appréhender les situations et d’y répondre de façon adaptée. L’éthologie cognitive a permis de s’interroger sur les notions de conscience, d’intentionnalité ou d’intelligence animale. Dans son livre Les Origines animales de la culture, Dominique Lestel souligne, quant à lui, l’existence de cultures animales qui peuvent varier et évoluer au sein même des espèces. C’est ainsi que les chimpanzés utilisent différentes techniques d’épouillage, selon le groupe auquel ils appartiennent.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Éric Baratay, Le Point de vue animal – Une autre version de l’histoire, Paris, Seuil, 2012.

Du même auteur– Bêtes des tranchées – Des vécus oubliés, Paris, CNRS, 2013.

Autres pistes– Yves Christen, L’Animal est-il une personne ?, Paris, Flammarion, 2011.– Robert Delort, Les Animaux ont une histoire, Paris, Seuil, 1993.– Vinciane Despret, Bêtes et Hommes, Paris, Gallimard, 2007.– Dominique Lestel, Les Origines animales de la culture, Paris, Flammarion, 2001.

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