Dygest vous propose des résumés selectionnés et vulgarisés par la communauté universitaire.
Voici le résumé de l'un d'entre eux.
de Fabrice Midal
Le philosophe Fabrice Midal propose dans son ouvrage Sauvez votre peau, devenez narcissique, paru en 2017, une nouvelle interprétation du mythe de Narcisse. Contrairement à ce que tout le monde pourrait penser, c’est en étant narcissique et en paix avec soi, qu’il est possible de développer un rapport authentique aux autres. Voilà l’enseignement de l’auteur !
Philosophe et enseignant de la méditation en France, Fabrice Midal propose ici une redéfinition du mot « narcissique » et invite ses lecteurs à le devenir.
Il ne s’agit pas ici du narcissique qui s’aimerait trop, ou du pervers narcissique, non il est question d’apprendre à se connaître, de s’écouter, de se respecter, et ainsi de s’ouvrir à son humanité et de s’ouvrir à celle des autres. Il est question d’arrêter de se flageller, de se critiquer et de se détester !
Le mot « narcissique » est souvent perçu comme une injure. Tout le monde utilise la légende de Narcisse et cet adjectif de façon péjorative. L’auteur a cru longtemps, comme tout le monde, qu’être narcissique était « un frein puissant à l’empathie et à la capacité de se tourner vers les autres. Un problème majeur de notre temps qui nous aurait conduits à forger une société égoïste, une société où l’on souffre de dépression et de déficit d’attention, où l’on meurt de burn-out et d’épuisement ».
Il a ensuite compris que toutes ces maladies étaient en fait liées à l’exploitation des humains par les humains. Il désire ainsi remettre les choses à plat. Dans cette légende, Narcisse naît sous la prédiction qu’il vivra vieux s’il ne se voit pas. Tout est donc fait pour qu’il ne se connaisse pas. Il s’avère qu’il est d’une beauté extraordinaire et que tout le monde tombe amoureux de lui. Mais lui pense être un vilain canard. Un jour, il se penche sur une source et se voit sans savoir que c’est lui. Quand il finit par se reconnaître, « il touche une forme de jubilation et se transforme aussitôt en une extraordinaire fleur blanche au cœur d’or, la fleur de la joie pure, la première à éclore après l’hiver, qui porte désormais son nom : le narcisse ».
Cette légende était pour les Grecs une ode à la renaissance du printemps, à la nature et à la vie. La théologie chrétienne l’a transformée en symbole de l’abomination de l’amour de soi avec pour moral : il est dangereux de s’aimer ! Cet adjectif « narcissique » a également été classé par les psychiatres dans la catégorie des troubles de la personnalité. L’un des exemples les plus criants du moment est le président américain Donald Trump. Pourtant, malgré les apparences, cet homme ne s’aime pas. Il s’est forgé une image, il a revêtu une armure, mais doute et s’inquiète constamment. Il attend l’approbation et la reconnaissance, mais ne se connait pas. Il est la grenouille de la fable de La Fontaine (La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf), il a réussi à devenir bœuf, mais veut toujours plus. Trump n’est pas narcissique, mais vaniteux. Agresser, terroriser, être sur la défensive, voilà quelques traits de personnalité de ces grenouilles. « Le narcissique se sait riche de ce qu’il est. Le vaniteux se fuit, sort de lui et occupe l’espace, tout l’espace disponible, écrase ceux qui s’y risqueraient et pourrit la vie de ceux qui le côtoient. »
Socrate invitait à la connaissance narcissique, la connaissance de soi et donc la sagesse. « Connais-toi toi-même » pourrait permettre d’« éviter les millions, les millards de petits robots qui accomplissent chaque jour leur tâche, scrupuleusement et sans jamais se questionner. Qui exécutent les ordres sans s’interroger sur leurs fins, sans se demander s’ils sont justes ou adéquat. » Finalement, ces personnes ne sont pas narcissiques, mais au contraire aliénées et soumises. Pour illustrer ceci, l’auteur évoque Adolf Eichmann, responsable de la logistique de la Solution finale. Lors de son procès, ce qui est ressorti, selon l’auteur, c’est qu’il était juste un minable qui n’avait fait qu’obéir aux ordres. « Il les aurait exécutés avec la même indifférence s’ils concernaient la fabrication de boîtes de chocolats : l’essentiel à ses yeux était de mener à bien la tâche qui lui était confiée, quelle qu’elle soit. »
Notre culture occidentale est comme un gâteau dont la cerise serait le bonheur. Et pour obtenir cette cerise (ce bonheur), il faut commencer par faire le gâteau (travailler, respecter la vertu, se sacrifier). Le bonheur serait alors la récompense. C’est là la conception du bonheur selon le capitalisme (consommer, posséder une maison, une voiture…) et selon les religions (le bonheur dans l’au-delà). Ainsi, notre société a imposé ce modèle de perfection et de performance pour faire toujours mieux, avoir toujours plus et soi-disant être plus heureux !
Grâce à la psychologie positive, l’idée que le bonheur n’est pas la cerise sur le gâteau commence à s’imposer. Il faut refuser de se laisser porter par la vie et juste vivre. S’autoriser à être heureux, c’est se donner la possibilité de réussir dans tous les domaines (travail, vie personnelle…) Mais attention, le bonheur ne doit pas être entendu comme une injonction, il doit être entendu comme une invitation. « C’est un bonheur qui n’est ni le laisser-aller ni le refus de l’effort. Au contraire, il est l’accomplissement de ce qui me grandit, m’épanouit, me déploie. »
Il ne s’agit pas d’un bonheur niais, mais d’un droit à ce bonheur qui change obligatoirement le regard sur la vie. Sans jugement, sans violence, il est important d’apprendre à s’écouter. Malgré les injonctions de la société, cette dernière reste moins conformiste et plus tolérante qu’aux siècles passés ou que d’autres sociétés. C’est pourquoi il est possible de s’épanouir en étant soi, en jouissant de la liberté qui nous est malgré tout offerte. À chacun sa personnalité, ses dons, ses envies. Il s’agit juste de s’autoriser à être et à les vivre.
L’un des maux de la société est ce désir de toujours se comparer à des modèles. « Elle est plus, il a plus… » Nous voulons ressembler aux photos de magazine, avoir la vie que les films proposent comme s’ils pouvaient être les sources d’un bonheur supérieur… Sans compter toutes les injonctions actuelles, faire un apéro pour 15 en 10 minutes, courir avant de partir au travail… Comme, nous n’y arrivons pas, nous sommes toujours « désolés de », nous culpabilisons en ressassant et en regrettant.
D’autres choisissent l’agressivité comme arme, mais ces personnes en veulent à eux-mêmes, pas aux autres. Pour terminer, la méditation ne va pas transformer ce qu’un individu est, elle va transformer son rapport à lui-même. « Je me suis pardonné d’être imparfait, médiocre par bien des aspects, de ne pas être toujours à la hauteur de mes aspirations, de ne pas correspondre à l’idéal abstrait que j’avais intériorisé. Je me suis aimé avec ma médiocrité quand j’ai réalisé qu’elle n’est pas une monstruosité, mais un indice de mon humanité. »
De façon générale, nous ne nous respectons pas, nous nous méprisons, nous ne nous écoutons pas. Il y a finalement comme une malédiction de la haine de soi. Mais si nous transformons l’invitation à s’aimer en une injonction, alors nous faisons fausse route. S’offrir des moments de bien-être (« mot-valise qui englobe aussi bien les escapades au soleil que le marché des spas et qui est devenu l’un des moteurs économiques de notre siècle » ) n’est pas suffisant. Il est impératif d’arrêter de se harceler, entre deux pauses de bonheur.
Pour commencer, il faut avoir conscience de la manière dont nous nous traitons et aussi, parfois, dont nous traitons les autres (conjoints, enfant) et dont les autres nous traitent. Les multiples exemples le prouvent : la peur et l’humiliation sont contre-productives ! En se harcelant ou en harcelant les autres, nous nous mettons et mettons les autres dans un état d’infériorité. Les erreurs sont humaines et même s’il est important de savoir les reconnaître, il ne sert à rien de se punir, se ressasser, de s’auto-flageller. Mais pardonner n’est pas nier ni effacer. Pardonner consiste à reconnaître les erreurs, en tirer les leçons, pour tourner la page et avancer.
Le parallèle doit également être fait avec l’amour que nous nous portons. Il faut s’aimer entièrement, car nous ne sommes pas qu’un métier, un physique, un trait de personnalité, nous sommes un tout. Nous ne cesserions pas d’aimer notre ami s’il perdait son travail, alors pourquoi cesserions-nous de nous aimer dans de telles circonstances ? Dans l’amour, il n’y a pas de raison, il y a le cœur. Il faut être lucide : tout comme nos amis ou notre conjoint nous agacent des fois, nous pouvons aussi être agacés envers nous-mêmes. Mais un comportement ne résume pas ce que nous sommes. Ce n’est pas parce qu’un jour nous nous sommes mal comportés, que nous ne sommes plus que ça. Une expérience peut nous permettre de devenir plus vigilants. Cependant, il faut accepter que la perfection soit inatteignable, la vie est en effet trop complexe, faites d’embuches et d’obstacles. Il est finalement question de coming-out, c’est-à-dire de se révéler à soi-même, mais encore une fois la vie est mouvante et nous changeons aussi avec elle. Nous ne sommes pas des êtres stables.
De plus, se sacrifier pour les autres n’est pas une bonne idée. Donner à l’autre ne doit pas être un sacrifice, mais un épanouissement. Il ne sert à rien de souffrir avec les autres. Accompagner l’autre dans sa souffrance ne signifie pas souffrir soi-même. « La vrai gentillesse implique de pouvoir dire non, de ne pas séparer irrévocablement moi et l’autre. » Par ailleurs, il est impossible de connaître entièrement son compagnon, ses enfants, ses amis, ses collègues, comme il est impossible de se connaître dans son entièreté. Ainsi, nous sommes des êtres inaccessibles. « La boite à surprises que nous sommes regorge d’intuitions, de créativité, de liberté qui nous restent inaccessibles tant que nous n’en avons pas fait l’épreuve, y compris dans les actes les plus simples de la vie. »
Tout comme le mot narcissique, le mot « ego » est un vide-poche. Tout serait la faute de l’ego, et il faudrait alors s’en débarrasser ! Mais il faut être précis dans le choix de son vocabulaire et à la place d’ego surdimensionné, il est préférable de parler de jalousie, de vanité, d’égoïsme… « Notre vocabulaire nous empoisonne. Nous utilisons trop de concepts creux, vides de sens, des pièges que nous avons hypertrophiés et érigés en réalité : l’ego, l’estime de soi, le lâcher-prise. » Si dans notre société, le « je » est souvent synonyme d’égocentrisme, et que le « nous » collectif est préféré, il est pourtant nécessaire selon l’auteur de se réapproprier ce « je » et de parler de soi !
Malgré la vieillesse, malgré la maladie, prendre soin de soi est primordial. Les associations qui proposent des cours de maquillage ou des soins dans les hôpitaux pour les personnes malades en sont témoins. Un coiffeur prenant soin des personnes âgées dans une maison de retraite fait bien plus que coiffer. Notre société a fait de la coquetterie un péché, mais c’est une erreur. Malheureusement, la dichotomie corps et esprit est profondément ancrée, comme s’il y avait d’un côté ceux qui font attention à eux, et de l’autre ceux qui sont sérieux.
L’auteur l’affirme : il faut prendre soin de soi pour nourrir la vie en soi. L’unité de notre « moi » est faite d’un corps et d’un esprit, pas de l’un ou de l’autre. Mais prendre soin de soi ne signifie pas devenir une Kim Kardashian, ne signifie pas se cacher derrière des retouches ou trop de maquillage. Simplement, nous avons le droit de nous trouver beaux et de prendre soin de nous !
Nous ne nous se pardonnons pas nos imperfections, alors que les gens nous aiment pour ce que nous sommes et que nous les aimons en retour pour ce qu’ils sont. Avec leurs qualités et leurs défauts. Nous les aimons pour un tout. Alors il devient indispensable de faire pareil avec nous-mêmes. Pour finir, l’amour que nous portons à notre conjoint, à nos amis, à nos enfants « ne se mesure pas à son intensité émotionnelle », nous éprouvons « un amour durable, qui, s’il devait être mesuré, le serait à l’aune de la confiance et du bonheur qu’on a souvent (mais pas toujours !) d’être avec eux. »
L’amour (au sens large) n’est pas un état fixe. Nous pouvons ressentir de l’amour pour un ami, un conjoint de façon plus ou moins intense selon les moments, nous n’avons pas besoin de le dire sans cesse, nous n’attendons rien en retour, nous les acceptons avec leurs défauts : l’amour n’est fait que d’« expériences qui se vivent dans le présent. » Il est urgent de trouver en soi la force de s’engager, c’est-à-dire de s’accomplir, de trouver le bonheur et la plénitude.
Fabrice Midal est précis avec le vocabulaire employé. Être narcissique signifie seulement s’aimer. Il faut prendre conscience de l’être que nous sommes, un être imparfait fait autant de défauts que de qualités. L’exemple de Narcisse donne plusieurs leçons : celle de se connaître et celle d’avoir le droit d’être ce que nous sommes, tout en étant pleinement heureux. C’est la clé pour vivre épanoui avec soi et avec les autres.
S’engager c’est donner et recevoir, c’est se libérer, c’est être soi, c’est rester différent, « M’aimer ce n’est pas me regarder le nombril, c’est accomplir ce qui me grandit pour rester vivant. C’est me reconnaître et toucher l’humanité en moi. »
Tout comme dans son best-seller, Foutez-vous la paix, Fabrice Midal propose ici un discours simple, rythmé de références philosophiques et littéraires, mais également d’anecdotes personnelles.
Il permet de réfléchir à l’emploi de certains mots, mais aussi à leur impact sur la vie et le moral des individus. Ceux qui semblent être narcissiques ne le sont finalement pas, car être narcissique signifie s’aimer, pas se transformer pour attendre l’approbation des tiers. C’est une douce invitation au bonheur !
Ouvrage recensé– Sauvez votre peau, devenez narcissique, Paris, Flammarion, 2018.
Du même auteur– Foutez-vous la paix ! et commencez à vivre, Paris, Flammarion, 2017.– Comment la philosophie peut nous sauver, Paris, Flammarion, 2016.– Frappe le ciel, écoute le bruit, Paris, Flammarion, 2015.