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Voici le résumé de l'un d'entre eux.

Discours de la servitude volontaire

de Étienne de La Boétie

récension rédigée parPaul RozièreDoctorant en philosophie (ENS Lyon).

Synopsis

Philosophie

Le Discours de la servitude volontaire est un texte politique majeur de la Renaissance, dans lequel La Boétie s’interroge sur ce qui permet aux tyrannies de se maintenir en place. Il y montre que le pouvoir du tyran repose en fait uniquement sur la servitude volontaire du peuple soumis. L’auteur va alors chercher à mettre au jour les mécanismes sociaux et psychiques qui rendent possible cette servitude volontaire. Puisqu’il s’agit d’un discours, le texte est écrit dans une langue souple agrémentée de nombreux exemples et anecdotes tirés de l’Histoire antique.

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1. Introduction

La pensée politique évolue profondément à la Renaissance : on s'interroge de plus en plus sur ce qui fonde la légitimité du pouvoir. Le contemporain de La Boétie, Jean Bodin, forge le concept de souveraineté pour légitimer la monarchie absolue. La Boétie choisit une approche opposée et se concentre sur le problème de la tyrannie : une monarchie dans laquelle le pouvoir est dans les mains d’un seul souverain qui fait souffrir ses sujets. Par quels procédés ce tyran impose-t-il sa domination ? Pourquoi n'y a t-il pas de révoltes ?

Au fil du Discours de la servitude volontaire, l'auteur découvre que c'est en fait le peuple lui-même qui souhaite la domination. Selon Deleuze et Guattari, La Boétie met le doigt sur le mystère fondamental et intemporel de la politique : « Pourquoi les hommes luttent-ils pour leur servitude comme s'il s'agissait de leur liberté ? ». La Boétie répond à cette question dans le Discours, à travers une multitude d’exemples principalement empruntés à l’antiquité, mais analysés de telle sorte qu’ils feront inévitablement échos à des situations tout à fait contemporaines.

2. Le paradoxe de la servitude volontaire

La Boétie souligne le fait que les situations dans lesquelles un peuple est soumis à un tyran sont paradoxales.

Pour comprendre ce paradoxe, il faut s’interroger sur l’origine du pouvoir. Un tyran seul parvient à oppresser plusieurs milliers de sujet : d’où lui vient la force nécessaire à cela ? Pour La Boétie, le pouvoir du tyran ne peut venir que du peuple. Par exemple, si un tyran donne un ordre à un sujet, l’ordre n’a d’effet que si le sujet obéit à cet ordre. C'est l'obéissance de tous qui fonde le pouvoir du tyran. C’est parce que le peuple obéit que le tyran a du pouvoir.

D’un autre côté, le tyran abuse par définition de son pouvoir. Il oppresse le peuple, lui fait endurer toute une série de souffrances : il l’accable d’impôts, l’entraîne dans des guerres injustes, le soumet à la censure ou discrimine une partie de la population.

On arrive ici, selon La Boétie, à une situation paradoxale : le peuple donne au tyran un pouvoir qui sert à en retour à l'oppresser. En ce sens, le peuple est quelque sorte responsable de sa propre oppression.

Mais alors pourquoi, dans ce cas, le peuple ne cesse-t-il pas simplement d'obéir ? S'il est si simple de se libérer de la tyrannie, alors pourquoi persiste-t-elle, pourquoi le peuple est-il maintenu dans la servitude ? L’hypothèse de La Boétie est que le tyran exerce une sorte de charme, d’attraction, qui fait que le peuple se soumet volontairement au tyran. Puisqu’il n’y aurait qu’à cesser d’obéir pour qu’un peuple retrouver sa liberté, alors c’est que le peuple se maintient volontairement dans la servitude. Qu’est-ce qui fait qu’un peuple accablé veuille cependant se maintenir dans cet état ? C’est ce fait paradoxal que La Boétie cherche à comprendre.

3. La coutume contre l’amour naturel de la liberté

Pour La Boétie, la Nature a doté l’homme d’un amour spontané de la liberté. On voit à l’œuvre cet amour de la liberté chez les animaux sauvages qui se débattent à coups de griffes et de crocs lorsqu’on tente de les capturer : il en va de même pour l’homme lorsqu’il se trouve dans son état naturel. La liberté est ce qui donne sa saveur à la vie, et tous les biens du monde ne sauraient compenser la perte de celle-ci. Comment donc un homme peut-il tomber dans la servitude volontaire et tourner le dos à la liberté ?

Si la liberté est naturellement recherchée par l’homme, alors la servitude volontaire ne peut-être qu’une dénaturation de l’homme. La Boétie cite l’exemple du peuple de Syracuse qui résista dans un premier temps au tyran Denys l’Ancien, mais qui au bout de quelques années, par habitude, oublia le goût de la liberté et finit par accepter sa servitude. Cet exemple montre que l’amour de la liberté, lorsqu’il n’est pas entretenu, est oublié et recouvert par la coutume. Les enfants nés sous la tyrannie voient leur goût naturel pour la liberté tué dans l’œuf dès le plus jeune âge, et s’accoutument sans difficulté à la servitude. La coutume est donc une des causes principales de la servitude volontaire, en ce qu’elle peut faire que le peuple n’ait plus de désir de liberté.

Il y a cependant selon La Boétie une autre manière d’acquérir le désir de liberté : par l’acquisition des savoirs, l’exercice de l’entendement, la culture de la raison. Un individu ayant perdu son désir naturel de liberté parviendra souvent à redécouvrir la valeur de la liberté par le simple raisonnement rationnel. C’est pour s’opposer à cela que les tyrannies mettent en place des appareils de censure et de contrôle de l’éducation. La servitude volontaire est ainsi obtenue en détournant le peuple de tout moyen d’acquérir le désir de liberté.

4. Aimer et craindre le tyran

La Boétie observe deux choses répandues dans les tyrannies antiques. D’une part, elles ont fait construire un grand nombre de tavernes et développés les divertissements, comme les jeux du cirque. D’autre part, le tyran était maintenu caché ou entouré d’apparats mystérieux. Il s’agit en réalité de stratégies qui visent à développer l’amour et la crainte du tyran. Ce sont deux causes de la servitude volontaire : plus le tyran est aimé, plus le peuple souhaite sa propre servitude. Plus le tyran est craint, plus la perspective d’une rébellion s’éloigne, ce qui contribue également au maintien de la servitude.

La Boétie donne un exemple la domination par l’amour du tyran en racontant l’annexion de la ville de Sardis par les Perses. Après la conquête de la ville, la population restait hostile et était prête à se révolter. Les Perses n'avaient cependant pas assez d’hommes pour laisser une garnison sur place afin de maintenir l’ordre. Ils construisirent alors des jeux et des tavernes. Cela suffit à amollir la population et à rendre désirable la domination perse, qui fut ainsi assurée. De même, Rome ne connut pas pire tyran que Néron, qui incendia délibérément la ville. Et pourtant le peuple fut fort triste de sa mort tant il était prodigue en pain, en vin et en jeux.

Le tyran, en plus de se faire aimer, se fait craindre du peuple. Il se montre peu, et toujours dans des accoutrements mystérieux (La Boétie donne l'exemple d'un roi qui se présentait face au peuple avec une coiffe enflammée). Un tel souverain exploite ainsi les mécanismes de l’imagination et de la superstition pour faire croire qu'il est plus qu’homme, un sur-homme, entouré de pouvoirs surnaturels. Si le tyran est un homme de nature exceptionnelle, un demi-dieu, alors il apparaît légitime qu’il domine le commun des hommes. De plus, la perspective d’une rébellion est fort effrayante s’il s’agit de se rebeller non pas contre un simple homme, mais contre un être doté de pouvoirs quasi-divins.

5. L’organisation hiérarchique du pouvoir

Le ressort principal de la servitude volontaire est l’organisation hiérarchique du pouvoir. La Boétie présente les choses ainsi : un tyran s’entoure de six conseillers, des complices grassement récompensés pour leurs services. Subordonnés à ces six conseillers se trouvent 600 sous-conseillers, qui tirent eux-aussi profit de leur fonction. Sous les ordres de ces 600 individus, il y en a 6 000, qui trouvent eux-mêmes un intérêt à servir leurs supérieurs, etc. On a donc une structure hiérarchique où chacun a intérêt à satisfaire son supérieur hiérarchique, et donc ultimement à servir le tyran. La tyrannie est ainsi rendue profitable à un très grand nombre de gens. Si la tyrannie peut se maintenir, c’est qu’il y a quasiment autant de gens qui ont intérêt à la maintenir en place que de gens qui ont intérêt à retrouver leur liberté. Les individus qui participent à l’administration du royaume subissent en outre une grande transformation de leur psychologie. En effet, il s’agit pour ces conseillers avant tout de plaire au tyran, car plus ils seront aimés du tyran, plus ce dernier leur fera profiter de richesses et de privilèges multiples. Ces conseillers sont alors sans cesse en train d’observer les goûts du tyran, et cherchent à anticiper ses pensées et deviner ses préoccupations pour mieux le satisfaire. Au bout d’un certain temps, par la répétition, à force d’habitude, ils finissent par perdre leur personnalité propre et héritent de celle du tyran : le sujet finit par penser comme le tyran pense, aimer ce que le tyran aime, etc. On a ici une des formes ultimes de la domination : le sujet est dépossédé de tout, de sa liberté corporelle, de sa liberté intellectuelle et de ses goûts propres. La servitude volontaire repose alors aussi sur cette force idéologique de la tyrannie : le tyran transforme à son image le peuple sur lequel il règne.

6. L’inconstance du tyran

On pourrait se dire qu'après tout, si la servitude est volontaire et que les sujets se satisfont de la tyrannie, faut-il vraiment la critiquer ? La Boétie défend toutefois l’idée au fil du texte que malgré la soumission volontaire des sujets, le fait de servir le tyran n’a rien de souhaitable. En effet, il rappelle que les conseillers et officiers du tyran n’en demeurent pas moins constamment dans la crainte d’un retournement. Le tyran n’est soumis à rien d’autre qu’à son bon vouloir : il peut faire volte-face sans que rien ne l’en empêche. Ainsi les conseillers les plus proches sont souvent ceux qui risquent d’être radiés, exilés ou tués. Sénèque en est l’exemple parfait : il fut condamné à mort par l’empereur Néron, qu’il avait lui-même éduqué et longuement conseillé. De plus, La Boétie souligne que s’il est possible d’aimer un tyran, il est impossible de se lier d’amitié avec celui-ci, car l’amitié requiert l’égalité des amis. C’est donc toujours une relation asymétrique et finalement dangereuse qu’entretiennent les conseillers envers le tyran. Enfin, du fait même de l’instabilité des relations entre le tyran et ses conseillers, les conseillers les plus proches sont souvent les premiers à faire chuter le tyran : que l’on pense à Brutus et César. Les tyrannies ne durent donc jamais longtemps, car les relations au sein de l’appareil de pouvoir sont toujours instables et menaçantes. De plus, lorsqu’un nouveau tyran arrive au pouvoir, il « purge » l’administration des anciens conseillers. Ainsi La Boétie conclut que les conseillers qui servent volontairement le tyran n’ont pas une conscience lucide de leur intérêt, et ont finalement beaucoup plus à y perdre qu’à y gagner.

7. Conclusion

Dans le Discours de la servitude volontaire, La Boétie réussit à exposer les raisons pour lesquelles un peuple en vient à servir avec zèle un tyran qui pourtant le maltraite.

Premièrement, un peuple asservi perd peu à peu l’amour naturel de la liberté, et une habitude de servitude l’empêche de désirer autre chose, d’autant plus lorsque la censure rétrécit l’horizon intellectuel des individus. De plus, le tyran développe les divertissements (les jeux, le théâtre, etc.), et par ce biais il parvient à la fois à se faire aimer et à éloigner encore davantage le peuple de l’étude et de l'amour de la liberté. Le tyran se sert aussi des superstitions, il les entretient pour faire planer un doute sur sa nature (est-il un homme ou est-il un dieu ?), afin d’être craint et de dissuader les révoltes. Mais c’est surtout la méticuleuse organisation hiérarchique du pouvoir, dans laquelle chaque conseiller et sous-conseiller a intérêt à servir son supérieur et faire pression sur son subordonné, qui constitue le ressort principal de la servitude volontaire : chacun de ces conseillers sert avec zèle le tyran, car il y trouve un intérêt personnel.

La Boétie souligne cependant que cet intérêt est mal compris par ces conseillers, puisque le pouvoir tyrannique est toujours instable, capable de se retourner contre ses collaborateurs, ou d’être renversé à tout moment par les nombreuses menaces qui pèsent sur lui. La Boétie montre donc à la fois les raisons de la servitude volontaire et en quoi il reste cependant toujours préférable de désirer rechercher la liberté au lieu d’un bonheur instable sous la tyrannie.

8. Zone critique : un texte si actuel

Le thème de la servitude volontaire est utilisé pour penser diverses situations actuelles. On a pu l'utiliser pour penser le totalitarisme et sa force idéologique (Adorno). On le retrouve également dans la tradition libérale critique de l’État providence. En se préoccupant du bien-être matériel de la population (sécurité sociale et services publics en tous genres), l'État providence nuirait en réalité à la liberté des individus (Hayek).

La Boétie est aussi très utilisé chez les sociologues qui développent une approche critique de certaines formes de management. En effet, certaines théories managériales visent à façonner la personnalité du salarié afin qu'il s'engage toujours davantage dans son travail ou à lui faire accepter des situations qui lui paraîtraient pourtant intolérables hors de cette sphère (Dejours). Le thème de la servitude volontaire vient alors compléter ou remplacer le thème de l'aliénation issu du marxisme, et La Boétie est parfois lu comme un précurseur des pensées de l'aliénation et de l'idéologie.

9. Pour aller plus loin

– Theodor Adorno, Études sur la personnalité autoritaire, Éditions Allia, 2007 (première édition en 1950).– Christophe Dejours, Souffrance en France : la banalisation de l'injustice sociale, Le Seuil, coll. « Essais », 1998.– Friedrich Hayek, La Route de la servitude, Paris, PUF, coll. « Quadridge », 2013 (première édition en 1944).– Gilles Deleuze et Félix Guattari, L'anti-Oedipe, capitalisme et schizophrénie, Paris, Les éditions de minuit, 1972.– Frédéric Lordon, Capitalisme, désir et servitude, Paris, La Fabrique, 2010.– Michel de Montaigne, Essais, Gallimard, coll. Folio classiques, 2009. Voir notamment le chapitre intitulé « De l'amitié ».

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