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Sociologie des mouvements sociaux

de Erik Neveu

récension rédigée parThomas ApchainDocteur en anthropologie (Université Paris-Descartes)

Synopsis

Société

Comment la sociologie peut-elle traiter des mouvements sociaux ? Comment définir et expliquer les mouvements sociaux ? Comment comprendre les raisons et les conditions des mobilisations collectives ? À travers une revue des travaux sur le sujet, Erik Neveu montre comment s’est constituée une sociologie des mouvements sociaux.

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1. Introduction

Réédité sept fois depuis sa première parution en 1996 afin d’être agrémenté de nouvelles recherches et, surtout, de nouveaux exemples, Sociologie des mouvements sociaux fait le bilan de la recherche sur les mouvements sociaux.

À travers une multitude de références, il en présente certaines questions centrales : pourquoi et comment émergent les mouvements sociaux ? Comment expliquer que certains groupes puissent se mobiliser plus facilement que d’autres ? Quelle est la signification de l’engagement dans un mouvement social ? Quelle est la nature des rapports qu’entretiennent État et mouvements sociaux ? Quel rôle tiennent les médias dans ces mouvements ? L’ouvrage présente la particularité d’étudier des phénomènes dont l’analyse à chaud empêche souvent une juste prise en considération. Il effectue d’abord un retour historique sur les différents courants de la sociologie des mouvements sociaux évoquant brièvement ses prémisses pour se concentrer sur son évolution à partir des années 1970 et présenter les aspects les plus contemporains des questions qui continuent de structurer ce champ.

Il permet, tout en restituant la diversité des points de vue qui s’y exprime, d’obtenir une perception claire d’une sociologie dont l’objet est devenu une composante essentielle de la vie des démocraties.

2. Que sont les « mouvements sociaux » ?

Comment définir les mouvements sociaux ? Le sens commun a une idée relativement précise de ce qu’ils sont, mais il s’en construit une image à partir d’exemples connus sans en donner une définition qui puisse s’appliquer dans une variété de contexte dans lesquels, justement, nous hésiterions à parler de mouvement social. Les premiers chapitres de l’ouvrage définissent progressivement et le plus largement possible la notion de mouvement social. Les mouvements sociaux peuvent d’abord être définis comme une action collective. Mais toutes les actions collectives ne sont pas des mouvements sociaux : un embouteillage ou un phénomène de diffusion culturelle (la mode) s’en distingue, car ils ne sont pas « le fait d’une intention explicite de coopération ou d’action concertée » (p. 6). De même, nous pourrions être tentés de distinguer les organisations des mobilisations collectives. En effet, travailler dans une entreprise ne nécessite pas le partage d’une croyance et se fonde plutôt sur un ensemble d’obligations.

Néanmoins, cette distinction est relativisée par différents sociologues pour qui cette catégorisation procède bien souvent d’une erreur qui sous-estime à la fois le degré d’organisation des mouvements sociaux et la place des croyances et des engagements volontaires au sein de l’entreprise. Ce rapprochement invite à penser les mobilisations sociales dans leurs relations avec les autres formes de l’action collective, comme un éventail de pratiques plus ou moins organisées ou centralisées. Les mobilisations sociales sont, toutefois, une forme particulière d’action collective qui pourrait être caractérisée par deux critères. D’abord, elles supposent un « agir-ensemble intentionnel » (p. 9), c’est-à-dire une intention explicite de se mobiliser collectivement. Deuxièmement, elles sont structurées par une revendication. Mais les mouvements sociaux sont-ils tous politiques ?

À cette question, Erik Neveu répond par la nécessité d’une définition du politique. Selon lui, sont politiques les mouvements sociaux qui font appel à l’action des pouvoirs publics.

Sur ce plan, le sociologue affirme que, malgré l’existence de mouvements sans adversaires comme les cortèges à la suite des attentats (mais qui sont extrêmement éphémères), nous pouvons considérer que les mouvements sociaux sont de plus en plus politiques.

En effet, si les mouvements sociaux sont, jusqu’au début du XIXe siècle, locaux et évoluant dans une sphère d’interconnaissance vis-à-vis de l’adversaire identifié, la révolution industrielle (qui soumet les activités économiques au marché) et la nationalisation de la vie politique ont contribué à faire de l’État la cible principale des mobilisations. De nos jours, les mouvements sociaux sont une composante commune de la vie démocratique.

3. Comportements collectifs et rationalité économique

L’ouvrage d’Erik Neveu permet de retracer l’histoire de la sociologie des mouvements sociaux. S’il existe des précédents sociologiques de ce champ — notamment les ouvrages de Gustave Lebon sur la Psychologie des foules, ou ceux d’Alexis de Tocqueville — Erik Neveu s’intéresse particulièrement aux travaux de la seconde moitié du XXe siècle, plus particulièrement des années 1970. Les deux premières écoles de pensée relatives aux mouvements sociaux sont bien distinctes et même, en certains points, contradictoires.

La première rassemble les « théories des comportements collectifs ». Les différents chercheurs qui participent de ces théories ont plusieurs points communs. D’abord, ils remettent en cause les idées de Le Bon et affirment que les mouvements sociaux ne sont pas des pathologies sociales, mais des mobilisations qui ont une rationalité. Deuxièmement, ils entreprennent d’étudier les mouvements sociaux, alors principalement analysés comme phénomène destructeur, dans leur capacité de création du changement social.

Enfin, et encore en contradiction à la sociologie de Le Bon, les mouvements sociaux ne sont plus considérés comme des phénomènes de contagion, mais de convergence. A contrario de l’accent mis sur les phénomènes d’imitation, l’idée de convergence met en lumière l’idée d’une synchronisation des croyances et de frustrations. Pour Ted Robert Gurr, l’un des meilleurs représentants de cette école, tout mouvement social est conditionné par le franchissement collectif du seuil de frustration perçu, de manière relative, comme le décalage entre une situation vécue et des attentes.

La seconde école est dite de la « rationalité économique », son principal représentant est Mancur Olson. Il entreprend l’analyse des mouvements sociaux en termes de « calcul rationnel » : l’action collective ne va pas de soi et les frustrations ne forment pas des groupes latents. Selon Olson, il convient de prendre en compte une dimension individuelle qui se traduit par le fait qu’un individu peut s’engager dans un mouvement social, mais peut aussi décider de laisser d’autres le faire s’il juge cela plus « rentable ».

De ce fait, la mobilisation collective apparaît comme un fait improbable. Pour expliquer, malgré cela, son existence, Olson invente le concept « d’incitation sélective » qui désigne les techniques employées pour « abaisser les coûts de la participation à l’action ou augmenter ceux de la non-participation ».

L’apport d’Olson consiste principalement à la mise en évidence de l’idée que la mobilisation ne va pas de soi et n’est pas la conséquence systématique d’une frustration collective. Cependant, le modèle de l’individu rationnel connaît une limite : il ne rend pas compte des différences sociales et historiques qui montrent pourtant que la place du calcul rationnel tend à varier selon les contextes. À de nombreux égards, l’homme est plus qu’une machine à calculer et il convient donc de lui restituer une autre consistance.

4. Mobilisation des ressources et nouveaux mouvements sociaux

Les années 1970 sont traversées par de nombreux mouvements sociaux qui vont contribuer à penser la mobilisation collective dans des dimensions plus historiques. Surtout, la question se déplace progressivement du pourquoi au comment : comment certaines mobilisations parviennent-elles à émerger ou à réussir ?

Cette posture est à l’origine du paradigme de la « mobilisation des ressources ». Ici, les mouvements sociaux sont « pensés comme un processus de construction d’un rapport de force et de sens » (p. 47). Au départ de ce courant, les travaux des sociologues américains affichent une certaine continuité vis-à-vis d’Olson, ce dont témoigne la notion de « ressources » qui conservent une attache économique. De même, l’organisation des mouvements sociaux est conçue comme une manière rationnelle d’investir les ressources disponibles.

Mais, sa particularité tient surtout à l’insertion de cette analyse dans des dimensions sociologiques et historiques. D’un côté, Anthony Obershall propose d’appuyer l’analyse des mouvements sociaux sur la structure sociale des groupes et les réseaux de solidarité qui préexistent au mouvement. La force du mouvement dépend à la fois de ses liens externes (l’existence, ou non, de connexions stables avec les autorités supérieures) et internes (de vie en communautés au simple partage d’un principe fédérant des individus isolés). C’est l’ensemble de ces liens sociaux qui déterminent les ressources dont disposent les groupes pour la mobilisation collective.

De l’autre côté, Charles Tilly a développé une perspective historique dans laquelle il contredit l’idée selon laquelle les individus seraient soumis à un type unique de rationalité. Pour lui, il existe une multitude de stratégies relatives à différents modèles culturels. Les mouvements sociaux, par conséquent, n’existent pas sous une forme abstraite et générale, mais se déclinent en autant de situations historiques spécifiques. Par cette double prise en compte, sociologique et historique, la « mobilisation des ressources » devient le cadre de référence pour l’analyse des mouvements sociaux.

Dans le même moment, la recherche européenne se concentre sur l’analyse des nouveaux mouvements sociaux en cherchant à expliquer la rupture historique que présentent les années 1960 et 1970. Cette rupture est, selon eux, de quatre ordres : changement sur la forme des organisations et le répertoire d’action (les assemblées générales sont préférées à la centralisation des mouvements qui, généralement, se concentrent sur une seule revendication) ; changement des valeurs et des revendications (a contrario des anciennes revendications centrées sur le partage des richesses, les revendications sont plus qualitatives, mais aussi moins négociables) ; changement vis-à-vis du politique (défier l’État est moins important que la création d’espaces d’autonomie) ; passage de la classe à l’identité culturelle (la lutte des classes n’est plus le paradigme dominant).

Pour des chercheurs comme Alain Touraine ou Ronald Inglehart, nous sommes passés dans un registre « postmatérialiste de l’action collective » (p. 61) dans lequel, la satisfaction des besoins matériels étant généralement acquise, les revendications sont plus « qualitatives ».

En d’autres termes, les revendications portées notamment par le milieu ouvrier dans la société industrielle ont été remplacées par de nouvelles aspirations de « participation, de préservation d’autonomie, de qualité de vie, de contrôle des processus de travail » (p. 61), mais aussi par des quêtes identitaires. C’est sur ce point que leurs recherches sont contestées.

En effet, d’anciennes revendications, comme la journée de 8 h, peuvent apparaître qualitatives alors que de nouvelles revendications continuent d’avoir une visée matérialiste.

5. Nouveaux champs de la sociologie des mouvements sociaux, la question du militantisme

La « mobilisation des ressources » a été le cadre théorique le plus important pour le développement de la recherche sur les mouvements sociaux. Néanmoins, le modèle ne permet pas d’expliquer l’intégralité de ce qui compose les mobilisations collectives et se concentre davantage à démontrer les probabilités de l’action (les ressources disponibles) qu’à décrire et comprendre les actions elles-mêmes.

La théorie de la « mobilisation des ressources », tout en incluant une perspective historique et sociologique, prolonge un mode « objectif » de la recherche et s’intéresse peu aux subjectivités exprimées dans les mouvements sociaux. C’est à cela, en partie, qu’œuvre la sociologie du militantisme.

À partir de travaux empiriques, la sociologie du militantisme a mis en évidence « la dimension du sens » dans les engagements militants et montré le lien entre militantisme et constitution d’une identité qui soit à la fois individuelle et collective. L’attention portée aux vécus militants invalide définitivement l’approche économique en termes de ressources et de gains.

En effet, la satisfaction des militants dépend de l’intensité de l’engagement et de la participation à une aventure collective, et non plus seulement des résultats de la mobilisation. Dans certains mouvements, la mobilisation devient un agent structurant de l’identité de ses membres. Selon Erik Neuveu, « le militantisme constitue aussi une forme d’institution de réassurance permanente d’une identité valorisante, car liée à une cause vécue comme transcendant la biographie individuelle » (p. 78).

S’agit-il, alors, de construire une identité individuelle ou collective ? Pour le sociologue, ces deux niveaux de constructions identitaires ne sont pas antagonistes puisque la participation à un mouvement social permet de revendiquer une appartenance sur le plan individuel. De plus, un mouvement social peut être totalement bloqué s’il n’offre pas la possibilité aux individus de revendiquer une identité sociale acceptable. C’est le cas, par exemple, des chômeurs qui peinent à construire une mobilisation collective.

Si l’identité est une composante essentielle de l’ensemble des mouvements militants, elle peut prendre une place centrale, notamment dans le cas de revendications nationalistes ou, plus encore, dans celui de groupes victimes de stigmatisation. Le cas des mouvements homosexuels, par exemple, se déploie d’abord par un travail du groupe sur lui-même avant même la désignation d’un adversaire.

Renouant avec une approche constructiviste, Erik Neveu invite à prendre en compte les mouvements sociaux comme un espace de construction et de performance de l’identité, dimension qu’ignorait largement l’analyse en termes économiques.

6. Nouveaux champs de la sociologie des mouvements sociaux

À partir des années 1980, la recherche sur les mouvements sociaux a davantage pris en considération les contextes politiques et symboliques.

La prise en compte de l’importance du politique dans les mouvements sociaux fait face à un double défi. Le premier consiste à accorder une attention plus grande à l’État et aux ressources dont il dispose pour répondre aux mobilisations, conditionnant ainsi leurs chances de succès. Un modèle de Sidney Tarrow distingue quatre facteurs : la tolérance variable de l’État envers les mobilisations (certains systèmes étant plus répressifs que d’autres), le degré de stabilité des alliances politiques (puisque le succès des mouvements sociaux dépend de la manière dont ils tirent profit des divisions du monde politique) ; la présence de relais potentiels des mouvements au sein de l’État ; la capacité variable des institutions à développer des politiques publiques (certaines institutions de l’État disposent de moyens d’action limités).

Le second défi consiste à penser la dimension politique des mouvements sociaux hors d’une dichotomie État/groupes mobilisés. En effet, il existe une grande variété d’acteurs et d’intermédiaires. Par ailleurs, il ne faut pas considérer l’État comme un ensemble homogène face à la mobilisation : des ministères, par exemple, peuvent avoir des intérêts contradictoires. Selon Erik Neveu, la sociologie est également de plus en plus attentive aux dimensions symboliques des mouvements sociaux. Cette tendance suppose de porter attention aux cadres symboliques, idéologiques et culturels des mobilisations et se déploie jusque dans l’analyse des émotions, part importante de tout mouvement social. Les dimensions symboliques des mobilisations sont présentes dès leur naissance puisque « le passage à l’action collective suppose un travail sur les représentations qui donne au mécontentement un langage » (p. 99).

Elles sont ensuite présentes à plusieurs niveaux et comportent : une fonction normative (par la désignation des causes et responsables), une composante identitaire (par l’opposition d’un eux à un nous), et un registre expressif (puisque la mobilisation rend possible la formulation des griefs).

La prise en compte du symbolique dans les mouvements sociaux invite à questionner la place des médias, principal forum de son expression. Il s’agit donc de comprendre leur rôle, d’analyser tant la manière dont les militants tentent d’instrumentaliser la couverture médiatique que celle dont les médias peuvent décrédibiliser ou renforcer une mobilisation collective.

7. Conclusion

Selon Erik Neveu, l’analyse des mobilisations collectives est essentielle pour la compréhension du jeu politique contemporain. Ainsi, selon lui, « l’analyse des mouvements sociaux reste un terrain de choix pour appréhender tant les attentes nouvelles que les désillusions que suscite le modèle démocratique tel qu’il s’incarne » (p. 116). Ce que recouvre la notion de mouvements sociaux est complexe et a mobilisé une succession de recherches parfois contradictoires. Dans cet ouvrage, Erik Neveu appelle à plusieurs opérations de désenclavement.

D’abord, par une définition des mouvements sociaux comme « forme d’action collective concertée en faveur d’une cause » (p. 9), il permet une prise en compte suffisamment large pour permettre à la sociologie d’étudier et de comparer des cas à travers leur variété géographique et historique.

Par ce même mouvement, il invite à prendre en compte les dimensions politiques, symboliques et identitaires des mobilisations telles qu’elles sont observables à condition de porter une considération au point de vue de ceux qui s’y engagent. Par-là, il devient possible de désenclaver la sociologie des mouvements sociaux afin de s’articuler à « une sociologie de la production des idées, de la médiatisation, aux outils d’analyse des émotions ». (p. 111).

8. Zone critique

L’ouvrage d’Erik Neveu a une pertinence multiple pour tous ceux qui s’intéressent aux mouvements sociaux et, plus largement, à la vie démocratique. En premier lieu, son intérêt réside dans la synthèse de travaux depuis le début des années 1970 dont la plupart n’ont jamais été traduits. Il permet donc de rendre accessible en français une somme considérable de théories à l’usage des chercheurs, mais aussi de ceux qui participent aux mouvements sociaux et dont Erik Neveu sait bien qu’ils comptent parmi les principaux lecteurs.

Par ailleurs, les constantes rééditions de l’ouvrage (7 en moins de 25 ans) permettent, tout en maintenant un cap théorique, de faire évoluer la réflexion à la lumière des événements les plus récents. C’est là, sans doute, la force de cet ouvrage qui, à l’inverse de ceux qui ont constamment cherché à analyser l’évolution de ces mobilisations en termes de rupture, permet de construire un cadre d’analyse intégrant leurs diversités historiques et sociales.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– Erik Neveu, Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, 1996.

Autres pistes– Olivier Fillieule, Lilian Mathieu & Cécile Péchu (dir.), Dictionnaire des mouvements sociaux, Presses de Sciences Po, 2009.– Charles Tilly, La France conteste de 1600 à nos jours, Fayard, 1986.– Charles Tilly et Sidney Tarrow, Politique(s) du conflit, Presses de Sciences Po, Paris, 2008.– Alain Tourrain, La voix et le regard, éd. du Seuil, 1978.

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