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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

La politique de l’autonomie

de Esther Duflo

récension rédigée parAlexandre ChiratDoctorant en sciences économiques à l'Université Lumière Lyon-2.

Synopsis

Économie et entrepreneuriat

La publication de ce livre est issue de leçons données au Collège de France en 2009. Il vise à interroger le nouveau credo des politiques d’aides au développement – « rendons aux pauvres la lutte contre la pauvreté » – qui fonde les « deux piliers » de la lutte contemporaine contre la pauvreté, à savoir l’inclusion financière via le microcrédit et les processus de décentralisation de la gestion des biens publics (pp. 11-12). Pour ce faire, Duflo mobilise les enseignements d’un ensemble de travaux qui reposent sur une méthode dite expérimentale.

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1. Introduction

Esther Duflo propose une synthèse des recherches menées sur les effets du microcrédit et de la décentralisation de la gouvernance. Les travaux qu’elle utilise sont fondés sur des études de terrain que l’on nomme les expériences aléatoires (Randomized Controlled Trials).

Inspirées de la médecine, ces expériences consistent à proposer un programme de développement à des groupes de personnes sélectionnées de manière aléatoire et à en évaluer les effets en les comparant aux groupes n’ayant pas bénéficié de ces programmes.

2. Le problème de l’accès au crédit pour les plus pauvres

Le problème de l’accès au crédit des ménages les plus pauvres dans les pays en développement a été considéré comme une entrave à la croissance de l’activité économique. Le marché du crédit traditionnel fait face à deux imperfections liées aux asymétries d’information. La première est l’aléa moral, situation où l’emprunteur peut décider de ne pas rembourser un emprunt contracté. Le deuxième est la sélection adverse, situation où l’augmentation des taux d’intérêt des crédits de la part des prêteurs, pour pallier les risques de pertes financières en cas de défauts de paiement, contribue à attirer uniquement les ménages les moins solvables, augmentant les risques de défauts.

Ces asymétries contribuent à faire en sorte que les plus pauvres sont soit exclus du marché du crédit, soit dans l’incapacité de rembourser leur crédit et intérêt. Pour résoudre ce problème, le bengali Mohammed Yunus a fondé en 1976 la Grameen Bank, action pour laquelle il a reçu le Prix Nobel de la paix en 2006. Il s’agit d’un organisme de microcrédit qui compte aujourd’hui plus de 150 millions de clients et dont les taux de remboursements, problématique majeure du crédit aux ménages pauvres, sont supérieurs à 95%. Les agences de microcrédit ont à la fois un « versant commercial », au sens où elles souhaitent être autonomes financièrement, et un « versant social », dans la mesure où elles ciblent les ménages les plus modestes (p. 19). L’appellation microcrédit provient des montants prêtés relativement faibles comparés aux prêts des institutions financières traditionnelles.

Quant aux taux d’intérêts, bien que souvent jugés élevés, ils demeurent plus faibles que les taux pratiqués par les usuriers présents sur les marchés informels du crédit dans les pays en développement. Contrairement à ce que postulent de nombreuses théories économiques, on constate que le taux d’intérêt n’est pas un déterminant majeur du niveau de la demande de crédit. Les études de terrain « démontrent » par ailleurs la capacité effective de remboursement des ménages pauvres et des petites entreprises familiales. Il faut toutefois noter, premièrement, que la « rentabilité » de leurs investissements « décroît rapidement », de telle sorte que leur « capacité d’absorption » est limitée (p. 27).

D’où l’intérêt de crédits de faible montant. Deuxièmement, les microcrédits ne font pas disparaître le problème de l’aléa moral. Les expériences où l’on garantit aux clients, pour leurs microcrédits futurs, de faibles taux d’intérêt montrent que cela contribue à réduire significativement les non-remboursements.

3. Le microcrédit et son impact

Le microcrédit en tant qu’institution se distingue par trois grands traits. Premièrement, il est essentiellement destiné aux femmes pour trois raisons, à savoir leur supposé plus grande fiabilité, leur rôle dans l’éducation des enfants – facteur primordial pour le développement – ainsi que leur accès encore plus difficile au crédit. Deuxièmement, les microcrédits prennent traditionnellement la forme de prêts à des groupes d’individus appartenant à une même communauté plutôt qu’à des individus en tant que tels.

À l’origine, et dans de nombreux cas encore, les organismes de microcrédits imposaient même une solidarité des membres du groupe envers les emprunts contractés. Ces « prêts solidaires » avaient l’avantage d’engendrer une baisse des coûts de contrôle pour les institutions prêteuses, les membres du groupe exerçant une forme d’autocontrôle. Mais un désavantage important est le risque de décourager les initiatives individuelles. Troisièmement, la gestion des microcrédits implique des réunions et des remboursements hebdomadaires de la part des membres du groupe, ce qui contribue à la réduction des « coûts de transaction » pour l’institution prêteuse. Si le microcrédit a permis d’accroître l’inclusion financière des plus pauvres, en particulier des femmes, Esther Duflo tient à souligner trois limites principales de ce système.

Premièrement, toutes les institutions de microcrédit ne sont pas rentables. Certes l’aspect commercial n’est pas le critère absolu de réussite de ce système. Il faut toutefois savoir que nombre de banques de microcrédits vivent grâce aux aides financières d’institutions internationales. Deuxièmement, si le volume important de microcrédits contractés peut apparaître comme un indicateur de réussite, Duflo rappelle que tout crédit n’a pas nécessairement des effets positifs pour l’emprunteur. Elle met notamment en avant le problème de surendettement de nombre de ménages pauvres.

Troisièmement, une étude de cas des activités de la banque Spandana en Inde a montré qu’un microcrédit sur six a généré le lancement d’une nouvelle activité. Mais à court terme, si l’on compare les groupes auxquels le programme de microcrédit s’applique et les groupes témoins, on ne constate aucun effet sur « l’éducation, la santé, le pouvoir de décision des femmes ou tout indicateur autre que l’impact strictement économique » (p. 49)

4. Microcrédit, épargne et assurance

Esther Duflo traite ensuite de la question des comportements d’épargne des ménages les plus pauvres au regard du rôle du microcrédit. Les études de terrain montrent que le fait de contracter un crédit de la part de ces derniers contribue à réduire la consommation de « biens de tentations » (cigarettes, snacks) en faveur de la consommation de biens durables dont les prix sont plus élevés (réfrigérateur, bicyclette).

Elle en conclut que le microcrédit engendre une discipline forcée chez les individus, l’emprunt favorisant finalement l’épargne. Dans la mesure où nombre d’institutions de microcrédits sont désormais solidement ancrées dans leur territoire, essentiellement en Asie et en Afrique de l’Ouest, elles ont tenté de diversifier leurs activités en développant des offres d’assurance. Comme le marché du crédit, cette activité est soumise au problème de sélection adverse. Pour le pallier, les établissements proposent des assurances – contre les risques liés à la santé, la sécheresse, le bétail – aux personnes ayant déjà contracté un microcrédit.

Dans une étude se déroulant en Inde, on a constaté que lorsque l’assurance santé est obligatoire pour renouveler un microcrédit, s’ensuit une baisse du taux de renouvellement. Duflo émet plusieurs hypothèses pour expliquer ce phénomène : soit la logique de l’assurance est mal comprise, soit l’assurance obligatoire est perçue comme un impôt ou bien encore les ménages les plus pauvres sont peut-être sujets à l’incohérence temporelle. Le marché de l’assurance ne semble donc pas être appelé à devenir une activité féconde au sein des institutions de microfinance.

5. La gouvernance et le problème de la corruption

Dans la deuxième partie de l’ouvrage consacrée à la gouvernance, Duflo commence par traiter du problème de la corruption, qu’elle entend approcher « par le bas ». Elle traite de la corruption du quotidien : les bakchichs requis par un policer pour prendre une déposition, par un fonctionnaire pour enclencher une demande administrative, par un examinateur afin de délivrer un permis de conduire ou encore le détournement des ressources destinées aux infrastructures et l’absentéisme chronique des fonctionnaires.

De manière générique, Duflo définit la corruption comme « la situation où un fonctionnaire (ou un élu) enfreint un règlement pour obtenir un avantage personnel » (p. 62). En tant qu’acte illégal, la mesure du phénomène est nécessairement incertaine.

Par contre, la corruption contribue toujours à créer des rentes privées d’une part et réduire le bien-être général d’autre part, de telle sorte qu’on peut conclure qu’elle est non optimale économiquement. La corruption consiste en effet à réintroduire la logique marchande dans des activités contrôlées par l’État en raison de l’existence de défaillances de marché. Si l’on prend l’exemple des services hospitaliers, la corruption contribue à une allocation des ressources médicales en fonction de la capacité à payer plutôt qu’en fonction de l’urgence et l’importance des besoins médicaux des individus.

Pour être endiguée, on affirme généralement que la corruption requiert certes un contrôle « par le haut », mais en sus une surveillance « par le bas », en impliquant les communautés locales dans le processus de gouvernance des biens collectifs. C’est l’objet de la dernière partie de l’ouvrage.

6. Les effets de la décentralisation sur la corruption

La gouvernance locale, incarnée par le développement des « conseils locaux » comme en Inde et au Brésil, est souvent présentée comme une « solution miracle » au problème de la corruption. La décentralisation de la décision a trois avantages. Les communautés qui bénéficient des services collectifs exercent un contrôle direct et ont une meilleure connaissance de leurs besoins que le gouvernement central. De surcroît, ces conseils sont susceptibles de favoriser le développement des solidarités.

Esther Duflo conteste toutefois la thèse de la décentralisation comme solution miracle. Premièrement, les « conseils locaux » peuvent être « la proie des élites locales ». Deuxièmement, il peut s’y exercer une tyrannie de la majorité. En prenant l’exemple des anciens membres de la caste des intouchables en Inde, elle souligne le rôle majeur de l’État central afin de leur faire bénéficier de quotas dans les administrations. Troisièmement, l’existence de conseils locaux peut aussi attiser des conflits, provoquant au contraire une détérioration des relations sociales au niveau local. Afin d’évaluer l’impact de ces conseils, les études de terrain identifient des variables déterminantes.

Premièrement, on constate que les quotas de places réservées aux femmes améliorent la représentation de leurs besoins au sein de ces conseils.

Deuxièmement, lorsqu’un conseil est dirigé par une femme, on constate une amélioration de la perception qu’ont les hommes des compétences des femmes. Pour ces deux raisons, les conseils locaux ont des effets jugés plutôt positifs. Mais il est impossible de tirer des conclusions quant au bien-être général de la communauté.

Troisièmement, les études permettent de constater que l’identité sociale du chef du conseil local détermine en grande partie l’allocation géographique des projets. Il favorise les quartiers dont il est issu. À l’instar de la gouvernance à l’échelle nationale, la gouvernance à l’échelle locale témoigne d’une dialectique indépassable entre les intérêts particuliers et l’intérêt dit général.

7. Conclusion

Au sujet des institutions de microfinance, Duflo conclut qu’il est inapproprié de les considérer comme de nouveaux usuriers. Elles ont permis à des personnes, en particulier des femmes, de sortir de la pauvreté. Elle rappelle toutefois que le développement des petites entreprises et de l’entrepreneuriat est un phénomène plus subi que voulu, avant d’ajouter que la microfinance ne peut pas se substituer à d’autres moyens de lutte en faveur du développement.

Concernant la corruption, elle est considérée comme une des origines de la médiocrité des services locaux, laquelle atteint d’abord les ménages les plus pauvres. Plus de démocratie à l’échelle locale ne permet pas d’étouffer la corruption sans l’établissement corollaire de « règles strictes » et un cadre incitant à la « discipline ».

8. Zone critique

L’ouvrage constitue une introduction réussie aux problématiques du microcrédit et de la gouvernance locale dans les pays en développement. Les critiques portées à son encontre, et plus généralement à l’ensemble des travaux de Duflo et de ses collègues du J-Pal, portent sur la nature de leur méthode. Pour une « société juste et une vie civique épanouie », la récente Prix Nobel appelle à « expérimenter sans relâche » afin de savoir ce qui, oui ou non, fonctionne pour lutter contre la pauvreté. (p. 98).

Elle revendique explicitement une rhétorique des « petites avancées » plutôt qu’une approche globale de la lutte contre la pauvreté. La critique méthodologique de premier plan porte sur la question de la validité des expériences menées et qui sont au fondement des conclusions de l’ouvrage. On considère généralement qu’elles ont une forte « validité interne », au regard du lieu précis où elles sont menées, mais une faible « validité externe », de telle sorte qu’elles ne permettent pas de construire une politique structurée et réplicable de lutte contre la pauvreté. Mais même leur « validité interne » a été remise en question. Les individus ont des comportements adaptatifs, de telle sorte que des économistes , tels Sanjay Reddy, affirment qu’aucun enseignement durable ne peut être tiré d’expériences sporadiques.

La validité interne de ces expériences est aussi affaiblie par sa méthode même, qui vise à tester si un programme a un effet, mais non à comprendre comment et pourquoi. Enfin, les expériences aléatoires auxquelles Duflo et ses collègues se livrent ont été critiquées d’un point de vue éthique. On préfère expérimenter sur les pauvres plutôt que de travailler en collaboration avec ces derniers.

9. Pour aller plus loin

Ouvrage recensé– La politique de l’autonomie, Paris, Seuil, coll. « La République des idées », 2010.

De la même auteure– Avec Abhijit Banerjee, « L'approche expérimentale en économie du développement. », Revue d'économie politique, 119 (5) : 691-726, 2009.

Autres pistes– Judith Favereau. L’approche expérimentale du J-Pal en économie du développement : un tournant épistémologique ? Thèse de doctorat (Economies et finances). Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2014. – Sanjay G. Reddy, « Economics’ Biggest Success Story is a Cautionnary Tale », Foreign Affairs, 22 Octobre 2019.

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